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A priori, tout le monde sait écrire. Et pourtant, l’angoisse de la page blanche est souvent présente dans nos esprits. Mais pourquoi écrire ? Pour laisser une trace, pour se prouver que l’on est capable de, pour exprimer ce que l’on porte au fond de soi, pour jouer avec les mots et écouter leur musique… Afin de donner confiance à ses étudiants, l’IFSI de Haute Côte-d’Or propose un atelier d’écriture.
L’instruction primaire se charge d’apporter les bases de l’écriture à l’enfant. Mais qu’en reste-t-il quand celui-ci, devenu adulte, aborde une formation professionnelle ? Après des années d’expérience en établissement d’enseignement, nous nous interrogeons sur les difficultés à écrire des jeunes qui arrivent en formation infirmière. Notre institut, l’IFSI de Haute Côte-d’Or, à Semur-en-Auxois, se situe à égale distance entre Dijon et Auxerre (environ 80 kilomètres). Il est géré par un Groupement de coopération sanitaire et est agréé pour accueillir 45 étudiants par année de formation. Parmi ceux-ci, nous trouvons des jeunes à peine sortis du lycée après l’obtention du baccalauréat, mais également des professionnels de santé aides-soignants et des personnes en reconversion professionnelle, forts d’une certaine maturité. Cette hétérogénéité apporte de la richesse à la communication et aux échanges.
Malgré cette diversité, nous constatons une pauvreté de langage chez certains étudiants et des erreurs de syntaxe nuisant parfois à la lecture et à la qualité de leurs travaux.
Eux-mêmes évoquent leurs difficultés à répondre aux demandes d’écrits institutionnels. La perspective d’avoir à rédiger un travail de fin d’études, un mémoire, les angoisse et, pour certains, les paralyse. Face à cette manifestation de détresse et à une demande d’aide, nous avons décidé de leur proposer une activité sortant du cadre de la formation infirmière : l’atelier d’écriture.
Cette proposition n’a pas l’ambition de se poser comme une solution, mais simplement d’offrir un soutien aux étudiants demandeurs.
Notre “équipe”, à l’origine de ce projet, se compose de trois personnes : une documentaliste et deux formatrices, dont l’une a une expérience d’ateliers d’écriture. Motivées par l’amour des mots, nous décidons de nous lancer dans ce projet.
Un atelier d’écriture désigne généralement un lieu consacré à l’écriture qui suscite et sollicite la créativité des participants au moyen de “contraintes” proposées au groupe par l’animateur.
Les objectifs premiers de cet atelier étaient de démystifier l’écriture et de permettre à l’étudiant de prendre confiance en sa capacité à produire un écrit. À ces objectifs, s’est ajoutée, à la demande des étudiants, la révision de certaines règles de grammaire, de conjugaison et d’orthographe, qui avaient été oubliées. De façon à créer un climat de confiance et de partage, nous nous sommes situées en qualité d’animatrices et non de formatrices, et avons insisté sur la nécessité de l’absence de jugement afin de libérer l’écriture. Tout comme les étudiants, nous avons participé aux activités proposées et exposé nos écrits.
Le projet d’atelier d’écriture est élaboré en 2012. Le choix est fait de ne le proposer qu’aux étudiants de troisième année, qui abordent la rédaction du travail de fin d’études et ont suffisamment de recul du fait des travaux écrits déjà construits.
La présentation se fait à l’ensemble de la promotion, qui reçoit la proposition plutôt favorablement.
La participation se base sur le volontariat et les intéressés sont invités à s’inscrire. Ils seront quinze, participant fidèlement aux quatre ateliers programmés dans l’année. Le bilan étant positif, nous décidons de reconduire le projet en le proposant à toutes les promotions, avec une progression tout au long de la formation.
Une douzaine d’étudiants de la promotion 2013-2016 participent régulièrement aux ateliers d’écriture prévus sur les trois années de leur formation. Deux groupes de six étudiants sont constitués pour faciliter l’expression et les échanges. Un climat de confiance s’installe, permettant à chacun de trouver sa place et de vivre pleinement cette expérience de l’écrit, mais aussi ce moment partagé de vie.
