Être faisant fonction cadre de santé : un tremplin pour la formation ? | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 259 du 01/10/2017

 

RECHERCHE & FORMATION

Dossier

Yves Secardin  

Depuis déjà quelques années, le nombre de faisant fonction de cadres de santé intégrant les IFCS est en forte progression. Les directions hospitalières imposent souvent une période de mise en poste, au prétexte de favoriser l’entrée en IFCS et le suivi de la formation. Ce postulat repose-t-il sur des éléments tangibles ?

Une enquête rétrospective analysant les résultats des étudiants, scindée en deux populations distinctes – d’un côté les faisant fonction de cadres de santé (FFCS), de l’autre les non-FFCS –, ne montre aucun écart significatif de réussite entre ces deux populations.

Des entretiens effectués auprès d’une population d’étudiants cadres de santé montrent que c’est plutôt l’accompagnement en amont qui permet une facilitation d’entrée en Institut de formation des cadres de santé (IFCS), et que, si leur expérience leur permet de mieux appréhender les mises en situation lors de la formation, elle n’est pas le gage d’une meilleure appropriation des contenus de la formation. Il apparaît donc nécessaire de développer l’accompagnement des agents désirant devenir cadres de santé, mais aussi que leur parcours professionnel antérieur n’impacte pas la réussite de la formation.

SITUATION ACTUELLE DES FFCS

Modalités d’admission aux IFCS

Pour intégrer un IFCS, il est obligatoire d’avoir exercé pendant quatre ans minimum dans sa filière professionnelle, de passer un concours qui se compose d’une épreuve écrite d’admissibilité à laquelle le candidat doit obtenir une note supérieure ou égale à 10/20, suivie d’une épreuve orale à laquelle le candidat doit également obtenir une note supérieure ou égale à 10/20. C’est la moyenne de ces deux notes qui détermine le rang de classement dans le concours, et donc la possibilité ou non d’entrer à l’IFCS au regard des agréments métiers qui ont été attribués par l’Agence régionale de santé à chaque IFCS. Les agents n’ont aucune autre obligation pour intégrer un IFCS.

Il est courant de rencontrer auprès des directions, même auprès des pairs, le postulat(1) disant que la mise en poste d’un agent comme FFCS est facilitante pour passer le concours d’entrée à l’IFCS et suivre la formation. Je me suis donc demandé si des éléments factuels pouvaient apporter leur contribution à ce système de pensée.

Éléments d’analyse

En 2004, Christophe Haller(2) concluait un article sur cadredesanté.com par la phrase suivante : « On peut, en effet, s’interroger sur la nécessité de former des cadres quand les hôpitaux tendent à généraliser le recours aux faisant fonction. Le niveau de compétence n’est pas toujours amélioré par le suivi de la formation cadre et il convient de rester vigilant sur la reconnaissance de celle-ci. » Cette réflexion me semble faire un amalgame un peu rapide entre le manque de cadres dans les services (organisé ou non) et la formation en IFCS. S’il est indéniable que le constructivisme social a tout son sens dans le métier de cadre de santé(3), est-il raisonnable de penser que la formation n’apporte pas des éléments de réflexion et de construction nécessaires à la posture de cadre, notamment en termes de prise de recul ? Pour Le Boterf(4), la compétence ne peut se juger qu’en situation de travail, donc l’étudiant qui arrive à l’IFCS a déjà développé, en tant que professionnel, un certain nombre de compétences. Il possède aussi des capacités qui peuvent être fortement enrichies par le passage à l’IFCS.

En 2009, le rapport de Singly notait : « La mission préconise de mettre fin à la position bancale de “faisant fonction de cadre” et de rendre systématiques dans toutes les démarches de promotion interne professionnelle conduisant à l’encadrement, des mises en situation permettant de vérifier les réelles dispositions à manager. » Une proposition ambiguë qui semble vouloir supprimer d’un côté la position de FFCS, pour faire peu ou prou la même chose d’un autre. En effet, quelle meilleure mise en situation que la mise en poste de FFCS ?

