Christophe Bonillo, infirmier tout terrain - Objectif Soins & Management n° 257 du 01/06/2017 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 257 du 01/06/2017

 

Sur le terrain

Laure de Montalembert  

Si vous voyez passer l’hélicoptère rouge et jaune de la sécurité civile au-dessus de vos têtes, il est bien possible que Christophe Bonillo, infirmier anesthésiste au sein du bloc opératoire pédiatrique de l’hôpital de la Timone à Marseille et infirmier anesthésiste sapeur-pompier à la sécurité civile des Bouches- du-Rhône, s’y trouve, en pleine intervention d’urgence.

Objectif soins et management : Faut-il être particulièrement sportif pour exercer en milieux parfois périlleux ?

Christophe Bonillo : Oui. Il faut se maintenir physiquement. Le matériel de réanimation est lourd et installer un brancard sur une paroi des Calanques, par exemple, ça demande pas mal de force. Des gens y font des chutes et nous les retrouvons sur des petits aplombs rocheux où il faut directement commencer les soins de réanimation avant de pouvoir les hélitreuiller. Un véritable exercice d’équilibriste.

OS&M : Quel entraînement suivez-vous ?

Christophe Bonillo : On fait de l’escalade et on s’entraîne à s’accrocher aux parois, à faire des soins sur des petits espaces, à faire du rappel, à récupérer le brancard dans des situations complexes… Ce sont les pompiers qui se chargent de cette partie de la formation. Cela se fait sur une journée chaque année. Le pilote de l’hélicoptère et le mécanicien nous enseignent également à réagir en cas de crash ou de perte de conscience du pilote et du mécanicien.

OS&M : Quels sont les endroits les plus étonnants où vous êtes intervenu ?

Christophe Bonillo : Parfois, on part loin ; jusqu’en Corse. Notre territoire d’intervention correspond aux quatre départements du Sud. Je me souviens notamment d’un accouchement sur un bateau. L’équipage partait en Corse pour une croisière lorsque la jeune femme a senti qu’elle accouchait prématurément. C’était trop tard pour ramener le bateau au port, du coup, nous sommes intervenus. L’accouchement s’est d’ailleurs très bien passé.

OS&M : On peut imaginer que tout ne se passe pas toujours aussi bien…

Christophe Bonillo : En effet, nous intervenons également sur de très graves accidents de la route. Les accidentés sont alors dans un état critique, parfois incarcérés dans leur véhicule. Nous les conditionnons avant qu’ils puissent être désincarcérés pour les évacuer.

OS&M : Le fait d’être, par ailleurs, infirmier anesthésiste en pédiatrie vous apporte-t-il un avantage lors de ces interventions ?

Christophe Bonillo : Oui, énormément. Mon expertise en pédiatrie rassure parfois les médecins urgentistes qui nous accompagnent. Souvent, ils ont moins d’expertise en pédiatrie, ce qui reste légitime du fait de cette spécialité médicale. C’est un travail d’équipe pluridisciplinaire. C’est mon quotidien, la prise en charge médicale chez les bébés.

OS&M : Vous arrive-t-il d’avoir peur ?

Christophe Bonillo : Oui, souvent. En cas d’intempéries, ça secoue. Cela dit, les pilotes et les mécaniciens sont extrêmement expérimentés. Et lorsque le risque est trop élevé, on ne décolle pas, notamment lorsque la vitesse du vent excède les 50 nœuds. Parfois, on attend que ça se calme et c’est extrêmement frustrant de savoir que des personnes sont en grande difficulté sans pouvoir décoller. Il arrive aussi qu’il soit impossible d’atterrir sur les lieux. Par exemple, au Castelet, une mère avait fait un arrêt cardiaque en présence de sa fille et nous n’avons pas pu nous poser. C’est frustrant. Dans ces cas-là, les secours interviennent par les moyens routiers mais c’est souvent plus long. Cependant, en dehors de ces conditions climatiques difficiles, nous arrivons presque toujours à trouver un moyen de nous poser, même si cela doit se faire sur un terrain de sport ou sur la place d’un village pour donner le relais aux équipes à terre. Le seul moment où nous n’intervenons pas, c’est la nuit. L’hélicoptère est disponible de 9 heures du matin au coucher du soleil aéronautique plus trente minutes, c’est-à-dire 18 heures en hiver et 21 h 30 en été. Entre-temps, c’est l’équipe médicale des pompiers de la caserne de Marignane ou de Rognac qui prend le relais avec un délai un peu plus long car nous ne sommes pas sur place. L’équipe du Samu est plutôt dédiée aux transferts secondaires mais il nous arrive de travailler ensemble sur de l’intervention primaire. Le seul décideur du déclenchement d’une intervention primaire héliportée, c’est le Samu centre 15.

