Depuis de nombreuses années, l’une des principales critiques adressées à notre système de santé est la non-coordination des acteurs de soins, ce qui est fortement préjudiciable pour une prise en charge globale des patients. Le nouveau plan de réforme du système de santé propose une réorganisation territoriale des soins en vue d’un décloisonnement des secteurs sanitaire et médico-social : attendu depuis longtemps, sera-t-il enfin au rendez-vous ?
Le Premier ministre et la ministre des Solidarités et de la Santé ont présenté le 13 février dernier un plan pour transformer le système de santé, en s’appuyant sur le constat de quatre faiblesses :
• un investissement dans la prévention beaucoup trop faible ;
• un cloisonnement entre la ville, l’hôpital et le médico-social qui rend les parcours complexes ;
• une dispersion des ressources, des compétences et des investissements ;
• un déséquilibre entre un hospitalo-centrisme et des soins de ville non structurés.
Face à ces constats cinq chantiers ont été annoncés et lancés :
• inscrire la qualité et la pertinence des soins au cœur des organisations et des pratiques ;
• repenser les modes de rémunération, de financement et de régulation ;
• accélérer le virage numérique ;
• adapter les formations et les ressources humaines aux enjeux du système de santé ;
• repenser l’organisation territoriale des soins : structurer l’offre de soins de ville, tisser des liens entre les soins de ville et l’hôpital, lancer des expérimentations territoriales, travailler sur la gradation des soins, inciter à la médecine ambulatoire.
Ce dernier chantier vise à contribuer au décloisonnement entre les acteurs de santé. Ce qui n’est pourtant pas nouveau, maintes fois proclamé mais finalement jamais concrétisé. L’un des objectifs majeurs des agences régionales de santé (ARS), créées en 2010, était d’arriver justement à enfin décloisonner les secteurs sanitaire et médico-social.
Du point de vue des offreurs de soins, le secteur sanitaire regroupe à la fois les professionnels de santé libéraux et les établissements de santé.
Parmi les professionnels de santé libéraux, on peut identifier : les médecins généralistes et spécialistes, les pharmaciens, les chirurgiens-dentistes, les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes, les ergothérapeutes, les psychologues, les podologues… Ces professionnels sont pour la plupart regroupés en ordres et ont des représentations sous formes syndicales et sous formes d’unions. Leurs rémunérations relèvent du champ conventionnel négocié avec l’Assurance maladie, tandis que leur installation “relève” pour partie de l’ARS : le fameux zonage, même si le principe de liberté d’installation des médecins n’est pas remis en cause. Les professionnels de santé libéraux interviennent à l’acte, dans leur cabinet ou au domicile du patient, mais également dans les établissements de santé (privés principalement, mais la loi HPST ouvre désormais l’hôpital public aux libéraux) et les établissements et services médico-sociaux (médecin coordonnateur dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, par exemple).
Les professionnels de santé libéraux sont donc à l’interstice des établissements de santé, des établissements et services médico-sociaux et du domicile des patients. Ils sont le point commun à ce titre aux secteurs sanitaire et médico-social, et assurent normalement la coordination des soins et des prises en charge : c’est bien là normalement tout l’intérêt des réseaux de santé, ville-hôpital-médico-social, des maisons de santé pluridisciplinaires, et autres dispositifs de coordination (communautés de professionnels de santé, plateforme territoriale d’appui…).
Les établissements de santé sont composés quant à eux des établissements publics, qui regroupent les centres hospitaliers publics (centre hospitalier universitaire, régional, référent, de proximité, spécialisé en psychiatrie) et des établissements privés, qu’ils soient à but lucratif ou non lucratif. Ils relèvent entièrement de l’autorité de l’ARS.
Mais du point de vue des usagers du système de santé, le secteur sanitaire délivre des soins en médecine, en chirurgie, en obstétrique, en psychiatrie, des soins de suite et de réadaptation, de longue durée. Il répond aux urgences et garantit la permanence des soins en ville.
Le secteur sanitaire répond donc à un besoin de santé à un moment donné, pour une durée plus ou moins longue, par l’intermédiaire de professionnels de santé qui interviennent soit au domicile du malade, dans leur cabinet ou en établissement. Il correspond à la réponse à une demande de soins qui peut être programmée ou non programmée, dans l’objectif d’améliorer l’état de santé de la personne qui y a recours et surtout de faire en sorte qu’elle n’ait plus besoin d’y recourir.