Le déroulement de ces ateliers est réajusté afin d’y intégrer un temps de révision des règles de grammaire, d’orthographe et de conjugaison, sous forme de petits exercices. Un deuxième temps permet la créativité avec la rédaction de petites histoires à partir de supports choisis, mais selon des consignes et des contraintes imposées (lire la partie “progression” plus loin).
C’est un texte qui obéit à la contrainte suivante : on élimine une lettre choisie de préférence parmi les plus fréquentes dans la langue considérée. À la manière de l’écrivain Georges Perec dans son roman La Disparition, écrivez un texte court sans employer la lettre “E”.
Lucie, promotion 2013-2016 :
« Avant de partir, il n’avait pas dit à sa maman où il allait. Il aurait dû pourtant ! Il marchait au bord du canal ; il faisait nuit. Il s’approchait du bord sans voir un trou ; s’il continuait, il choirait. La raison ? Un poisson ! Oui, il vit un poisson au loin ; il paraissait blanc. La nuit lui faisait voir illusions ou hallucinations ! Oui, la nuit, tous chats sont gris ! Il n’y avait pas qu’un poisson, mais tout un banc ! »
Vous avez entre les mains une petite annonce. Imaginez la femme ou l’homme que cela vous inspire, ainsi que les deux premières phrases du dialogue, lors de leur première rencontre. Annonce : « H. 39. Cadre sup. séduisant, cultivé, cherche J.F 35/40 ans pour partager bonheur et complicité. »
Brigitte, promotion 2014-2017 :
« L’homme a 39 ans, chauve, petit, habillé en salopette. Il présente un embonpoint et il lui manque des dents. “Bonjour, c’est vous Princesse ? C’est moi qui ai mis l’annonce !” Princesse, étant déçue par la rencontre, dit : “Heu non, j’attends mon mari !” et s’enfuit. Quant à l’homme, il attend désespérément encore. »
Chaque étudiant apporte un objet qui lui est cher, sans le montrer aux autres, qui sera disposé sur une table. Chacun en choisit un en silence et rédige une description de façon à le faire sortir de sa fonction ordinaire.
Marine, promotion 2013-2016, objets apportés : boucles d’oreilles, clés de voiture, cuillère en bois, livre, maracas, pince à mosaïque, singe en peluche, vache en peluche :
« On peut le regarder, le scruter, l’approfondir, afin que notre imagination prenne place. Parfois, il traîne et prend la poussière. Pas toujours en très bon état, on le corne, le plie. On y laisse parfois des messages. L’apparence de ce dernier peut refléter son contenu, en incitant ou non à poursuivre sa découverte. Il peut faire rire, garder le suspense, mettre en haleine. L’eau et le feu ne sont pas ses alliés. Il était une fois, la fin, sont souvent ses extrémités. » (Le livre)
Marie-Béatrice, promotion 2014-2017, objets apportés : porte-clés photos souvenirs, bandana, pendentif, IPod, montre d’enfant, galet de l’île-d’Yeu :
« Il permet la perception de ce que l’on ne peut voir. Son battement est régulier, sauf si son cœur s’épuise. Nous en avons besoin pour prendre le pouls, quand les machines font la moue. Cet objet peut être de toutes les formes, couleurs, tailles. En l’occurrence, celui-ci tient dans le creux de la main, ouverte sur des astres qui donnaient aussi autrefois la mesure. Comme la Terre et le Soleil, dans sa forme et sa fonction, il est question de rayon, de cycle, de centre et de cercle. À l’intérieur, nous pouvons voir la petite tortue marchant sur les pas du grand lapin. Ils se croisent, se dépassent dans un cycle où ils finiront deux fois premiers en même temps. » (Une montre)
Quatre ateliers sont proposés.
Chacun de ces ateliers dispose d’une thématique de français et d’un jeu d’écriture associé à cette thématique.
• Le premier atelier traite des sujets, verbes et compléments. Le jeu d’écriture associé : l’acrostiche.