OS&M : Quelles sont les situations les plus difficiles moralement ?

Christophe Bonillo : C’est lorsque des enfants ou des parents d’enfants présents sont décédés au cours de l’accident. Je me souviens en particulier de cet enfant de 7 ans que les parents avaient pris dans leur lit car il était en hyperthermie. Ils ont tenté de le soigner, puis il s’est endormi et il ne s’est jamais réveillé au matin. On a essayé de le réanimer pendant des heures sans succès. Et il a fallu annoncer son décès à la famille. Ce sont des moments éprouvants pour tout le monde. Comment rassurer les parents sur le rôle qu’ils ont joué, leur sentiment de culpabilité ? Il n’existe aucun mode d’emploi ni de bons mots dans ces moments-là. Parfois, juste du silence, des regards et de l’empathie, prendre une main. Nous sommes des êtres humains avant tout, on ne peut pas rester insensible… Il y a aussi ces accidents de la route dont les enfants sont les premiers témoins du décès de leurs parents.

OS&M : Bénéficiez-vous d’une aide psychologique ?

Christophe Bonillo : Chez les pompiers, on peut avoir accès à une cellule médico-psychologique si on le souhaite, pour évacuer le traumatisme. C’est sur la base du volontariat. Malheureusement, certains ne le font pas, et on découvre au décours d’une conversation qu’ils sont réellement traumatisés. Il y a un vrai manque de suivi. Cela dit, on garde toujours un œil sur les jeunes. Lors du debrief post-intervention, on repère ceux qui vont mal. On les prend à part et on les fait parler. Si le malaise est trop important, on déclenche un rendez-vous avec la cellule psychologique. Il est également possible de les accompagner à l’hôpital de la Conception où il existe une équipe d’écoute psychologique. Pour les accidentés, la cellule médico-psychologique peut aussi intervenir directement sur place.

OS&M : Comment en arrive-t-on à devenir infirmier anesthésiste sapeur-pompier ?

Christophe Bonillo : Mon père était pompier et j’ai passé mon Brevet national de secourisme à 15 ans. Puis, à 16 ans, je suis devenu pompier volontaire à la caserne de Vitrolles. Durant cette période, je me suis rendu compte que j’étais attiré par le domaine du soin, aider les gens, les réconforter, les sauver. Alors, j’ai fait un stage d’observation au sein du service d’urgences quand j’étais en 3e dans une clinique privée et j’ai découvert que j’étais vraiment fait pour ça. Il faut être calme, à l’écoute et empathique. Après une filière en sanitaire et social, je me suis orienté vers le soin en 1993. En IFSI, j’ai privilégié les stages en réanimation, urgence et Smur. Cependant, pour mon premier poste, j’ai choisi un service polyvalent dans le privé pour continuer à apprendre le métier sous ses différentes spécialitées. En service de médecine spécialisé en gastroentérologie, on touchait à tous les domaines : neurologie, cardiologie, pédiatrie, gériatrie, psychiatrie… J’y suis resté sept ans.

OS&M : Puis vous voilà en réanimation…

Christophe Bonillo : Les dernières années, j’exerçais en réanimation en poste fixe puis aux urgences. Mais cela ne m’a pas empêché de découvrir les autres établissements du secteur avant de choisir un poste qui me convienne vraiment. Cela a été un poste de nuit aux urgences de Sainte-Marguerite (AP-HM), puis rapidement, au Samu 13 à la Timone à Marseille. Du coup, j’ai pu m’inscrire à des DU pour devenir plus performant en urgences et réanimation. L’établissement étant dans le secteur public, mes formations étaient prises en charge. J’ai eu la chance de ne pas à avoir à attendre avant de commencer ces formations complémentaires.

