La responsabilité hospitalière - Objectif Soins & Management n° 258 du 01/09/2017 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 258 du 01/09/2017

 

Droit

Gilles Devers  

Dans chaque affaire, la juridiction doit examiner s’il existe la preuve d’une faute, et l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice. Voici la jurisprudence récente en responsabilité hospitalière.

La pratique dommageable d’un acte de soins courant

Elle fait présumer l’existence d’une faute de l’infirmière.

• Faits. Lors de la pose par une infirmière d’une voie veineuse destinée à permettre l’injection d’un produit de contraste en vue de la réalisation d’un scanner, une patiente a éprouvé une vive douleur à la face antérieure du poignet gauche. La situation ne régressant pas, des examens sont pratiqués au cours des semaines suivantes, et font apparaître une atteinte traumatique du nerf médian. La patiente recherche donc la responsabilité du centre hospitalier pour cet acte de l’infirmière.

• Droit applicable. Aux termes du I de l’article L1142-1 du Code de la santé publique (CSP), hors le cas où sa responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, tout établissement où sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins, n’est responsable des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute.

• Analyse. Le rapport d’expertise n’est pas parvenu à réunir les éléments caractérisant l’existence d’une faute lors de la pose de la voie veineuse. Aussi, selon les règles classiques de la preuve, la responsabilité de l’établissement ne pourrait être engagée. Toutefois, le Conseil d’État retient un régime de faute présumée pour les actes de soins courants : le fait qu’un acte de soins courant a entraîné une incapacité permanente à un patient révèle une faute de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier. Cette règle concerne l’établissement, qui répond des fautes du personnel. Elle ne joue pas sur le plan pénal, où doit toujours être apportée la preuve de la faute.

Conseil d’État, 10 mai 2017, n°390082.

Un examen négligeant des signes cliniques qui justifiaient un bilan par scanner

Il s’agit d’une faute, mais il était peu probable que l’atteinte puisse être mise en évidence, et la faute est donc restée sans conséquences.

• Faits. Dans la nuit du 29 au 30 janvier 2011, une patiente a été admise au service des urgences du centre hospitalier de Morlaix (Finistère) en raison d’une céphalée occipitale brutale accompagnée de nausées, de fourmillements du bras gauche et d’une sensation d’angoisse. Le médecin du centre hospitalier a estimé que l’examen clinique était parfaitement normal, de même que les examens biologiques, et il a conclu à une crise d’angoisse aiguë. Il a été prescrit à la patiente un traitement anxiolytique et anti-nauséeux, et elle a quitté l’établissement dans la matinée, pour reprendre son travail. Le 3 février, la patiente a vu son médecin traitant qui a prescrit la réalisation d’un scanner cérébral avec et sans injection, mais la patiente n’a pas procédé à cet examen. Le 2 avril 2011, elle a été victime d’un malaise nécessitant son admission aux urgences du centre hospitalier.

Du fait des signes cliniques observés, ont été réalisés un scanner cérébral et un angio-scanner, qui ont mis en évidence une hémorragie sous-arachnoïdienne. Il a alors été procédé en urgence à une intervention endovasculaire pour mettre en place un capteur de pression intracrânienne. Cette opération a confirmé l’existence d’un petit anévrisme sylvien droit, cause de la dégradation de son état de santé. La patiente a ensuite été transférée au service de réanimation chirurgicale polyvalente et a subi une nouvelle intervention visant à la réalisation d’une craniectomie décompressive. L’évolution favorable de son état de santé a permis son transfert le 12 avril 2011 au service de neurochirurgie où elle est restée jusqu’au 17 avril suivant. La patiente soutient que le centre hospitalier des pays de Morlaix a commis une faute en ne réalisant pas un scanner lors de l’admission fin janvier 2011, ce qui aurait évité ces suites lourdes et invalidantes.

• Faute. Selon l’expert, le tableau clinique présenté par la patiente à son arrivée aux urgences du centre hospitalier de Morlaix dans la nuit du samedi 29 au dimanche 30 janvier 2011 ne pouvait être considéré comme normal. Il était évocateur d’une hémorragie méningée, ce qui rendait nécessaire la réalisation d’un scanner pour confirmer ou infirmer cette hypothèse, ce qui aurait conduit à transférer rapidement la patiente vers un centre de neurochirurgie, où un diagnostic plus complet aurait pu être posé. Dans ces conditions, le praticien a manqué à son obligation de moyens, ce qui caractérise la faute.

