Objectif Soins n° 263 du 01/06/2018

 

Droit

Gilles Devers  

La base de la relation de soins est le consentement, ce qui laisse toujours la possibilité du refus de soins. Dans le même temps, le patient est en situation de vulnérabilité, selon des degrés divers, et l’équipe soignante est tenue d’un devoir de surveillance. Comment trouver la conciliation ? Comment fixer une limite ? En fonction de quels critères ? La matière s’oppose à l’édition de règles précises, et les équipes, sous la responsabilité du cadre de santé, doivent apprendre à bien poser la problématique, qui est celle du “conflit de droits”.

L’ENJEU

La liberté… et non les libertés. De nombreuses libertés - aller et venir, se vêtir, recevoir des proches, pratiquer sa religion, accepter ou refuser des soins - sont concernées, et elles répondent toutes à des régimes juridiques distincts. Mais la base est “la” liberté du patient, c’est-à-dire la liberté inhérente à l’être humain. Parce que le patient est vivant, quel que soit son degré de dépendance, il est un être fondamentalement libre. Ce principe de liberté joue aussi bien en psychiatrie (art. L. 3211-2 du Code de la santé publique). Nier cette liberté intrinsèque conduirait à décider à la place du patient, et ce serait alors une perdition. Un soignant est dans la relation, dans la culture de l’altérité, avec une disponibilité pour entendre ce que dit le patient, percevoir l’expression d’un refus.

La pratique des soins suppose une organisation, source de contraintes, mais la problématique “contraintes/liberté” ne prend toute son ampleur qu’avec la vulnérabilité liée à la maladie, au handicap ou à l’âge. Tant que le patient est valide, lucide, pouvant s’exprimer et se déplacer, capable de protester et même d’exercer des recours, la préoccupation pour sa liberté sera gérée assez facilement, par la discussion ou la contestation. Il en va autrement pour le patient en situation de dépendance, s’exprimant peu ou mal, qui ne peut former de revendication explicite et encore moins envisager un recours. Plus la part de liberté est limitée, plus elle devient essentielle… L’enjeu humain est lourd pour le patient ainsi que pour les professionnels de santé, qui deviennent gardiens du droit.

C’est à l’équipe de trouver l’équilibre, la justesse des décisions. On trouve quelques références législatives, notamment pour l’isolement et la contention, mais pour le reste, la méthode est d’admettre le “conflit de droits” et de chercher à le résoudre.

LE CONFLIT DE DROITS

La réalité est l’existence d’un “conflit de droits” entre la liberté du patient, les contraintes d’organisation et le devoir de surveillance. Dans ces conditions, aucune règle générale ne s’impose… et chaque situation appelle une réflexion propre sur le conflit entre ces droits. Dès lors, la faute n’est pas de mal résoudre ce conflit de droits, c’est de ne pas le poser, et de trancher d’emblée, en fonction de la routine, des automatismes ou d’une vision exacerbée du risque.

Il faut le dire clairement : organiser le service et instaurer la surveillance remet en cause les droits du patient. Cette remise en cause, certaine, ne devient arbitraire que si elle résulte d’une pratique systématisée, sans un examen individuel des situations. Pour bien pratiquer les soins, l’infirmière doit admettre qu’elle va devoir limiter les libertés des patients, mais elle doit alors le faire dans le respect du droit, c’est-à-dire de manière individualisée, adaptée, proportionnée et évaluée. Sont en cause les droits fondamentaux de la personne et, selon la formule de la Cour de cassation, il ne peut être porté atteinte à cette liberté par voie de “protocolisation” (Civ. 1re, 29 mai 2013, n° 12-21194).

Bien sûr, ce travail de réflexion est construit, et toute décision inclut l’expérience des précédents, des savoirs acquis. Le fonctionnement d’un service, rôdé par la pratique, repose sur des usages, souvent de bon sens et bien acceptés, mais le soignant doit toujours être en questionnement. Il peut être conseillé de formaliser les relations avec certains patients par des protocoles, pour donner des indicatifs de suivi. Mais ces protocoles ont une valeur juridique faible : les droits et libertés sont garantis par les principes fondamentaux du droit qui, en cas de difficultés, seront les piliers de l’analyse.

