QUALITÉ & GESTION DES RISQUES
Dossier
L’usage banalisé du téléphone portable et des réseaux sociaux dans un contexte de soins, que ce soit en institution ou à domicile, pose de nouveaux problèmes juridiques au regard de la protection de l’intimité de la vie privée des patients et du secret médical. En effet, l’enregistrement d’images et de sons, tant par les patients et/ou leur entourage que par le personnel soignant, doit impérativement respecter certaines règles. Les personnels médico-soignants et les cadres de santé, qui sont directement confrontés à ces questions, doivent appréhender le risque juridique, qu’il soit pénal, civil ou disciplinaire, auquel s’expose tout un chacun.
L’intimité de la vie privée et en particulier le secret médical bénéficient d’une haute protection par les dispositions de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (convention EDH), applicables en droit interne, et par la jurisprudence constitutionnelle
Cette protection de la vie privée se décline à l’article 9 du Code civil, et plus spécifiquement par l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique (CSP), disposant que toute personne prise en charge a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.
Pour la Haute Autorité de santé, dont les recommandations sont opposables en tant que données acquises de la science
En outre, la jurisprudence judiciaire confère au secret médical un caractère général et absolu. Le caractère “général” signifie qu’il couvre ce qui a été confié, mais aussi ce qui a été vu, lu, entendu, constaté ou compris. Le caractère “absolu” du secret signifie qu’il n’appartient à personne d’en affranchir les soignants
Il convient en conséquence de retenir que toute captation d’images et/ou propos dans un lieu où se déroulent des soins, suivie de diffusion, viole potentiellement le secret médical.
La protection de l’intimité de la vie privée et du secret médical constitue une obligation déontologique (réglementaire) pour le personnel médical et paramédical. L’article L. 162-2 du Code de la Sécurité sociale qualifie d’ailleurs le secret médical de principe déontologique fondamental.
Les articles R. 4127-4, R. 4127-72 et R. 4312-4 du CSP disposent en outre que le secret professionnel s’impose aux médecins et infirmiers, ainsi qu’à leurs collaborateurs (étudiants, aides-soignants, auxiliaires de puériculture). Il couvre tout ce qui est venu à leur connaissance dans l’exercice de leur profession. Il s’agit de ce qui leur a été confié et de ce qu’ils ont vu, entendu ou compris. Ils doivent veiller à ce que les personnes qui les assistent soient instruites de leurs obligations en la matière, et s’y conforment.
Enfin, l’article R. 4312-5 du même code fixe une obligation spécifique pour l’infirmier sur son lieu d’exercice, en disposant qu’il doit veiller à préserver autant qu’il lui est possible la confidentialité des soins dispensés.
Chaque professionnel de santé doit connaître ses obligations en matière de protection de la vie privée et du secret médical.
Le téléphone cellulaire constitue un support de la vie privée et familiale, au sens de l’article 8 de la convention EDH précité, car il permet au patient de correspondre et de maintenir les liens avec ses proches.
L’interdiction d’utilisation des téléphones portables dans les locaux hospitaliers n’a jamais eu de base législative ou réglementaire. De plus, en vertu des articles L. 1110-4, L. 3211-2 et L. 3211-3 du CSP, protégeant l’exercice des libertés individuelles des patients, aucune interdiction générale d’utilisation et de détention de téléphone portable ne peut être édictée. Seule une motivation clinique soumise à réévaluation pourra justifier une restriction.
Mais le téléphone cellulaire est aussi un outil d’atteinte à l’intimité de la vie privée, dans la mesure où il permet de saisir des images et propos, et de les transmettre par Internet sur les réseaux sociaux.
Dès lors, des enregistrements photos/audios/vidéos, captés dans un contexte de soins avec un téléphone portable, puis diffusés ensuite sur les réseaux sociaux par un autre patient, un visiteur ou un soignant, sont potentiellement fautifs et répréhensibles.
En référence à l’article 9 du Code civil, la jurisprudence rappelle que chacun peut s’opposer à la reproduction de son image. De plus, l’utilisation dans un sens volontairement dévalorisant de l’image d’une personne justifie que soient prises par le juge toutes mesures propres à faire cesser l’atteint
L’article 1240 du Code civil impose à quiconque qui cause un dommage à autrui de le réparer.
En ce qui concerne les mineurs, l’article 1242 du même code indique que les parents titulaires de l’autorité parentale sont responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs.
Enfin, dans l’hypothèse de troubles mentaux, l’article 414-3 du Code civil dispose que celui qui a causé un dommage à autrui, alors qu’il était sous l’emprise d’un trouble mental, n’en est pas moins obligé à réparation.
Dans un contexte de soins, toute personne sans considération de maladie ou d’âge, qu’elle soit juridiquement protégée ou pas, doit réparer les dommages qu’elle cause (sauf certaines situations de soins sans consentement pour troubles mentaux).
