Innovations Début novembre, l’Agence régionale de la santé PACA proposait aux acteurs de la santé la deuxième édition de ses « Agoras ». La technique et la pertinence étaient au cœur des discussions.
Un comité d’accueil a pris de court les cadres invités au palais du Pharo, surplombant Marseille et la Méditerranée. Devant les grilles, des salariés de différents centres hospitaliers étaient venus crier leur ras-le-bol d’un système à bout de souffle et particulièrement partout dans la région.
À l’intérieur, les conférences et temps forts consacrés à la technologie dans le soin ont fait salle comble ainsi que les ateliers relatifs à la pertinence.
Cette dernière thématique a permis aux cadres, médecins et infirmiers présents d’échanger sur leurs pratiques respectives, œuvrant tous pour un bon usage du système de santé et la chasse aux actes inutiles. Le système anglo-saxon est souvent évoqué pour sa promotion plus appuyée d’un parcours de soins pertinent, le NHS (National Health Service) britannique parlant plutôt de « sustainability », que la HAS française traduit par la « soutenabilité de notre système de santé ».
Dans ce sens, l’ARS PACA présentait son plan pluriannuel régional de la pertinence dans les soins réalisé par son Instance régionale d’amélioration de la pertinence des soins (IRAPS), représentant des professionnels, des usagers et des techniciens de l’ARS et de l’Assurance maladie. Dans la région, la recherche de la pertinence s’applique particulièrement à la prise en charge médicale de l’obésité, suite au constat d’un recours trop abondant à la chirurgie bariatrique. Pour favoriser la pertinence, l’ARS annonce qu’elle demandera aux établissements de mesurer ses manifestations. Norbert Noblet, directeur adjoint de l’ARS, insiste sur « un modèle économique à trouver »… tandis que des soignants s’inquiètent davantage du manque de prévention en la matière que de la rentabilité des actes.
Pour favoriser la pertinence, « Choosing wisely »/« Choisir avec soins »
Des représentants mutualistes ou des spécialistes des traitements des données étaient présents aux Agoras pour une vulgarisation du Deep Learning, à savoir l’étude des données recueillies à des fins de prédiction, et du Machine Learning, quand l’intelligence artificielle fait évoluer ses mécanismes de fonctionnement pour apporter une réponse à un besoin. « L’analyse des données hétérogènes recueillies dans des dossiers médicaux anonymisés permet de mettre en place des systèmes de recommandations thérapeutiques ou médicamenteuses », explique Olivier Guillaume, de l’entreprise O+ Quant, collaborant déjà avec l’hôpital Paoli Calmette. Un grand potentiel à peine exploité aujourd’hui pour « optimiser les chaînes d’actions ». « Nous aimerions même pouvoir prédire les entrées aux urgences pour optimiser les ressources humaines », ajoute le spécialiste. Des algorithmes peuvent aujourd’hui déjà prédire les pics de maladie ou les épilepsies.
Au-delà de la performance, la question éthique de l’analyse des données est également posée par le philosophe de l’éthique Pierre Le Coz lors d’un échange autour de l’hypertechnicité et l’éthique dans la santé. « Aujourd’hui, des secteurs préservés jusque-là par le consumérisme y sont entrés. Je pense à l’art, le sport ou la santé », remarque-t-il, mettant en garde contre l’« infobésité » des usagers mais également des professionnels.
Du côté des usagers, le quantified self, littéralement l’action de s’analyser soi-même, fait fureur parmi les sportifs de haut niveau mais également auprès des personnes diabétiques. Une tendance que les soignants ne peuvent éluder plus longtemps. Objets connectés, applications smartphone d’analyse en temps réel de son rythme cardiaque… autant d’outils présents lors de ces Agoras, signe de l’altération du rôle du soignant devant des patients experts de leur état de santé. Philippe Denormandie, ex président-directeur général adjoint du groupe Korian, ambassadeur et porte parole de MNH Group, voit cette hypertechnicité chez les patients comme « la volonté de participer à la construction de son propre parcours de soins ». Cette remise en cause de la relation soignant-soigné doit être imminente. « Les soignants doivent davantage se saisir de la e-santé. Il faut retrouver notre place dans cette réorganisation des relations. On n’est plus seuls. », ajoute-t-il.
La macroéthique liée à ces nouveaux outils préoccupe et renvoie à une vision de la société elle aussi en pleine mutation. Reste à y mettre du sens.