Objectif Soins n° 261 du 01/02/2018

 

Promotion de la santé

Dossier

Benoît Breche   Jean-Baptiste Chable  

Depuis l'appel à projet en 2013 des agences régionales de santé (ARS), la mise à disposition de moyens financiers favorise le développement de la simulation dans les formations en santé. Cette volonté politique de développement de la simulation a permis l'émergence de typologies variées de dispositifs de formation.

La définition francophone la plus communément admise depuis le rapport de la Haute Autorité de santé (HAS) de 2012 (1) reprend celle adoptée par la Chambre des représentants des États-Unis (11e congrès, février 2009) : « Le terme simulation en santé correspond à l'utilisation d'un matériel (comme un mannequin ou un simulateur procédural), de la réalité virtuelle ou d'un patient standardisé pour reproduire des situations ou des environnements de soins, dans le but d'enseigner des procédures diagnostiques et thérapeutiques et de répéter des processus, des concepts médicaux ou des prises de décision par un professionnel de santé ou une équipe de professionnels. » (2) Le même rapport HAS décrit une typologie des différentes techniques de simulation.

Forts de cette attractivité pour la simulation, de nombreux fabricants de matériel proposent de nouveaux types de dispositifs. Nous nous intéresserons plus particulièrement aux simulateurs de vieillissement (Koken™, RealCare™, Gert™...) et aux simulateurs bariatriques (Erler Zimmer™, BariSuit®...).

Le simulateur de vieillissement permet la reproduction des effets physiques du vieillissement sur le corps. Il permet aux utilisateurs d'éprouver personnellement les changements physiques relatifs à l'âge. Ce « costume sensitif », réalisé à l'aide de nombreuses prothèses (lunettes, bouchons d'oreilles, plastron lesté, coudières, genouillères, etc.), aide l'apprenant à développer l'empathie et la compréhension des difficultés liées à l'âge. Il simule les handicaps les plus fréquents chez la personne âgée, impactant la vie quotidienne (repas, toilette, courses, déambulation, lecture...). Il permet également de développer la sécurité et l'adaptabilité du soignant face à ces situations.

De même, le simulateur bariatrique, par l'intermédiaire d'un kit de prothèses spécifiques, permet de reproduire les sensations et les effets liés à l'obésité (3).

À ce jour, et à notre connaissance, il n'existe aucune définition référencée en lien avec ces types de simulateurs, même si l'on retrouve leur évocation dans le rapport de mission de janvier 2012 (4) sous l'intitulé : « Autres types de simulation : simulation grand âge et handicap ». Pour autant, le Guide de bonnes pratiques de décembre 2012 ne l'inclut pas dans les typologies qu'il définit. L'utilisation de ce matériel permet pourtant bien de reproduire des situations de soins dans le but d'enseigner des concepts médicaux (empathie, handicap, incapacité...) ou des environnements de soins – ce qui correspond bien à la définition de la simulation retenue par l'HAS.

Ce matériel permet de réaliser une séquence de simulation mais sans qu'il soit possible de se rattacher à la méthodologie proposée pour une simulation pleine échelle. Il convient donc de s'interroger sur la méthode liée à son utilisation en simulation. C'est pourquoi nous allons dans la suite de cet article vous présenter la description de la pratique que nous avons choisi d'en faire.

Objectifs pédagogiques

Comme pour toute construction de séquence de simulation, l'identification des objectifs pédagogiques est indispensable. Issus de notre propre expérience (5), ces objectifs peuvent être double, d'une part pour l'apprenant qui revêt le costume (apprenant en immersion) et d'autre part pour le soignant amené à le prendre en soin (apprenant accompagnant).

Objectifs principaux pour l'apprenant en immersion

• Prendre conscience et comprendre les difficultés physiques et sensorielles de la personne âgée, handicapée et/ou obèse.

• Développer l'empathie.

• Prévenir toutes les formes de discrimination, de préjugés contre une personne en raison de son âge, de son handicap ou de sa pathologie.

• Identifier ses représentations sur la personne en situation de vulnérabilité.

Objectifs principaux pour l'apprenant accompagnant

• Reconnaître les activités quotidiennes où l'on doit suppléer à une perte d'autonomie partielle, durable ou non.

• Identifier les limites et les adaptations environnementales nécessaires.

• Adapter son comportement à la spécificité des personnes soignées.

• Identifier les risques spécifiques à la population simulée (risque de déshydratation, risque de chute...).

Une fois les objectifs pédagogiques identifiés, il convient de décrire la séquence pédagogique. Nous nous proposons de décrire cette séquence telle que nous la réalisons, en faisant un parallèle avec les étapes d'une séquence de simulation pleine échelle, telles que les définit Peter Dieckmann (6).

Mise en œuvre d'une séquence

Pré-briefing (setting intro + simulator briefing)

• Présentation des objectifs de séquence.

