En effectuant, avec le médecin du travail, des études de postes, des évaluations des risques, des échanges avec les agents, j’ai réalisé que le travail pouvait être contraignant pour le corps et/ou l’esprit. Cette contrainte peut être à l’origine d’effets nocifs sur la santé. Si l’employeur ne met pas en place des mesures de prévention, l’activité professionnelle et l’exposition à des sources de danger peuvent provoquer des accidents du travail ou des maladies professionnelles. Pour se faire assister dans son rôle de prévention l’employeur s’est entouré de spécialistes, les préventeurs. Ce métier est également très riche en relations humaines, le préventeur assurant le lien entre les agents sur le terrain, les managers de différents niveaux, le médecin du travail, les membres du CHSCT…
L’employeur ne peut pas seul assurer son rôle de prévention, pour cela il doit s’entourer des compétences nécessaires, préventeur, salarié compétent, médecin du travail, etc.
La loi du 20 juillet 2011 portant sur la réforme de la médecine du travail impose la mise en place d’un salarié compétent depuis le 1er juillet 2012. Celui-ci doit s’occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels de l’entreprise (art. L. 4644-1 du Code du travail). Le salarié compétent en prévention bénéficie à sa demande d’une formation en matière de santé au travail dans les conditions prévues pour les membres des CHSCT (art. L. 4614-14 à 16). Il est désigné par l’employeur après avis du CHSCT et dispose du temps nécessaire et des moyens requis pour exercer sa mission. La réglementation ne définit pas les missions de ce salarié. Il appartient à chaque entreprise de le faire. Il n’y a pas de transfert de la responsabilité de l’employeur en matière de sécurité du personnel vers le salarié compétent. Le directeur d’établissement et la ligne hiérarchique restent responsables de la protection et de la prévention des risques professionnels.
La SNCF n’a pas attendu l’obligation réglementaire pour se doter de conseillers en prévention (salariés compétents). Depuis le milieu des années 1990, des postes de préventeurs ont été créés pour permettre à l’employeur d’évaluer les risques (loi du 31 décembre 1991). Suite à l’explosion de l’usine AZF à Toulouse en 2001, la réglementation a évolué, l’employeur a maintenant l’obligation de transcrire cette évaluation dans le document unique (DU). Pour répondre à cette nouvelle obligation, le poste de conseiller en prévention s’est généralisé et organisé au sein de l’entreprise et de ses établissements.
Les préventeurs sont majoritairement des agents de terrain ayant exercé des missions liées à la production ou au management, ayant une très bonne connaissance des métiers et de leurs risques. Les connaissances en matière de prévention sont assurées en interne. Le centre de formation propose plusieurs modules. Les thèmes abordés sont : la réglementation, les méthodes d’évaluation des risques, l’analyse d’accidents du travail, l’intervention d’entreprises extérieures (coactivité)…
Actuellement, de nouveaux profils sont recrutés (encore peu nombreux), qui ont une formation diplômante en hygiène, sécurité et environnement. La formation leur est également proposée pour mieux appréhender les méthodes utilisées dans l’entreprise.
Le préventeur permet à l’employeur d’assurer son rôle de maintien de l’état de santé physique et psychologique de ses salariés. Il l’aide à tout mettre en œuvre pour éviter les accidents du travail et les maladies professionnelles. Il doit avoir des compétences très diverses :
• veille réglementaire et information des managers ;
• conseil et appui méthodologique à la résolution de problèmes (analyse d’accidents du travail) ;
• évaluation et analyse des process et des situations de travail (évaluation des risques) ;
• préparation et mise en œuvre des plans d’actions de prévention ;
• élaboration des documents techniques et réglementaires (rédaction de textes en interne) ;
• construction d’un réseau de partenaires (médecin du travail, CHSCT, managers…) ;
• conseil auprès des managers dans l’élaboration et le suivi de leur projet d’entité ;
• assistance auprès des managers dans la mise en œuvre de la politique de management et ses évolutions.
En matière de prévention primaire, dès 2002 chaque directeur d’établissement a évalué et fait évaluer les risques auxquels ses agents sont exposés. L’objectif est de mettre des mesures de prévention en place afin d’éviter l’apparition de maladie professionnelle ou d’accident du travail.
Le N+1 évalue un groupe homogène d’exposition, salariés exposés aux mêmes risques, le plus souvent exerçant un même métier. Les différentes phases d’activités (tâches) sont identifiées, ainsi que les sources de danger (ambiance thermique, risque ferroviaire, routier, électrique…), les conséquences sur la santé, les mesures de prévention existantes (déjà mises en place) et la cotation du risque.
La cotation du risque est obtenue en multipliant trois facteurs : la gravité (les effets sur la santé), l’exposition au risque (la durée d’exposition et la fréquence) et la probabilité de survenue de l’accident (dépend des mesures de prévention prises et de l’exposition). Le résultat précise si le risque est maîtrisé, résiduel ou inacceptable. Cette cotation du risque donne un ordre à privilégier dans les actions à mettre en place.
