Le deuxième chantier de la stratégie de transformation du système de santé concerne la réforme du mode de financement de la médecine ambulatoire et des établissements de santé.
Aujourd’hui en France, le mode de financement de la médecine repose essentiellement sur un paiement à l’acte, que ce soit en ville (c’est même pratiquement le mode exclusif, à l’exclusion de certains forfaits introduits ces dernières années) où à l’hôpital (tarification à l’activité pour les activités de médecins, chirurgie et obstétrique, même si celle-ci ne représente pas la totalité des modes de financement (dotation globale forfaitaire pour un certain nombre d’activités d’intérêt général, pour la psychiatrie, pour les soins de suite). Or ces modes de rémunération non seulement peuvent être facteurs de dépenses supplémentaires sans pour autant être gage de qualité et de pertinence des soins (la course aux actes). Mais par ailleurs ils n’incitent pas forcément à la coopération entre acteurs de santé. Autant de freins à la mise en œuvre d’une logique de parcours de soins et de santé. Le président de la République a lui-même fixé un maximum de 50 % de l’activité médicale financée à l’acte. Dès lors quels autres modes de financement peuvent-ils être envisagés ? En septembre 2008 la direction générale du Trésor et de la politique économique publiait une lettre sur les modes de rémunérations des médecins ; cette lettre est on ne peut plus d’actualité 10 ans plus tard. Les auteurs y font un état des lieux des trois principaux modes de rémunération des médecins, avec avantages et inconvénients, puis esquissent des évolutions pour les nouveaux modes de rémunération à partir de la littérature étrangère et des expériences conduites dans différents pays.
Car si le paiement à l’acte est une des caractéristiques du système de financement de la santé en France, dans d’autres pays les médecins peuvent être salariés ou financés de manière forfaitaire. Car les modes de rémunération influencent la pratique médicale, la qualité des soins, la prise en compte ou non de la prévention. Les nouveaux jeunes médecins eux-mêmes réclament un changement des modes de rémunération, à peine 10% sortant de l’internat s’installant en libéral. Depuis 10 ans des expérimentations sont prévues par les lois successives de financement de la sécurité sociale pour associer au paiement à l’acte des rémunérations forfaitaires, comme par exemple le suivi des patients en affection de longue durée ou la permanence des soins ambulatoire (astreintes). Quand on compare les différents modes de financement des professionnels de santé entre les pays, trois grands modes de financement des médecins, le plus souvent combinés, ressortent : le paiement à l’acte, le salariat et la capitation.
Le paiement à l’acte est fonction du nombre de consultations effectuées par le médecin. Ce qui signifie que plus le médecin voit de patients plus il est rémunéré.
Un tel mode de rémunération incite les médecins à augmenter leur nombre de consultations pour augmenter leur revenu (effet revenu). On considère dès lors qu’un système de financement à l’acte est inflationniste, au détriment parfois de la qualité (raccourcissement de la durée de consultation), car le médecin peut décider de faire plus de consultations en une heure donnée (effet productivité). Donc soit le médecin augment sa patientèle, soit le médecin augmente l’intensité des soins qu’il prodigue à chacun (plusieurs actes par malade). Cela renforce la thèse selon laquelle l’offre induit la demande, à la base notamment de l’instauration du numérus clausus, mais également de la fixation du tarif de la consultation par l’assurance maladie.
Les études tendent à montrer que les dépenses de santé sont plus élevées dans les systèmes où le paiement à l’acte domine, mais elles peuvent cependant refléter une meilleure réponse aux besoins. Les pays où le paiement à l’acte est dominant ont des dépenses de santé plus élevées que ceux qui rémunèrent leurs médecins à la capitation ou par salaire.
Par ailleurs les pays qui ont changé le mode de rémunération des médecins pour opter pour le paiement à l’acte ont vu un surcroît d’activité qui tend à démontrer l’induction de la demande par l’offre. Il est certain que les médecins adaptent leur manière de prodiguer afin de maintenir leur niveau de revenu constant.
Il est cependant difficile de démontrer à ce stade que les soins prodigués ne sont pas pertinents.
Dans ce mode de financement (qui est celui des médecins à l’hôpital public en France) le médecin perçoit un forfait sous forme de salaire indépendamment du nombre de malades pris en charge et de l’intensité des soins prodigués. Si le salariat permet ainsi de garantir le niveau de revenu du docteur, en revanche il peut avoir un effet désincitatif sur les soins prodigués.