• Rappel des principes de confidentialité et des règles de sécurité.

• Installation des binômes auprès des lits sur lesquels les kits ont été mis à disposition.

• Présentation du matériel et de l'environnement.

• Présentation de chaque élément composant le kit.

Ce temps permet une réactivation des apports théoriques antérieurs.

Il est à noter qu'il n'existe pas de briefing de séquence (case briefing) ni de scénario car la mise en œuvre n'est pas contextualisée dans un scénario type. Il s'agit de mettre en évidence les actions de la vie quotidienne de manière à favoriser la prise de conscience des difficultés rencontrées.

Mise en œuvre

• Les apprenants travaillent en binôme.

• L'un des étudiants du binôme enfile le kit de simulation et l'autre l'aide.

• L'apprenant en immersion réalise un parcours prédéfini tandis que l'autre membre du binôme l'accompagne.

• Ils inversent ensuite les rôles.

Débriefing

• Phase d'évocation des ressentis et des émotions pour les apprenants en immersion.

• Phase d'évocation des ressentis et des émotions pour les apprenants accompagnants.

• Identification des difficultés liées à chaque rôle.

• Phase d'analyse permettant la mise en évidence des attitudes professionnelles attendues.

• À partir des échanges dans le groupe : validation des pratiques et attitudes professionnelles adaptées et identification et analyse de l'impact des pratiques inadaptées.

Il est à noter qu'en dehors du scénario, on se rapproche, dans cette pratique, de la définition d'un débriefing selon Peter Dieckmann : « Une pratique sociale pendant laquelle les participants interagissent délibérément avec les autres et l'environnement lors d'une réflexion sur l'expérience commune qu'ils ont vécue pendant le scénario. »

Phase d'application et de synthèse

Les apprenants identifient individuellement les points à retenir et les modifications à apporter à leur pratique professionnelle.

Comme pour la simulation pleine échelle, la question de l'apprentissage expérientiel (7) se pose. Selon Kolb, dans ce type de dispositif, un seul passage ne permet pas une nouvelle expérimentation active faisant suite à la phase d'abstraction et de conceptualisation lors du débriefing. Une modification adaptée des pratiques ne sera alors observable qu'à la condition d'un deuxième passage.

Une modification adaptée des pratiques ne sera alors observable qu'à la condition d'un deuxième passage.

Conclusion

Même si ce type de simulateur est éloigné de la pratique de la simulation pleine échelle, il est possible d'en adapter la méthode tout en satisfaisant aux obligations de sécurité afin de s'approcher au mieux du Guide de bonnes pratiques.

La méthode HAS, fondée sur l'apprentissage par l'expérience et la réflexivité apportée par le débriefing en groupe (socio-constructivisme) (8), permet l'identification des savoirs et des attitudes adaptés. La simulation est une méthode pédagogique active et innovante.

Cependant, la modification de cette méthode est parfois nécessaire à l'atteinte des objectifs préalablement établis. De ce fait, face à une méthode modifiée, il est légitime de se demander si celle-ci peut toujours être appelée « simulation » ?

Au vu de notre expérience, les simulateurs de vieillissement et les simulateurs bariatriques sont à considérer comme des outils permettant le développement de savoirs expérientiels. Ces savoirs fondateurs, mobilisables en situations professionnelles, participent pleinement au développement des compétences. Nous les considérerons donc comme des outils pédagogiques efficaces, au même titre que les autres types de simulation.

1 Jean-Claude Granry, Marie-Christine Moll, Guide de bonnes pratiques en matière de simulation en santé, « Évaluation et amélioration des pratiques », HAS, Rapport de décembre 2012, 84 p (consulter sur: bit.ly/2DcGNXA).

2 Ibid., p. 11.

3 CHU-Hôpitaux de Rouen, « Formation: Patients obèses », document multimédia, SIH Solutions, avril 2015 (consulter sur: bit.ly/2mzcRuy).

4 Jean-Claude Granry, Marie-Christine Moll, État de l'art (national et international) en matière de pratiques de simulation dans le domaine de la santé, HAS, Rapport de janvier 2012, 110 p (consulter sur: bit.ly/2r435Ge).

5 Clotilde Bardiau, « Simulation de vieillissement en formation continue », Saumur-en-Auxois, Journées de l'ABASS, 14 novembre 2015.

6 Peter Dieckmann, Using simulations for education, training and research, Lengerich, Pabst Science Publishers, 2009, 216 p.

7 David A. Kolb, Experiential learning: experience as the source of learning and development, 2e ed., Indianapolis, Pearson FT Press, 2014, 416 p. (consulter sur: bit.ly/2fV9Y1L).

8 Lev Vygotsky, Pensée et Langage, Paris, Messidor/Éditions sociales, 1985, 419 p.