Approche pluridisciplinaire autour de la prise en charge médicamenteuse du patient - Objectif Soins & Management n° 262 du 01/04/2018 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 262 du 01/04/2018

 

QUALITÉ & GESTION DES RISQUES

Dossier

Guillaume Saint-Lorant  

Pour permettre une bonne prise en charge médicamenteuse des personnes soignées, une collaboration médecin-pharmacien– cadre de santé est fondamentale. En lien avec le pharmacien, expert du médicament et de son circuit, le cadre de santé occupe une place primordiale pour encadrer et assurer le respect par les IDE des bonnes pratiques de préparation, administration et détention des médicaments en unités de soins. Le cadre permet ainsi une prise en charge médicamenteuse sécurisée des patients au sein des unités de soins.

LA PLURIDISCIPLINARITÉ AUTOUR DU MEDICAMENT INSCRITE DANS LA FORMATION

À Caen, un scénario pédagogique a été élaboré par les cadres formateurs de l’IFSI en collaboration avec l’enseignant pharmacien du CHU, dans le cadre des cours de l’UE “Pharmacologie et thérapeutiques”. Il vise à sensibiliser les étudiants, futurs professionnels de santé, au risque d’erreurs médicamenteuses.

Il est utilisé lors d’activités de médiation en présentiel proposées aux étudiants en complément des cours à distance. Ces activités sont construites à partir d’événements indésirables avérés liés aux médicaments observés au sein du CHU. L’analyse de l’événement, menée par un binôme cadre formateur-pharmacien praticien hospitalier, utilise la méthode déployée au CHU des comités de retour d’expérience (CREX). Cette stratégie permet à l’étudiant d’utiliser les outils qualité qu’il rencontrera à l’hôpital. Au cours de ces CREX, l’enseignant pharmacien met en perspective la réglementation pour une meilleure compréhension des pratiques professionnelles exigées en établissement de soins sur le processus de prise en charge médicamenteuse. Cet enseignement permet également de placer les étudiants dans une démarche de culture positive de l’erreur, afin de favoriser, lors de leur futur exercice professionnel, la déclaration des événements indésirables rencontrés lors du processus de prise en charge médicamenteuse, tout comme celle des erreurs de patients, de doses, de préparation, ou d’administration.

Par ailleurs, lors du 6e semestre des études d’infirmier, un enseignement portant sur les évaluations des pratiques professionnelles (EPP) est dispensé, en prenant à chaque étape du processus de la prise en charge médicamenteuse un exemple d’EPP réalisée au CHU (accueil du patient, prescription, dispensation, stockage et transport des produits de santé, préparation et administration des médicaments, suivi thérapeutique du patient). Ce cours permet de placer les étudiants dans une démarche de culture qualité et d’autoévaluation des pratiques professionnelles, à laquelle ils contribuent activement dès qu’ils sont étudiants puis tout au long de leur exercice infirmier et de cadre de santé.

UNE APPROCHE PLURIDISCIPLINAIRE AUTOUR DE LA PRISE EN CHARGE MÉDICAMENTEUSE DEPLOYÉE À L’HOPITAL

Actions d’amélioration de la prise en charge médicamenteuse

Au sein du CHU, lors d’analyses de fiches d’événements indésirables (FEI), des CREX sont réalisés, associant systématiquement un pharmacien, dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire permettant de travailler à la mise en œuvre d’actions d’amélioration adaptées. Parmi celles-ci, on peut citer la corédaction de documents qualité par des cadres de santé ou directeurs des soins et des pharmaciens comme les guides institutionnels portant sur la pré ? paration et l’administration des médicaments per os et celui relatif aux médicaments injectables, et la recherche de solutions informatiques intégrant les obligations réglementaires de la prise en charge médicamenteuse justifiées par les erreurs médicamenteuses constatées(1). Ainsi, la possibilité d’accéder aux plans de soins infirmiers pour les patients d’HAD à leur domicile et de tracer l’administration des médicaments a été travaillée en partenariat. Des actions d’amélioration sont également menées pour aider les équipes paramédicales lors de la prise en charge médicamenteuse des patients, en précisant par exemple dans le plan de soins informatisé la possibilité ou non d’écrasement des comprimés ou d’ouverture des gélules. Ces informations, données lors de la prescription par le médecin, sont reportées sur le plan de soins infirmier et ainsi visibles lors de la préparation et l’administration des médicaments.

Organisation de “chambres ou armoires des erreurs”

Pour sensibiliser les cadres de santé et les IDE au risque d’erreurs médicamenteuses, des “chambres des erreurs” sont proposées tous les ans dans le cadre de la semaine “Sécurité des patients”. En complément, une armoire à pharmacie des erreurs est également proposée aux équipes infirmières, comportant par exemple des erreurs de péremption, de dose, de dénomination. Les résultats des IDE à ces chambres ou armoires des erreurs sont remontés à l’encadrement pour faire le lien avec la pratique en unités de soins. Lors de ces chambres ou armoires des erreurs, 5 IDE sont placé(e)s dans une chambre ou devant une armoire à médicaments dans laquelle ont été insérées des erreurs médicamenteuses notamment issues des FEI signalées dans l’établissement. Chaque IDE encadré(e) par un binôme préparateur en pharmacie-pharmacien, cadre de santé-pharmacien ou qualiticien-cadre de santé-pharmacien doit retrouver les erreurs et les reporter sur une grille. Les résultats des grilles sont ensuite repris collectivement permettant ainsi de reprendre les erreurs et les bonnes pratiques dans une démarche de culture positive de l’erreur.