• Le second atelier porte sur les exercices de conjugaison. Le jeu d’écriture associé : histoire sous contrainte à partir d’une photo.
• Le troisième atelier interroge sur la règle des auxiliaires. Le jeu d’écriture associé : le langage cuit.
• Le quatrième atelier porte sur une situation professionnelle (fautes orthographe, vocabulaire, répétition et syntaxe). Le jeu d’écriture associé : imaginer un dialogue entre deux personnages.
• Le premier atelier traite des exercices de conjugaison et grammaire : sujet, verbe, complément, groupe infinitif. Le jeu d’écriture associé : le lipogramme ou l’histoire à relais.
• Le second atelier porte sur l’accord du participe passé. Le jeu d’écriture associé : le portrait chinois.
• Le troisième atelier interroge sur l’enrichissement de la langue : synonymes, antonymes… Le jeu d’écriture associé : un objet personnel à décrire.
• Le quatrième atelier porte sur un texte à corriger : syntaxe et orthographe. Le jeu d’écriture associé : l’inventaire parental.
• Le premier atelier traite de l’enrichissement de la langue : synonymes, antonymes… (suite). Le jeu d’écriture associé : phrases monosyllabiques.
• Le second atelier porte sur les méthodes pour éviter les répétitions. Le jeu d’écriture associé : le texte fendu.
• Le troisième atelier interroge sur une situation professionnelle (fautes orthographe, vocabulaire, répétition et syntaxe). Le jeu d’écriture associé : la petite annonce / histoire à relais.
• Le quatrième atelier propose de travailler sur une histoire sous contrainte à partir d’une photo. L’ensemble de ce contenu a parfois été réajusté pour tenir compte des souhaits et des demandes des étudiants. En effet, au cours des ateliers, des difficultés d’expression écrite se sont révélées et ont alors nécessité des exercices ciblés.
Le questionnaire d’évaluation renseigné par les étudiants en fin de formation fait ressortir une satisfaction unanime. Les révisions sont utiles. La taille du groupe permet des échanges créatifs entre pairs. Le climat de confiance est très fortement apprécié. Les temps d’atelier sont vécus comme des “bouffées d’air frais” en cours de formation. L’émotion est souvent présente et le rire, gêné au début, se fait franc au fur et à mesure de la connaissance de l’autre. Dans ces ateliers, on se découvre, on vit, on existe.
Les écrits recueillis ont permis la réalisation d’un livret, témoin et mémoire des moments partagés. Celui-ci, accompagné d’illustrations et de photos prises sur le vif, a été remis à chacun des étudiants participants, le dernier jour de la formation.
Les séances se sont révélées utiles pour tous les étudiants participants. Nous allons de ce fait les poursuivre en tenant compte de leurs suggestions (création de poèmes, de slam, exposition des écrits au centre de documentation et d’information…). Nous tendrons à diversifier et à enrichir davantage la partie créativité, tout en conservant le temps dédié au soutien en français.
Quand le plaisir se mêle à l’exigence, quand le jeu prend le pas sur le travail, alors la créativité peut trouver tout son sens. Les mots se mettent à courir sur la feuille blanche, à s’assembler harmonieusement, les réticences s’envolent, l’imagination galope, des talents insoupçonnés se révèlent.
Tout au long de ces séances, une même motivation a guidé les groupes : vivre un vrai moment de détente, s’approprier les récits et les restituer aux autres. Une connivence s’est établie peu à peu, guidée par la seule force de l’écrit.
Un grand merci à tous les participants qui ont osé dépasser leurs craintes, qui ont su faire régner un climat remarquable, un état d’esprit collectif, où l’absence de jugement était de rigueur et le partage un vrai objectif. Des instants précieux, saisis dans le tourbillon de la formation.
→ Introduction (5 minutes)
Accueil et présentation de la séance
→ Exercice 1 (30 minutes)
Distribution d’un texte tiré d’une situation professionnelle contenant diverses erreurs : répétitions, fautes d’orthographe, maladresses de vocabulaire et de syntaxe. Chacun réécrit le texte en le corrigeant (espace prévu sous chaque ligne), puis partage avec l’ensemble du groupe ses propositions de réajustement.
