Objectif Soins n° 263 du 01/06/2018

 

Actualités

Claire Pourprix  

FORMATION Après des années d’attente, le projet d’universitarisation de la formation des professions paramédicales est mené à vitesse grand V par le gouvernement. La réingénierie de certaines formations est relancée et le nouveau métier d’infirmier de pratique avancée est en cours de création. Les professionnels de santé, associés aux concertations, placent beaucoup d’espoir dans ces évolutions attendues de longue date, qui suscitent encore de nombreuses questions.

Enfin ! Le projet d’universitarisation est sur la table. Le rapport de la mission Universitarisation des formations paramédicales et de maïeutique remis par Stéphane Le Bouler en février 2018 aux ministres des Solidarités et de la Santé et de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, en expose les objectifs. Il s’agit de s’appuyer sur l’université pour approfondir les caractéristiques propres à chaque profession tout en offrant plus de possibilités de transversalité et de coopération, permettre une participation plus large de l’ensemble des soignants aux activités de recherche, et faire bénéficier les étudiants des droits afférents à l’Enseignement supérieur, en termes de services et de participation à la gouvernance.

Préserver la professionnalisation

« L’universitarisation, amorcée depuis la réforme du programme de formation des ESI de 2009, doit être menée à son terme. Nous sommes au milieu du gué : les IDE ont un grade de licence, sans en avoir le diplôme, si bien que les étudiants n’ont pas le sentiment d’être reconnus à part entière, même si une partie des enseignements est d’ores et déjà universitarisée. L’accès à la recherche en sciences infirmières, la dimension scientifique et la valorisation que cela sous-tend sont très attendus par les paramédicaux en général et par les infirmiers en particulier » résume Roselyne Vasseur, Coordinatrice générale des instituts de formation initiale à l’AP-HP.

Pour autant, elle défend une vision gagnant/gagnant : l’accès à l’université ne doit pas se faire au détriment de la professionnalisation développée par les cadres formateurs en IFSI en collaboration étroite avec les tuteurs de stages. Florence Girard, présidente de l’Association Nationale des Directeurs d’École Paramédicale (ANDEP) et directrice de l’IFSI d’Ussel, va aussi dans ce sens : « Depuis la Grande conférence de santé, on a trop tendance à parler de l’universitarisation des formations, oubliant qu’il s’agit aussi de professionnalisation, ce qui masque le rôle des formateurs en IFSI. Or nous sommes bien dans une co-construction du professionnel de demain : la professionnalisation ne se réduit pas au terrain de stage, elle se construit dans l’accompagnement des étudiants sur la compréhension des situations de soins. » Et, si les formateurs en IFSI ne répondent pas aux exigences de l’Université, elle préconise le déploiement d’habilitations.

« Il faut favoriser l’émergence d’un corps professoral qui mixe les compétences professionnelles et académiques : des enseignants-chercheurs en sciences cognitives et infirmières, des praticiens cliniciens sur le terrain (infirmiers tuteurs de stage) et des formateurs, qui sont en général titulaires d’un Master en sciences de l’éducation, professionnels de la pédagogie et de l’accompagnement de l’étudiant dans son parcours », ajoute Martine Sommelette, présidente du Centre d’Entente des Formations Infirmières et Cadres (CEFIEC). Elle signale d’autres points de vigilance : la gouvernance des instituts dans un contexte d’universitarisation et le fléchage des budgets alloués aux formations de santé (actuellement financées par les Régions) dans « ces vastes organisations » que sont les universités.