Un risque maîtrisé ne nécessite pas nécessairement des mesures de prévention supplémentaires. Lorsque le risque est résiduel, cela signifie que les mesures de prévention mises en place ne sont pas suffisantes, il est important d’en proposer d’autres afin de faire baisser la probabilité de survenue du risque. Elles feront l’objet d’un plan d’actions qui sera validé par le dirigeant de pôle ou d’unité. Si le risque est inacceptable, l’agent doit être retiré de la tâche de travail.
Le document unique (DU) doit être mis à jour au moins une fois par an, ou à chaque modification de tâches, d’exposition et lors de la survenue d’un accident du travail, afin de vérifier que le risque a bien été identifié et suffisamment coté.
La formalisation des données issues de l’évaluation des risques dans le DU n’est pas une fin en soi mais le préalable indispensable à la mise en œuvre d’actions efficaces pour garantir la sécurité et la santé physique et mentale des agents. Elle doit conduire à la hiérarchisation des risques afin de déterminer les priorités dans les actions à engager et à planifier.
En 2002, la transcription était faite sur des feuilles Excel. Cinq ans plus tard, le document unique prenait la forme d’un logiciel qui permettait de regrouper toutes les évaluations des risques professionnels : FER (Formulation, Évaluation des Risques). En 2016, ce logiciel a laissé sa place à la plateforme de sécurité au travail, plus intuitive et permettant des interconnexions entre les différents logiciels, surtout RH.
Le document unique doit être présenté à chaque nouveau salarié et être mis à la disposition des agents afin qu’ils puissent en prendre connaissance.
En 2012, l’évaluation des risques professionnels est complétée par l’évaluation des risques psychosociaux.
La technique d’évaluation est différente de celle de l’évaluation des risques professionnels. L’évaluation est faite à partir d’une grille composée de questions.
La première grille s’est inspirée du modèle de Karasek. Ce modèle permet de faire un lien entre le vécu du travail et les risques que ce travail peut engendrer sur la santé des salariés. Il s’appuie sur un questionnaire permettant d’évaluer pour un groupe homogène l’intensité de la demande psychologique à laquelle il est soumis, la latitude décisionnelle dont il dispose et le soutien social qu’il reçoit sur son lieu de travail.
La grille était composée de 53 questions réparties en 6 thèmes :
• organisation ;
• management ;
• isolement ;
• changement ;
• équilibre vie privée/vie professionnelle et environnement ;
• relation au poste de travail.
En 2016 une nouvelle approche est pensée pour évaluer les risques psychologiques (RPS). Une nouvelle grille de 25 questions est proposée, mise au point par Loïc Hislaire, à partir du triangle du manager. Elle est fondée sur trois thèmes qui s’articulent entre eux :
• les personnes, ou l’identité (ce qui fait avancer la personne) : leurs histoires, valeurs, compétences, ressorts motivations ;
• le travail, ou l’action (ce que la personne y trouve) : contraintes extérieures, activités, tâches ;
• l’entreprise, ou le sens (ce qui motive la personne) : stratégies, ambitions, attentes, décisions.
Loïc Hislaire
• fier de lui : s’il y a une bonne ambiance, de la reconnaissance, une satisfaction à venir travailler, des résultats visibles et du succès dans ses projets ;
• fier de ce qu’il fait : les moyens pour travailler sont suffisants, la qualité de vie est agréable au travail, le salarié a confiance en l’avenir de son travail ;
• fier de son entreprise : l’agent perçoit de la considération, de la reconnaissance dans ses missions, la possibilité de promotion et de formation.
Il pourra alors donner un sens à son travail, aux stratégies de l’entreprise et pourra s’investir physiquement et psychologiquement dans ses missions.
Si au contraire l’agent a perdu ses repères, le sens de son travail, s’il a le sentiment de manquer de reconnaissance, s’il est inquiet, incertain quant à l’avenir de son entreprise, il va se désengager, s’absenter, l’ambiance de travail va se dégrader. Ce sont des signes de risques psychosociaux.
Chaque question a 4 niveaux de réponse, de 0 à 3 ; les cotations ne s’additionnent pas, elles sont indépendantes et donnent une tendance pour chaque thème. La finalité est identique : plus la cotation est élevée, plus il est important de proposer des mesures de prévention dans un plan d’actions afin de diminuer le risque ainsi que la cotation.
Afin de prévenir l’apparition de risques psychosociaux, la SNCF a mis en place une organisation pour cadrer son périmètre, des structures, des services, des actions et des règles. Elle a rédigé des textes lui permettant de cadrer ses objectifs.
Suite aux accords nationaux interprofessionnels de 2008, l’entreprise a rédigé « la démarche sur l’amélioration de la qualité de vie au travail et sur la prévention du stress » (11 mars 2010).
