Ressources humaines
Sur un marché en tension, le recrutement d’un cadre requiert aujourd’hui autant la mobilisation d’un savoir-faire qu’une parfaite connaissance des attentes de l’employeur. À tel point que les cabinets ne s’improvisent plus sur ces postes et en font une véritable spécialisation. D’autant qu’ils sont maintenant sollicités par des cadres proactifs cherchant à donner une nouvelle dynamique à leur carrière.
Une denrée précieuse et de plus en plus recherchée. C’est ainsi que les cadres sont décrits sur le marché de l’emploi. Si la pénurie ne menace pas encore véritablement les établissements, on peut cependant parler d’un marché en tension
Spécialisation et impératifs de rentabilité obligent, les établissements recherchent en effet des profils très pointus et ne peuvent se permettre aucun droit à l’erreur.
Dans un marché qui tend à ressembler à un jeu de chaises musicales, passer une petite annonce ne suffit plus ; les pratiques des établissements changent. Certes, les établissements publics continuent de recourir essentiellement à des mutations internes, mais, en ce qui concerne les structures privées, lucratives ou associatives, elles en appellent de plus en plus à des cabinets, transformés en véritables “chasseurs de tête”.
Ces spécialistes du secteur de la santé se voient confier des mandats pour trouver des profils recherchés, en moyenne dans un délai de trois mois. « Les profils sont très différents les uns des autres, de plus en plus de compétences spécifiques sont demandées. Par conséquent, nous allons procéder à une approche directe du cadre répondant à ce profil. Ce que les établissements ne peuvent pas faire, bien entendu », explique Valérie Lebeaupin, directrice de RH Santé, le cabinet de recrutement dédié aux métiers de la santé de The Adecco Group France, constatant une nette professionnalisation du recrutement des cadres.
Environ 90 % de ses clients sont des établissements privés ou associatifs pour lesquels, moyennant un forfait de 5 000 à 20 000 euros environ, elle se met en quête du profil recherché. Comptant en moyenne 200 postes ouverts en permanence, elle peut s’appuyer sur un réseau de collaborateurs confirmés connaissant parfaitement le fonctionnement des établissements et « parlant leur langage ». Sa société n’en détient pas moins une culture du candidat. En cas d’échec, celui-ci sera informé des causes et son dossier viendra nourrir les fichiers pour des recrutements ultérieurs.
Stéphane Volleau, responsable du marketing d’Appel Médical (Groupe Randstad), peut également compter sur le réseau de sa société comme “vivier” pour identifier le profil recherché. « Nous lançons la recherche en opérant par zones géographiques de plus en plus larges. Au cours de ces opérations, nos collaborateurs communiquent directement entre eux », expose-t-il, précisant que le contact humain est, à ce stade, privilégié aux algorithmes. Ce n’est qu’en cas d’absence de candidats dans les fichiers du groupe que les recruteurs lanceront une offre. Quelle que soit la voie du recrutement, l’honoraire ne sera cependant pas fixé par un forfait mais calculé en fonction d’un pourcentage du salaire brut mensuel de la personne effectivement recrutée.
Puisant dans leurs fichiers autant que dans leurs expériences, les cabinets s’engagent auprès des établissements à finaliser le recrutement de A à Z. « Nous retenons des candidats que nous soumettons à des sélections. Il arrive également que les établissements nous envoient des personnes en nous demandant de leur faire passer des tests ; cela constitue aussi la valeur ajoutée du consultant de pouvoir donner un avis sur ces personnes pré-sélectionnées », explique Valérie Lebeaupin. Le cahier des charges de son mandat comprend l’ensemble des négociations avec le candidat, y compris celles portant sur la rémunération au sein d’une fourchette pré-établie avec le client.
À l’issue de ce processus, trois candidats seront présentés dans une short-list. Chez Appel Médical, cette short-list est ramenée à deux en cas de profil très spécialisé, précise Stéphane Volleau. Son groupe dispose d’un système qui procède tout d’abord par entretiens téléphoniques (« on se dévoile plus facilement »), puis le candidat est reçu pour des entretiens plus longs avant d’être présenté à l’établissement « seul, en notre absence, en toute transparence », insiste Stéphane Volleau. En revanche, aucun test ne sera effectué sur les cadres. « À la différence des soignants où le savoir-faire est plus standardisé, il est difficile chez les cadres, détenant des profils de postes très diversifiés, d’établir une sélection de cette façon. Sauf, bien entendu, demande expresse de l’établissement », déclare-t-il, ajoutant que l’interprétation des tests s’avère être l’étape la plus difficile.
La mission des équipes en charge du recrutement ne s’arrête pas à l’embauche du cadre. « Peu avant la fin de la période d’essai, nous faisons le point sur la situation, l’intégration du cadre au sein de l’établissement, la satisfaction de part et d’autres. » Un “service après-vente” qui se poursuit jusqu’au sixième mois. L’agence rappelle le cadre et prend le “pouls de la situation”, l’interroge sur l’adéquation de son poste au profil promis.
Approcher un cadre n’est jamais anodin pour les cabinets de recrutement. S’il est flatteur pour le professionnel d’être approché par un “chasseur de tête”, la balle est dans le camp du cabinet recruteur. Celui-ci ne doit pas perdre de vue qu’il doit “vendre” certaines valeurs et qu’il a, en tout état de cause, une réputation à défendre. A fortiori dans un contexte de marché en tension.