La pratique des soins suppose de limiter les droits et libertés du patient. Ainsi le premier point est d’assumer cette atteinte aux droits des personnes, ce qui manifeste une pleine considération de la personnalité du patient, et conduit à poser la problématique juridique correcte : une atteinte adaptée et strictement proportionnée, toujours à évaluer. La solution trouvée sera nécessairement variable, et elle peut s’avérer discutable, c’est dans l’ordre des choses. Mais la véritable faute est de ne pas poser la question du conflit de droits, et de décider d’emblée.

CODE DE LA SANTÉ PUBLIQUE OU DROITS DES PATIENTS ?

Les critères ? Ils sont nombreux, et il est impossible de prétendre à une liste, encore moins à une hiérarchie. Au premier plan, se trouve l’intérêt du patient, c’est-à-dire la protection de sa santé, mais ne sont jamais loin la bonne organisation du service et les droits des autres patients. D’ailleurs, il faut éviter de trop catégoriser les droits, de les rendre trop subjectifs, car les règles générales d’organisation sont là pour permettre la meilleure prise en charge, et elles incluent l’intérêt immédiat du patient.

À ce titre, la loi - pourtant tellement admirée - sur les “droits des patients” n’apporte pas un bon message : elle inclut l’idée que le patient vient à l’hôpital avec une liste de droits, ce qui conduit à une approche en termes d’individualisation et de revendication. Non, le droit n’est pas un catalogue de droits individuels. Il aurait été bien préférable de mettre en avant le “droit du soin”, c’est-à-dire la coopération juridique pour le meilleur soin, par une démarche objective, à partir de ce bien commun qu’est l’acte de soin. La société progresse d’abord par des droits collectifs, et la facilité à mettre en avant les “droits des patients” revient à fragmenter le “droit du soin”. On peut aller loin avec le Code de la santé publique, alors qu’on crée beaucoup de difficultés en focalisant sur les droits des patients. Il ne s’agit pas d’ignorer les droits individuels, loin de là, et j’exprime exactement l’idée inverse. Ce qui est en cause, c’est de fonder une réflexion collective sur la capacité de soins, en adaptant dans un second temps aux situations individuelles. La surenchère dans le subjectivisme des droits encourage un égoïsme destructeur, et les établissements de soins gagneraient beaucoup à refonder la réflexion par l’objectivisme du droit.

LE RISQUE

L’acte de soins, hautement nécessaire, remet en cause la personne, et la thérapie crée une fragilisation. Dans ces conditions, il n’existe pas de soins sans risque, et il faut se garder d’une vision hypertrophiée du risque qui deviendrait paralysante. La jurisprudence écarte toute notion de sécurité de résultat, et une erreur d’appréciation n’est pas nécessairement une faute. Dans une affaire jugée en 2012, la Cour de cassation fait le point sur ces notions proches : « Il n’y a pas eu imprudence ou négligence de l’équipe soignante dans le suivi, mais un manque de vigilance au vu de la gravité de la pathologie et de la symptomatologie présentée. Ce manque de vigilance ne permet pas de qualifier celui-ci de négligence fautive, car toute erreur n’est pas fautive, et il ressort du dossier que les moyens pris par l’établissement ont été sérieux et réellement renforcés. » Pour conclure : « Le passage à l’acte suicidaire peut toujours intervenir, malgré toute surveillance intensive et sans aucune possibilité d’anticipation, et alors que les établissements sont tenus d’une obligation de moyens et non pas d’une obligation de résultat » (Civ. 1re, 13 décembre 2012, n° 11-27616).

