Objectif Soins n° 261 du 01/02/2018

 

Sur le terrain

Dossier

Cécile Bérard*   Sandrine Brisa**  

À l'institut de formation d'aides-soignants du centre hospitalier Annecy Genevois, dans le cadre du module 3 « les soins » (1), nous avons utilisé la simulation en santé en faisant appel à un patient instructeur pour sensibiliser les élèves aides-soignants à un handicap invisible : la surdité. Notre collaboration avec l'Unité d'accueil et de soins pour les personnes sourdes nous a permis de bénéficier de leurs connaissances et de leurs compétences, de la construction du scénario jusqu'au débriefing. Comme nous allons vous le présenter dans cet article, choisir un patient instructeur a été une réelle plus-value pour les élèves dans leur processus d'apprentissage.

Contexte

À l'institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) et d'aides-soignants (Ifas) du centre hospitalier Annecy Genevois (CHAnGe), la simulation fait partie intégrante du projet pédagogique. Destinée en premier lieu aux étudiants en soins infirmiers, elle a ensuite profité aux élèves aides-soignants (AS) (2). Dans le cadre du module 3 « les soins », nous avons fait le choix d'utiliser cette méthode pédagogique pour un travail dirigé ayant pour thématique « handicap et rôle de l'aide-soignant ». Nous souhaitions, grâce à la simulation, sensibiliser les élèves au handicap invisible. Quoi de plus adapté qu'un patient instructeur pour atteindre notre objectif ? D'où l'idée d'une collaboration avec des professionnels de terrain...

Naissance d'une collaboration

Pour permettre l'accès aux soins des personnes en situation de handicap (3), le centre hospitalier Annecy Genevois a ouvert en juillet 2015 une Unité d'accueil et de soins pour les personnes sourdes (UASS 74).

Nous étions tout juste formées à la simulation en santé, et le choix de travailler avec l'équipe de l'UASS 74 nous a paru évident. En effet, les connaissances de ces professionnels de terrain étaient nécessaires afin de créer une séquence de simulation fidèle à la réalité.

Les membres de l'équipe de l'UASS 74 ont répondu avec enthousiasme à notre demande et Louise Bony, intermédiatrice sourde, a immédiatement accepté de jouer le rôle d'une patiente sourde. Louise Bony peut être considérée ici comme « patient instructeur ». « Le patient instructeur est un vrai patient, qui souffre d'une pathologie [ici un handicap] et qui met son expertise et son expérience de vie personnelle au service d'apprenants, pour les guider et leur donner un feed-back de leur performance. » (4)

Sensibiliser les futurs professionnels à la prise en soins d'un patient sourd était l'objectif commun de cette collaboration.

Co-construction du scénario

Nous avons élaboré un scénario avec un double objectif : repérer le handicap invisible et utiliser des ressources adaptées. Ce scénario a été transmis à l'équipe de l'UASS 74 pour validation. Leurs propositions d'amélioration, en lien avec leur expérience professionnelle, nous ont permis de faire des réajustements pour que la situation soit à un haut niveau de réalisme. Par exemple, la position du patient instructeur sourd a été revue : positionné debout dos à la porte, il ne pouvait voir l'élève arriver et était surpris en le voyant entrer dans son champ de vision.

Conformément aux recommandations de bonnes pratiques, ce scénario a ensuite été testé (5). Louise Bony a joué le rôle de la patiente sourde, une formatrice a joué le rôle de l'apprenant. Avec les autres membres de l'UASS 74, nous avons observé le déroulement de la séquence et effectué les dernières modifications. Il ne restait plus qu'à le proposer à nos élèves !

Aboutissement de cette collaboration

Répartis en 4 groupes, les 77 élèves de la promotion AS ont participé à ce travail dirigé (TD) : 4 séquences de simulation, chacune animée par 2 formateurs, ont été programmées sur des temps différents ; ainsi, chaque groupe a pu bénéficier de la prestation de Louise Bony. De plus, une partie des membres de l'UASS 74 a assisté au TD. Médecin, secrétaires, traductrices ont pu prendre part activement au débriefing.

Le scénario – explication de la douche préopératoire à une patiente sourde – mettait en scène deux acteurs : un élève AS (jouant son propre rôle) et Louise Bony (jouant la patiente sourde). La reconstitution d'une chambre type de chirurgie dans la salle de simulation a permis d'asseoir le réalisme du scénario.

Les élèves AS observateurs ainsi que les membres de l'UASS 74, installés dans une salle adjacente, ont pu visionner le déroulement de la séance grâce à une retransmission vidéo.