De plus, le cadre de santé, moins que tout autre professionnel de santé, ne se laisse, de l’avis des cabinets, facilement débaucher. « Ce sont des personnes qui, souvent, ont gravi les échelons d’infirmières à cadres de santé au sein du même établissement, voire en passant pas la case faisant fonction. Elles se sentent redevables à l’institution. De plus, de par cette expérience, elles ont peu ou prou l’habitude des entretiens d’embauche, ou même de la rédaction d’un CV. Encore moins la pratique des intermédiaires que nous sommes », constate Stéphane Volleau. Selon lui, le cabinet a un rôle d’accompagnateur, de facilitateur ou de déchiffreur à jouer afin de mettre en relation ces personnes en adéquation avec un poste.
Depuis un certain temps, le responsable du marketing d’Appel Médical ressent cependant une nouvelle dynamique. Sans parler de turn-over, la profession cadre est soumise à quelques frémissements. Certains cadres commencent à approcher les cabinets de recrutement. De manière informelle, lors de salons, ils leur font part de leur souhait de “bouger”. L’épuisement professionnel – ou le burn-out – pousse ces cadres, au bord de la rupture, à formuler des désirs de changement et même à laisser leurs coordonnées qui seront alors versées dans la banque de données du cabinet. Le responsable marketing assure que ses collaborateurs sauront s’en souvenir en temps voulu. « Cette évolution nous amène aujourd’hui à étendre nos activités de business to business, à un business to consumer », constate Stéphane Volleau. Une double casquette, certes, mais en tout état de cause, « notre client reste l’établissement ».
* Plus de la moitié des offres en santé génèrent moins de dix candidatures. Pour pourvoir ces postes, les recruteurs font face à une pénurie de candidats, car les cadres sont déjà en poste et les niveaux de rémunération sont faibles. APEC, “De l’offre au recrutement”, édition 2016, (à consulter via le lien raccourci bit.ly/2tM4C3z).
Le marché du recrutement connaît aujourd’hui une nouvelle tendance, celle des profils recherchés en management de transition. Les établissements sont en demande de cadres expérimentés à compétences bien spécifiques pour mener à bien une mission spécifique. Appelés à intervenir en périodes de crise, pendant six mois à un an, ces cadres sont des personnes mobiles qui sont placées souvent dans l’urgence : démission, accident, burn-out… Il peut également s’agir d’une mission très pointue, comme la mise en place d’une certification au sein d’un pôle ou encore une réorganisation à mener.
→ Au rang des moyens les plus efficaces pour recruter des cadres, les employeurs citent dans l’ordre la diffusion d’une offre, le recours aux candidatures spontanées, le réseau de contact et, enfin, la cooptation.
De fait, deux tiers des recrutements dans le secteur de la santé-action sociale ont pour origine une offre d’emploi et seulement 3 % la cooptation.
→ Les candidatures spontanées sont moins examinées dans ce secteur et, surtout, les réseaux sociaux professionnels y sont trois fois moins activés que la moyenne, soit dans 12 % des recrutements contre 36 % au global.
→ Dans le secteur de la santé-action sociale, les diplômes sont demandés dans 9 recrutements sur 10 et ils sont vérifiés pour 55 % d’entre eux (40 % pour le marché global).
→ Le contrôle de références auprès d’anciens employeurs est effectué dans 49 % des cas contre 61 % sur l’ensemble du marché de l’emploi.
→ 10 % des entreprises sont équipées d’un progiciel de recrutement (27 % en globalité).
→ Une présélection téléphonique est effectuée dans 31 % des recrutements dans ce secteur contre 52 % pour l’ensemble du marché.
→ 15 % des candidats sont soumis à des tests pour 25 % sur l’ensemble des secteurs de l’emploi.
→ 4 % utilisent un système de visioconférence (11 % au total).
Source : APEC, “Sourcing cadres”, édition 2017 (à consulter via bit.ly/2sK4BO6).
« Nous ne ressentons pas la pénurie de cadres éprouvée à l’ extérieur pourla simple raison que notre établissement est assez “producteur” de cadres en interne. Cela tient à notre taille qui nous vaut de disposer d’un vivier important
Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’ouvrir à des recrutements externes qui irriguent notre établissement de nouvelles capacités intellectuelles. Nous y avons par ailleurs recours lorsque nous ne disposons pas de candidats “naturels”. Par exemple, il se peut que nous recrutions en externe un cadre de département imagerie. Tout est question de mixité et d’équilibre. L’essentiel est que toutes les personnes sélectionnées se reconnaissent dans une communauté, qu’elles soient passées par la sacro-sainte école des cadres ou qu’elles disposent d’un master ou d’une formation continue. Il faut veiller à ce que des clans ne se forment pas. Nous avons également recours aux cabinets de recrutement, aux chasseurs de tête, qui connaissent nos besoins très spécifiques. Ces consultants sont d’ailleurs capables de dresser un profil psychologique très poussé, de dégager les compétences, les aptitudes et le potentiel. Certes, le recrutement n’est pas une science exacte, mais cette approche permet de diminuer la marge d’erreur sur le recrutement d’une fonction managériale. Les cabinets se trompent assez peu. À tel point qu’il n’est pas rare que nous leur présentions des candidats en leur demandant de conforter notre décision ou, au besoin, d’apporter des éléments supplémentaires. Cela sécurise le recrutement. »
* Établissement de 1 600 collaborateurs, 20 ayant le statut cadres de soins.