D’ailleurs, le rapport IGAS sur la formation des cadres de santé(5) remettait clairement en avant les postes de FFCS, même si le dispositif d’accompagnement était revu à la hausse : « L’agent entrerait alors dans la période de “préformation” au départ de laquelle il suivrait et devrait valider un ou plusieurs modules de management, lui fournissant une sorte de boîte à outils minimum, puis serait mis en situation de cadre (un an). »

Problématique

En conclusion, les postes de FFCS existent toujours, voire semblent s’être renforcés, même s’il est très difficile d’obtenir des chiffres fiables sur le nombre de personnes dans cette situation. Au regard de ces constats, deux questions ont émergé de notre réflexion :

• la mise en poste des agents comme FFCS favorise-t-elle la réussite de la formation à l’IFCS ?

• le fait d’avoir été en poste de FFCS permet-il à l’étudiant une meilleure appropriation des contenus de formation ?

RÉSULTATS ET DISCUSSION

Au regard des données, il est clairement avéré que, sur la totalité des étudiants, le nombre de faisant fonction ayant intégré l’institut est significativement supérieur (p = 0.01) aux agents n’ayant pas été mis en poste (voir le tableau 1 ci-dessus).

En ce qui concerne le temps de mise en poste, nous pouvons constater que la médiane et l’écart moyen évoluent peu avec le temps, mais que l’écart moyen est relativement important dans chacune des promotions. Ceci s’explique par le fait que, dans certaines filières, la mise en poste de FFCS peut durer assez longtemps. Notre plus forte valeur étant de n = 200 mois (voir le tableau 2 ci-dessus).

Il est à noter que le test t de Student ne montre pas de différence significative entre la moyenne des notes obtenues par les étudiants ayant été en position de FFCS et les étudiants n’ayant pas été en position de FFCS, pour quatre promotions sur cinq. Pour la promotion 2012/2013, il apparaît une différence significative en défaveur des étudiants ayant été FFCS. Ce résultat étant isolé ne permet pas d’affirmer une tendance au profit d’une population ou d’une autre (voir le tableau 3 ci-dessus).

Au regard de ces chiffres, nous pouvons émettre l’hypothèse que la mise en poste des agents comme FFCS ne favorise pas particulièrement la réussite de la formation à l’IFCS.

Comment devient-on FFCS ?

Pour la majorité des étudiants interrogés, la mise en poste de FFCS a été la conjonction d’une demande de leur part à la suite d’une envie d’évolution professionnelle et d’une demande de leur institution.

Pour les professionnels de santé qui ont l’impression de “stagner” dans leur travail, le poste de FFCS permet à l’institution de leur proposer une évolution professionnelle et de les mettre en situation de savoir si cette fonction peut leur convenir.

L’accompagnement en questions

Un accompagnement bien mené permet au futur cadre de s’initier à son futur métier, donc de s’y socialiser(6). La socialisation professionnelle permet au professionnel de se rendre compte de sa possibilité d’intégration dans un nouveau groupe de référence (celui des cadres), grâce au processus d’acquisition des normes professionnelles. Mais cette acquisition ne peut se faire qu’avec l’aide d’un pair, or l’accompagnement des professionnels en situation de FFCS reste encore problématique. Si, pour certains, l’établissement met en œuvre une politique volontariste d’accompagnement et de formation, pour d’autres, cela reste à la discrétion de l’encadrement supérieur ou est inexistant(7). Plusieurs mémoires de l’École des hautes études en santé publique (EHESP) ont traité de l’accompagnement des FFCS. En 2002, Charon(8) concluait le sien par cette phrase : « Malgré une volonté d’accompagner les postulants cadres dans leur projet, ces derniers évoquent pourtant un manque d’aide. Ils se sentent souvent seuls, dépourvus de ressources et expriment des difficultés multiples qui touchent essentiellement les domaines des savoirs agis. Seuls les établissements qui ont mené une réflexion, édicté des règles et mis en place un dispositif d’accompagnement semblent échapper, en partie, à ce phénomène. » Pourtant, au regard des verbatim, il semble bien que tous les établissements n’aient pas encore pris en compte cette nécessité, ce qui est d’autant plus dommageable puisque les étudiants ayant eu un accompagnement organisé disent que cela leur a facilité l’entrée à l’IFCS.

