Alors que le dépistage organisé du cancer du sein semble en bout de cycle, Octobre Rose, avec ses initiatives de sensibilisation et d’information, rappelle que le dépistage précoce du cancer du sein demeure l’outil efficace pour lutter contre cette maladie qui provoque chaque année 12 000 décès en France.
« À ton âge, tu devrais faire une mammographie ! » Cette phrase, Véronique l’a entendue des dizaines de fois de la part de sa mère. « À ses yeux, c’était presque un brevet de passage pour basculer dans la cinquantaine ! Or, la dernière fois que j’avais consulté un gynécologue, je n’avais pas 30?ans. Et les expériences rapportées par les amies qui avaient “subi” une mammographie ne donnaient absolument pas envie d’en passer par là. J’estimais par ailleurs ne pas faire partie des groupes à risque : je ne fume plus depuis plus de quinze ans, je fais du sport, j’ai une bonne hygiène alimentaire, je n’ai jamais pris la pilule et mon indice de masse corporelle se porte comme un charme », détaille la professeure de lettres. Mais, un matin, il y a un peu plus de trois ans, en faisant sa toilette, l’enseignante sent « une sorte de petite masse » sous le bout de ses doigts sur la face extérieure de son sein gauche… Angoisse. Panique. « Et si c’était ça… », se dit-elle. Ni une, ni deux, elle se rend chez son généraliste qu’elle n’a « pas vu depuis quatre ans au moins ». Après une palpation, il lui prescrit mammographie et échographie, et, jugeant qu’il ne faut pas attendre, décroche lui-même le téléphone pour prendre rendez-vous à l’hôpital. Véronique doit néanmoins patienter trois jours. Pendant ce temps, son angoisse redouble… « Les mots se bousculaient de manière irraisonnée dans mon esprit : cancer, mammectomie, chimiothérapie, radiothérapie, douleur, mort… », se souvient-elle.
Avec quelque 54 000 cas diagnostiqués par an en France, le cancer du sein est le cancer le plus fréquent chez la femme. Avec près de 12 000 décès chaque année, il demeure la première cause de mortalité par cancer chez les femmes
Pour Véronique, la masse suspecte identifiée par la mammographie et confirmée par l’échographie a fait l’objet d’une ponction qui, une dizaine de jours plus tard, n’a finalement révélé aucune lésion cancéreuse. L’implantation d’un clip et un examen annuel permettent de suivre l’évolution de son kyste mammaire. Désormais « sereine », l’enseignante se dit aussi très « sensibilisée à l’utilité du dépistage ». Elle n’hésite d’ailleurs pas à conseiller les femmes à effectuer cet examen… Elle recourt aussi régulièrement à l’autopalpation – une technique apprise auprès de sa gynécologue qu’elle consulte plus souvent.
Depuis 2004, afin d’assurer à chaque femme la même garantie de qualité et de prise en charge, et afin de fournir un égal accès au dépistage sur l’ensemble du territoire, la France a généralisé le dépistage organisé après des expérimentations lancées à partir de la fin des années 1980. Ce programme cible les femmes âgées de 50 à 74 ans, sans symptôme apparent ni facteur de risque particulier, et les invite tous les deux ans à faire pratiquer une mammographie et un examen clinique par un radiologue agréé, l’examen étant pris en charge à 100 % par la Sécurité sociale sans avance de frais (ce qui n’est pas actuellement le cas de l’échographie qui peut succéder à ce premier examen et qui reste à la charge de la patiente)
« Le dépistage organisé, c’est aujourd’hui un fort taux de fuite. On est très en dessous du niveau de 60 % qui est considéré, d’un point de vue statistique, comme un plancher minimal de participation pour rendre le dispositif efficace. Et les femmes qui y participent sont déjà intéressées par leur santé et, pour certaines, pratiquent l’autopalpation et consultent régulièrement ; il faudrait porter l’effort en direction de celles qui se trouvent plus éloignées du système de santé et de la prévention et qui présentent le plus de risque. Mais cette entreprise ne peut pas être menée par l’envoi d’un courrier impersonnel », relève Martial Olivier-Koehret. Et le médecin de plaider pour que les professionnels de santé de première ligne – infirmières, généralistes, gynécologues, pharmaciens… – soient davantage impliqués dans les différents dispositifs de dépistages décidés par la puissance publique et notamment pour éviter le surdiagnostic. Le médecin recommande également que l’autopalpation soit enseignée à l’école, « comme cela existe dans les pays scandinaves et anglo-saxons », indique-t-il. De son côté, Corinne Balleyguier, radiologue diagnosticien à l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif (Val-de-Marne) explique que « les gynécologues recommandent déjà l’autopalpation, notamment après les règles. Je note cependant que beaucoup de femmes ne sont pas du tout à l’aise avec cette pratique car, comme elles le disent, “elles sentent des boules partout”, et que cela les inquiète plus qu’autre chose. Des femmes détectent cependant des cancers comme cela, soit parce qu’ils sont arrivés vite, soit dans l’intervalle d’un dépistage ou d’un suivi. Ou bien encore des femmes jeunes remarquent quelque chose d’anormal au toucher plus que par palpation régulière » (lire l’encadré page ci-contre).
