Objectif Soins n° 262 du 01/04/2018

 

SUR LE TERRAIN

Dossier

Martellier Fabienne*   Isabelle Hervein**   Dhalluin Mathilde***  

Au sein d’un hôpital, la communication est un facteur essentiel pour sécuriser le parcours du patient tout au long de son hospitalisation. C’est pour cette raison que, suite aux recommandations du Plan national pour la sécurité des patients (2013-2017), le groupe hospitalier de l’Institut catholique de Lille (GHICL) a décidé de mettre en place des outils de communication afin d’améliorer et de sécuriser le parcours patient. Les cadres de santé de Saint-Philibert se sont ainsi penchées sur la problématique suivante : « Comment améliorer la communication entre professionnels de santé pour sécuriser le parcours patient ? »

Le GHICL, établissement hospitalo-universitaire, accueil le régulièrement des nouveaux personnels ; le cadre de santé est garant d’assurer la sécurité et la qualité des patients de son service, c’est pourquoi nous avons travaillé sur ce sujet.

Fortement inspirés par le compte qualité de la HAS et dans la dynamique de la gestion des risques, les cadres du secteur de chirurgie de l’hôpital Saint-Philibert, à Lomme (59, Hauts-de-France), ont réalisé une cartographie des risques dans le domaine de « la prise en charge d’un patient par un nouvel arrivant ». Un groupe de travail par service a été constitué, composé à la fois d’experts du soin et de novices : ils ont identifié les risques, évalué la criticité et le niveau de maîtrise, pour ensuite hiérarchiser ces risques et les prioriser à l’aide d’une matrice. Il s’est ainsi avéré que le risque « défaut de communication » a été coté risque prioritaire dans les différents services de chirurgie, corroborant ainsi des études de la HAS qui ont identifié les problèmes de communication comme l’une des principales causes racines des événements indésirables en milieu de soins.

Les cadres de santé ont mis leurs compétences et expertise en commun pour construire un plan d’action – avec échéancier et pilote – dans l’objectif de contribuer à la sécurisation tout au long du séjour du patient. L’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins est une priorité pour les établissements du GHICL et s’inscrit dans le cadre du Programme national pour la sécurité des patients, lancé par Marisol Touraine, qui a pour but de réunir et renforcer différentes actions publiques autour de la sécurité des patients. Ce programme s’articule autour de différents points concernant la sécurité des soins, le parcours patient et les déclarations d’événements indésirables.

Dans l’objectif de renforcer ces points et d’atteindre une communication à la fois efficace et de qualité, la direction des soins du GHICL a mis en place, de façon institutionnelle, deux nouveaux outils de communication : le SAED (situation, antécédents, évaluation, demande), créé par la HAS, et le SAPP (situation, projet de soins et point de vigilance), issu d’un travail de réflexion de l’encadrement et des équipes.

DEUX NOUVEAUX OUTILS DE COMMUNICATION : LE SAED ET LE SAPP

Le SAED : un outil pour aider à communiquer

Pour le définir en quelques mots, le SAED (Situation, Antécédents, Évaluation, Demande) est un outil mnémotechnique qui permet de structurer les échanges téléphoniques qui ont lieu entre professionnels de santé, lors de différentes situations :

• demande verbale d’avis ;

• communications urgentes ;

• revue de morbidité et de mortalité ;

• transfert intra ou interétablissements ;

• staff pluridisciplinaire ;

• échanges écrits, c’est-à-dire à toutes les étapes du parcours du patient.

Le SAED est une adaptation française de l’outil anglo-saxon SBAR (Situation Background Assessment Recommendation), conçu initialement par la marine américaine pour garantir une qualité de communication dans les sous-marins nucléaires. Par la suite, il a été modifié et adapté pour être applicable au domaine de la santé.

L’enquête préalable

Dans un premier temps, nous avons accompli un important travail de recherche : bibliographie, prise de connaissance de l’outil, recherche de pratiques similaires en France, de techniques existantes à l’étranger, traduction d’articles en anglais, étude des bénéfices retirés, analyse des avantages et des inconvénients…

Ensuite, nous avons établi un audit observationnel pour lequel nous avons lancé l’enquête : « Évaluation de la qualité des transmissions par téléphone », par le biais de questionnaires.