La réflexion sur le droit appelle à la cohérence : le respect de la liberté conduit à accepter la part de risque, et la réalisation d’un risque ne veut pas dire qu’une faute a été commise, loin de là. La chute d’un patient est toujours regrettable, mais elle ne permet pas de présupposer l’existence d’une faute. Or, seule la faute peut fonder la responsabilité (art. L. 1142-1-I du CSP). La question devient : « Pour équilibrer le conflit de droits, nous avons pris certains risques, mais était-ce pour autant une faute ? » Il en est ainsi d’une fugue, ou d’un geste suicidaire en cours d’hospitalisation. Laisser leur ceinture aux patients trouve sa justification dans le désir de ne pas déshumaniser, ce qui est cohérent dans un service de soins et non de surveillance, et en l’absence de risque de suicide identifié, cette décision ne peut être considérée comme une faute (Crim., 23 avril 2013, n° 12-85027). La juridiction administrative retient la même approche : « Ni les antécédents médicaux du patient, ni son comportement, qualifié de calme lors de son admission, ne permettaient de présumer qu’il pourrait fuguer de l’établissement, alors qu’il avait consenti à intégrer le service de psychiatrie en secteur ouvert, et mettre fin à ses jours » (CAA Lyon, 10 juin 2010, n° 08LY00867).

Une mesure de limitation de la liberté ne peut être justifiée que si ce risque a un contenu réel. Le régime d’hospitalisation libre fait obstacle à l’adoption de méthodes coercitives de surveillance, et ne laisse que des pouvoirs limités sur le patient, un établissement devant apporter une réponse graduée, médicamenteuse, humaine, matérielle, adaptée (CAA Marseille, 17 juin 2013, n° 11MA00769). Un patient avait évoqué son souhait de quitter l’établissement, mais restait dans le dialogue avec l’équipe et, notamment, prenait le traitement médicamenteux prescrit. Dans ces conditions, le départ inopiné du patient n’avait révélé aucune faute, ni dans la surveillance, ni dans l’organisation du service, et aucune mesure coercitive ne s’imposait (CAA Nantes, 15 mai 201413, n° NT00098).

CHAMBRE D’ISOLEMENT ET CONTENTION

La jurisprudence, française et européenne, a toujours retenu le caractère exceptionnel du recours à la chambre d’isolement ou la contention, et la nécessité d’une surveillance renforcée. Une telle décision suppose que soit établie la nécessité d’une mesure de sécurité et, sauf urgence, doit relever d’une prescription médicale (Crim., 23 avril 2013, n° 12-85027).

La juridiction administrative a statué dans le même sens : « En milieu psychiatrique ordinaire, l’enfermement d’une personne relève d’une prescription médicale circonstanciée et l’admission en chambre d’isolement ou de soins intensifs ne peut être prescrite que pour quelques heures ou quelques jours » (CAA Nantes, 15 novembre 2012, n° 11NT02033).

Après maintes discussions, les travaux de la HAS, quelques décisions de jurisprudence et des références européennes, le législateur a adopté l’article 72 de la loi du 26 janvier 2016, devenu l’article L. 3222-5-1 du CSP, ainsi rédigé : « L’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d’un psychiatre, prise pour une durée limitée. Leur mise en œuvre doit faire l’objet d’une surveillance stricte confiée par l’établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin. » La loi précise les choses… mais très peu en réalité. On retrouve la problématique du conflit de droits : il s’agit d’une atteinte à la liberté, qui doit donc être aussi limitée que possible, c’est-à-dire adaptée, proportionnée et évaluée. Cette légalisation ne doit pas jouer comme un encouragement, et une instruction n° DGOS/R4/DGS/ SP4/2017/109 du 29 mars 2017 relative à la politique de réduction des pratiques d’isolement et de contention au sein des établissements de santé a été publiée.