Mené par le cadre formateur, le débriefing, « aspect le plus important de la séance de simulation » (6), a permis à l'élève acteur et aux élèves observateurs d'être sensibilisés à la prise en soins de personnes handicapées en réfléchissant à leurs propres pratiques. La collaboration avec l'UASS 74 a optimisé ce débriefing. « [L'adaptation] du contenu et du style du débriefing » (7), en incluant une pluralité d'intervenants, a été un levier pour développer la réflexivité des élèves AS. En effet, ils ont pu bénéficier du retour de Louise, qui a exprimé son vécu de la situation, grâce à l'aide d'une traductrice. De plus, ils ont pu échanger avec les autres membres de l'UASS 74, poser des questions et développer des connaissances spécifiques en lien avec la surdité.

Intérêts et limites

Incontestablement, la collaboration avec les professionnels de l'UASS 74 a été un atout majeur, de la conception de la séquence jusqu'au débriefing. La culture sourde ainsi que la prise en soins spécifique de ce public relèvent de savoirs que nous ne possédions pas. Le choix de faire appel à un patient instructeur a permis de respecter un haut niveau de fidélité tant dans le signage que dans la reproduction des attitudes d'un patient sourd. Ainsi, Louise Bony précise : « Ces simulations et échanges auront permis à tout le monde d'en découvrir plus sur le sujet. Moi-même, je n'imaginais pas que mon handicap pouvait susciter un gros stress chez le personnel soignant et cela m'a fait prendre conscience que la barrière de la langue est aussi bien de mon côté que du leur. »

L'intervention de Louise Bony a été une étape importante dans le processus d'apprentissage des élèves aides-soignants. Celle-ci confirme : « Cela a été un vrai bonus pour ces élèves et pour leur futur en tant qu'AS. Ils seront habilités à s'adapter plus rapidement et en étant beaucoup plus à l'aise ! (...) Je pense que cela leur permet une certaine confiance en eux-mêmes et ainsi une meilleure gestion de la situation, tout au bénéfice du patient sourd ! »

Au-delà de la situation jouée, les connaissances acquises sont transférables à d'autres situations de soins où des difficultés de communication sont rencontrées (patient aphasique, patient étranger...).

Nous avons cependant identifié des limites dans ce projet. Des ressources matérielles sont indispensables : disposer d'une salle de simulation est essentiel. Un nombre important d'intervenants a également été mobilisé : deux cadres de santé chargés de formation, un patient instructeur (Louise Bony) ainsi qu'une traductrice en langue des signes (cette dernière est là uniquement pour traduire fidèlement les propos de Louise Bony).

Par ailleurs, la présence des autres membres de l'UASS a permis d'enrichir les échanges grâce à leurs connaissances du public sourd, et nous sommes conscients de la chance de disposer d'une telle unité au sein de notre établissement de référence.

Enfin, la disponibilité des intervenants est primordiale et nécessite une organisation et une coordination à chaque étape.

Conclusion

Lors du bilan de fin d'année, 15 % des élèves aides-soignants déclarent avoir pu réutiliser les connaissances acquises en simulation. La collaboration avec l'équipe de l'UASS 74 pour aborder le thème du handicap invisible a été bénéfique et a permis une modification des pratiques chez les élèves aides-soignants.

Les objectifs de cette séquence de simulation ont été atteints : les élèves ont rapidement identifié le handicap et ont pu adapter leur intervention soignante. Le choix d'un patient instructeur a permis une immersion complète des apprenants. Cette fidélité psychologique a été systématiquement citée et appréciée par les élèves lors du débriefing.

La valorisation positive de cette expérience permet d'envisager la pérennisation de ce projet et le transfert de ce dispositif vers d'autres domaines de formation : formation initiale en soins infirmiers, formation continue.

L'Unité d'accueil et de soins pour les personnes sourdes 74

Créée en juillet 2015, il s'agit de la 19e unité de ce type en France. C'est le centre de référence en Haute-Savoie.

L'équipe signante est composée de :

• deux interprètes, qui traduisent tout et restent neutres ;

• deux intermédiatrices sourdes, qui assurent le lien entre le patient, le professionnel de santé et l'interprète. Elles accompagnent, reformulent et réexpliquent en langue des signes française (LSF) ;

• une psychologue sourde signante, un médecin généraliste bilingue ;

• une secrétaire bilingue et un médecin coordinateur de l'équipe bilingue.

Ses missions sont les suivantes :

• donner une place de citoyen au patient sourd en le rendant acteur de sa prise en charge ;

• accueillir le patient sourd dans sa langue (LSF) pour toute communication : tout type de soin, démarches administratives et logistiques ;

• établir une relation de confiance dans la communication : lever les obstacles linguistiques et culturels qui altèrent la qualité des soins par la présence d'un interprète et d'un intermédiateur ;

• favoriser l'autonomie du patient : ne plus solliciter ses proches mais faire appel à des professionnels ;

• sensibiliser les professionnels de santé et du social, les étudiants... à la culture sourde ;

• assurer la coordination des rendez-vous entre le professionnel de santé, l'interprète et l'intermédiateur.

