Qualité Gestion des risques
Christian Dupont* Bruno Le Falher** Anne Debonne*** Benoît Le Hasif**** Irène Kriegel*****
Les recommandations concernant les cathéters périphériques courts, les cathéters à chambre implantable (CCI) et les cathéters centraux insérés par une veine périphérique (PICC) traitent à 90 % des problèmes infectieux les plus fréquemment décrits dans la littérature. Mais qu’en est-il quand le soignant se trouve confronté à un problème infectieux spécifique ?
Un audit de connaissance mené auprès de 175 étudiants en soins infirmiers et 184 infirmiers hospitaliers tente de détailler leurs connaissances quant à l’utilisation des antiseptiques (ATS) auprès de patients adultes porteurs de cathéters périphériques et centraux.
Le renforcement de l’efficacité et de la conservation de l’ATS par l’ajout d’alcool est insuffisamment connu (cf. Tab1). Les mécanismes d’action des ATS alcooliques, traités dans les recommandations
De même, l’alcool est injustement accusé de fragiliser la peau, problème lié à son seul mésusage. En effet, sur peau saine, l’alcool n’est agressif que si un pansement sec ou humide et hermétique l’empêche de sécher et augmente exagérément son temps de contact avec l’épiderme.
Lymphangite, veinite… De quelle lésion parle-t-on ? Le pansement alcoolisé est habituellement mis quand une portion de veine est érythémateuse, chaude et douloureuse (infection, thrombophlébite (Tab2)…) ou lors d’une extravasation de produit non vésicant. Le patient se plaint d’une douleur locale et/ou l’œdème est flagrant. L’application de pansements chauds ou froids, imprégnés d’alcool à 70° pur ou dilué, maintenus ou non par une bande, n’apporte qu’une irritation de la couche superficielle de la peau. 31 % des enquêtés répondent que l’alcool fragilise la peau et qu’un pansement alcoolisé est indiqué en cas de lymphangite. En réalité, l’application locale de froid et la prise d’un antalgique systémique sont plus efficaces contre la douleur. Le drainage actif ou non de l’extravasation peut aussi être utile. Les recommandations ne mettent pas en garde contre ces pansements, nocifs pour la peau (cf. photo p. 35), aucune information n’est retrouvée dans les recommandations. Toutefois, en cas d’infection du point de ponction, une application locale d’ATS est à raison souvent préconisée. Ce soin est efficace et non dommageable à condition d’attendre le séchage complet de l’ATS avant d’appliquer un pansement. Mal utilisée, la povidone iodée peut également être très toxique (cf. photos p. 36).
• Remarques : pourquoi avoir cessé les frictions à l’alcool de Lavandin pour prévenir les escarres ? Les huiles hydratantes type Sanyrène sont plus adaptées pour ce type de soins. L’alcool de Lavandin était appliqué toutes les deux à trois heures, à des quantités parfois dantesques, et l’attente de son séchage spontané était aléatoire. Toutes les conditions étaient alors réunies pour abîmer la peau.
Le bon sens l’emporte : l’utilisation d’un ATS sans alcool est plébiscitée. Cependant, les 15 % de “NSP” observés dans chaque groupe et les 21 % de “Non” dans les Groupes 1 et 2 posent question.
Qu’est-ce qu’une peau saine, une “peau sensible”, une peau irritée ? Il existe peu de précisions disponibles dans les recommandations, si ce n’est une mise en garde concernant des situations à risques pour sensibiliser à l’utilisation de filmogènes (« en cas de peau très à risque (GVH/réaction du greffon contre l’hôte, enfant) »
La description des lésions cutanées et l’adaptation des recommandations standard ne sont pas abordées en pratique dans les recommandations. Ce manque de précisions impacte la prévention et le traitement des atteintes cutanées. La peau est-elle lésée ou infectée ? L’ATS utilisé est-il adapté à la situation ? Dans la pratique quotidienne, le filmogène est peu utilisé et les problèmes cutanés généralement peu investis par les soignants (manque d’études, d’intérêt professionnel, de connaissances des problématiques de terrain, de moyens financiers ?). Les atteintes cutanées liées au pansement ont pourtant une prévalence de 3,4 à 25 % dans certains services d’hospitalisation hors réanimation (avec une prévalence de 20,9 % pour les patients âgés de 65 à 74 ans)
La majorité des audités pensent que l’allergie à l’iode existe et certains doutent (« l’allergie à l’iode est possible uniquement quand elle est injectée », « l’allergie à l’iode quand elle est juste mise sur la peau n’existe pas », « l’allergie n’existe pas mais l’intolérance, oui »…
Le Cclin Sud-Ouest répond brièvement à la question dans le texte accompagnant les recommandations, sans argumentaire(1). Quel est l’impact d’une telle méconnaissance ? Se privant des dérivés iodés, le choix des ATS à la disposition du soignant se restreint ainsi que la possibilité d’adapter les soins aux besoins du patient. De plus, pourquoi perdre du temps à commander un ATS parfois indisponible alors que le problème n’existe pas ?