Que faut-il faire alors, abandonner le dépistage organisé ? Assurément non. Mais le rendre plus efficace, oui ! C’est d’ailleurs l’objectif du plan cancer 2014-2019 qui estime nécessaire d’améliorer la participation au dépistage organisé en sensibilisant les femmes, « en particulier celles qui ne font jamais de mammographie ». Ce même plan insiste par ailleurs « sur l’amélioration de l’information des populations concernées par les dépistages et sur la surveillance de la pertinence des pratiques en matière de dépistage individuel »
En 2015, une concertation citoyenne et scientifique sur l’évolution du dépistage du cancer du sein a été mise en place. Son objectif : « Faire évoluer la politique publique dans une démarche de démocratie sanitaire, pour accroître sa pertinence, sa qualité et son efficacité. » Le rapport final de cette concertation a été rendu public il y a tout juste un an par la ministre de la Santé. À l’aune des propositions faites par la concertation citoyenne et scientifique, l’Institut national du cancer a ensuite proposé de retenir le scénario d’un profond renouvellement du programme de dépistage du cancer du sein. Et, en avril dernier, Marisol Touraine a annoncé une série de mesures pour rénover le dépistage de ce cancer en France en proposant des consultations pour les femmes de 25 et 50 ans. Par exemple, dès 50 ans, chaque femme sera invitée à consulter son médecin traitant ou son gynécologue pour une consultation qui expliquera « les avantages et limites du dépistage » du cancer du sein, en cherchant à aider la femme « à établir sa propre décision », avait indiqué le ministère. Afin de répondre à la réticence de certaines femmes face à ce dépistage, est également prévue la distribution d’un livret d’information à chacune des 10 millions de femmes ciblées par le programme national. Par ailleurs, le cas échéant, l’échographie prescrite en complément de la mammographie sera réalisée sans dépassement d’honoraire dès du 1er janvier prochain. Quant à la consultation proposée aux femmes de 25 ans (environ 400 000 pourraient être concernées), elle sera aussi prise en charge à 100 % par l’Assurance maladie dès le 1er janvier 2018. « Elle devrait aussi permettre de mieux les informer sur les modalités de dépistage, leurs avantages et leurs limites ainsi que sur le suivi médical, selon les facteurs de risque de chacune. » « On a besoin de travailler en direction des groupes à risque, d’innover et d’inventer des choses pour augmenter le taux de participation au dépistage du cancer, et pas seulement celui du sein d’ailleurs. Reste qu’une grande partie de ces propositions n’ont pas encore de réalité dans les textes. Dans ce contexte, l’annonce récente d’un service de santé auquel participeraient les étudiants, futurs professionnels de santé, paraît une bonne piste. Cela permettrait de conduire des actions de prévention sur l’ensemble du territoire et notamment auprès des plus jeunes pour qu’ils soient informés de la nécessité de protéger leur capital santé, souvent entamé par des comportements à risque », estime Martial Olivier-Koehret.
(1) Chiffres de 2015, dernières données disponibles.
(2) Seules les femmes particulièrement exposées au risque du cancer du sein sont prises en charge à 100 % pour cet examen supplémentaire depuis 2015.
(3) Difficilement quantifiable, le dépistage individuel est évalué à 10 % par la Haute Autorité de santé
Depuis un an, l’Institut Gustave-Roussy (IGR) teste un mammographe de nouvelle génération qui permet aux femmes d’être partie prenante de leur examen.
« Rendre l’intervention du manipulateur plus aisée et l’examen moins douloureux pour la patiente », tel est l’un des objectifs de Pristina, le mammographe de nouvelle génération installé à l’IGR depuis août 2016. Les concepteurs ont arrondi les angles des supports pour éviter tout pincement au niveau des côtes ou du ventre, et ont imaginé une posture plus confortable pour les patientes. « D’un point de vue technique, il faut toujours bien dégager l’arrière du sein afin de ne pas louper une tumeur profonde », précise le Dr Corinne Balleyguier, radiologue diagnosticien à l’IGR. Et si de nouvelles plaques rendent la compression plus homogène sur l’ensemble du sein, c’est la patiente elle-même qui gère désormais la pression exercée sur son sein via une télécommande. Concrètement, c’est toujours la manipulatrice radio qui commande le début de l’examen avec un minimum de compression afin d’acquérir des images, mais, pour enregistrer des clichés de bonne qualité, c’est à la patiente d’augmenter la pression jusqu’à ce qu’elle juge qu’elle a atteint le maximum qu’elle puisse “supporter”. « Avec ce nouvel appareil, on constate que les patientes compriment davantage leur sein et tolèrent mieux l’examen. Au final, l’épaisseur du sein étant plus faible, la dose de rayonnements administrée pour acquérir une bonne image est plus faible également. » Le mammographe de l’IGR peut également prendre des images en 3D (tomosynthèse) et permettre des angiomammographies. Pour le Dr Corinne Balleyguier, « c’est sans doute le mammographe du futur car ses innovations sont à même de déceler des tumeurs, surtout les plus petites, dans des seins “difficiles” ». Et d’ajouter : « La très grande majorité des femmes qui a eu une mammographie sur le Pristina ne voudrait pas réutiliser l’ancien appareil. Je pense que ce mammographe peut favoriser une meilleure adhésion au dépistage du cancer du sein. » Pour l’heure, seulement trois équipements de ce type sont en service en France.