Objectif Soins n° 260 du 01/12/2017

 

Dossier

Au quotidien des soins, la collaboration est permanente.

Que ce soit au travers des situations, des échanges oraux formels et informels ou par le biais du logiciel de transmission utilisé, nous participons tous à cette démarche commune.

Cependant, celle-ci peut être banalisée car elle ne se remarque plus : seules certaines situations problématiques font l’objet d’une attention particulière, voire d’indignation. « On ne voit plus ce qui marche » ou « on voit toujours ce qui ne marche pas » sont des phrases fréquemment entendues.

Bien plus, les situations de collaboration problématique sont minimisées ou rejetées vers l’Autre : « On ne se connaît pas », « souvent l’autre équipe, c’est la mauvaise équipe », « on a parfois tendance à rejeter la faute » sont autant de propos d’agents entendus durant mon parcours.

C’est pourquoi, dans l’une des équipes dont j’ai la charge, j’ai proposé de soutenir la démarche de collaboration par un travail de réflexion institutionnel autour de ce sujet lors de réunions de fonctionnement hebdomadaires.

Recueillir les représentations différentes

La première étape a consisté à recenser les représentations et les réflexions singulières des agents autour du sujet. Je m’attendais à entendre une pluralité d’expressions liée aux personnalités et aux fonctions différentes, mais les regards ont convergé et certaines réponses ont pu se compléter. Par exemple, tous pensent que la collaboration au quotidien est avant tout un rapport de personne à personne avant d’être un rapport de professionnel à professionnel.

Au-delà, les réponses évoquent toutes l’organisation nécessaire à l’accompagnement du patient au centre du dispositif. La coordination est perçue comme un lien de collaboration entre professionnels permettant la continuité des soins pour le patient lors de son passage dans les différentes structures du parcours du patient.

Tous s’accordent sur l’importance et la nécessité de cette coordination, qui regroupe, pour eux, des notions de tâches, de missions, d’organisation et de compétences. Mais ce travail de lien est évoqué comme une intention de qualité qui n’est pas toujours systématique ou difficilement atteignable.

Enfin, de ces réponses se dégagent également des éléments autour de la connaissance du patient, du contexte organisationnel et fonctionnel du pôle dont nous dépendons, que l’on pourrait résumer comme étant l’importance de savoir pour mieux agir.

La collaboration est vécue comme un élément prégnant des prises en charge et se réalisant de façon constante au quotidien. Ses manifestations sont à la fois centrées sur les tâches à réaliser et sur la réflexion nécessaire pour y parvenir.

Certains parlent d’efforts pour se rassembler ou pour communiquer. Cette notion d’effort englobe pour ces agents la préoccupation de l’autre et de la singularité de la situation qu’il traverse, ainsi que la préoccupation sur le temps nécessaire pour bien collaborer et coordonner les informations et les actions.

Ce recensement a ainsi participé d’une élaboration de définition commune de la collaboration.

Lister les manifestations

À partir de cela, nous avons pu lister les situations problématiques ressenties par les agents. Les données recueillies m’ont permis de cibler plusieurs types de manifestations.

L’exercice a d’abord servi à souligner les manifestations positives en termes d’amélioration de la prise en charge et de la qualité des soins, d’amélioration de la communication entre structures, ou encore d’amélioration de la connaissance des spécificités du travail de l’Autre.

Les manifestations négatives ont naturellement été abordées plus spécifiquement. J’ai pu noter des manifestations multiples :

• méconnaissances (par exemple sur la spécificité des autres structures avec lesquelles nous travaillons) ;

• incompréhensions (conflits de représentations, symptômes parfois lus différemment, malentendus lorsqu’une urgence prime) ;

• manques (absence occasionnelle d’infirmier en réunions externes, manque de lien et de communication dans certaines pratiques qui sont morcelées, manque de visions communes et globales dans certains discours, manque de connaissances sur le travail spécifique des autres structures) ;

• insuffisances (tendance à n’utiliser que le téléphone pour transmettre aux autres structures du secteur, nommer les collègues de façon indifférenciée sans connaître leur nom) ;

• difficultés (à se représenter les autres structures du secteur, à gérer au quotidien la coordination) ;

• ressentis négatifs (ambivalences sur l’utilisation du logiciel de transmissions, conflits interculturels, certitude de bien agir sans se remettre en question, dévalorisation des autres structures).

Apporter des explications et corriger

Lister ces manifestations sans tenter d’en expliquer la cause aurait été un exercice vain. C’est pourquoi nous avons entrepris d’en recenser les causes.

