Objectif Soins n° 262 du 01/04/2018

 

RECHERCHE ET FORMATION

Dossier

Dominique Combarnous*   Cécile Kanitzer**   Marie-Gabrielle Vaissière-Bonnet***  

La succession des réformes de santé et depuis peu l’avènement des GHT ont remis de l’incertitude dans le management. Si ces différentes organisations et contraintes ont fait et vont faire évoluer les pratiques en matière d’innovation, elles n’ont encore que très peu impacté le mode de management des cadres. Cet article retrace les contenus des débats et positionne les souhaits partagés de l’ANCIM et la FHF pour l’évolution de la formation des cadres de santé, recensés lors d’un exercice collaboratif, réalisé lors des Rencontres annuelles des cadres (RAC) 2017.

Les Rencontres annuelles des cadres sont un événement majeur de la Fédération hospitalière de France (FHF). Organisées par SPH Conseil(1), les RAC rassemblent près de 300 professionnels chaque année (1 537 participants depuis la première édition en 2013) et sont organisées en partenariat avec l’Association française des directeurs des soins (AFDS), l’Association nationale des cadres infirmiers et médico-techniques (ANCIM), la Conférence des coordonnateurs généraux des soins (CGS) de CHU et chaque année un établissement partenaire.

Les RAC 2017 se sont déroulées dans un contexte électoral. Les référentiels d’activités et de compétences pour les cadres écrits depuis 5 ans (qui bientôt devront sûrement être réécrits à l’aune des évolutions à venir) n’ont toujours pas abouti au référentiel de formation. L’ANCIM a donc souhaité connaître l’opinion des cadres de santé sur la façon dont ils voient leur rôle aujourd’hui et celui de demain afin d’anticiper une formation des futurs cadres adaptée à la demande et au contexte.

Il s’agissait de produire lors des RAC des idées pouvant servir la réflexion sur la fonction de cadre de santé et ses besoins en compétences. Nous retraçons ici la mise en forme de toutes les idées émises pendant les deux ateliers proposés.

METHODE ET CONTENU DES ATELIERS

Un rappel historique de la fonction cadre a été présenté afin de mieux comprendre les usages et les pratiques d’aujourd’hui. Il est indéniable qu’une profession qui méconnaît ses origines et l’histoire de ses pratiques aura du mal à parler d’elle-même et à se projeter dans le futur. Il paraissait donc indispensable de comprendre ensemble la place du cadre de santé dans le lent processus d’institutionnalisation des soins au cours de l’histoire.

Simultanément, les participants ont travaillé autour de la représentation du métier et de la définition de celui-ci. Beaucoup se sont interrogés sur le terme générique de “cadre de santé”, qui est encore aujourd’hui issu de filières différentes et peu propices à un mélange des genres.

Dans un premier temps, les cadres ont réfléchi en petits groupes en inscrivant sur quatre Post-it un mot qui définissait leur rôle aujourd’hui, puis dans la même configuration il leur a été demandé comment ils imaginaient « le cadre de demain ». Tous ces Post-it ont été collés sur un support et triés en séance pour ensuite en faire ensemble la synthèse.

La dernière étape a consisté à leur demander quel cursus de formation ils souhaiteraient pour leurs futurs collègues cadres et ce qui leur semblait le plus pertinent au vu du contexte actuel.

Ces ateliers ont été très interactifs et ont suscité beaucoup d’interrogations, de réflexions et de propositions.

ROLE DU CADRE DE SANTE AUJOURD’HUI

Véritable couteau suisse tant ses missions sont variées, le cadre de santé est un métier plus qu’une profession.

Cadre de santé : une perception plurielle du métier

Les participants à l’atelier se sont définis comme “coordinateur”, “pilote”, “manager”, celui qui ajuste les effectifs, gère les lits et les flux des patients, garantit la qualité des soins et résout les dysfonctionnements, “pompier” ou “homme-orchestre”. Certains se sont décrits comme “animateur”, “facilitateur”, “polyvalent multitâches”, voire “majordome” ou “punching-ball”. Plus inspirants, d’autres considèrent que leur rôle est de donner du sens, anticiper, porter les projets, être le maillon de la collaboration. Avec humour ou ironie, quelques-uns se voient comme des “diplomates sans immunité”, “catalyseurs” ou “contorsionnistes”.