Concertations au pas de course

La machine est donc en marche, après des années d’attente. Et paradoxalement, tout doit aller très vite, le gouvernement ayant annoncé un calendrier très serré pour introduire des formations en santé dans les cursus LMD partout en France, de façon uniformisée, dès les rentrées 2018 et 2019. Pour cela, il s’appuie sur une méthode de concertation élargie afin de donner la parole aux parties prenantes, dans des groupes de travail. Les professionnels de santé interrogés apprécient d’être impliqués dans ces discussions… même s’ils peinent parfois à faire entendre leur voix tant ils sont nombreux (une trentaine par groupe) et à savoir si leurs arguments auront réellement un impact. Les IADE, IBODE et IPDE, qui n’avaient pas été conviés dans un premier temps, ont été invités à se joindre aux discussions après avoir publié un communiqué de presse commun daté du 19 mars qui faisait part de leur indignation d’être ainsi ignorés. « Même si les formations initiales sont prépondérantes parmi les paramédicaux, les infirmiers spécialisés sont aussi des parties prenantes importantes, commente Brigitte Ludwig, présidente de l’Union Nationale des Associations d’Infirmièr(e) s de Bloc Opératoire Diplômé(e) s d’Etat (UNAIBODE). La réingénierie de notre formation au niveau Master est en cours, et nous souhaitons qu’elle soit mise en œuvre dès la rentrée 2018. Bien que le Conseil d’Etat ait repoussé par deux fois les actes exclusifs pour trois gestes opératoires basiques, nous avons constaté un regain d’intérêt pour notre profession depuis la parution du texte sur les actes exclusifs en 2015. L’intégration à l’université devrait contribuer à maintenir cette dynamique et à lutter contre la pénurie d’IBODE. »

La formation des infirmiers puériculteurs, dont la réingénierie a repris en 2017 après 6 années au point mort, sera quant à elle mise en œuvre à la rentrée 2019, les écoles ayant estimé qu’il était trop hâtif de viser la rentrée prochaine. « La formation actuelle sur 12 mois est très dense, le passage sur 2 années universitaires, avec a priori un grade Master, permettra notamment de mieux prendre en compte tous les secteurs d’activité des infirmiers puériculteurs : l’hospitalier, les PMI et les structures d’accueil de la petite enfance par exemple, mais aussi la protection de l’enfance ou encore la recherche », explique Charles Eury, président de l’Association Nationale des Puéricultrices(teurs) Diplômé(e) s et des Etudiants (ANPDE). Il entend porter la voix des IPDE dans les débats pour valoriser leurs compétences sur le terrain et aboutir à une nouvelle réglementation de l’exercice professionnel une fois la réingénierie effectuée, alors qu’ils opèrent dans le même champ d’action que l’infirmier de formation initiale. Les discussions visent aussi à bien articuler les métiers des infirmiers spécialisés avec le nouveau métier d’infirmier de pratique avancée.

L’inconnue Parcours Sup

Bien qu’il reste de nombreuses inconnues, la réingénierie des formations et l’intégration des formations paramédicales à l’université semblent enfin bien engagées. « C’est une porte ouverte pour évoluer, tirer les professions vers le haut et mieux répondre aux besoins et attentes des usagers de santé en termes de qualité sécurité des soins dans un contexte de vieillissement de la population et de désertification médicale », commente Roselyne Vasseur. Reste une question en suspens : quel sera l’impact de la suppression du concours d’entrée en IFSI et son remplacement par une inscription via la plateforme d’admission à l’enseignement supérieur Parcours Sup à la rentrée 2019 ? Alors qu’un nombre bien plus important de jeunes pourront prétendre à une formation paramédicale, est-ce que cela va contribuer à attirer plus de candidats ?

Cadre de santé : manager ou formateur ?

Doit-on s’orienter sur une formation unique pour les « managers » et les « formateurs » ou au contraire deux cursus distincts ? Pour Dominique Combarnous, présidente de l’Association Nationale des Cadres Infirmiers et Médico-Techniques (ANCIM), un diplôme commun serait préférable. « Si l’on forme deux filières de cadres de santé, les passerelles ne seront plus possibles. Or de nombreux professionnels passent des services à l’école au cours de leur carrière, et ce serait dommage de s’en priver. » Elle prône la mise en place d’un Master avec un tronc commun et des options pour se spécialiser afin de garantir la diversité des profils.

