Structure de réflexion éthique, une démarche porteuse de sens | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 259 du 01/10/2017

 

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Claire Pourprix  

Conception La création d’une structure de réflexion éthique dans les établissements de santé peut apporter un soutien et une réponse aux questionnements des soignants sur leurs pratiques. Comment procéder ? Regard croisé entre une enseignante-chercheuse, experte en éthique, et une cadre de santé puéricultrice.

L’éthique est sur toutes les lèvres. Pour autant, ses contours sont encore bien flous, chacun y allant de sa propre définition. Pour Alexia Jolivet, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris-Sud, chercheuse étudiant les organisations de santé et responsable de la mission Observatoire à l’Espace éthique de la région Île-de-France, une structure de réflexion éthique est « un lieu de problématisation des pratiques suite à une situation qui vous interpelle. Elle vise à mettre en tension les valeurs qui se jouent dans la situation ».

Une crise au niveau des pratiques

Bien souvent, constate-t-elle, ces groupes de réflexion sont constitués à l’échelle d’un établissement, plus rarement au sein d’un service, où les échanges éthiques sont plus informels. « En général, ils naissent à la suite d’une situation de santé qui a créé une crise au niveau des pratiques, et sont portés par l’élan d’une personne qui en est le moteur. »

Les plus anciens sont apparus il y a une quinzaine d’années, notamment dans les secteurs sensibles des soins palliatifs et de la pédiatrie. Certains sont nés à la suite de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, qui oblige les établissements, dans son article 5, à mettre en place une réflexion éthique.

Cependant engager une démarche ne veut pas dire forcément création d’une structure dédiée – une conférence, des actions de sensibilisation ou de formation suffisent à remplir cette obligation légale –, et la mise en place d’un groupe de réflexion éthique reste donc à l’entière discrétion des établissements.

La réa-néonatale de Pontoise précurseur

« Dans le service de réanimation néonatale du centre hospitalier de Pontoise (Val-d’Oise), une réflexion autour des soins palliatifs en salle de naissance a été mise en place depuis huit ans, les soignants sont formés à l’éthique et nous disposons d’un livret à ce sujet. Lorsque je suis arrivée dans le service il y a cinq ans, j’ai poursuivi ce travail autour de l’éthique, avec le soutien de notre chef de service, le docteur Philippe Boize, qui est très impliqué sur ces questions-là », explique Ana Grimbert, cadre de santé puéricultrice. Des réunions éthique collégiales ont été mises en place. Elles peuvent avoir lieu en urgence, dans la journée, si la situation d’un enfant se dégrade rapidement, ou dans les deux ou trois jours qui suivent. « En urgence, la réunion se tient avec les membres de l’équipe présents, a minima avec l’infirmière référente du patient, la cadre, le médecin et les internes. Lorsque la situation le permet, la réunion est programmée et tous les soignants qui sont intervenus auprès de l’enfant sont invités. Elle se déroule en présence d’un médecin ou d’un pédiatre extérieur au service, qui n’a pas pris l’enfant en charge. »

Le déroulé des réunions est bien défini : présentation de l’enfant et synthèse de la situation, énoncé des objectifs de la réunion (faut-il poursuivre les soins de réanimation ou passer aux soins palliatifs ?), temps de discussion et prise de décision. Les soignants sont libres de prendre la parole. Selon la complexité des situations, les discussions sont plus ou moins dynamiques et animées. Dans tous les cas, elles aboutissent à un accord consensuel : « Le but n’est pas de tenter de convaincre l’autre, mais de trouver un consensus dans le respect de l’opinion de chacun. Chacun avance ses arguments, tout en tenant compte de l’enfant et de ses parents. La décision finale revient au médecin référent responsable de l’enfant », précise Ana Grimbert.

Parole libérée et analyse des pratiques

Avec l’expérience, l’animation des réunions éthique a évolué. « Au départ, les paroles s’échangeaient avec beaucoup d’agressivité, de ressenti, se souvient Ana Grimbert. Désormais, les personnes sont beaucoup plus à l’écoute, dans le respect de la parole de l’autre. Les infirmières, même sur leurs jours de repos, quand elles le peuvent, viennent aux réunions quand “leur” patient est concerné. D’ailleurs, la décision est toujours plus difficile à accepter pour celles qui n’ont pas pu y assister. » La retransmission des réunions aux personnes absentes est l’une des difficultés rencontrées par cette cadre. Elle prend le temps de discuter avec elles à leur retour dans le service et ressent ce besoin d’accompagnement permanent des équipes.

Dans tous les cas, une réunion avec une psychologue a lieu à un mois de distance de l’événement, pour revenir sur l’analyse des pratiques. C’est aussi à ce moment-là que l’équipe propose aux parents de les rencontrer. La place des parents dans ces groupes éthique est d’ailleurs en réflexion. Serait-il envisageable de les convier à participer ? L’équipe y réfléchit sérieusement. « Pour eux, comprendre les décisions et voir que leur enfant n’est pas un numéro pour les soignants nous semble fondamental », souligne Ana Grimbert.

Porter le projet à plusieurs

Après quelques années de recul, elle constate que la réflexion éthique a fortement évolué au sein du service. La parole circule beaucoup plus dans l’équipe et il existe une ouverture d’esprit très importante. Elle attribue volontiers ce succès à la force du binôme formé avec son chef de service, précurseur et moteur dans cette démarche. « Il porte véritablement le projet, suit de nombreuses formations et nous permet de nous former régulièrement car ce sujet lui tient à cœur. » Ceci constitue un critère fondamental pour la réussite dans la durée d’une structure éthique, comme l’explique Alexia Jolivet : « Bien souvent, les structures éthiques sont lancées à l’initiative d’une personne, qui en assure la conduite en dehors de ses heures de travail. Ces initiatives sont donc fragiles et nombre d’entre elles ne sont pas pérennes. De plus, il est important qu’elles soient connues et reconnues dans l’établissement pour acquérir une réelle légitimité. »

En effet, ces espaces de réflexion sur les pratiques ne doivent pas être assimilés à des lieux de revendication, ils doivent être bien cadrés, animés et ouverts à l’accueil d’experts – des médecins extérieurs, mais aussi des psychologues, sociologues, juristes, philosophes, responsables des usagers… – pour jouer pleinement leur rôle. « Ces structures sont difficiles à mettre en place, reconnaît Alexia Jolivet. Mais quand elles fonctionnent, elles sont vraiment enrichissantes. »

Faire ses premiers pas dans la création d’une structure de réflexion éthique

L’Espace éthique de la région Île-de-France publie un aide-mémoire, “Créer et animer une structure de réflexion éthique”. Accessible gratuitement sur son site Internet (lien raccourci bit.ly/2xXNMjx), ce petit livret se présente comme une checklist pour aider les porteurs de projet d’une structure de réflexion éthique à la lancer et la mettre en œuvre. Il se compose de cinq parties – constitution de la structure au sein de l’établissement, gouvernance, réflexion, production, évaluation – et d’un lexique. Le but : se poser les bonnes questions avant de s’engager dans une telle démarche.