Objectif Soins n° 258 du 01/09/2017

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

En cette période de rentrée, la ministre des Solidarités et de la Santé met en avant la prévention et la promotion de la santé. Il s’agit de dépenser plus aujourd’hui pour dépenser moins demain. Mais comment ?

La nouvelle ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, s’est fixé sept objectifs principaux : promouvoir la santé mentale ; prévenir les maladies infectieuses ; améliorer la prévention de la perte d’autonomie ; lutter contre les conduites addictives ; améliorer le dépistage ; promouvoir un environnement et des conditions de travail favorables à la santé ; promouvoir une alimentation saine et l’activité physique. Autant d’objectifs que personne ne peut contester mais qui supposent une mobilisation de moyens importante si les pouvoirs publics souhaitent obtenir des résultats. Pourtant, la prévention a toujours été le parent pauvre : il suffit de regarder le poids des dépenses de prévention dans l’Objectif national de dépenses d’Assurance maladie : moins de 10 %.

Or, dans le même temps, le gouvernement s’apprête à présenter le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour l’année 2018, qui visera très certainement comme les autres années à maîtriser les dépenses d’Assurance maladie afin de contenir et réduire le déficit de celle-ci. Là aussi, tout le monde s’accorde à dire que le système assurantiel maladie français doit être conservé et, pour ce faire, celui-ci doit être équilibré.

Mais, alors, comment concilier ces deux objectifs qui semblent inconciliables ? Car investir dans la prévention et la promotion de la santé, c’est dépenser plus aujourd’hui pour in fine espérer dépenser moins à moyen terme, à savoir dans vingt à trente ans. Or maîtriser les dépenses d’Assurance maladie dans un contexte de contrainte sur les ressources, c’est diminuer les dépenses à court terme, et donc ne pas dépenser plus, y compris en prévention. Et pourtant, en termes d’efficacité économique, dépenser plus n’est pas inefficient si, au final, ces dépenses se révèlent être des économies sur les dépenses à moyen terme.

Prenons, pour illustrer notre propos, deux exemples d’investissement en santé : la prévention et l’immobilier hospitalier.

AUGMENTER LES DÉPENSES DE PRÉVENTION À COURT TERME

De multiples études dans de nombreux pays montrent que dépenser en prévention revient à dépenser moins à moyen terme en santé, ne serait-ce qu’en modifiant les habitudes de vie des citoyens : comportements alimentaires, addictions, activités physiques. Par exemple, certains estiment que les dépenses en médicaments pourraient être réduites de 25 % par an si la population adoptait de meilleures habitudes de vie. Car ses “mauvais” comportements sont à l’origine de la plupart des maladies chroniques dont les porteurs sont les plus gros consommateurs de dépenses de santé. Là encore, certaines études montrent qu’un dollar investi en prévention permet d’économiser à terme 10 dollars, voire 100 dollars.

Les mêmes constats s’appliquent à la santé au travail : investir dans la prévention de la santé de leurs salariés est rentable pour les entreprises. Inciter à prévenir les risques professionnels constitue un enjeu majeur, tant sur le plan humain que financier : baisse de l’absentéisme, baisse des troubles musculo-squelettiques, et donc meilleure qualité de travail. Préserver la santé des salariés est un levier d’amélioration de la performance globale pour l’entreprise : sociale (climat social, image), économique (absentéisme) ou opérationnelle (efficacité, qualité).

Autrement dit, la prévention, ce sont certes des dépenses en plus, mais ce sont également des retours sur investissements et donc des recettes en plus.

Et pourtant, aujourd’hui, au regard du poids des dépenses de prévention dans les dépenses de santé, notre approche reste exclusivement curative, et, sous prétexte de la réduction du déficit des dépenses d’Assurance maladie et de la difficulté à maîtriser les dépenses de soins, les dépenses de prévention sont sacrifiées. Mais c’est le cercle vicieux de la mauvaise dépense qui chasse la bonne : moins on investit dans la prévention, plus on augmente la nécessité de recourir au système de soins, et donc plus on dépense. La réduction des dépenses d’Assurance maladie se traduit aujourd’hui année après année et pour les années futures par des dépenses d’Assurance maladie en hausse.

Ce qui suppose donc de revoir notre approche de la santé qui est souvent perçue comme un coût (et donc des dépenses) et non comme un investissement facteur de croissance. Car la santé est au cœur des progrès : nouveaux diagnostics, nouvelles technologies, accroissement de la durée de vie en bonne santé. La santé est l’un des premiers secteurs d’activité porteurs, direct et indirect. Les retombées économiques sont considérables. Sans compter qu’une population en bon état de santé, c’est une population gage d’un meilleur développement économique.

INVESTIR DANS LES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ

Aujourd’hui, l’ensemble des investissements hospitaliers publics est soumis à une instance : le Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers, Copermo (cf. encadré ci-contre). Depuis son installation en 2012, celui-ci a examiné la situation d’environ soixante-dix établissements de santé et a validé quarante projets d’investissements et vingt plans d’action de retour à l’équilibre financier. S’il s’avérait nécessaire de mettre en place une telle instance pour garantir que les projets d’investissements soient véritablement porteurs de retours sur investissements à moyen et long termes en termes de moindres dépenses de fonctionnement, force est toutefois de constater que cette instance est devenue très sélective et peut s’avérer un facteur bloquant d’investissements pourtant nécessaires.