Elle précise l’importance :
• d’informer les acteurs et la prévention des risques psychosociaux : reconnaître le risque de stress dans l’entreprise, suivre les indicateurs de situations à risque (taux de fréquence et de gravité, enquêtes « Flash Stress », « Tempo »…) ;
• d’informer les acteurs sur la prise en charge des agents en difficultés : « dialogue stress », soutien du médical et du pôle de soutien psychologique ;
• de la qualité du dialogue social : Observatoire de l’évolution des conditions de vie au travail et la réduction de la pénibilité, rôle du CHSCT ;
• du rôle de l’encadrement : réduire les inquiétudes des agents face aux changements qui s’annoncent, détecter les situations à risques et les signes avant-coureurs d’agents en difficultés, proposer des solutions ou des relais pour leur prise en charge ;
• d’anticiper et conduire le changement : visibilité des changements et des évolutions d’organisation, expression des équipes ;
• de l’équilibre vie familiale et vie professionnelle ;
• de la diffusion et du suivi des applications des dispositions ci-dessus.
Pour réussir à assurer ces missions, l’encadrement doit :
• disposer d’un niveau d’information sur les orientations de l’entreprise suffisant ;
• bénéficier des formations nécessaires : « dialogue stress », maîtrise du risque social ;
• disposer d’une autonomie suffisante dans l’organisation et le fonctionnement du collectif de travail dont il a la responsabilité ;
• disposer d’une écoute et d’un soutien solide de la part des directions d’activité ou domaine et transverses.
Le plan santé au travail 2010-2014 met en avant des actions de prévention à mettre en place afin de prévenir les RPS :
• améliorer les connaissances en santé au travail : développer les outils de connaissances et de suivi, agir sur la formation ;
Vpoursuivre une politique active de prévention des risques professionnels : prévention des risques lors de coactivités ou sous-traitances, renforcer la surveillance des marchés d’équipement de protection individuelle ;
• encourager les démarches de prévention dans les entreprises ;
• assurer le pilotage du plan.
Depuis plusieurs années, la SNCF a pris conscience de l’importance de maîtriser ses risques, afin de faire la démonstration de la maîtrise des activités qu’elle réalise.
L’entreprise a mis en place des moyens suffisants, fait appel à de nouvelles technologies, propose une organisation adaptée et change actuellement sa culture d’entreprise en impliquant davantage les managers à la prévention.
Toutes ces démarches mises en place lui permettent de répondre à l’analyse réalisée par M. Vernon Bradley
(1) Loic Hislaire Directeur des Relations Sociales SNCF 2005 à 2012 Directeur des Relations Humaines à l’EPIC SNCF
(2) Vernon Bradeley a développé la courbe de Bradley en 1994
Cet outil permet de comprendre les changements de mentalité et de comportement nécessaires pour développer graduellement une culture de sécurité bien établie.
Communication en Santé
Sécurité au Travail
Editions Tissot
Pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « la prévention est l’ensemble des mesures visant à éviter ou réduire le nombre et la gravité des maladies, des accidents et des handicaps » (1948). Cette définition peut très bien s’appliquer à la prévention en matière de santé au travail. La SNCF l’utilise et met en avant les 3 niveaux de prévention : préventif, correctif et curatif. Le but est de rester dans la prévention primaire afin d’éviter l’apparition d’accident du travail ou de maladie professionnelle.
→ Prévention primaire (préventif) : évaluer les risques professionnels et psychosociaux afin de mettre en place les mesures de prévention pour maintenir la santé et la sécurité des salariés afin d’éviter toute maladie professionnelle ou accident du travail.
→ Prévention secondaire (correctif) : afin de vérifier la bonne mise en place et le respect et la qualité des mesures, on va mettre en œuvre des analyses de poste, accentuer la formation et la sensibilisation sur les thèmes de la prévention, faire des visites sur le terrain, vérifier les procédures et les textes.
→ Prévention tertiaire (curatif) : l’accident du travail s’est produit, il est important d’en rechercher les causes et de mettre en place de nouvelles mesures de prévention afin d’éviter l’apparition de nouveaux accidents.
Quand on me demande quel est mon métier et que je réponds : « Je suis préventrice… », dans la majorité des cas mes interlocuteurs ignorent tout de ce métier et encore moins son utilité. Infirmière pendant 18 ans, à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, principalement en hospitalisation à domicile, j’ai rejoint pour des raisons familiales l’un des services de santé au travail de la SNCF. En travaillant conjointement avec les préventeurs des établissements dont j’avais la charge, je me suis aperçue que mes connaissances en matière de santé étaient un complément très enrichissant pour mettre en application la prévention dans le cadre professionnel. Ce métier m’est apparu comme une bonne piste d’évolution professionnelle. J’ai repris mes études et passé un DUT « Hygiène, sécurité et environnement » en formation continue. J’ai exercé cette profession pendant 7 ans dans 2 établissements de la SNCF. Cela m’a permis de découvrir les nombreux métiers que propose l’entreprise, ainsi que les risques auxquels sont exposés les agents. Depuis un an je n’exerce plus comme préventrice mais comme formatrice en prévention. J’ai intégré le centre de formation ressources humaines de la SNCF, je forme les nouveaux préventeurs afin qu’ils puissent exercer leur nouvelle profession, ainsi que les managers dans leurs missions de prévention. Toute l’expérience que j’ai pu développer, que ce soit lors de l’exercice du métier d’infirmière ou de préventeur, me permet d’apporter des connaissances qui enrichissent les formations que je dispense.