RECHERCHE ET FORMATION
Dossier
Une équipe de formateurs des instituts de formations paramédicales du Sud-Francilien a accompagné les étudiants en soins infirmiers dans la conception de scénarios pour la création de serious games. Cette activité d’élaboration a pour finalité de faciliter l’acquisition des savoirs. L’expérience d’utilisation de cet outil dans la simulation électronique montre un intérêt majeur pour la professionnalisation. C’est aussi, pour le formateur, l’opportunité de se positionner en tant qu’initiateur et acteur dans l’expérimentation de ces outils. Il développe ainsi une compétence particulière pour conduire et faire aboutir ce type de projet. Le serious game prend alors toute sa place parmi les autres pratiques pédagogiques.
Les premiers serious games, appelés “rétro serious games”, ont été créés par des concepteurs comme Atari™ dans les années 1980 pour l’armée américaine, dans le but d’entraîner et de former ses nouvelles recrues. La notion de serious game est apparue dans le grand public au début des années 2000 aux États-Unis, au moment où les jeux vidéo, considérés comme ludiques et récréatifs, souffraient d’une image négative associée à la violence. Pour rétablir une image positive, une nouvelle appellation est alors créée, le serious game, permettant au marché du jeu vidéo américain de s’élargir. C’est Benjamin Sawyer en 2002, grand nom de l’industrie du jeu vidéo, qui popularise la notion de serious game à travers son livre : serious games : improving public policy with game based simulations
À partir de 2014, la HAS
La mise en œuvre d’une telle méthode est possible grâce à un levier managérial. L’ambition de la coordinatrice des instituts de formation du Sud-Francilien est de reconnaître l’apprenant comme partenaire de sa formation. Ce qui comprend l’intégration d’outils innovants et utiles à sa professionnalisation.
Ainsi, les instituts de formation du Sud-Francilien utilisent depuis plus d’un an le serious game. L’objectif pour les apprenants est de renforcer les apprentissages sur l’exercice du raisonnement clinique. De ce fait, cet outil s’inclut comme support des méthodes pédagogiques existantes en simulation en santé.
À ce jour, le serious game est particulièrement mobilisé dans ce lieu de formation. Les formateurs ont constitué une expérience tant dans la conception que dans la mobilisation des situations de soins en simulation électronique.
En 2014, l’expérience débute après une réponse favorable de la coordinatrice des instituts de formation du Sud-Francilien à un appel à projet de la région Île-de-France et de la société conceptrice de serious games, Synakène. Ce projet mobilise localement trois cadres de santé formateurs et six étudiants en soins infirmiers de troisième année. La construction des scénarios s’effectue en collaboration avec la société partenaire, Synakène. Le thème retenu est celui de l’accueil d’un patient en chirurgie ambulatoire. L’originalité de la conception tient dans le fait que ce sont des étudiants en soins infirmiers de troisième année qui élaborent le scénario. Les formateurs accompagnent ce processus de conception. Par ailleurs, ceux-ci se portent garants de la qualité des données probantes utilisées par les étudiants
Une seconde expérience débute en 2015. Le laboratoire de simulation LabForSIMS™
Passé le temps de la conception technique et des scénarios, les deux années 2016 et 2017 sont marquées par une série de tests de ces “jeux sérieux” effectués auprès du public estudiantin. Les retours positifs sur le réalisme des scénarios et des graphismes indiquent une certaine satisfaction dans l’utilisation du serious game. Cependant, si les objectifs d’apprentissage formalisés lors de sa conception sont atteints, des problématiques apparaissent. Les étudiants ne possèdent pas tous un matériel informatique suffisamment performant pour jouer. D’autres encore ne comprennent pas l’architecture du jeu ou son fonctionnement. Dès lors, pour assurer un accès équitable, son utilisation s’effectue en présence d’un formateur qui accompagne la séance.
Un second point soulève des questionnements. Peut-on laisser l’apprenant avec un score et une machine qui indiquerait des points positifs et des points à améliorer ? L’équipe pédagogique n’envisage pas cette modalité d’évaluation, car elle placerait ce type d’apprentissage dans un paradigme béhavioriste. Cette pratique revient à reléguer l’outil d’apprentissage en machine à apprendre et le formateur en contrôleur de la réalisation de la tâche. Il est collégialement décidé que le serious game doit être le support de la simulation en santé électronique telle qu’elle est recommandée par l’HAS. Les séances se déroulent alors selon des étapes formalisées et précises, reprenant le fonctionnement de la simulation en haute et basse fidélité :
• un briefing annonce les objectifs de la séance et présente l’ordinateur puis le “jeu sérieux” ;
• la séquence de jeu est alors réalisée sur un thème prédéfini par l’équipe pédagogique. Elle est accompagnée techniquement par le formateur si l’étudiant en fait la demande ;
• un temps de pause est accordé après la séquence de jeu, suivi d’un débriefing mené par un formateur en simulation en santé ;
• les apprenants évaluent leur satisfaction à partir de la grille DASH
Bien plus qu’une situation clinique écrite, le “jeu sérieux” permet ainsi une immersion dans la prise en charge du patient pour laquelle l’étudiant, acteur de la situation, est décisionnaire dans les actions qu’il mène. La motivation naturelle des étudiants pour le jeu permet la déclinaison de cette méthode pédagogique pour un apprentissage de situations complexes plus authentiques.