Quand on parle du secteur médico-social, on distingue classiquement les établissements et services pour personnes handicapées et les établissements pour personnes âgées.
Ce qui caractérise les établissements et services pour personnes handicapées, c’est leur très grande hétérogénéité et la présence forte du milieu associatif, contrairement au secteur des établissements de santé. Car ce secteur s’est construit et consolidé justement par l’action des familles regroupées au fil du temps en associations et en fédérations. On distingue généralement les établissements et services pour enfants handicapés (CAMPS, CMPP, SESSAD, IME, ITEP)
Très éclaté et très disparate, ce secteur commence à regrouper ses établissements afin d’améliorer leur gestion et surtout apporter une meilleure réponse avec l’intervention de professionnels spécialisés mutualisés. Les réformes successives ont permis de structurer le secteur et les ARS ont pour mission de poursuivre la politique de contractualisation engagée avec les associations gestionnaires.
Quant aux établissements et services pour personnes âgées, ils regroupent les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD), les structures spécialisées dans la prise en charge de la maladie d’Alzheimer. Les EHPAD relèvent de la compétence partagée de l’ARS et du conseil départemental, dans la mesure où ce dernier est en charge de la prise en charge individuelle des personnes âgées (versement de l’allocation prestation autonomie, par exemple, prise en charge de l’aide sociale pour les personnes en institution). Si l’on se place du côté des personnes, qu’elles soient handicapées ou âgées, le secteur médico-social répond à une demande de la société de prise en charge tout au long de la vie pour les personnes handicapées ou de leur fin de vie pour les personnes âgées.
Dans le premier cas, les personnes, en fonction de la gravité de leur handicap, vont avoir recours tout au long de leur vie aux services et établissements pour handicapés.
Dans le second cas, les personnes âgées vont finir leur vie avec l’aide des services à domicile ou en institution. L’approche est donc totalement différente de celle du secteur sanitaire : si celui-ci va intervenir à un moment donné de courte durée, y compris pour les personnes handicapées et les personnes âgées, en revanche le second va permettre de construire totalement un parcours de vie sur une période très longue.
Les caractéristiques propres aux deux secteurs montrent bien qu’ils ne sont pas opposés, mais en parfaire complémentarité. Le secteur médico-social doit ainsi pouvoir avoir recours au secteur sanitaire, afin d’éviter par exemple l’hospitalisation en urgence des personnes relevant de son champ : c’est le cas notamment des personnes âgées. De même, la sortie d’une hospitalisation en soins de suite et de réadaptation de patients victimes d’accidents vasculaires cérébraux sévères doit être envisagée dès le début avec les structures et services médico-sociaux si l’on veut que les soins prodigués continuent à améliorer la vie du malade. Il en est de même pour les malades psychiatriques et les passerelles à trouver entre les services d’hospitalisation complète, les MAS et les FAM.
Les deux secteurs ont de nombreux points communs, au premier rang desquels les professionnels qui travaillent en leur sein. Ils sont les premiers à pouvoir organiser cette coordination nécessaire des interventions, mais également la mutualisation des savoir-faire et des connaissances. Mais pour ce faire il faut apprendre à se connaître. Et force est de constater, malgré toutes les avancées, que les points de rencontre communs sont finalement rares et plutôt organisés dans le sens inverse, chaque institution conservant soigneusement sa “chasse gardée” et son semblant de pouvoir, au détriment de la prise en charge globale de la personne handicapée ou âgée. Car il ne s’agit pas non plus de vouloir tout coordonner entre les deux secteurs, mais seulement leur point commun. Et celui-ci c’est tout simplement la personne, qu’elle soit enfant ou adulte handicapée ou âgée.
Et c’est bien là tout l’enjeu qui avait été assigné aux ARS : partir des véritables besoins de la personne, dans une logique populationnelle, afin de dépasser les frontières du sanitaire et du médico-social. Le projet régional de santé n’a de sens que s’il permet d’organiser et d’optimiser la filière de prise en charge de l’enfant handicapé (psychique et/ou physique), de l’adulte handicapé (idem), de la personne âgée (dépendante ou non, atteinte de la maladie d’Alzheimer ou non). En revanche, partir de l’offre existante, qui peut être la tentation grande des ARS comme des offreurs de soins eux-mêmes (qui ont une forte tendance à se replier sur eux-mêmes pour mieux défendre leurs intérêts individuels), est hélas une tendance naturelle que les ARS n’ont pas permis de dépasser. Or cela ne permet pas le décloisonnement tant attendu des deux secteurs, pourtant à la portée de tout un chacun tant les acteurs sont les mêmes.