Être faisant fonction, un tremplin pour la formation ?

Lorsqu’on demande aux étudiants si le fait d’avoir été FFCS leur permet une meilleure appropriation des contenus de la formation, certaines réponses sont très ambiguës, car le raisonnement se déploie en sens inverse de la question : ce sont les contenus de la formation qui favorisent l’analyse de leurs actions à distance, donc, même s’ils ont un avantage dans la compréhension de l’environnement sanitaire ou social dans lequel ils évoluent, ce n’est pas le fait d’avoir été FFCS qui leur permet une meilleure appropriation des contenus, mais les contenus dispensés qui leur permettent de comprendre les situations dans lesquelles ils se sont trouvés. C’est lors de la mise en mots qui se produit dans la formation qu’ils identifient les forces et les faiblesses de leurs pratiques antérieures. D’ailleurs, comme le souligne une étudiante, il n’est pas évident que la mise en poste de faisant fonction soit suffisante : « Je pensais que je n’apprendrais rien, mais il y a une limite à certains moments, et il manque certains savoirs qui se trouvent à l’IFCS. Mon expérience ne suffisait plus, on ne peut pas apprendre que sur le tas sans avoir des apports faits par des personnes expérimentées. Ça m’aide à comprendre, la formation me donne des clés pour construire de nouvelles compétences. »

Pour certains, cette confrontation à la théorie et la visualisation des écarts entre ce qu’ils ont mis en œuvre et ce qu’ils auraient dû mettre en œuvre, est extrêmement déstabilisatrice. Cela peut remettre en question leur légitimité passée et à venir, et peut provoquer des situations de blocage, voire de rejet des apports de la formation.

Pour d’autres, ces apports ne sont que le renforcement de ce qu’ils avaient déjà perçu pendant leur mise en poste et ne fera que conforter leur détermination à être cadre de santé en ayant enfin pu prendre le temps de la prise de distance. Enfin, lorsqu’on leur pose la question de savoir si, lorsqu’ils seront cadres de santé, ils conseilleront plutôt aux futurs postulants de prendre un poste de FFCS, la réponse est positive pour la grande majorité des personnes interrogées, non pas pour garantir leur réussite à la formation ou pour une meilleure appropriation des contenus de la formation, mais pour simplement découvrir la fonction de cadre.

CONCLUSION

Nos questions s’articulaient autour de la mise en poste des agents comme FFCS, pour permettre une meilleure réussite de la formation à l’IFCS et une meilleure appropriation des contenus de la formation. Les résultats chiffrés montrent qu’il n’y a pas de différence pour la réussite de la formation entre les agents ayant été en poste avant d’arriver à l’IFCS et ceux qui n’ont pas été en poste de FFCS. Les entretiens montrent que l’appropriation des contenus de la formation est peu en lien avec le poste de FFCS. Si la mise en poste de FFCS peut être une étape dans la construction professionnelle de l’agent, le postulat consistant à obligatoirement mettre un agent désirant faire la formation en poste de FFCS comme gage de réussite et d’appropriation des contenus de la formation ne repose sur aucune base factuelle.

Il apparaît même que la distanciation peut parfois être compliquée, notamment lorsque l’étudiant se retrouve en posture d’apprenant en stage, alors qu’il était, il y a peu, acteur dans ce même environnement.

Le formateur doit prendre en compte tous ces éléments pour faire progresser l’étudiant cadre vers la fonction de cadre de santé. Il lui appartient de travailler sur la réflexivité des situations passées pour permettre au FFCS de se construire une posture claire de cadre de santé et de l’accompagner pour qu’il puisse acquérir la distance de l’étudiant en oubliant celle du professionnel.

NOTES

(1) J’entends par postulat la définition philosophique qu’en donne le Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRS) : « Représentation qui est admise de façon implicite et sur laquelle se fonde un système de pensée. » CNRS, Nancy, 2005, consulté le 30/11/2016. Disponible sur www.cnrtl.fr/definition/postulat.