Les objectifs étaient de :

• connaître le taux de satisfaction des professionnels concernant les transmissions d’informations par téléphone ;

• connaître le ressenti du récepteur d’informations par rapport aux informations reçues par l’émetteur ;

• mettre en évidence la difficulté de concentration d’un professionnel de santé lors de différentes situations de communications orales ;

• rendre compte des risques d’événements indésirables liés à une mauvaise communication.

L’échantillon de répondants était constitué de médecins, internes, infirmiers, aides-soignants.

Les résultats

En conclusion, nous avons remarqué que :

• de nombreux répondants assurent être régulièrement voire très souvent interrompus lors de ces appels, ce qui altère leur capacité de concentration ;

• peu de professionnels s’assurent avoir bien compris/entendu les informations données par téléphone (pas de reformulation) ;

• une grande majorité de professionnels jugent nécessaire d’améliorer la qualité des transmissions téléphoniques ;

• près de la moitié d’entre eux ont déjà vécu un événement indésirable à cause d’un problème de communication.

Ces résultats nous ont donc motivés à poursuivre nos travaux et à aller plus loin dans notre travail en auditant les transmissions d’informations en interéquipes, lors de la relève IDE/ASD.

Le SAPP : un outil pour améliorer l’efficacité des transmissions

Dans un deuxième temps, nous avons donc élaboré un autre outil de communication : le SAPP (Situation, Antécédents, Projet de soins, Points de vigilance). Cet outil permet d’assurer la continuité des soins et d’améliorer l’efficacité des transmissions orales et interéquipes. Il permet de structurer ces transmissions et d’uniformiser les pratiques sur l’ensemble du groupement sanitaire grâce à une méthode commune.

Le SAPP est le fruit d’un travail de réflexion des cadres de santé et des membres de la commission « transmissions ciblées ».

L’enquête préalable

Afin de répondre au mieux aux besoins et aux attentes des professionnels de santé, nous avons établi un deuxième questionnaire de satisfaction, concernant cette fois « l’évaluation de la qualité des transmissions en interéquipes ».

Ce questionnaire avait pour objectifs de :

• connaître le jugement global des professionnels de santé concernant les transmissions orales en interéquipes ;

• mettre en évidence le non-respect du temps de transmissions imparti pour chaque service ;

• rendre compte de la difficulté de concentration due aux nombreuses interruptions pendant ce temps de parole ;

• connaître les différentes méthodes de chacun pour structurer l’information ;

• permettre aux professionnels d’exprimer leurs avis et suggestions concernant un moyen de transmissions plus efficace.

L’échantillon de répondants était : IDE, ASD, internes, puéricultrices, auxiliaires de puériculture, sages-femmes, étudiants infirmiers.

Les résultats

L’analyse de ces questionnaires a permis de mettre en évidence les points suivants :

• la majorité des répondants avaient 4 à 7 ans d’ancienneté dans le service et plus de 10 ans d’expérience dans le métier ;

• globalement, les transmissions commencent à l’heure mais se finissent avec environ 10 à 15 minutes de retard ;

• beaucoup d’interruptions : par le téléphone, les visiteurs et les collègues ;

• généralement, la trame logique suivie lors des transmissions est : « de l’information la plus importante à la moins importante ? ».

• 51 % entendent des abréviations qu’ils ne comprennent pas ;

• 10 % ne demandent pas la traduction ;

• lieu suggéré pour améliorer les transmissions : lieu fermé et calme, sans possibilité d’interruptions ;

• 89 % ne seraient pas favorables de faire leurs transmissions devant la porte de chaque chambre.

MISE EN ŒUVRE

Suite à l’analyse des réponses à ces deux questionnaires, nous avons pu mieux cibler les attentes des professionnels de santé, et ainsi axer les objectifs de la formation en insistant principalement sur les éléments qui nous ont surpris.

Au total, nous avons organisé 5 sessions de formation, à raison d’une vingtaine de personnes par groupe. Ainsi, ce sont près de 100 professionnels de santé formés sur le site de Saint-Philibert à Lomme.