À partir du moment où le patient est privé de sa liberté, la surveillance doit être d’autant plus vigilante, mais on ne bascule pas dans l’obligation de résultat : « Si la surveillance a été adéquate, ce que l’on apprécie par la précision de la prescription, la surveillance, l’évaluation, la réactivité de l’équipe, le seul fait que le patient parvienne à se suicider en chambre d’isolement ne conduit pas à retenir la responsabilité de l’équipe » (CAA Bordeaux, 9 avril 2013, n° 12BX00406).

HOSPITALISATION SOUS CONTRAINTE

En matière d’hospitalisation sous contrainte, la base du raisonnement est différente : le fait que le patient passe le seuil de l’enceinte de l’établissement révèle la faute de surveillance. « Même si le comportement a montré des signes d’amélioration, il appartenait à l’établissement hospitalier, quelles que soient les méthodes thérapeutiques appliquées, d’exercer sur ce malade une surveillance particulière tant que persistait la procédure d’HDT. La circonstance que le patient ait pu quitter l’établissement librement et à l’insu de l’équipe soignante révèle une faute dans l’organisation du service, le centre hospitalier n’ayant pas été en mesure de mettre en place une surveillance adaptée à l’état du patient » (CAA Versailles, 18 novembre 2008, n° 06VE00977).

En revanche, la mesure d’hospitalisation sous contrainte n’inclut aucune obligation de placer le patient en chambre d’isolement ou service fermé. Il revient à l’équipe du service dans le cadre de la prise en charge thérapeutique, et compte tenu de l’impératif de ne pas quitter l’enceinte de l’établissement, de prendre les mesures adaptées et proportionnées.

LES JURISPRUDENCES

Isolement et fouille d’une patiente dans un service d’urgences

CAA de Bordeaux, 12 décembre 2017, n° 15BX04243

À la suite d’une tentative d’autolyse par voie médicamenteuse, une jeune femme, âgée de 17 ans, a été admise au service des urgences d’un CHU le 4 mars 2010 à 9 h 09. Compte tenu de son état d’agitation, elle a reçu, à 11 h 37, une injection intramusculaire afin de réaliser une sédation, et elle a été placée dans une chambre de dégrisement avec contention, renforts et porte ouverte. À 11 h 45, un agent de sécurité a constaté et éteint un incendie, allumé par la patiente, qui avait essayé de brûler ses liens avec un briquet qu’elle avait conservé dans sa poche. La patiente a été grièvement brûlée.

Lors de son admission au service des urgences, la patiente était agitée et agressive, et venait de tenter de mettre fin à ses jours en ingérant une dose importante de médicament et d’alcool. Elle a été prise en charge par un médecin psychiatre qui, devant son « état d’excitation, avec coups de pied et refus », a prescrit la mise en place d’une contention et un tranquillisant. Son état justifiait en effet qu’elle soit attachée afin de limiter le risque pour elle-même et pour autrui de traumatisme.

La patiente, qui portait un tee-shirt, un short et des sandales, a été installée, sur prescription du médecin, sous sédation, dans une chambre d’isolement ouverte donnant sur le couloir, avec contention physique, sans avoir été déshabillée, ni fouillée. Selon le rapport d’expertise, cette surveillance et ces soins étaient adaptés à son état et son comportement, qui n’impliquaient pas d’autres mesures particulières de surveillance au regard de l’absence de risques spécifiques de dangerosité que présentait la patiente et des obligations incombant à un service d’urgence.

Le fait que l’intéressée ait pu demeurer en possession d’un briquet et mettre le feu à sa literie ne suffit pas à établir, s’agissant d’un service d’urgences et vu la sédation administrée, un défaut de surveillance de nature à engager la responsabilité.