Car une condition nécessaire à l’éligibilité du dossier, outre la nécessité de maintenir tel ou tel établissement par rapport aux besoins, est la capacité de l’établissement à porter son investissement (le fameux taux de marge brute qui doit permettre de faire face à l’endettement passé et l’endettement futur). Mais un tel raisonnement n’a de sens que si les tarifs alloués pour l’activité hospitalière inclut l’investissement ou si l’actionnaire public est en capacité de financer l’investissement immobilier (comme cela est le cas dans le secteur privé avec les actionnaires qui investissent indépendamment de l’exploitation). Il est évident que le système actuel des tarifs ne comprend pas le coût des investissements (et encore moins quand il s’agit de restructurer intégralement un établissement), ne serait-ce que par l’effet de maîtrise des dépenses d’Assurance maladie se traduisant chaque année par une baisse tarifaire au détriment, entre autres, de l’investissement. Par ailleurs, les aides allouées par le Copermo, représentant de ce fait l’actionnaire public, sont loin d’assurer le financement des opérations financées. D’autant que, dans de nombreux cas, le Copermo ne valide qu’une partie des investissements, reportant à plus tard le reste des opérations.

Et pourtant, là aussi investir dans les murs des établissements de santé, c’est dépenser moins demain : amélioration des conditions d’accueil donc meilleure qualité et baisse des risques iatrogènes ; amélioration des conditions de travail et donc baisse du coût du travail ; performance des organisations, etc. De toute façon, un hôpital qui n’investit pas, comme toute entreprise, est un hôpital qui meurt.

Pourquoi, dès lors, ne pas lancer un véritable plan d’investissement immobilier des établissements de santé ? Autrement dit, pourquoi l’actionnaire public qu’est l’État via l’Assurance maladie ne dégage-t-il pas des moyens conséquents pour investir dans ses offreurs de soins ? Car le retour sur investissements, direct et indirect (relance de l’économie), est sans commune mesure avec les crédits qui seront dépensés ; certes, il sera, à moyen terme, le temps de la construction mais, en même temps, si les décisions ne sont pas prises aujourd’hui, les établissements dont la structure n’est pas efficiente le seront encore moins demain, et les dépenses continueront alors à augmenter et les recettes à diminuer, faute d’attractivité.

CONCLUSION : PENSER RECETTES EN PREMIER LIEU ET PAS DÉPENSES

À travers nos deux exemples, nous voyons qu’investir en santé aujourd’hui, donc dépenser plus, c’est dépenser moins demain, et in fine garantir la pérennité de l’équilibre des comptes de l’Assurance maladie, et pas seulement à court terme. Car si ces dépenses ne sont pas faites aujourd’hui, l’équilibre de court terme sera certes peut-être atteint, mais nous sommes certains qu’il ne le sera pas à moyen terme. Ne doit-on pas dépasser le calendrier électoral de court terme pour avoir un véritable calendrier correspondant aux effets des dépenses de santé, c’est-à-dire un espace-temps plus conséquent ? La stratégie nationale de santé ne doit-elle pas être au moins à dix, vingt ans ?

Et ce, d’autant que nous raisonnons toujours en termes de “dépenses” : ne faut-il pas raisonner “recettes”, c’est-à-dire augmenter les recettes d’Assurance maladie ? Or, nous l’avons vu, l’augmentation des dépenses d’Assurance maladie est finalement synonyme de recettes d’Assurance maladie. Changeons enfin le cercle vicieux de la maîtrise des dépenses par le cercle vertueux des recettes.

Le Copermo

Le Copermo (Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers) est une instance interministérielle permanente de décision et de conseil créée en décembre 2012. Il a plusieurs missions.

→ Accompagner les établissements.

En instruisant les projets d’investissement d’ampleur exceptionnelle et ceux demandant à être soutenus au niveau national selon des critères exigeants en termes d’efficience des organisations projetées, de soutenabilité financière et de valeur ajoutée pour l’offre de soins.

En définissant, avec les Agences régionales de santé, les trajectoires de retour à l’équilibre des établissements en difficulté financière (suivi des cinquante établissements présentant les déficits les plus importants en volume).

→ Définir une stratégie nationale en matière d’investissement hospitalier et d’amélioration de la performance des établissements de santé.

La mise en place du Copermo en décembre 2012 a marqué une rupture dans la stratégie nationale d’accompagnement des établissements de santé dans leur démarche d’efficience.

→ Une rupture sur le volet “performance”, tout d’abord avec la mise en place d’une analyse globale de la situation des établissements en situation financière dégradée afin de permettre, en collaboration avec les Agences régionales de santé et les établissements, la mise en œuvre d’une trajectoire de retour à l’équilibre mobilisant l’ensemble des leviers d’efficience.

→ Une rupture sur le volet “investissement” également avec la fin de la logique de “plans” et la mise en place d’une approche privilégiant une modernisation de l’offre de soins à un rythme raisonné, sans augmentation de l’endettement du secteur hospitalier. Une approche promouvant également une vision territoriale des investissements, un renforcement du niveau d’exigence sur le projet médical sous-jacent, s’assurant de sa plus-value pour l’offre de soins territoriale et assurant le respect des référentiels les plus exigeants en termes d’organisation des soins (dimensionnement, chirurgie ambulatoire, gestion des lits et des blocs opératoires).