OS&M : Quels diplômes universitaires avez-vous obtenus ?

Christophe Bonillo : Un DU d’urgence à la Faculté de médecine de Nice, un DU d’urgence en milieu maritime. J’ai aussi suivi beaucoup de formations courtes de prise en charge pré-hospitalière chez les adultes et chez les enfants. Tout cela m’a permis de découvrir des exercices dans les conditions réelles. Il y a eu d’autres DU en réanimation, prise en charge de la douleur, et une formation d’infirmier sapeur-pompier… Tout en restant dans ce service où j’ai exercé pendant six ans.

OS&M : Quel était votre objectif d’évolution de carrière à ce moment-là ?

Christophe Bonillo : Mon objectif, c’était le pré-hospitalier. Alors, quand j’ai découvert qu’un poste s’ouvrait au Smur pédiatrique, j’ai sauté sur l’occasion. Je n’étais pas sûr d’avoir mes chances. Mais, sur les six candidats spécialisés, c’est moi qui ai été retenu, notamment grâce à mon expertise chez les pompiers et mon expérience paramédicale. Il s’agissait d’une création du service, ce qui rendait ce poste encore plus attractif. Nous avons donc tout créé, trois sages-femmes régulatrices du centre 15, une pédiatre du Smur et de la réanimation pédiatrique et moi. L’organisation du camion et le choix du matériel compris. Cela a duré trois mois. Puis nous nous sommes lancés dans le transport paramédicalisé. Dans le camion, un ambulancier et un infirmier. Nous nous occupions majoritairement de rapatriements entre hôpitaux lorsque l’enfant nécessitait d’être pris en charge dans un service hyper spécialisé.

OS&M : Pourquoi avoir quitté le Smur pédiatrique au bout d’un an seulement ?

Christophe Bonillo : Je suis vraiment passionné par les urgences et la dynamique qu’elles entraînent. Au Smur, je ne retrouvais plus l’émulation du début. Beaucoup de transports secondaires, de la surveillance d’enfants stabilisés. J’ai accepté un poste au Samu/Smur adultes. Il y avait déjà des interventions en hélicoptère mais sans hélitreuillages. Cela m’a passionné. J’y suis resté jusqu’en 2011. Entre-temps, j’ai réussi le concours d’entrée à l’école d’infirmier anesthésiste. Je voulais vraiment continuer à me perfectionner pour devenir expert dans ce domaine qui me passionne. Après deux ans, un master 2 d’anesthésie en poche et un mémoire de fin d’études sur le pré-hospitalier, j’ai décroché un poste d’infirmier anesthésiste sapeur-pompier volontaire sur le “Dragon 131”, l’hélicoptère de la sécurité civile. Nous ne sommes que quatorze infirmiers dans le département des Bouches-du-Rhône, dont dix infirmiers pompiers urgentistes et quatre infirmiers pompiers anesthésistes urgentistes. Depuis mars 2017, le décret qui régit notre profession d’infirmier anesthésiste nous donne plus d’autonomie. L’infirmier anesthésiste diplômé d’État exerce ses activités sous le contrôle exclusif d’un médecin anesthésiste-réanimateur sous réserve que ce médecin ait préalablement examiné le patient et établi par écrit la stratégie anesthésique comprenant les objectifs à atteindre, le choix et les conditions de mise en œuvre de la technique d’anesthésie. Dans le cadre des transports infirmiers interhospitaliers, il habilite les IADE à réaliser le transport des patients stables ventilés, intubés ou sédatés. Enfin, il élargit la compétence des IADE en matière de prise en charge de la douleur. Nous sommes des experts dans la gestion de l’anesthésie, l’intubation, la douleur, l’urgence et la réanimation grâce à notre formation et surtout de l’entraînement et une pratique quotidienne. Le médecin prescrit, donne ses directives, et nous agissons de manière autonome.

OS&M : Le métier d’infirmier, c’est devenu une histoire de famille chez vous…

Christophe Bonillo : (Rires) Oui, mon épouse est infirmière en réanimation et ma fille termine actuellement sa première année en IFSI. Elle est passionnée comme son père, et je lui souhaite d’être passionnée par cette belle aventure de soignante.