Fugue d’un EPHAD

CA de Toulouse, 26 juin 2007, n° 2007-340518

Un patient, atteint de la maladie d’Alzheimer, avait disparu de l’EPHAD où il était admis, et a été retrouvé mort au terme d’une errance de 10?jours, faute de soins et de nourriture. L’établissement était tenu d’une obligation de surveillance du pensionnaire, qui lui avait été signalé comme désorienté, confus et comme ayant déjà fait plusieurs tentatives de fugue au moment de son placement dans le centre. Cependant cette obligation ne peut être qualifiée comme étant « de résultat » en raison du fait que les pensionnaires étaient libres d’aller et de venir à l’intérieur des locaux, cette liberté rendant le résultat, en l’espèce leur sécurité, incertain. Enfin, l’obligation d’assurer le respect de la sécurité de ses pensionnaires, imposée par l’article L. 311-3 du Code de l’action sociale et des familles à l’établissement d’accueil, n’implique pas l’existence d’une obligation de sécurité de résultat.

Fugue d’une adolescente suicidaire

CAA de Nantes, 31 mars 2017, n° 15NT02183

Une adolescente, alors âgée de 16 ans et atteinte d’anorexie mentale, a été prise en charge à la demande de ses parents par un CHS à la suite d’une nouvelle tentative de suicide le 28 novembre 2005. Le 15 décembre 2005 au matin, elle est parvenue à échapper au contrôle du personnel médical et à quitter l’établissement hospitalier, pour se rendre dans un château situé à proximité, d’où elle s’est jetée dans les fossés depuis une hauteur de 15 à 20 mètres. Elle est paraplégique à la suite de cette chute.

La patiente, qui souffrait depuis 2 ans d’anorexie mentale, avait commis 3 tentatives de suicide, dont une dernière le 28 novembre 2005 chez ses parents, avant d’être hospitalisée en hospitalisation libre au service de psychiatrie pour adultes du CHS, faute d’une possibilité d’hospitalisation immédiate dans un service adapté aux adolescents. Selon le rapport d’expertise, la prise en charge de l’adolescente, qui vivait mal une hospitalisation au milieu des adultes, a été complexe, mais elle a néanmoins été effectuée, tant sur le plan du traitement que de l’organisation du service, conformément aux règles de l’art.

En particulier, l’adolescente a été déplacée dans une chambre plus proche du bureau des infirmiers conformément à la demande du médecin qui la suivait, et c’est conformément aux prescriptions de ce médecin que ses vêtements de ville lui ont été remis le matin de l’accident, afin qu’elle puisse participer, comme elle l’avait fait la veille, à l’activité pour adolescents qui était prévue pour elle. L’adolescente a profité d’un moment d’inattention pour fuguer.

Le personnel a aussitôt remarqué son départ, et a réagi sur le champ en tentant de la rattraper, puis en mettant en place une patrouille en voiture, avant de prévenir ses parents et la police, mais en vain. Dans ces conditions, aucune faute n’a été retenue.

Fugue d’un patient souffrant de schizophrénie

CAA de Marseille, 30 mars 2017, n° 15MA00018

Un patient souffrant d’une psychose chronique de type schizophrénique à expression héboïdophrénique avait fait l’objet de périodes d’hospitalisation presque ininterrompues depuis 1995, principalement sous le régime de l’hospitalisation à la demande de tiers.

L’évolution de sa maladie, caractérisée par une détérioration progressive des fonctions de relations et par des phases d’agressivité, a nécessité, en mars puis juin 2004, son placement à l’isolement et la transformation de son régime d’hospitalisation libre en hospitalisation sous contrainte au cours des mois de mai et juin 2004.

Le patient avait effectué de nombreuses fugues au cours de ses séjours successifs dans l’établissement et en dernier lieu quelques jours avant celle du 25 octobre 2004, et le personnel soignant avait constaté, le 22 octobre, que l’intéressé présentait impulsivité et catatonie et qu’il entretenait des idées suicidaires. Dans ces conditions, il appartenait à l’équipe de soins d’exercer une surveillance particulière et d’adapter la prise en charge.

Alors même que le patient était en hospitalisation libre le 25 octobre 2004, l’absence de mesures appropriées à son état révèle un défaut de surveillance de nature à engager la responsabilité du CHS, et eu égard au bref délai écoulé depuis la fugue de la victime, son décès doit être regardé comme imputable de manière directe et certaine à la faute commise par l’établissement de santé.