Le facteur culturel prédominait, avec des aspects négatifs vécus comme des contraintes. La culture orale prime en psychiatrie, ce qui peut être bénéfique dans certaines situations de collaboration mais compliqué quand les supports écrits sont à privilégier. De plus, il existe un centrage sur sa propre structure et ce qui s’y vit en termes de dynamique de groupe, ce qui explique que certains se désintéressent un peu plus de la prise en soins globale du patient, ou que les points de vue à différents temps de la prise en charge ne soient pas confrontés et globalisés. Il existe parfois une confusion entre les sphères personnelle et professionnelle, qui relègue les situations professionnelles au second plan.

Il existe également des sentiments négatifs qui viennent interférer sur les soins et notamment sur la collaboration : peur pour l’avenir, sentiment d’épuisement professionnel, sentiment d’isolement (« on ne pense pas à nous demander », « on est excentré »), sentiment de non-reconnaissance, sentiment de méconnaissance du travail de l’Autre (« on ne connaît pas le travail des autres plus que ça »).

Il existe une facilité qui fait que les personnes vont vers les visages connus. Une infirmière m’avouera même demander à parler à quelqu’un en particulier lorsqu’elle téléphone dans l’unité intra-hospitalière alors qu’elle pourrait donner exactement les mêmes informations à la collègue qu’elle connaît moins et en profiter pour faire connaissance.

Au fil des mois, ces explications ont permis d’engendrer des actions correctives, notamment des entretiens individualisés, des rencontres interservices autour d’un sujet précis, une inscription à une journée d’intégration institutionnelle.

Le facteur culturel comportait également des aspects positifs qui pouvaient être perçus comme étant des ressources tant pour le service que pour faciliter mes actions correctives.

Ainsi, il existe un haut degré de corporatisme en psychiatrie qui fait que, même si certaines situations de collaboration sont problématiques, les différentes équipes se ressentent avant tout comme une seule et même équipe.

De plus, il existe une histoire commune sur laquelle je pouvais m’appuyer pour faire prendre conscience de la culture du secteur et tenter de construire avec eux le sentiment d’appartenance.

Un autre facteur entrait en ligne de compte, le facteur contextuel.

Là encore, celui-ci comportait des aspects négatifs contraignants autour de l’organisation.

Il existe une lourde charge de travail qui est vécue comme absorbante dans toutes les structures. Par ailleurs, le contexte actuel tendu de l’Établissement (notamment le projet Groupement hospitalier de territoire et la réorganisation polaire) influe sur le bien-être au travail. On comprend aisément que l’intention d’une bonne collaboration passe alors en second plan (« on n’a plus le temps pour l’extérieur », « maintenant, j’ai trop à faire avec l’administratif, comment voulez-vous que je puisse faire autre chose ? »).

Les personnes ayant une plus grande expérience du secteur éprouvent des regrets ou de la nostalgie des anciennes organisations (« on ne se voit plus », « ce n’est plus comme avant », « avant, on avait plus de contacts avec les collègues, maintenant, les nouveaux, on ne les connaît pas »).

Le logiciel commun est vécu de façon problématique : le personnel ne ressent pas une véritable vue d’ensemble, mais des éléments contextuels éparses, il a une impression de fragmentation ou de réduction des transmissions (« on est obligé de rentrer dans les cases »), il a des impressions négatives de type contrôle (« ça peut être utilisé contre nous dans le cas d’un problème »), ou de type privation (« on n’est plus devant le patient, on est caché derrière nos écrans »).

Il existe l’idée que les prises en charge sont uniquement centrées sur l’intensif de l’hospitalisation alors qu’elles devraient l’être également au long cours et sur la base d’un parcours.

Le contexte de l’urgence fait que certaines situations de collaboration sont ressenties pour certains comme étant de l’aide aux autres structures plutôt que du travail en commun.

Ce listing a aussi permis de mettre en place des actions correctives comme des explications pédagogiques, un accompagnement aux transmissions, des formations spécifiques.

Les ressources contextuelles viennent du fait que les agents restent engagés dans un processus d’amélioration permanente et qu’il existe au sein du secteur une volonté de décloisonner les pratiques dans le fait de favoriser l’instauration de temps partagés quand l’organisation le permet. Les personnels en temps partagé étant plus sensibles aux nécessités d’adaptation et à la notion de collaboration.

Continuer d’avancer

L’ensemble des personnes témoignent de leurs méthodes pour promouvoir l’activité de leur structure (« on doit parfois s’imposer », « on est constamment en train de faire de la promo »). Ces méthodes doivent s’accompagner vers plus de justesse et de professionnalisme, par un travail soutenu de la part du cadre de proximité.

Néanmoins, elles restent pour moi le fruit d’une volonté : celle du bien-travailler ensemble pour les patients et pour les collègues qui contribuent tous, quelles que soient leurs personnalités ou leurs fonctions, à concourir à une qualité de prise en charge. Comme le souligne l’équipe, « on est partant, il faut juste que tout le monde soit sur la même longueur d’ondes ».

BIBLIOGRAPHIE

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