La réforme de la formation devrait aussi être l’opportunité de réviser le référentiel d’activités de compétences des cadres, qui date de 2002. « Il n’est pas obsolète mais mérite d’être revu à l’aune des nouveaux modes d’hospitalisation et de la création des Groupements Hospitaliers de Territoire (GHT), souligne Dominique Combarnous. De plus, on parle de “cadre de pôle”, sans distinguer ce qui relève des responsabilités et du champ d’activité du cadre de proximité et du cadre supérieur. »

Pratique avancée infirmière, un nouveau métier en passe d’être officialisé

Réclamé depuis de nombreuses années par la profession infirmière, la pratique avancée, officialisée par la loi de modernisation de notre système de santé de 2016, est sur le point d’être actée par décret. Le métier d’infirmier en pratique avancée (ou infirmier clinicien) était reconnu comme participant à une équipe de soins primaires coordonnée par un médecin traitant, qui pourra par exemple suivre un patient atteint d’une maladie chronique, lui prescrire des examens complémentaires ou adapter ses prescriptions.

Or l’avant-projet du texte, dévoilé en mars dernier, ne satisfait pas les professionnels. Les infirmiers estiment qu’ils seraient trop écartés du premier recours, les médecins, a contrario, craignent que les IPA empiètent trop sur le rôle des généralistes. De fait, le texte énonce que « dans le cadre du suivi des patients, l’infirmier exerçant en pratique avancée est habilité à conduire un entretien avec le patient, réaliser une anamnèse de sa situation, procéder à un examen clinique », sans employer le terme « consultation ». Le 16 mai dernier, lors de la présentation du texte pour avis au Haut conseil des professions paramédicales, Patrick Chamboredon, président de l’Ordre national infirmier, a fait part de sa déception dans une déclaration liminaire. Il a déploré « le recul progressif des textes auquel nous avons assisté et que nous ne pouvons que constater aujourd’hui par rapport aux intentions premières ». A suivre…

INTERVIEW

« L’intégration universitaire, un moyen d’améliorer les conditions de vie des étudiants »

La Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi) se félicite du projet d’universitarisation des études infirmières tant pour les perspectives de carrière qu’elle ouvrira que pour l’accession à un statut universitaire qui facilitera la vie des étudiants. Explications de Ludivine Gauthier, sa présidente.

→ Pour quelles raisons défendez-vous l’universitarisation ?

En premier lieu, il nous semble urgent de mettre fin à la ségrégation sociale qui touche les étudiants infirmiers : les frais engendrés par les concours en IFSI sont onéreux et les étudiants sont nombreux à souffrir de situations précaires pendant leurs études. En accédant à la formation par Parcours Sup et au statut d’étudiant universitaire, ils bénéficieront de plein droit des services universitaires de santé, de sport, d’accès à des éléments culturels comme les bibliothèques universitaires et pourront s’intégrer à la vie étudiante, avec tout ce qu’elle comporte de rencontres, d’ouverture, et participer à la gouvernance.

→ Est-ce que cela sous-entend un remaniement des IFSI ?

Nous sommes favorables au maintien du maillage géographique, portés par les Régions, à condition que l’accès à la vie étudiante soit facilité et que l’enseignement soit de qualité, même pour ceux qui sont éloignés d’une université. De plus, il est primordial que l’IFSI soit à proximité de lieux de stage pour permettre un parcours professionnalisant de qualité.

→ Les étudiants que vous représentez sont-ils favorables à l’universitarisation ?

Nous avons besoin de déconstruire les idées reçues sur l’université, comme les amphis bondés, les cours en DVD… Mais ils ont bien conscience que c’est l’opportunité de pouvoir poursuivre ses études pour faire de la recherche en sciences infirmières autrement qu’en partant étudier à l’étranger.