Dossier
Le docteur Valérie Auslender est médecin généraliste attachée – à Sciences Po. Elle est l’auteure de l’ouvrage Omerta à l’hôpital – Le livre noir des maltraitances faites aux étudiants en santé (éditions Michalon), qui décrit les violences et souffrances subies par les étudiants infirmiers, aides-soignants, médecins, sages-femmes, kinésithérapeutes… pendant leurs études.
Objectif Soins & Management : Dans quel contexte avez-vous écrit cet ouvrage ?
Valérie Auslender : Ce travail s’inscrit dans la suite directe de ma thèse qui portait sur le thème des violences où j’ai pu notamment mettre en évidence que les étudiants en médecine en France étaient confrontés personnellement à des violences durant leurs études. Mon doctorat passé, et pour explorer ces violences, j’ai décidé de lancer un appel à témoins via les réseaux sociaux. L’idée était de recueillir d’éventuels témoignages de violences subies à l’hôpital pendant les études et infligées par la hiérarchie. Et quand j’ai constaté qu’au bout d’une semaine, j’avais reçu plus d’une centaine de témoignages, je me suis dit que je ne pouvais plus faire marche arrière. Il y avait énormément de violences psychiques, verbales, sexistes mais aussi parfois des violences physiques et des agressions sexuelles. Néanmoins, pour essayer de comprendre ce phénomène et ne pas entrer dans la diffamation, j’ai décidé de rendre anonymes l’ensemble des témoignages et de réunir un panel de neuf experts, que j’ai choisis pour leurs qualités diverses, pour tenter avec eux de mieux appréhender le mécanisme qui donnait naissance à ces violences et de proposer des solutions.
OS&M : Aujourd’hui, où en est-on ?
V. A. : Le livre a eu un excellent accueil chez les étudiants, qui se sentaient seuls et n’osaient pas parler : cela leur a notamment permis de rompre leur isolement, de libérer la parole. Je continue même de recevoir des témoignages par mail ou sur les réseaux sociaux, preuve que le silence est rompu ! De la part des médecins ou, plus largement, des professionnels de santé, l’accueil a été varié, avec notamment des personnes qui critiquaient le livre ou qui mettaient en doute la véracité des témoignages. Peut-être se sentaient-ils attaqués ? Peut-être qu’ils ne veulent pas que la situation change ? C’est en effet perturbant de remettre en cause tout un système, même s’il fonctionne mal. D’autres banalisent ces violences, en se cachant souvent sous l’excuse de les avoir eux-mêmes subies. Or rien ne permet de justifier de telles violences ! L’ouvrage m’a permis d’entrer en relation avec plusieurs associations de professionnels de santé ou de personnalités qui traitent de la thématique du harcèlement moral. Avec le ministère de la Santé, quelques rencontres informelles ont eu lieu pour évoquer le sujet, étendre le plan d’action aux étudiants, notamment en médecine. Et depuis d’autres enquêtes ont vu le jour, notamment l’une menée par des syndicats d’étudiants en médecine
OS&M : En a-t-on enfin fini de l’immobilisme ?
V. A. : Ce qui est certain, c’est que les choses bougent ! Les discussions avancent, la ministre de la Santé s’est personnellement exprimée au sujet du harcèlement sexuel, le CNOM s’est également positionné récemment sur la question en invitant les victimes à porter plainte devant les instances. Mais il faut également que les coupables soient punis, que les faits soient condamnés. Des solutions ont été proposées par les experts, dans mon ouvrage. Il est urgent de revoir en profondeur le système, que tous soient à l’écoute, directeurs d’hôpitaux, gouvernement, institutions hospitalières. Il ne faut plus que les étudiants subissent ces violences parce que le système dysfonctionne, et qu’ils soient vus parfois « comme la mauvaise conscience des soignants », comme l’exprime le Dr Christophe Dejours, psychiatre et spécialiste de la souffrance au travail, dans mon ouvrage. Il faut rééquilibrer les budgets en faveur d’effectifs suffisants de soignants dans les services hospitaliers, pour une prise en charge optimale du patient et une qualité de vie du soignant acceptable : tous les experts sont unanimes pour dire que le système est en dysfonctionnement et que les violences se sont aggravées avec le tournant gestionnaire qu’a pris l’hôpital, qui privilégie la rentabilité au détriment de la qualité des soins. Il faut également intégrer ces notions de violences institutionnelles, de harcèlements et des questions relatives à l’éthique dans la formation initiale des médecins et infirmiers car les futurs professionnels ne sont pas formés à la question.