(2) Haller, Christophe. “Faisant fonction de cadre de santé : avantages et limites d’un rôle mal reconnu” [en ligne]. 19 août 2004. Ivry-sur-Seine : cadredesante.com [réf. du 9 mars 2016] (à consulter via le lien raccourci bit.ly/2w4yhas).

(3) Vygostsky, Lev Semenovitch. Pensée et Langage. 3e édition, Paris : La Dispute, 2003. 536 pages.

(4) Le Boterf, Guy. De la compétence. Essai sur un attracteur étrange. Paris : Éditions d’Organisation, 1994. 176 pages.

(5) Inspection générale des affaires sociales (Igas), “Quelles formations pour les cadres hospitaliers ?”, 2010 (à consulter via bit.ly/2wm6A8a).

(6) Dubar, Claude. La socialisation : Construction des identités sociales et professionnelles. 4e édition, Paris : Armand Collin, 2010. 256 pages.

(7) Chauvency, Marie-Claire ; Cannasse, Serge (collab). “Faisant fonction : vers une politique vertueuse ou une pérennisation par défaut ?” In Faire fonction de cadre de santé. Paris : Lamarre, coll. Fonction cadre de santé, 2015. Pp.39-66.

(8) Charon, Jack. L’accompagnement du “faisant fonction” de cadre de santé : un bénéfice pour le postulant et l’institution. École nationale de santé publique. 71 pages. Mémoire de fin d’études : Rennes : 2002 (à consulter via http://bit.ly/2y2JQwf).

BIBLIOGRAPHIE

• Malka, Claire. Savoirs issus de l’expérience de faisant fonction de cadre de santé : assise indispensable ou certitudes à déconstruire ? In Faire fonction de cadre de santé. Paris : Lamarre, coll. Fonction cadre de santé, 2015, pp. 171-192. • Yahiel, Michel ; Mounier, Céline. Quelles formations pour les cadres hospitaliers ? Rapport de l’inspection générale des affaires sociales. Paris : IGAS, 2010. 74 pages.

→ Pour tenter de répondre à la question “la mise en poste des agents comme FFCS favorise-t-elle la réussite de la formation à l’IFCS ?”, nous avons étudié les résultats d’une cohorte de 746 étudiants représentant cinq promotions entre 2011 et 2015 à l’IFCS de l’AP-HP. Pour chacune des promotions, nous avons différencié la population entre étudiants ayant fait fonction de cadre de santé (FFCS) et étudiants n’ayant pas fait fonction.

Nous avons fait la moyenne générale des notes obtenues aux différents modules comme indicateur pouvant différencier le niveau de réussite à la formation cadre de santé. Pour chaque promotion et pour chaque population, ont été calculés la moyenne, l’écart type et la variance. Enfin, un test t de Student (ce test permet de comparer les mesures d’une variable quantitative effectuées sur deux groupes de sujets indépendants) bilatéral à 5 % (p. ≤ 0.05 implique le rejet de l’hypothèse nulle) a été effectué pour différencier les deux populations. Il a aussi semblé intéressant de regarder le nombre de mois pendant lesquels les futurs cadres sont mis en poste de FFCS.

Au vu de la collecte des données et de la dispersion des points, nous avons préféré calculer la médiane, ainsi que l’écart moyen qui a paru plus contributif que l’écart type pour chacune des promotions.

→ Pour essayer de répondre à la question “le fait d’avoir été en poste de FFCS permet-il à l’étudiant une meilleure appropriation des contenus de formation ?”, onze entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès d’étudiants de la promotion 2015/2016, ayant été FFCS. Le temps de mise en poste de FFCS s’échelonnait entre neuf mois et douze ans. Les entretiens ont duré entre 30 et 45 minutes.

Comme nous avons la chance de former toutes les filières paramédicales à l’IFCS de l’AP-HP, différents représentants de ces filières (IDE, Ibode, PUER, IADE, technicien de laboratoire, manipulateur en électroradiologie, préparateur en pharmacie, kinésithérapeute) ont pu être interrogés.

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