Certains ont choisi les mots clés suivants : lien, complexe, garant ou proximité, inventivité et communication. Enfin, quelques-uns se décrivent comme “pédagogue“, “leader” ou “interface”.

Une identité professionnelle en construction

À l’origine, un métier désignait une activité plutôt manuelle alors que la profession était associée à des activités plutôt intellectuelles. Mais le sens des mots évolue, et la différence est aujourd’hui moins aisée.

Aujourd’hui, la profession désigne davantage la corporation des personnes qui exercent la même activité. Pour le sociologue M. Sorel, la profession est ainsi « un métier socialement organisé et reconnu »(2). Le métier se définit par une identité professionnelle.

Le métier ferait référence à l’exercice d’une activité donnée mais envisagée sous un angle concret. Il est ainsi la somme des gestes professionnels et des savoir-faire pour réaliser une tâche donnée.

Au fur et à mesure, les cadres de santé ont construit et construisent aujourd’hui encore leur identité professionnelle dans la manière qu’ils ont d’exercer leur activité professionnelle.

Or culture professionnelle commune “ne veut pas dire” identité professionnelle commune.

Un réseau de socialisation professionnelle enseigne des manières de voir, de penser et d’agir qui sont particulièrement actives dans l’exercice quotidien.

C’est le nomadisme professionnel qui peut générer des professionnels techniques et technicistes dotés de peu d’éthique ou dépourvus d’une identité professionnelle forte. Ce n’est pas le cas des cadres de santé qui sont des responsables peu mobiles et très attachés aux équipes paramédicales.

Le répertoire des métiers de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) précise la fonction de “cadre responsable d’unité de soins”(3), ou “encadrant d’unité de soins et d’activités paramédicales”(4) :

• organiser l’activité de soins et des prestations associées ;

• manager l’équipe et coordonner les moyens d’un service de soins, médico-technique ou de rééducation, en veillant à l’efficacité et la qualité des prestations ;

• développer la culture du signalement et gérer les risques ;

• développer les compétences individuelles et collectives ;

• participer à la gestion médico-économique au sein du pôle(5).

Une représentation du métier encore aujourd’hui soumise au pouvoir médical

Si les cadres de santé peuvent être issus de trois filières : infirmière, de rééducation, médico-technique, la majorité d’entre eux proviennent de la filière infirmière.

Il convient de rappeler que la représentation du métier d’infirmier a souffert de deux images :

• celle d’un métier inféodé au pouvoir médical ;

• celle de soumission et obéissance, d’où la difficulté dans ce contexte d’un encadrement autonome (modèle “paternel directif”)

Cette histoire est encore présente dans les esprits et les cadres de santé restent en partie sous l’autorité fonctionnelle médicale et dépendants des orientations cliniques ou managériales des responsables médicaux.

Le métier de cadre de santé aujourd’hui s’inscrit dans un contexte de développement des techniques médicales et des connaissances qui vient atténuer l’image de soumission des infirmières. Mais il est observé des positionnements de cadres de santé encore dans les schémas féodaux, ce qui influence les pratiques managériales de proximité.

Parallèlement, on assiste au poids croissant de l’impératif budgétaire, à la modernisation des relations sociales réglée par les réformes hospitalières, au développement d’un “marché concurrentiel” et à celui de la mission d’assurer des fonctions de coordination visant a ? garantir l’efficacité et la qualité de la prestation rendue au patient ou au résident, dans le respect de l’organisation du service et des objectifs de l’établissement. En ce sens, le cadre de santé est au carrefour d’enjeux internes et externes issus de tous les domaines qui bousculent en continu les structures de soins ou médico-sociales.

Cadre de santé : gestionnaire ou formateur ?

Les participants à l’atelier ont également ouvert le débat sur la dichotomie management/pédagogie. Tous souhaitent conserver un tronc commun de compétences et aucun n’aspire à ce que le métier continue à être scindé en deux : cadre de santé ou cadre formateur. Ainsi pour l’avenir, la quasi-totalité des participants à l’atelier sont favorables à une formation commune à la gestion et à la formation.

DEMAIN, DES CADRES MANAGERS OUVERTS, SOUPLES ET NOMADES

La plupart des participants aux ateliers pensent que les cadres de demain vont être responsables de plusieurs structures, avec une équipe plus encline à avoir une vision globale du patient au décours de son parcours de soin. Celle-ci travaillera la plupart du temps en partenariat avec d’autres équipes dans un niveau de qualité et de prestations prédéfini. De cette configuration résultera un travail avec des professionnels de métiers différents et d’autres structures pour la réalisation de la performance. Une prestation patient porteuse de valeurs qui matérialise, donne du sens et justifie les parcours à disposition de la personne soignée.