Il est physiologiquement impossible d’être allergique à l’iode : « “L’allergie à l’iode” ne correspond à aucune entité clinique documentée. Cette expression doit être abandonnée car elle conduit à des mesures non fondées d’éviction médicamenteuse, alimentaire, voire environnementale. Les réactions d’hypersensibilité allergique de type immédiat et retardé avec les produits de contraste iodés ne sont pas rares. Les allergènes ne sont pas identifiés. L’iode n’est pas impliqué. Les réactions d’hypersensibilité allergique de type immédiat et retardé à la povidone iodée sont rares. La séquence allergénique est la povidone lors d’une réaction de type immédiat alors que le nonoxynol a été suspecté être à l’origine des réactions de type retardé. Les réactions allergiques aux produits de la mer sont dues à des protéines musculaires de ces aliments. Les réactions d’hypersensibilité de type immédiat, imputables aux médicaments ou aux aliments, sont explorées à l’aide de tests cutanés à lecture immédiate. Les réactions d’hypersensibilité de type retardé, imputables aux médicaments, le sont avec des tests cutanés à lecture retardée. La mesure des concentrations d’histamine et de tryptase est un outil précieux au diagnostic étiologique d’une réaction d’hypersensibilité de type immédiat. D’autres tests biologiques sont en cours d’évaluation. Une réaction d’hypersensibilité allergique de type immédiat ou retardé à un produit de contraste iodé n’est pas une contre-indication aux médicaments iodés des autres familles thérapeutiques. »(5)
Les audités citent moins la chlorhexidine comme ATS potentiellement allergisant car cette gamme est d’emblée proposée lorsque le patient dit être “allergique à l’iode” ou que cette “allergie” est notifiée dans le dossier médical. L’allergie à la povidone iodée ou à la chlorhexidine existe-t-elle ? Oui, et un antécédent d’allergie à l’un des constituants de l’ATS (par exemple la povidone pour la povidone iodée) contre-indique son utilisation.
Il ne faut pas confondre allergies et résistances aux ATS, problème émergent posé par une surconsommation exclusive d’une gamme d’ATS. Il existe des études sur la résistance à la chlorhexidine alcoolique. Elles soulèvent la question du bien-fondé des toilettes quotidiennes à l’aide de lingettes pré-imprégnées de chlorhexidine, notamment en unité de soins intensifs. Une telle surface d’application n’a rien à voir avec celles impliquées dans les soins de cathétérisme veineux
Le Cclin Sud-Ouest donne la réponse : « Les réactions d’intolérance (réactions anaphylactiques) aux produits de contraste iodés ou d’anaphylaxie aux fruits de mer ne constituent pas une contre-indication à l’utilisation de la polyvinyl-pyrrolidone iodée. »
En effet, « il n’y a pas lieu de contre-indiquer un médicament iodé d’une autre classe thérapeutique chez un patient ayant présenté une hypersensibilité de type immédiat avec la povidone iodée. Aucune publication n’a démontré de réactivité croisée entre la povidone iodée et l’amiodarone, une solution de Lugol, un produit de contraste iodé (hormis le Télébrix Hystéro qui contient de la povidone). Aucune publication n’a établi une relation entre une allergie à la povidone iodée et une allergie aux produits de la mer. Une allergie aux produits de la mer ne contre-indique pas la prise d’un médicament iodé. »
Les audités n’ont pas d’avis tranché mais évitent l’utilisation de dérivés iodés et chlorés. La Biseptine sème le doute dans les esprits. La chlorhexidine est l’ATS le plus cité quelle que soit sa concentration. Les médicaments à base d’iode ne doivent pas être administrés pendant le troisième trimestre de la grossesse. En effet, leur utilisation prolongée ou proche du terme, entraîne une résorption significative de l’iode avec pour conséquence un risque de retentissement fœtal (hypothyroïdie ou goitre néonatal). En conséquence, par mesure de précaution, l’utilisation du médicament est très souvent déconseillée tout au long de la grossesse.
Il n’y a aucun risque à utiliser l’iode lorsque la thyroïde n’est plus présente. Globalement, les audités devinent une restriction à l’emploi des dérivés iodés dans certaines atteintes thyroïdiennes. L’iode contenu dans la povidone iodée peut interférer en cas d’examen de la fonction thyroïdienne ou de traitement de l’hypothyroïdie.
Enfin, s’agissant de situations spécifiques (grossesse, atteintes thyroïdiennes, allaitement), bien qu’une surface de contact importante et la fréquence d’utilisation exposent à une plus grande survenue d’effets indésirables, une petite surface et une faible fréquence d’administration ne signifient nullement que les risques (troubles thyroïdiens, goitre…) ne peuvent survenir. Concernant les dérivés iodés, le respect des résumés des caractéristiques du produit et l’analyse du bénéfice/risque lorsqu’aucune alternative n’est envisageable sont donc conseillés.