L’objectif premier formulé pour l’étudiant lors de chaque session de jeu est de lui permettre de mettre en œuvre son raisonnement clinique en détectant l’aggravation de l’état clinique du patient à différents étapes. Il s’agit également pour l’étudiant d’établir une communication adaptée et structurée en utilisant l’outil de transmission SAED
L’organisation (fig. 1) de la session de jeu est un facteur déterminant dans la réussite du concept. Un environnement de travail bien réfléchi permet à l’étudiant de se concentrer sur la situation jouée et de mettre en œuvre les actions soignantes à l’abri des regards et des jugements de ses pairs, ce qui n’est pas le cas en simulation classique.
Ainsi, l’étudiant a non seulement le droit à l’erreur, mais il fait également le choix de partager son expérience et ses différentes actions avec les autres lors du débriefing. Chaque étudiant est face à son écran tout au long du jeu, sans regard extérieur. En séance de simulation conventionnelle, l’étudiant est filmé, observé par ses pairs qui pourront émettre un jugement, certes bienveillant et constructif, mais non sans effet sur le vécu émotionnel de l’étudiant.
Le débriefing du serious game constitue le socle de formalisation des apprentissages. Il met l’étudiant dans une posture réflexive qui lui permet d’analyser ses actions au regard des objectifs formulés pour cette session de jeu, mais aussi par rapport aux actions mises en œuvre par les autres étudiants. À l’instar des séances orales d’analyse de pratique, le débriefing du serious game nécessite que l’étudiant décrive les actions qu’il a menées au cours du jeu avant de les justifier et de les argumenter (fig. 3).
L’accent est davantage mis sur les apprentissages de l’étudiant que sur ses erreurs (fig. 2), les actions mises en œuvre au cours du jeu étant ignorées. L’objectif pour le formateur est d’aider l’étudiant à comprendre de quelle manière il peut réinvestir ses savoirs dans sa pratique professionnelle. « Il est ainsi démontré un impact sur l’attitude et le comportement déclarés des joueurs. (…) Un environnement virtuel peut donc permettre le transfert vers des situations concrètes. »
Il ne faut pas pour autant surestimer l’impact des serious games dans les apprentissages. Il s’agit d’une méthode pédagogique complémentaire qui doit être associée à d’autres formes d’apprentissage.
La conception des scénarios permet l’élaboration de situations d’apprentissage. Les étudiants recherchent les recommandations actualisées, les croisent avec leurs expériences cliniques pour produire des actions au plus près de la réalité. C’est pour eux la possibilité de mobiliser et valoriser leurs connaissances en soins infirmiers.
Par la suite, l’utilisation de ces outils dans le processus de professionnalisation trouve un intérêt dans la phase du débriefing. La réflexion actuelle se porte sur l’intégration de la simulation électronique en tant que méthode d’apprentissage dans le dispositif de formation. Son introduction dans des unités d’enseignement devient dès lors incontournable.
Il est relevé que la seule volonté managériale et pédagogique ne peut suffire à couvrir les choix pédagogiques. En effet, la nécessité de réduire les effectifs des groupes de travaux dirigés incite à un renforcement de l’accompagnement à la construction des savoirs du futur professionnel. En contrepartie, la simulation électronique déployée de cette façon réclame des moyens humains à la hauteur de ce que cette équipe entend offrir à ses apprenants.
Ce projet permet aussi une réflexion sur la déclinaison de l’interprofessionnalité au sein des instituts. Ainsi l’équipe pédagogique travaille sur un scénario traitant de la collaboration entre professionnels de santé issus de filières différentes (aide-soignant, auxiliaire de puériculture, manipulateur en électroradiologie médicale et infirmier). L’objectif est de valoriser le concept d’interprofessionnalité autour de la prise en charge d’un patient.
(1) « Les serious games, le futur de la formation médicale ? », Le Mag, n° 7, 12 avril 2013, esante.gouv.fr, le portail de l’ASIP Santé (consulter sur : https://bit.ly/2GXK13M).
(2) Haute Autorité de santé, « Guide de bonnes pratiques en matière de simulation en santé », Évaluation et amélioration des pratiques, décembre 2012 (consulter sur : https://bit.ly/29nHHzE).
(3) C. Lebreton, G. Van Rooij, A. Delrieu, « Le jeu sérieux au service de la formation : opportunités et challenges », Retours sur l’expérimentation de projets innovants in vivo in situ - AIXPé, Synakène, 2014 (consulter sur : https://bit.ly/2IYo15v).
(4) Laboratoire de formation par la simulation et l’image en médecine et santé (voir https://bit.ly/1IFYmdO).
(5) DASH : Debriefing Assessment for Simulation in Healthcare.
(6) SAED : situation, antécédents, évaluation, demande. Voir : HAS, « SAED. Un guide pour faciliter la communication entre professionnels de santé », octobre 2014 (consulter sur : https://bit.ly/2qz2VUp).
(7) Hélène-Marion Michel, Dominique Kreziak, Jean-Mathias Héraud, « Évaluation de la performance des serious games pour l’apprentissage : analyse du transfert de comportement des éleveurs virtuels de Vacheland », Systèmes d’information & Management, 2009, vol. 14, n° 4, p. 71-86.
(8) Center for Medical Simulation, « Le guide d’évaluation du débriefing pour la simulation en santé » (consulter sur : https://bit.ly/2ENyzlD).