Un management fédérateur et inventif

Le cadre devra alors intégrer les contraintes des autres partenaires et gérer un certain nombre de prérogatives à distance. Il sera le facilitateur et le coordonnateur du parcours et sera responsable du management avec une nouvelle donne : la confiance. Une confiance établie au sein d’un cadre clair pour pouvoir développer la co-responsabilité, la liberté de propositions. Ainsi chacun pourra être reconnu et fier des résultats obtenus.

La crainte d’un certain nombre de cadres est de voir disparaître leur rôle au profit de celui d’infirmier “référent” de coordination de ce parcours patient. Mais l’un n’est pas antinomique de l’autre ; on a besoin d’un manager agile qui saura fédérer, rassurer, challenger, orchestrer, piloter… et inventer de nouveaux modes d’évaluation des pratiques professionnelles pour rester lui-même “zen et serein” !

Le cadre devra dépasser les modes organisationnels actuels faisant intervenir les normes et les règles au bénéfice d’une organisation plus individuelle en termes d’apprentissage et d’évolution des compétences. Il sera probablement contraint de communiquer en logique projet sans être présent en permanence. Il aura donc besoin d’anticiper et de déléguer afin de garantir la qualité et la sécurité des soins. La performance du cadre sera alors le fruit de ces résultats ainsi que le repérage de nouveaux potentiels pour l’avenir.

Nouvelle contrainte, celle du temps, dans une société où beaucoup de choses s’obtiennent instantanément : l’urgence de l’obtention du résultat ! La consommation immédiate du service attendu contraindra probablement les cadres à anticiper. Ce qui va compter dans les années à venir, c’est ce qui sera fait, peu importe où et quand cela sera !

De l’innovation au cœur du quotidien

Le management doit se réinventer et se restructurer pour être et avoir un coup d’avance dans l’innovation. Il faut créer un espace où puisse librement s’exprimer l’intuition. Qui mieux que les professionnels de terrain savent ce qui est bien pour eux et surtout pour le patient !

Pour ce faire, il ne faut pas se contenter de réaliser de l’amélioration continue mais également impulser des projets créateurs de valeurs. Le cadre de santé doit travailler davantage sur la création de nouveaux process plutôt que sur la résolution de problèmes, en mettant l’innovation au cœur du quotidien. Il est ainsi indispensable de réaliser des analyses de valeurs pour la patientèle afin de connaître les besoins de demain.

Mais pour tout cela, il faut que les cadres de santé soient associés à la stratégie de l’établissement pour comprendre et donner du sens. Le management doit aller vers plus d’ouverture, de maillage, d’alliances et d’innovations…

LA FORMATION DES CADRES DE SANTE

La réingénierie de la formation des cadres de santé est attendue

Une des finalités des accords de Bologne signés en 1999 sur l’enseignement supérieur et la formation continue, dite réforme LMD (Licence, Master, Doctorat), est d’organiser l’harmonisation européenne des diplômes et de favoriser le rapprochement entre l’université, les grandes écoles et le monde professionnel.

La réforme LMD permet d’harmoniser les maquettes pédagogiques selon un modèle unique et un découpage en modules avec l’acquisition de crédits (ECTS2).

Les référentiels d’activités et de compétences ont été finalisés en 2012. Les référentiels de formation et de certification restent à écrire. Depuis 5 ans, la profession espère la finalisation de cette réingénierie qui devrait permettre de tourner la page du décret de 1995(6).

Obtention du diplôme par la VAE

Le diplôme de cadre de santé pourrait aussi s’obtenir en partie par VAE (validation des acquis de l’expérience). La VAE est un droit individuel confirmé par la loi du 17 janvier 2002 dite de modernisation sociale (chapitre II, section 521). Elle ouvre la possibilité d’obtenir tout ou partie d’un diplôme sur la base des acquis d’expérience professionnelle. Plusieurs diplômes concernant les secteurs sanitaires et sociaux devront être à terme accessibles à la VAE.

