Partie 2
Dans un précédent article (OSM no 260), nous avons présenté le PHRIP (Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale) et la nécessité de mettre en œuvre un tutorat pour que, au niveau des établissements, les groupes projet puissent répondre aux attentes de ce type de programme de recherche. De là, nous avons mis en lumière sept obstacles à l'efficience du tutorat de projets PHRIP, à savoir : des difficultés à problématiser, un manque de connaissances en recherche documentaire, une difficulté d'accès aux bases de données, un défaut d'assiduité par manque de disponibilité, de faibles avancées entre les séances de tutorat, ainsi qu'une non-reconnaissance de la posture de chercheur par les pairs. Dans le présent article nous allons aborder les pistes d'amélioration envisageables pour rendre efficient le tutorat de projets PHRIP. Nous développerons le profil spécifique du tuteur et présenterons également une modélisation du dispositif de formation du tutorat PHRIP.
Il semble que, chronologiquement, une séance initiale en présentiel soit indispensable. Elle permet de faire connaissance de manière plus chaleureuse que par une interface numérique. De plus, la programmation d'une séance initiale a pour principal objectif que le tuteur réalise une évaluation du niveau général des participants. Elle doit être conçue comme pour un DPC (1), avec une approche cognitive permettant d'identifier les besoins de formation en recherche. Cette séance est propédeutique à la mise en œuvre efficiente d'un dispositif de formation individualisé au groupe tutoré. Si le groupe démontre un niveau suffisant pour enclencher le travail sur les projets de recherche, le tuteur peut donner son feu vert pour commencer directement la série de séances de tutorat centrées sur le PHRIP. En revanche, si le groupe ou certains tutorés ne sont pas au niveau requis, il paraît alors incontournable de proposer la participation à une formation initiale à la recherche.
Cette formation peut alors s'envisager en présentiel avec un formateur expert en recherche. Elle peut également s'ajuster à des besoins individuels hétérogènes et alors privilégier une dynamique pédagogique de type e-learning. Nous ne nous attarderons pas ici sur la comparaison entre présentiel et e-learning en termes de performances pédagogiques. Notons qu'une très belle analyse de la littérature anglo-saxonne amène la conclusion suivante : « Il paraît possible de dire que le e-learning ne semble pas être un handicap pour l'apprentissage et l'enseignement. La multitude des facteurs qui entrent en ligne de compte et les biais méthodologiques ne permettent pas de dire définitivement si cette modalité de formation est totalement équivalente au présentiel. » (2) Les auteurs ajoutent : « De même, il est impossible d'affirmer si deux méthodes pédagogiques reposant sur de grands principes généraux sont strictement équivalentes. L'efficacité du e-learning repose, tout comme celle du présentiel, sur un cocktail de facteurs pédagogiques, politiques, techniques, administratifs et économiques. » (2)
Ensuite, les prérequis en recherche étant assimilés, ou en cours d'assimilation, il est alors capital de traiter la question du manque de disponibilité et du travail irrégulier. Une piste de solution est de proposer une alternance de séances en présentiel avec une pédagogie par objectifs en e-learning. La pédagogie par objectifs (3),(4) peut cibler des étapes clés de la réalisation d'un projet de recherche où sont prévues des échéances chronologiques de restitution des avancées du projet. Les tutorés peuvent alors envoyer leurs avancées par courriel au tuteur du groupe. De là, le tuteur peut évaluer la progression de chaque projet. Il est alors en capacité de déterminer des temps collectifs en présentiel dédiés à la présentation des avancées des différents projets. Ces temps de présentation sont fondamentaux car ils permettent aux membres du groupe d'argumenter et de défendre leur projet. À ce niveau, le tuteur peut prendre sa posture d'expert PHRIP et expliciter en quoi le projet est recevable ou non. Sa posture pédagogique s'inscrit dans une approche rhétorique où le tutoré est amené à développer l'art de l'éloquence : « La rhétorique est d'abord l'art de l'éloquence (...). La rhétorique traditionnelle comportait cinq parties : l'inventio (invention ; art de trouver des arguments et des procédés pour convaincre), la dipositio (disposition ; art d'exposer des arguments de manière ordonnée et efficace), l'elocutio (élocution ; art de trouver des mots qui mettent en valeur les arguments), l'actio (diction, gestes de l'orateur, etc.) et la memoria (procédés pour mémoriser le discours). » (5)
Entre deux échéances, une ou deux séances de séminaire, par exemple via Skype, constituent une plus-value permettant un soutien pédagogique et méthodologique aux tutorés. Ce type d'interface de poste à poste informatique via Internet est un atout dont des recherches récentes ont mis en évidence dix avantages : « la ponctualité, la liberté du créneau horaire, l'anticipation possible, le gain de temps, l'abolition des distances, la confidentialité, le confort, le coût financier réduit et l'empreinte carbone moindre » (6). L'ajout de ce type d'entrevue maintient une linéarité du tutorat et prévient ainsi les baisses de motivation, les doutes, les incertitudes, les blocages, qui appellent une réponse rapide du tuteur.