• Lien de causalité. Toutefois, et selon l’expert, il n’est pas prouvé que la réalisation d’un scanner en urgence lors de l’admission de la patiente au centre hospitalier aurait nécessairement mis en évidence la présence d’une hémorragie méningée sous-arachnoïdienne. La réalisation d’un scanner à cette date n’aurait pas permis de poser le diagnostic d’anévrisme, en raison de la petite taille de celui-ci et de l’absence certaine d’hémorragie, compte tenu de la disparition des céphalées. Dans ces conditions, l’existence d’un lien de causalité direct et certain entre l’anévrisme sylvien dont la patiente a été victime au mois d’avril 2011 et l’absence de réalisation d’un scanner lors de son admission au centre hospitalier des pays de Morlaix dans la nuit du 30 janvier 2011 ne peut être regardée comme établie.

Cour administrative d’appel de Nantes, 14 avril 2017, n°15NT01605.

La chute d’une patiente

Dès lors qu’il n’y avait pas de risques connus, cette chute ne relève pas d’un défaut de surveillance, mais l’insuffisant examen des suites de cette chute engage la responsabilité.

• Faits. Une patiente âgée de 87 ans a été hospitalisée le 12 juillet 2006 en vue d’une intervention chirurgicale consistant en une amputation de deux orteils du fait d’une nécrose artéritique. Dans la nuit du 12 au 13 juillet, elle a été victime d’une chute, qui a entraîné une fracture-luxation du rachis cervical, à la suite de laquelle il lui a été délivré un traitement anti-douleur. Après son transfert, le 17 juillet 2006, dans le service de chirurgie viscérale, la patiente se plaignant de douleurs au niveau de la nuque, il lui a été prescrit une radiographie qui n’a été réalisée que le 26 juillet 2006. Le 31 juillet suivant, il a été prescrit à la patiente le port d’un collier cervical jour et nuit. Les souffrances se sont poursuivies et, le 11 septembre 2016, a été posé un diagnostic identifiant une fracture de la deuxième vertèbre cervicale.

• Analyse. Aucun des éléments portés à la connaissance de l’équipe hospitalière, notamment quant à l’âge de la patiente, ses antécédents et son état de santé, ne justifiait une contention et une surveillance particulière. La patiente, antérieurement à son hospitalisation, restait seule la nuit à son domicile. D’ailleurs, l’équipe médicale n’avait prescrit ni l’une ni l’autre. Ainsi, le défaut de mise en place de barrières sur le lit qu’occupait la patiente, équipé d’un dispositif d’appel des infirmiers et aides-soignants, ne constituait pas une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service. La chute relève du comportement de la patiente, et pas d’une faute de l’équipe.

En revanche, le retard de diagnostic de la fracture dont a souffert la victime, avec la prescription d’un collier minerve au lieu d’une grande minerve, relève d’un examen inattentif et d’une surveillance insuffisante, ce qui engage la responsabilité.

Cour administrative d’appel de Bordeaux, 2 mai 2017, n°14BX02717.

Le bilan clinique et radiologique d’une chute

Il n’a pas mis en évidence la gravité de la fracture, mais, pour autant, ce premier bilan était attentif et cohérent, et n’engage pas la responsabilité.

• Faits. Un homme, victime d’une chute le 1er décembre 2008, a été pris en charge le même jour par le centre hospitalier où ont été diagnostiqués une fracture et un tassement de la vertèbre L1. Cette lésion vertébrale a été traitée au moyen d’un corset amovible court, mis en place le 2 décembre 2008, puis d’un corset rigide long pourvu d’un appui thoracique, mis en place le 9 décembre suivant. Devant une situation non évolutive, il a été pratiqué un scanner le 12 décembre 2008, qui a révélé une fracture comminutive complète. Le patient a été transféré le 15 décembre 2008 dans un service de chirurgie où il a été opéré le lendemain afin de réduire sa fracture par ostéosynthèse. Le patient soutient que les manquements dans l’établissement du diagnostic de sa fracture lombaire et le retard dans les soins mis en œuvre lui ont fait perdre une chance d’échapper à l’intervention chirurgicale subie le 16 décembre 2008 et aux dommages qui en ont résulté.