Pour celui de cadre de santé, cela s’inscrirait dans une certaine logique, la majorité des cadres ayant exercé la fonction avant la formation. C’est le déploiement observé des “faisant-fonction” de cadre de santé, véritables processus de professionnalisation garantissant l’investissement dans un second temps, de l’établissement au financement d’études promotionnelles.

ET DEMAIN ?

Cadre de santé : gestionnaire et formateur

La FHF et l’ANCIM partagent des perspectives stratégiques élaborées notamment à partir du contenu des ateliers. Quatre scénarios ont ainsi été proposés aux participants des RAC 2017 :

1. le décret de 1995 reste en vigueur, mais la formation est adaptée au référentiel du métier tel que défini en 2012. Le diplôme reste commun pour les cadres de santé de gestion et ceux de formation. Les conventionnements universitaires restent soumis aux orientations choisies par les instituts de formation. Il est maintenu un diplôme professionnel valant 60 à 120 ECTS, mais il faut préciser la reconnaissance d’un grade universitaire ;

2. le décret de 1995 est supprimé et il est créé un master commun pour les cadres de gestion et de formation ;

3. le décret de 1995 est supprimé et il est créé une formation avec un tronc commun puis une spécialisation (manager ou formateur), conduisant à un master dont le domaine serait orienté vers le métier exercé ;

4. le décret de 1995 est supprimé et il est créé une formation avec une distinction forte d’emblée entre le métier de manager et celui de formateur, conduisant à un diplôme de cadre de santé dont le domaine serait orienté vers la spécialité d’exercice. Dans ce scénario, on s’oriente vers deux métiers de cadre de santé spécialisé : manager ou formateur.

C’est le scénario 2 qui a été plébiscité par les participants (il recueille 56 voix en sa faveur). Le scénario 4 a quant à lui été rejeté par la majorité (61 voix).

Clairement, les cadres de santé ne veulent pas que leur métier se scinde en deux spécialités distinctes, la gestion et la formation. Le scénario choisi supprime de facto le diplôme professionnel délivré aujourd’hui à l’issue d’une formation en institut de formation des cadres de santé (IFCS). La formation deviendrait universitaire, pour un diplôme unique conduisant à deux exercices possibles : la gestion ou la formation.

De nouvelles compétences pour de nouvelles missions

Parmi les améliorations proposées pour enrichir les scénarios, les participants ont suggéré de :

• prévoir une formation obligatoire en pédagogie renforcée ou compagnonnage d’un an en tant que cadre formateur et un exercice obligatoire en unités de soins cliniques pour un cadre formateur ;

• rendre possible un accompagnement spécifique, par tutorat ou compagnonnage, entre deux postes ou à chaque changement de la gestion à la formation et inversement ;

• en sus du diplôme commun, envisager la possibilité d’un doctorat en management ou en pédagogie.

Demain, les cadres de santé seront co-auteurs des transformations de l’hôpital ou des établissements médicosociaux :

• le “manager de demain” devra être un pilote ouvert et souple, aux fortes compétences relationnelles ;

• il devra fédérer son équipe autour d’une vision partagée et s’appuyer sur une base personnelle de courage et d’équilibre ;

• les cadres de santé devront devenir experts du management au-delà de l’expertise soignante.

Il restera à préciser la dénomination de ce manager de proximité, pour lequel le terme de “cadre de santé” n’est peut-être déjà plus adapté.

Enfin, il sera nécessaire d’interroger la formation des cadres supérieurs. Inexistante aujourd’hui, elle devient une nécessité pour accompagner les compétences aux managements intermédiaires.

La clé de la réussite sera le temps. Le temps de s’arrêter sur le sujet de l’encadrement soignant pour nos politiques. Le temps pour les métiers des filières soignantes de mettre un terme à leur cloisonnement entre la formation et la gestion. Car c’est l’unité et l’intérêt collectif partagés qui conduiront la réforme nécessaire aux compétences managériales de proximité.

NOTES

(1) http ://sphconseil.eu

(2) http ://www.quelle–difference.fr/difference-metier–profession.html

(3) Édition du 7 mars 2012, mise à jour le 25 mars 2016.

(4) Répertoire des métiers de la fonction publique hospitalière, code métier 05U20.

(5) Concrètement, la gestion du pôle relève plus couramment du grade de cadre supérieur de santé.

(6) Décret n° 95-926 du 18 août 1995 portant création d’un diplôme de cadre de santé.