Sécurisation du stockage des médicaments

Le stockage des médicaments à la pharmacie et en unités de soins est une étape à risque. Dans ce cadre, une approche pluridisciplinaire associant médecins, cadres de santé et pharmaciens permet de travailler au meilleur choix des dispositifs de rangement et à l’adaptation des quantités de médicaments stockés en dotation dans les services de soins, en fonction des besoins mais également des risques (par exemple, le stockage des ampoules de potassium). Le stockage excessif des ampoules de potassium majore le risque de confusion de ces ampoules potentiellement à risque vital avec d’autres ampoules de présentation proche (autres électrolytes comme le sodium). Pour minimiser ce risque associé aux médicaments “look-alike”, l’objectif consiste à limiter au maximum le stockage des ampoules de potassium en unités de soins (affichette ANSM). Ainsi, le sur-stockage des médicaments constitue à la fois une immobilisation financière et un risque accru d’erreurs médicamenteuses lors de la préparation des médicaments.

Des solutions informatiques pour une meilleure gestion des médicaments

Le cadre de santé et le pharmacien travaillent à la meilleure gestion des médicaments en service de soins, concernant notamment la préparation extemporanée des médicaments, la gestion des traitements personnels des patients, l’interdiction de la retranscription des prescriptions médicales, grâce notamment à des logiciels d’aide à la prescription et interfacés, intégrant les obligations réglementaires et les contraintes organisationnelles.

DES ÉVALUATIONS PARTAGÉES DU PROCESSUS DE PRISE EN CHARGE MÉDICAMENTEUSE

Évaluation pluridisciplinaire des pratiques professionnelles

Afin de garantir la sécurité du processus de prise en charge médicamenteuse, des évaluations pluridisciplinaires des pratiques professionnelles (EPP) sont organisées associant cadres de santé et pharmaciens, en particulier concernant la sécurisation du stockage des médicaments en unités de soins. Ces EPP se fondent également sur les outils de sécurisation et d’auto-évaluation de l’administration des médicaments de la Haute Autorité de santé(2). Par ailleurs, des audits internes, dont des audits croisés entre services de soins, sont menés pour évaluer la pérennisation du respect des procédures de gestion des médicaments au sein de l’établissement. Ces audits sont mis en œuvre sur quelques points de vigilance dans tous les services du CHU, par un représentant de la qualité, un représentant de la direction et un représentant de la pharmacie.

Dénommés « audits flash », ils permettent de s’assurer d’un niveau de qualité homogène de la prise en charge médicamenteuse au sein des différents services de soins de l’établissement.

Programmes d’éducation thérapeutique du patient

Des programmes d’éducation thérapeutique du patient (ETP) sont réalisés grâce à l’expertise des pharmaciens pour répondre aux besoins des patients sur le bon usage des médicaments. Un tel programme a par exemple été conjointement élaboré en collaboration avec des médecins, pharmaciens, cadres de santé et IDE sur les biothérapies antipsoriatiques. Ainsi, un certain nombre d’éléments d’informations liés au bon usage des médicaments a pu être transmis aux IDE qui réalisent des entretiens avec les patients à la suite d’une consultation médicale.

Programmes de formation continue

Des programmes de formation continue intégrés aux obligations de développement professionnel continu (DPC) sont élaborés par la pharmacie avec la direction des soins et l’encadrement. Ils ont pour but de répondre aux besoins des soignants notamment au vu des événements indésirables constatés dans la prise en charge médicamenteuse des patients de l’établissement. Ainsi, au sein de l’établissement, un programme dénommé “Prise en charge médicamenteuse au CHU de Caen” a été construit : il permet de rappeler les bonnes pratiques associées à la gestion des médicaments au sein de l’établissement et intègre notamment les procédures de gestion des traitements personnels des patients et une sensibilisation des soignants aux erreurs médicamenteuses, rappelant l’importance du respect de la règle des 5 B (voir figure ci-contre).

CONCLUSION

Des échanges entre pharmacie, cadres de santé et équipe médicale des unités de soins permettent de renforcer la qualité de la prise en charge médicamenteuse grâce à une écoute réciproque des contraintes de chacun, dans un contexte réglementaire prégnant, justifié par les risques potentiels et avérés d’erreurs médicamenteuses.

Ces échanges portent à la fois sur la mise en place d’organisations, sur le rappel des bonnes pratiques, notamment d’administration, et sur l’évaluation du respect de ces bonnes pratiques. Ainsi, en lien avec le pharmacien garant de la réglementation et du bon usage des produits de santé, le cadre de santé veille à la mise en œuvre des bonnes pratiques de préparation, d’administration et de détention des médicaments au sein des unités de soins.

NOTES

(1) Arrêté du 6 avril 2011 relatif au management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse et aux médicaments dans les établissements de santé

(2) Outils de sécurisation et d’auto-évaluation de l’administration des médicaments, HAS, 2013.