• Diagnostic. Le patient a été victime d’emblée d’une fracture comminutive complète, qui se caractérise par un écrasement de la partie centrale du corps vertébral et un encombrement de cette partie centrale par du matériel discal. Le bilan radiologique pratiqué par le centre hospitalier à l’arrivée n’indiquait qu’un tassement vertébral simple sans lésion postérieure. Compte tenu de la blessure présentée par le patient à la vertèbre L1, ce bilan doit être considéré comme suffisant. Au vu de l’examen clinique et des résultats des premiers examens radiologiques, un scanner complémentaire approfondi ne s’imposait pas. Ainsi, aucune faute ne peut être reprochée au centre hospitalier dans la mise en œuvre des moyens d’investigation nécessaires au diagnostic de la fracture.

• Technique chirurgicale. Compte tenu du diagnostic posé au début de la prise en charge, l’équipe hospitalière a pu, dans le respect des règles de l’art, mettre en œuvre un traitement orthopédique au moyen d’un corset amovible, du 1er au 9 décembre 2008, puis d’un corset rigide par la suite. De même, le patient pouvait être mis en position verticale tant pour la confection du corset qu’après la pose de celui-ci. Le premier corset s’est avéré inadapté et a dû être remplacé, avant le recours à l’intervention chirurgicale. Mais, eu égard à l’état de gravité de la fracture dès le début de la prise en charge, le patient n’aurait pu éviter une intervention chirurgicale s’il avait bénéficié d’un corset long et rigide dès le début de son hospitalisation. Dans ces conditions, les soins apportés ne révèlent aucun manquement qui se trouverait à l’origine des dommages subis par le patient ou d’une perte de chance d’y échapper.

• Surveillance des douleurs. Les praticiens n’ont pas tenu compte des douleurs exprimées par le patient au cours de son séjour, alors que ces souffrances auraient dû les alerter sur l’insuffisance des soins mis en place et, après avoir procédé à des examens complémentaires, poser plus rapidement l’indication du traitement chirurgical requis par la gravité de la lésion. Une meilleure prise en compte des douleurs n’aurait pas permis non plus d’échapper à l’opération, mais ces douleurs auraient dû être mieux traitées, ce qui caractérise une faute.

Cour administrative d’appel de Nancy, 23 mai 2017, n°15NC01974.

Une tétraplégie post-opératoire, survenue en l’absence de force médicale

Elle a été prise en charge par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux.

• Faits. Une dame, née le 30 octobre 1967, mariée et mère de trois enfants, souffrait depuis avril 2005 d’une névralgie cervico-brachiale bilatérale. Des examens ont mis en évidence deux saillies discales C4-C5 et C5-C6 ainsi que des signes de souffrances radiculaires C6 à gauche. Un neurochirurgien de l’hôpital Lariboisière, à Paris, a posé l’indication de mise en place d’une double prothèse discale par intervention chirurgicale. Cette intervention, consistant à évider sous microscope opératoire les disques C5-C6 puis C4-C5 puis à mettre en place une prothèse discale à chacun des niveaux, a été réalisée le 11 avril 2008. Dès le réveil, la patiente avait des difficultés à respirer et à déglutir et ne pouvait plus bouger ni ses bras ni ses jambes. Le diagnostic de tétraplégie complète et définitive de niveau supérieur C5 avec une anesthésie à partir de C6-C7 et une disparition de la capacité expiratoire a été posé au cours de sa rééducation.

• Réparation au titre de la solidarité nationale. La tétraplégie et les nombreux troubles associés sont directement imputables à un accident ischémique non fautif survenu au cours de l’intervention chirurgicale du 11 avril 2008. Cette tétraplégie constitue une conséquence anormale au regard de l’état de santé antérieur de la patiente, comme de l’évolution prévisible de celui-ci. Enfin, le taux de déficit fonctionnel permanent, évalué à 95 % par l’expert, est supérieur au taux prévu par l’article D1142-1 du CSP (50 %). Les conditions posées par les dispositions du II de l’article L1142-1 sont donc remplies.

Cour administrative d’appel de Paris, 15 mai 2017, n°14PA04641-14PA04847-16PA03487.