→ Exercice 2 (50 minutes)
Le langage cuit : « Le langage cuit, ce sont des choses très passionnantes qui couvrent à la fois les proverbes, les comptines, les citations, tout ce qui traîne dans l’oreille et qu’on a entendu depuis que l’on est enfant. » (Citation de Jacques Roubaud, émission “Poésie sur parole”, France Culture.)
Exemples :
après la pluie, le beau temps ;
chat échaudé craint l’eau froide ;
pierre qui roule n’amasse pas mousse.
Il est demandé aux étudiants de rédiger individuellement une liste de dictons ou de proverbes similaires, puis d’en sélectionner un que l’animateur notera au tableau. Chacun écrit une histoire ou un dialogue reprenant l’ensemble des expressions autour d’un thème imposé : « Je me prépare pour sortir… » Tour à tour, les étudiants restituent oralement leur écrit à l’ensemble du groupe.
→ Conclusion (5 minutes)
Remerciement aux étudiants de leur participation et de leur implication.
Récupération des travaux.
→ Marine, promotion 2013-2016
« Si je devais donner mon ressenti sur l’atelier d’écriture en quelques lignes, elles se résumeraient simplement à cela… L’atelier nous a permis, évidemment, de retrouver les bases de grammaire, conjugaison et orthographe de notre chère langue française, avec lesquelles nous n’étions pas toujours très à l’aise… Une piqûre de rappel ne fait jamais de mal ! Cela nous a aussi permis de mettre en exercice notre imagination, de parfois nous livrer, de découvrir davantage les membres du groupe.
Et surtout, le tout dans la joie et le respect. Cette expérience et ces petits moments que nous partagions ont été riches d’échanges, de rire, de communication et de confiance. »
→ Lucie, promotion 2012-2015
« Très intéressant. Cela nous a permis de démontrer qu’on était tout à fait capable d’écrire sous contrainte en un laps de temps très court pour les divers exercices, et surtout en s’amusant.
C’était comme une récréation intellectuelle. »
→ Elfi, promotion 2013-2016
« Cet atelier était une bouffée d’air frais ! Surtout durant cette dernière année chargée d’émotion. Nous avons beaucoup ri et parfois (presque) pleuré. Une expérience unique que je ne suis pas prêt d’oublier. »
→ Valérie, promotion 2012-2015
« Les ateliers étaient très diversifiés, d’où des manières différentes d’aborder l’écriture, où chacun peut trouver sa place. Merci pour ces moments agréables. »
→ Estelle, promotion 2013-2016
« Un moment de détente, un moyen de se « vider la tête », permet également de faire ressortir notre imagination dans l’écriture. Moment de convivialité. »
→ Ludivine, promotion 2013-2016
« Ne vous attendez pas tout de même à un best-seller de ma part ! »
• Stéphanie Bara, Anne-Marguerite Bonvallet et Christian Rodier. Écritures créatives. Grenoble. PUG, 2013. 99 pages.
Afin de rendre l’écriture plus créative et ludique, cet ouvrage propose 62 activités d’écriture.
• Georges Perec. La Disparition. Paris : Gallimard, Collection “L’imaginaire”, 1989. 319 pages.
Cet roman présente la particularité de ne pas comporter une seule fois la lettre “E”, qui reste la lettre la plus utilisée dans la langue française.
• Odile Pimet, Claire Boniface. Ateliers d’écriture, mode d’emploi. ESF éditions, 1999. 231 pages.
Une centaine de séances pratiques et une analyse des objectifs pédagogiques des activités sont proposées aux formateurs, enseignants et écrivains animant des ateliers d’écriture.
→ Sites Internet qui proposent des ateliers d’écriture : L’atelier des écritures : www.atelier-ecritures.com
Les ateliers d’écriture à la ligne : http://www.alaligne.fr
• Sources : document de l’Institut de formation des cadres de santé du Centre hospitalier universitaire de Dijon, 2011-2012.