Le Cclin Sud-Ouest synthétise ces cas particuliers comme suit : « En cas d’administrations répétées et prolongées sur une grande surface, sous pansement occlusif, sur une peau lésée, (…) la résorption transcutanée de l’iode peut produire une surcharge iodée susceptible d’entraîner un dysfonctionnement thyroïdien. Une attention spéciale est nécessaire lors d’applications régulières réalisées sur peau lésée chez des patients présentant une insuffisance rénale (…). Il existe également un risque de passage placentaire et dans le lait maternel. Ces éléments contribuent à respecter des précautions d’emploi des dérivés iodés chez la femme enceinte, et impliquent une contre-indication chez la femme enceinte aux deuxième et troisième trimestres de grossesse. »
Cet audit auprès de 359 personnes montre que, globalement, et quelle que soit l’ancienneté professionnelle, les soignants savent surtout ce qu’il ne faut pas faire et les grands messages “matraqués” par les IFSI et les formations continues. L’assimilation des recommandations en vue d’une pratique plus adaptée aux besoins spécifiques d’un patient est moins évidente. La mobilisation des connaissances par les soignants pose question.
12,5 % d’entre eux ont répondu qu’un ATS aqueux comme la povidone iodée aqueuse doit être préféré à un ATS alcoolique sur peau lésée (Groupe 1 : 31 % ; Groupe 2 : 38 % ; Groupe 3 : 31 %).
5 % ont noté que le pansement alcoolisé n’est pas indiqué en cas de lymphangite et que l’alcool ne fragilise pas la peau (Groupe 1 : 29,5 % ; Groupe 2 : 35,25 % ; Groupe 3 : 35,25 %).
Qui s’appuie sur les recommandations ? Différentes populations, ce qui rend leur adaptation en protocoles de soins si difficile. Les Directions des soins infirmiers doivent s’assurer de la rédaction des protocoles de soins au sein de leur établissement. Certains rédacteurs pratiquent les soins au quotidien, d’autres les ont pratiqués il y a plus ou moins longtemps (voire jamais). Ce manque d’habitude des soins, des pratiques, complexifie la compréhension globale des recommandations et leur retranscription. Les étudiants en soins infirmiers et les soignants lisent plus rarement les recommandations. Parmi eux, le soignant sans expérience du soin qui veut être guidé dans une pratique standard, et celui qui, expérimenté mais confronté à une situation inhabituelle, espère y trouver des informations pour adapter sa pratique. Certains appliquent les recommandations à la lettre, quelle que soit l’évidence de leur argumentation, car ils y voient (ou veulent y voir) une obligation. D’autres ont besoin de comprendre le bien-fondé de la recommandation pour l’appliquer.
L’acceptation de la recommandation est liée aux preuves scientifiques disponibles, à l’harmonisation du discours entre les différents guides de pratique en circulation, à son adéquation avec les besoins des praticiens.
Mais la recommandation est souvent considérée comme un fétiche dont la seule mise en ligne sur le Net garantit la qualité de la diffusion et l’assimilation par les équipes. Or cette dernière repose principalement sur le travail d’accompagnement assuré par des équipes pluridisciplinaires de cliniciens.
Parmi les missions de ces personnes ressources : donner une information claire et pratique, l’harmoniser à l’échelle d’un établissement ; corriger les représentations ou les erreurs acquises par les soignants ; évaluer les pratiques, mais, surtout, en réalisant au quotidien les soins, comprendre les réelles problématiques des praticiens pour qu’ils puissent prodiguer les actions les plus adaptées aux patients. En conclusion : les recommandations sont nécessaires mais insuffisantes si elles ne sont pas accompagnées par des équipes de cliniciens qui ont l’expérience des soins.
(1) “Le bon usage des antiseptiques pour la prévention du risque infectieux chez l’adulte”. Cclin Sud-Ouest, 2013 (à consulter via le lien raccourci bit.ly/2s35k7F).
(2) “Bonnes pratiques et gestion des risques associés au PICC (cathéter central à insertion périphérique)”. Société française d’hygiène hospitalière, décembre 2013 (à consulter via le lien raccourci bit.ly/2s33WC2).
(3) Broadhurst D. et al. “Management of central venous access device associated skin impairment”. Journal of Wound, Ostomy & Continence Nursing. 2017; 44(3): 211-220.
(4) Kutzscher L. et al. “Management of irritant contact dermatitis and peripherally inserted central catheters”. Clinical Journal of Oncology Nursing. 2012 Apr;16(2):E48-55.
(5) Dewachter P., Mouton-Faivre C. “Allergie aux médicaments et aliments iodés : la séquence allergénique n’est pas l’iode” ; La Presse Médicale ; tome 44 - n° 811 ; 2015.
(6) Lucet J.-C. “Préparation cutanée avant pose de dispositif vasculaire : pourquoi tant de débats ?” Présentation orale. 9e congrès du GIFAV. 27/01/2017.
(7) Dewachter P., Mouton-Faivre C. “Produits iodés et allergie”. 10e journée normande d’anesthésie-réanimation ; CHU Hôpitaux de Rouen. 08/11/2005.