Défénestration d’une patiente atteinte de la maladie d’Alzheimer

CAA de Bordeaux, 21 février 2017, n° 14BX02577

Le 27 décembre 2007, une patiente, qui était alors âgée de 71 ans, a été admise au service des urgences d’un centre hospitalier, puis dans le service de gériatrie du même établissement, en raison de troubles sévères dus à la maladie d’Alzheimer, entraînant notamment une désorientation temporo-spatiale et des fugues répétées. Le lendemain, après avoir fugué hors du centre hospitalier, elle a été reconduite dans le service de gériatrie où des mesures particulières ont été prises à son égard. Malgré cela, le 31 décembre 2007, elle s’est défenestrée en sautant d’une fenêtre du salon d’accueil du service, faisant une chute du troisième étage, ce qui lui a causé des traumatismes au bassin, aux vertèbres et aux poignets.

L’équipe avait connaissance du comportement « fugueur » de la patiente, lié à la maladie d’Alzheimer dont elle souffrait, ainsi que des troubles spécifiques qu’elle subissait en raison de cette maladie, à savoir une désorientation temporo-spatiale et une atteinte généralisée des fonctions cognitives. Elle avait fugué le 28 décembre 2007, lendemain de son hospitalisation, et avait été retrouvée errant au bord d’une route et elle avait ensuite tenté à plusieurs reprises de s’enfuir du service qui l’accueillait, malgré des mesures de surveillance renforcées. En particulier, le matin de la défenestration, elle avait profité du passage de deux brancardiers pour se glisser derrière eux et sortir par une porte de service avant d’être récupérée et ramenée dans sa chambre. De même, 1 h 30 avant la défenestration, elle avait été retrouvée en train de déambuler dans un couloir, refusant de regagner sa chambre.

En outre, tous les moyens dont disposait l’établissement pour prévenir l’accident n’avaient pas été mis en œuvre. Une enquête de gendarmerie montrait notamment que le verrouillage des issues ne nécessitait aucune technique sophistiquée. D’ailleurs, la fenêtre de la chambre, contrairement à celle du salon d’accueil du service d’où la victime a sauté, avait été verrouillée.

La double circonstance que cette patiente n’était pas identifiée comme une patiente à tendance suicidaire, et que le service l’ayant accueillie n’était pas apte à faire face aux risques générés par les patients présentant des pathologies psychiatriques pouvant conduire à une autolyse, ne pouvait dispenser l’établissement de son obligation de mise en œuvre de mesures de surveillance particulières, dès lors que le stade de gravité de la maladie d’Alzheimer qui affectait la patiente était parfaitement connu de l’équipe, que celle-ci avait manifesté à plusieurs reprises son intention de fuguer avec une forte détermination, et qu’un service de médecine générale ne pouvait ignorer les risques d’atteinte à l’intégrité physique des patients souffrant de cette maladie à un tel niveau de gravité.

Surveillance pendant une contention

CAA de Douai, 10 avril 2018, n° 16DA01134

Un patient a été hospitalisé à la demande d’un tiers le 18 avril 2006 au sein d’un CHS de l’agglomération lilloise suite à un état d’agitation sévère. En raison de son état, il a été placé en isolement et une mesure de contention a été mise en œuvre à son égard.

Lors de son admission le 18 avril 2006 à 23 h, le patient présentait un état d’agitation aigu et d’agressivité extrême. Le médecin de garde a alors pris la décision de le placer à l’isolement avec prescription d’une mesure de contention si nécessaire. Cette mesure a immédiatement été mise en œuvre et a été renouvelée jusqu’au 22 avril 2006. Après la fin de la mesure de contention, le patient est resté placé en isolement jusqu’au 24 avril. À cette date, le médecin a constaté une insuffisance rénale aiguë, a diagnostiqué une parésie du membre supérieur gauche et a demandé son transfert au CHU, où il a été pris en charge au service de néphrologie afin de bénéficier de soins en raison de son insuffisance rénale et d’une paralysie du membre supérieur gauche avec dénervation totale.