Tout un chacun est donc susceptible de voir sa responsabilité engagée sur le plan strictement civil pour faute, en cas de violation de la vie privée et du secret médical, et de devoir réparer le préjudice causé.
L’article 226-1 du Code pénal punit d’emprisonnement et d’amende le fait de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui. Il s’agit du fait de capter, enregistrer ou transmettre, sans le consentement de l’auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel. Se trouve également sanctionné le fait de fixer, enregistrer ou transmettre, sans son consentement, l’image d’une personne qui se trouve dans un lieu privé.
Ce délit peut être commis dans un contexte de soins, grâce aux téléphones connectés et aux réseaux sociaux. De plus, le statut de patient n’est pas protecteur dans ces circonstances.
Contrairement à une idée reçue, en cas de violation de la vie privée et du secret médical, la responsabilité pénale du mineur peut être retenue en fonction de son discernement. Quant aux majeurs, seule une irresponsabilité pénale pour abolition du discernement (article 122-1 du Code pénal) pourra leur éviter une sanction. En revanche, indépendamment de la sanction pénale, tous resteront soumis à l’obligation de réparation du préjudice occasionné à la victime.
L’article 226-13 du Code pénal punit d’emprisonnement et d’amende la révélation d’une information à caractère secret par le professionnel qui en est dépositaire.
L’article L. 1110-4 du CSP précité précise que le fait d’obtenir ou de tenter d’obtenir la communication d’informations relatives à la vie privée et à la santé du patient est puni d’emprisonnement et d’amende.
La divulgation volontaire d’informations à caractère secret concernant des patients, par des professionnels de santé, sera pénalement sanctionnée et évidemment considérée comme faute détachable du service.
Indépendamment des sanctions pénales, non seulement le soignant devra indemniser le préjudice occasionné à la victime, mais des sanctions disciplinaires prises par l’employeur et l’Ordre professionnel pourront intervenir.
Tout d’abord, l’article R. 1112-43 du CSP indique qu’un malade qui n’accepte pas les soins (et le cadre de soins) qui lui sont proposés, sauf urgence médicalement constatée, verra sa sortie prononcée par le directeur.
De plus, en vertu de l’article R. 1112-49 du même code, lorsqu’un malade dûment averti cause des désordres persistants, le directeur prend, avec l’accord du médecin chef de service, toutes les mesures appropriées pouvant aller éventuellement jusqu’au prononcé de la sortie de l’intéressé.
En ce qui concerne les visiteurs, l’article R. 1112-47 indique qu’ils ne doivent pas troubler le repos des malades, ni gêner le fonctionnement du service. Si cette obligation n’est pas respectée, l’expulsion du visiteur et l’interdiction de visite peuvent être décidées par le directeur.
Ces dispositions sont évidemment applicables lorsque le patient et/ou les visiteurs violent les règles protectrices de l’intimité de la vie privée et du secret médical, notamment par un usage répréhensible des téléphones connectés.
Enfin, s’agissant de délits, le directeur d’établissement se doit de signaler ces agissements au procureur de la République, dans le cadre de l’article 40 du Code de procédure pénale.
Outre la mise en jeu des responsabilités précédemment décrites, il existe des règles de droit utilisables pour préserver la sérénité nécessaire à l’administration des soins. Cela nécessite toutefois une prise de conscience, une volonté d’agir et une stratégie institutionnelle.
Cette problématique nécessite une prise en compte institutionnelle spécifique.
Dans la mesure du possible, il convient d’abord d’instruire les patients et les visiteurs des différentes responsabilités encourues en cas d’atteinte à l’intimité de la vie privée, et en particulier en cas d’utilisation illégale du téléphone cellulaire et des réseaux sociaux (livret d’accueil distribué aux patients, affichage, mise à disposition du règlement intérieur de l’établissement).
Une communication institutionnelle, et par voie de presse, sur les condamnations prononcées peut également être utile.
Pour les professionnels, en complément d’une information générale, une formation ciblée sur cette thématique paraît en outre indispensable.
Les cadres de santé, par leur rôle spécifique d’organisation et d’encadrement, doivent être au fait des règles applicables en matière de protection de la confidentialité, mais aussi disposer de procédures utiles impliquant la chaîne hiérarchique et permettant de les faire respecter.
(1) Décision n° 2004-504 DCdu 12/8/2004. Loi relative à l’assurance maladie, 5e considérant.
(2) ANAES, « Liberté d’aller et venir dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, et obligation de soins et de sécurité », Conférence de consensus, 24 et 25 novembre 2004.
(3) CE Ass. 12 avril 1957, Devé.
(4) CA Paris, 17 mars 1986 (affaire Chantal Nobel).
(5) Cass. 1re Civ., 16 juillet 1998, n° 96-15610.