Deux approches de la planification peuvent être distinguées, l’une institutionnelle, l’autre populationnelle. Davantage complémentaires que concurrentes, elles relèvent de deux logiques différentes, la première centrée sur l’offre, la seconde centrée sur la demande. Jusqu’à présent force est de constater que l’approche institutionnelle a été privilégiée par les pouvoirs publics, mais également dans les derniers schémas régionaux d’organisation sanitaire, où pourtant une tentative d’approche par les besoins a été appréhendée. Cette prédominance s’explique sans doute par la difficulté à définir, à évaluer et à localiser les besoins de santé.
Alors que l’approche institutionnelle ou organisationnelle sert la logique de l’organisation, c’est à dire celle de l’offre de santé, l’approche populationnelle privilégie les besoins de la population. Or, si la référence à la population et à ses besoins est clairement affichée dans les textes, force est de constater que la logique institutionnelle est particulièrement présente dans la conduite de la politique de santé, dans la mesure où son objet principal consiste à élaborer et à veiller à la réglementation de l’activité et du fonctionnement des offreurs de santé par l’édition de normes. Dès lors la satisfaction des besoins apparaît plus comme une contrainte que comme un objectif à atteindre.
L’approche institutionnelle pour la planification sanitaire part des offreurs de santé, puis évalue leur fonctionnement, leurs forces et leurs faiblesses, et enfin les adapte en fonction des normes et des référentiels préétablis, en se fondant sur l’hypothèse qu’ils répondent aux besoins de la population.
À l’inverse, adopter une approche populationnelle pour la planification sanitaire, c’est partir des besoins de la population et adapter le système de l’offre de santé à ces besoins. Ceux-ci sont alors caractérisés par les données démographiques (structure par âge et par sexe), socio-culturelles (catégories socio-professionnelles, niveaux de revenu, d’éducation), épidémiologiques (mortalité et morbidité), comportementales (flux de population). La politique de santé, et en particulier la planification, ont alors pour finalité d’adapter l’offre de santé à ses besoins.
Il est certain que ces deux approches relèvent plus de la complémentarité que de la substituabilité, et qu’un compromis entre les deux doit être trouvé. La planification sanitaire doit être fondée en premier lieu sur l’étude des besoins de la population, mais il est impossible de faire fi des ressources de santé existantes, de leur localisation, de leur mode de fonctionnement et de leurs spécialités.
La solution consiste alors à rechercher l’adéquation entre besoins et offre de santé, en prenant pour appui l’étude des besoins et non l’étude de l’offre.
L’offre de santé doit s’adapter aux besoins voire les anticiper. On l’évalue en termes de qualité, de quantité, et sa pertinence est appréciée. L’étude des besoins vise en quelque sorte à identifier le marché potentiel, sa structure actuelle et son évolution dans le temps.
On peut retenir trois méthodes à cette fin :
• la méthode des besoins normatifs : des experts définissent des besoins théoriques par rapport à une norme (par exemple, déterminer les besoins en personnel et en équipement pour soigner telle maladie). Ces besoins sont ensuite extrapolés au moyen de données épidémiologiques et démographiques ;
• la méthode des objectifs de prestations : des objectifs de production et de distribution des services médicaux sont élaborés en tenant compte à la fois des besoins théoriques, des souhaits éventuels des individus et des conditions économiques ;
• la méthode des besoins souhaités par la population, c’est à dire tels qu’ils sont ressentis.
Ces trois méthodes soulignent la complexité posée par la notion de besoin de santé.
Un modèle idéal de planification partant de l’identification des besoins et des problèmes à résoudre peut être envisagé :
• connaître la morbidité de la population générale et les risques auxquels elle est exposée, par l’intermédiaire des outils épidémiologiques existants ;
• traduire cette connaissance des besoins, qualitatifs et quantitatifs, en actions de prévention, de soins et de réadaptation. La perception des besoins varie selon que l’on se place du point de vue de la population, des élus, des professionnels, ou des gestionnaires ;
• déduire de ces besoins l’organisation des services et des équipements nécessaires, avec les moyens en personnels suffisants.
La planification populationnelle part ainsi des attentes des usagers : souhait d’un hôpital plus humain (dimension relationnelle dans la prise en charge), souhait d’une coordination des soins (continuité des soins et de la prise en charge), exigence d’accessibilité et de proximité. Mais comment évaluer correctement les besoins souvent assimilés à la demande de soins ? Les difficultés rencontrées expliquent en grande partie que les responsables de la planification en santé préfèrent agir sur l’offre.