Retour des cadres formateurs de l'Ifas

« Les élèves avaient beaucoup de questions concernant la bonne attitude, quels outils utiliser pour que la communication soit efficiente. Les interventions de Louise ainsi que celles de l'interprète étaient tout à fait appropriées, elles ont apporté des éléments très concrets aux élèves et une meilleure compréhension du handicap. Les échanges étaient riches et très appréciés. »

Marie-Christine Covas, cadre de santé

 

« La présence de l'équipe de l'UASS 74, et plus particulièrement celle de Louise, a permis un partage d'expériences sur le vécu d'hospitalisation des personnes sourdes ainsi que sur quelques ``trucs et astuces'' au regard de ce handicap. Le débriefing (...) a été complété par des échanges avec l'équipe, ce qui était selon moi une plus-value pour les élèves. »

Agnès Bocquet, cadre de santé

Vécu de Louise Bony en tant que patient instructeur

« Ces séquences étaient vraiment intéressantes et riches. J'ai observé que la détection du handicap de la surdité était propre à chaque élève acteur, ainsi que l'adaptation à ce handicap. D'autres semblaient plus à l'aise, d'autres moins. Certains étaient très à l'aise avec les mimes et les dessins (se doucher, attendre, quels produits utiliser et l'ordre...) alors que d'autres n'y ont même pas pensé sous le coup de la panique ! La communication était très spécifique à chaque élève et son habilité à s'adapter. J'ai trouvé cela très intéressant. La surdité est un handicap invisible, et donc qu'on ne voit pas au premier abord. Un petit détail pouvait mettre la puce à l'oreille des élèves AS sur le handicap avant même de m'avoir rencontrée : toquer à la porte et n'avoir aucune réponse du patient et ensuite entrer dans la chambre alors que le patient ne se retourne toujours pas.

Se sont ensuivis des échanges avec les élèves, l'élève acteur, pour discuter du ressenti de chacun, de leurs avis sur l'adaptation. Nous avons aussi parlé du handicap de la surdité, qu'est-ce que la culture sourde, quelles seraient les adaptations les plus souhaitables face à un patient sourd, les moyens de communication, et pris conscience de l'importance de quelques détails.

Pour ma part, en tant que patiente sourde lors de ces séquences, il était parfois très difficile d'obtenir une communication avec les soignants et cela contribue à augmenter le stress du patient sourd car il ne comprend pas.

Ne pas comprendre quelque chose te concernant (ici dans le cadre d'une opération du genou) peut être très violent à vivre. Certains élèves ont su garder leur calme et leur sourire tout au long dans le but de rassurer le patient tandis que d'autres, sous le coup du stress, ont eu un visage plus froid et cela ne rassure pas le patient sourd. Le patient sourd est un patient très visuel, qui va guetter les moindres détails et réactions de la personne qu'il a en face de lui. L'absence de l'audition se retrouve compensée par une vision beaucoup plus attentive. »

NOTES

1 Référentiel de formation du diplôme d'État d'aide-soignant. Annexe I de l'arrêté du 22 octobre 2005 modifié relatif à la formation conduisant au diplôme d'État d'aide-soignant.

2 Agnès Bocquet, « La simulation en formation aide-soignante », Objectif Soins & Management – Hors-série : « La simulation en santé », septembre 2016, p. 17.

3 Loi no 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

4 Florence Demaurex, Nu Viet Vu, « Patients simulés/standardisés – Patient simulé : évolution du concept », In : Sylvain Boet, Jean-Claude Granry, Georges Savoldelli, eds, La simulation en santé : de la théorie à la pratique, Paris, Springer, 2013, p. 53.

5 Haute Autorité de santé (HAS), Guide de bonnes pratiques en matière de simulation en santé, décembre 2012 (https ://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2013-01/guide_bonnes_pratiques_simulation_sante_guide.pdf).

6 Sylvain Boet, Georges Savoldelli, « Séance de simulation : du briefing au débriefing – Le débriefing en théorie », In : Sylvain Boet, Jean-Claude Granry, Georges Savoldelli, eds, La simulation en santé : de la théorie à la pratique, Paris, Springer, 2013, p. 317.

7 Sylvain Boet, Georges Savoldelli, « Séance de simulation : du briefing au débriefing – Contenu et méthode du débriefing : Quoi ? Comment ? », In : Sylvain Boet, Jean-Claude Granry, Georges Savoldelli, eds, La simulation en santé : de la théorie à la pratique, Paris, Springer, 2013, p. 321.