Après 5 mois de travail, ces deux outils (SAED et SAPP) sont désormais utilisés au sein de l’hôpital Saint-Philibert dans tous les services. Les nouvelles feuilles de transmissions se sont très vite mises en place, grâce à l’accompagnement et à l’implication des cadres de santé. Ce travail a demandé nombre de réajustements, de négociations, d’adaptations, de changements d’habitudes, de rassurance. Beaucoup d’échanges, d’informations ont été nécessaires, tant il est important de laisser libre parole à chacun en formation. On le sait tous, l’habitude rassure. Alors quand un changement arrive, une crainte naturelle survient.

L’outil SAPP a été adapté, à la demande des soignants, aux spécificités des services. Cet ajustement du support a permis de solliciter leurs compétences, leurs réflexions, pour enfin statuer sur une décision collégiale d’équipe, apportant de la cohésion.

À ce jour, cet outil a été adopté par les médecins pour réaliser leur revue morbidité-mortalité.

Pour faciliter leur utilisation, nous avons choisi de mettre à disposition des professionnels des fiches plastifiées (format A5, facilement glissable dans la poche des blouses), reprenant au recto et au verso les deux outils, afin de pouvoir toujours les avoir à porter de main.

En effet, nous avons comme objectif final le « zéro papie » lors des transmissions interéquipes, au profit de la qualité des transmissions ciblées écrites. Seule la méthodologie sera maintenue.

PERSPECTIVES ET CONCLUSION

Nous poursuivons notre démarche en formant désormais les professionnels sur les deux autres sites du GHICL, l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul (59, Lille) et la clinique Sainte-Marie (59, Cambrai).

D’ici quelques mois, un audit d’évaluation sera organisé afin de pouvoir analyser les résultats et apprécier les bénéfices de ces nouvelles méthodes.

Reste néanmoins un travail à réaliser concernant le suivi de la mise en place des outils, qui nécessite de poursuivre l’accompagnement des équipes dans une démarche d’amélioration continue. Il paraît ainsi important de continuer à effectuer des enquêtes d’évaluation des outils, notamment selon le turn-over des professionnels de santé, afin d’assurer la pérennité de ces supports.

Cela va donc demander du temps et de l’investissement de la part des cadres de santé, qui devront à terme être autonomes dans la mise en œuvre de ce suivi. Cependant celui-ci ne devrait pas nécessiter des évaluations à une fréquence trop rapprochée.

Ce travail, valorisé en évaluation des pratiques professionnelles, a permis une amélioration des pratiques professionnelles. Vous pourrez vous inspirer de notre méthode et nous contacter si vous désirez, vous aussi, le mettre en place.

S

Je décris la SITUATION ACTUELLE concernant le patient :

• Je suis : prénom, nom, fonction, service/unité

• Je vous appelle au sujet de : M/Mme, prénom, nom du patient, âge/date de naissance, service/unité

• Car actuellement, il présente : motif de l’appel

• Ses constantes vitales/signes cliniques sont : fréquence cardiaque, respiratoire, tension artérielle, température, évaluation de la douleur (EVA), ect. …

A

J’indique les ANTÉCÉDENTS utiles, liés au contexte actuel :

• Le patient a été admis pour : date et motif de l’admission

• Ses antécédents médicaux sont :…

• Ses allergies sont : …

• Il a eu pendant le séjour : opérations, investigations, etc.

• Les traitements en cours sont : …

• Ses résultats d’examens sont : labo, radio, etc.

• La situation habituelle du patient est : confus, douloureux, etc.

• La situation actuelle a évolué depuis : minutes, heures, jours

E

Je donne mon ÉVALUATION de l’état actuel du patient :

• Je pense que le problème est : …

• J’ai fait : donné de l’oxygène, posé une perfusion, etc.

• Je ne suis pas sûr de ce qui provoque ce problème mais l’état du patient s’agrave

• Je ne sais pas ce qui se passe mais je suis réellement inquiet

D

Je formule ma DEMANDE (d’avis, de décision, etc.) :

• Je souhaiterais que : …

Par exemple :

Je souhaiterais que vous veniez voir le patient : quand ?

ET

Pouvez-vous m’indiquer ce que je dois faire : quoi et quand ?