Pour compléter ce dispositif pédagogique, bien qu'il existe des formations à la recherche documentaire en interne aux établissements de santé, il pourrait être intéressant de l'inclure dans le packaging de l'offre générale de tutorat PHRIP. Pour ce faire, le tuteur, lui-même rompu à la recherche documentaire, aurait besoin de disposer d'une salle de formation à l'informatique équipée de plusieurs postes, munis d'un accès aux bases de données usuelles. Une autre piste serait d'impliquer la ou le documentaliste de l'institution, qui constitue la personne ressource par excellence en recherche documentaire (7).
Enfin, dans la continuité du développement de compétences en recherche documentaire, une option intéressante serait de proposer une séance de formation à la lecture et à l'analyse d'articles scientifiques. Ces deux éléments sont indissociables d'une posture de chercheur qui, loin de réfléchir et agir seul, fait toujours partie d'une équipe de recherche et se doit déontologiquement de maintenir une veille scientifique littéraire. Par ailleurs, puisqu'une revue de littérature est convoquée au niveau des projets de recherche PHRIP, il va de soi qu'une maîtrise de la lecture d'articles scientifiques et de leur analyse est à considérer comme un prérequis pour l'équipe projet.
En page suivante est présenté un logigramme type d'un dispositif de tutorat de projet PHRIP tel qu'il nous semble le plus efficient.
Nous l'avons entrevu, le tutorat de projet PHRIP ne relève pas simplement d'une transmission de savoirs, loin s'en faut ! La mission du tuteur est complexe. À lui de tisser des liens entre apprentissage de la recherche et conduite de projet PHRIP. Son profil doit répondre en premier lieu à une compréhension des problématiques de terrain rencontrées par les soignants. À ce titre, un tuteur lui-même cadre de santé paraît adapté, surtout si son expérience professionnelle est variée. En second lieu, de manière indiscutable, le tuteur doit maîtriser la démarche de recherche dans tous ses aspects et avoir lui-même pratiqué la recherche. Un niveau universitaire constitue donc un prérequis. Cependant, être expert en soins ou/et en recherche ne suffit pas. En effet, le tuteur est avant tout un formateur. Il est l'animateur d'un dispositif pédagogique évolutif. C'est un passeur qui doit disposer de compétences pédagogiques et, le cas échéant, d'une réelle expérience de la formation.
Il semble exister un écart important, voire un fossé entre les attentes scientifiques des experts et rapporteurs du PHRIP et les possibilités actuelles des participants à des groupes projets de recherche PHRIP. Les jeunes générations de professionnels, initiés à la démarche de recherche, seront potentiellement en mesure de réduire cette fracture entre le niveau universitaire de la recherche et le niveau des acteurs de soins. Encore faudrait-il que la recherche soit reconnue comme partie intégrante de l'agir professionnel et que les institutions s'engagent plus avant dans un soutien matériel et humain des équipes projets en lien avec la recherche. Dans cette dynamique, le tutorat de projets PHRIP trouve toute sa légitimité. Le tuteur, par son registre compétentiel élargi, est la personne ressource pour catalyser la conduite des projets PHRIP. Mais actuellement sa posture est prioritairement celle d'un formateur à et par la recherche. Pour reprendre la célèbre formule de Bonniol : « La passe ou l'impasse : le formateur est un passeur » (8). Dans cette optique, le cadre de santé, par sa connaissance de la subjectivité humaine et sa capacité à prendre soin, renforcées de compétences en recherche et pédagogie, est potentiellement en mesure de cadrer avec le profil idéal du tuteur de projet PHRIP : « Il y a sans doute là une autre perspective qui peut nous conduire vers des objectifs plus ambitieux que ceux sur lesquels les formateurs travaillent habituellement : objectifs de modification, bien sûr, des pratiques, des représentations, des attitudes devant les problèmes ; mais peut-être, autant centrés sur les processus vivants qui sont à l'œuvre dans une entreprise d'apprentissage, que sur les procédures conviées qui font l'objet de ces apprentissages. » (9)
1 Haute Autorité de santé, Développement professionnel continu. Méthodes et modalités de DPC, 2015 (consulter sur : bit.ly/2Dw32Wh).
2 Fabien Fenouillet, Moïse Déro, « Le ``e-learning'' est-il efficace ? Une analyse de la littérature anglo-saxonne, Savoirs, 2006, vol. 3 (12), p. 97.
3 Benjamin S. Bloom, Max D. Engelhart, Edward J. Furst, Walker H. Hill, David R. Krathwohl, Taxonomy of educational objectives : the classification of educational goals, New York, Mc Kay, 1956.
4 Robert F. Mager, Comment définir les objectifs pédagogiques, Paris, Gauthier-Villars, 1971.
5 https ://www.etudes-litteraires.com/rhetorique.php
6 Laurent Soyer, Nicole Tanda, « Skype, un média innovant pour optimiser la coopération à distance entre chercheur et participants à la recherche », Innovations pédagogiques, nous partageons et vous ? Oser l'innovation pédagogique, Analyse, 2016a, vol. 3 (1), p. 27.
7 Laurent Soyer, Nicole Tanda, « La revue de littérature en recherche infirmière », Objectif Soins & Management, 2016b, no 243, p. 47-53.
8 Jean-Jacques Bonniol, La passe ou l'impasse : le formateur est un passeur, Université de Provence Aix-Marseille I, En Question, Les Cahiers d'Aix, 1996, p. 9.
9 Ibid., p. 11.