On ne cesse depuis au moins vingt ans de dire que les acteurs de soins doivent être décloisonnés. Pour ce faire les institutions ont été réformées (création des agences régionales de santé), des outils de coordination ont été créés avec chaque nouvelle loi (les réseaux de soins, puis les MAIA, les communautés professionnelles territoriales de santé, les plateformes territoriales d’appui).
Et pourtant les acteurs n’ont peut-être jamais été autant cloisonnés. Mais alors qu’est-ce qui n’a pas marché ?
C’est certainement l’objectif premier et fondamental des pilotes du chantier sur l’organisation territoriale : non pas essayer de construire un énième outil de coordination, mais comprendre pourquoi les professionnels de santé ne travaillent pas entre eux. Quels sont les freins ? Quelles sont leurs attentes ? Car n’a-t-on pas créé des outils sans prendre en compte l’aspiration des professionnels de santé ?
Une chose est certaine : les nouveaux projets régionaux de santé sont entièrement décloisonnés et très novateurs sur ce sujet. Mais cela suffira-t-il à orienter les professionnels dans la voie du décloisonnement ?
(1) CAMPS : centre d’action médico-sociale précoce. CMPP : centre médico-psycho-pédagogique. SESSAD : service d’éducation spéciale et de soins à domicile. IME : institut médicoéducatif. ITEP : institut thérapeutique éducatif et pédagogique.
(2) SAMSAH : service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés. ESAT : établissement et service d’aide par le travail. CRP : centre de rééducation professionnelle. CPO : centre de pré-orientation professionnelle. MAS : maison d’accueil spécialisée. FAM : foyer d’accueil médicalisé.
Une équipe de soins primaires est un ensemble de professionnels de santé constitué autour de médecins généralistes de premier recours, choisissant d’assurer leurs activités de soins sur la base d’un projet de santé qu’ils élaborent. Elle peut prendre la forme d’un centre de santé ou d’une maison de santé. L’équipe de soins primaires contribue à la structuration des parcours de santé.
Son projet de santé a pour objet, par une meilleure coordination des acteurs, la prévention, l’amélioration et la protection de l’état de santé de la population, ainsi que la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé.
Afin d’assurer une meilleure coordination de leur action et ainsi concourir à la structuration des parcours de santé et à la réalisation des objectifs du projet régional de santé mentionné, des professionnels de santé peuvent décider de se constituer en communauté professionnelle territoriale de santé. La communauté professionnelle territoriale de santé est composée de professionnels de santé regroupés, le cas échéant, sous la forme d’une ou de plusieurs équipes de soins primaires, d’acteurs assurant des soins de premier ou de deuxième recours et d’acteurs médico-sociaux et sociaux concourant à la réalisation des objectifs du projet régional de santé. Les membres de la communauté professionnelle territoriale de santé formalisent, à cet effet, un projet de santé, qu’ils transmettent à l’agence régionale de santé. Le projet de santé précise en particulier le territoire d’action de la communauté professionnelle territoriale de santé. À défaut d’initiative des professionnels, l’agence régionale de santé prend, en concertation avec les unions régionales des professionnels de santé et les représentants des centres de santé, les initiatives nécessaires à la constitution de communautés professionnelles territoriales de santé.
Pour répondre aux besoins identifiés dans le cadre des diagnostics territoriaux et sur la base des projets de santé des équipes de soins primaires et des communautés professionnelles territoriales de santé, l’agence régionale de santé peut conclure des contrats territoriaux de santé.
Le contrat territorial de santé définit l’action assurée par ses signataires, leurs missions et leurs engagements, les moyens qu’ils y consacrent et les modalités de financement, de suivi et d’évaluation.
À cet effet, le directeur général de l’agence régionale de santé peut attribuer des crédits du fonds d’intervention régional.
Le contrat territorial de santé est publié sur le site Internet de l’agence régionale de santé afin de permettre aux établissements de santé publics et privés, aux structures médico-sociales, aux professions libérales de la santé et aux représentants d’associations d’usagers agréées de prendre connaissance des actions et des moyens financiers du projet. Les équipes de soins primaires et les acteurs des communautés professionnelles territoriales de santé peuvent bénéficier des fonctions des plateformes territoriales d’appui à la coordination des parcours de santé complexes.