Compte tenu de l’agitation et de l’agressivité du patient lors de son admission au sein de l’EPSM, la mesure de placement à l’isolement et la mesure de contention étaient nécessaires et constituaient la seule solution pour protéger le patient et les soignants. Ainsi, aucune faute ne peut être reprochée dans le recours à la mesure de contention.

Durant la période de contention, une surveillance régulière a certes été programmée afin de veiller à l’hydratation, à l’alimentation et à l’équilibre psychique du patient, mais l’expert relève trois points significatifs. D’abord, la période de 4 jours pendant laquelle le patient est resté sous contention est supérieure à la durée des mesures de contention qui, dans la majorité des cas, sont brèves et ne dépassent pas 2 à 3 jours. Ensuite, pendant cette période, le patient a fait preuve d’une forte opposition, s’agitant, hurlant, refusant de se nourrir ou de boire correctement et tirant la plupart du temps sur ses liens avec acharnement. Enfin, il présentait le 24 avril d’importantes excoriations aux poignets et aux chevilles au niveau des points d’attache. Dans ces conditions, les membres de l’équipe auraient dû adapter la surveillance et le suivi de l’état de santé de l’intéressé afin notamment de s’assurer qu’aucun déficit moteur ne survenait et ainsi identifier la paralysie de son membre supérieur gauche. Alors que la mesure de contention s’est achevée le 22 avril, il n’a pas été pratiqué d’examen médical, et ce n’est que 2 jours plus tard que l’un des médecins a diagnostiqué la paralysie du bras gauche. Dans ces conditions, la faute est établie.

Le centre hospitalier fait valoir que les conséquences dommageables de la blessure ont été aggravées par l’état d’agitation très sévère du patient durant sa contention prolongée. Or, cet état d’agitation était à l’origine de l’hospitalisation et de la prescription de la mesure de contention. Dès lors, ce comportement ne saurait être regardé comme fautif et ne peut faire obstacle à la réparation intégrale du dommage né au cours de la mesure de contention en lien direct et certain avec les fautes commises par l’établissement de santé.

Suicide d’un patient en chambre d’isolement

CAA Bordeaux, 9 avril 2013, n° 12BX00406

Un patient a été hospitalisé le 5 avril 2007 à la demande d’un tiers dans un CHS pour éthylisme, avec alcoolisation majeure. Il a bénéficié le 5 mai suivant d’une sortie d’essai de 10 jours mais, s’étant réalcoolisé, a dû être hospitalisé de nouveau le 8 mai. Il a alors fugué, a été réadmis le lendemain, 9 mai, adressé aux urgences, d’où il fugue à nouveau avant d’être admis une nouvelle fois le 10 mai, avec un taux d’alcoolémie de 5 g par litre. Placé en chambre d’isolement, il s’est suicidé le 11 mai.

Le 10 mai 2007, alors en chambre d’isolement, le patient s’était montré calme et coopérant tant durant la matinée que l’après-midi. Il avait pris ses traitements, à 16 h un comprimé de Valium 10 mg et à 17 h un comprimé de Tercian 50 mg. Il n’avait exprimé ni idées noires, ni idées suicidaires. Il avait été vu toutes les heures de 15 h à 18 h par un infirmier. Selon le rapport d’expertise, cette surveillance et ces soins étaient adaptés à son état. Ni son comportement, ni sa pathologie n’impliquait l’intervention de mesures particulières destinées à prévenir une tentative de suicide. Dans ces conditions, la circonstance que l’équipe n’ait pas condamné la porte de communication entre la chambre d’isolement et le cabinet de toilette, ce qui a facilité la réalisation du suicide, ne révèle pas l’existence d’une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service.