En effet le salariat permet de déconnecter la rémunération de l’acte médical. Les décisions que prend le médecin sur la façon de soigner ses patients n’ont donc aucun impact sur sa rémunération. Le médecin aura tendance à consacrer plus de temps à chacun de ses malades, ce qui est gage de qualité du service rendu. Toutefois il pourra aussi avoir tendance à produire moins d’efforts et donc ainsi traiter moins de malades. C’est sur la base de cette hypothèse que la tarification à l’activité a été introduite dans les hôpitaux publics : bien que le médecin reste salarié et conserve son revenu, il y a une incitation forte à produire de l’activité par le gestionnaire de l’établissement.
Certaines études empiriques attestent de l’effet présumé du salariat sur les soins délivrés. Ainsi la rémunération par un salaire est associée à des consultations plus longues, à un nombre d’actes par patients et un nombre de patients par médecin moindre. A l’exception d’une étude qui conclut que le passage au salariat des médecins anglais n’a pas entraîné de baisse de leur productivité, la plupart des études confirment aussi la diminution du volume de soins associée au passage à la rémunération sous forme de salaire. En revanche, l’effet empirique du salariat sur la qualité des soins apparaît plus ambigu. Des études menées aux États-Unis ne suggèrent pas d’effet significatif sur la qualité (ni à la hausse ni à la baisse).
Dans ce mode de financement le médecin perçoit une somme forfaitaire par patient inscrit à son cabinet, indépendamment du volume de soins prodigués. Pour une période donnée le médecin est rémunéré de la même somme qu’il voie ou non le patient et quel que soit le nombre de fois où il le voit. Le forfait peut éventuellement intégrer les soins et médicaments prescrits lors de ces consultations. Comme le paiement à l’acte, le paiement à la capitation rémunère le médecin en fonction de son activité. Dans le premier cas, cette activité est appréhendée par le nombre de consultations ; dans le second par le nombre de patients suivis. Mais à nombre de patients donné, les deux types de paiement produisent des incitations financières inverses : payé à l’acte, le médecin a intérêt à voir le plus souvent possible ses patients ; payé à la capitation, il a au contraire intérêt à les voir le moins souvent possible. La capitation partage par ailleurs avec le salariat la caractéristique d’être un paiement prospectif, dont le montant est prévisible, tandis que le paiement à l’acte est par nature rétrospectif (on ne connaît le nombre de consultations qu’en fin de période) donc moins facile à budgéter.
Le paiement par capitation augmente le taux d’adressage vers d’autres professionnels, et notamment les spécialistes. Le médecin a tendance à orienter son malade vers d’autres professionnels pour ne pas avoir à le soigner dans le cadre de son forfait. Dans le cas où le forfait n’est pas ajusté au risque du patient, le deuxième risque inhérent au paiement par capitation est celui du la sélection des patients ; les médecins ont un intérêt financier à évincer
de leur liste les patients nécessitant les soins les plus lourds. Empiriquement toutefois, ce type de comportement n’a pas été vérifié à ce jour. Enfin il a été montré aux États-Unis que les patients les plus malades choisissaient préférentiellement les systèmes assurantiels avec paiement à l’acte plutôt qu’avec capitation. On pourrait interpréter cette observation par le fait que la qualité perçue est moindre dans le cas où les médecins sont payés par capitation.
Dans le cas où le médecin est rémunéré à l’acte, des paiements forfaitaires pourraient lui être versés pour rémunérer certaines activités. Ce type de paiement mixte a par exemple été introduit en France, avec la mise en place du système de médecin référent où le suivi de chaque dossier patients était rémunéré par un forfait de 46 €, puis avec le forfait de 40 € versé pour le suivi des patients en affection longue durée, ou bien encore dans le cadre des dispositifs PAERPA. Au Québec, la réforme de 1999 a consisté à proposer aux médecins à l’hôpital de passer d’une rémunération à l’acte à un mode de rémunération mixte combinant une part fixe et une partie variable proportionnelle à leur activité (même chose en France avec les contrats de cliniciens où une part de la rémunération est fonction de l’activité prodiguée par le praticien). L’une des finalités de cette réforme était que les médecins aient les moyens de consacrer une partie de leur temps aux charges administratives et d’enseignement. Inversement, dans le cas où le médecin est salarié ou payé à la capitation, le passage à une rémunération mixte signifie introduire des paiements à l’acte sur des activités pour lesquelles on souhaite une pratique plus intensive. C’est l’incitation à la productivité qui motive en général ce choix. On trouve des exemples dans la rémunération des médecins britanniques (pour les visites de nuit, les vaccinations, la petite chirurgie). Toutefois, ces modes de paiements mixtes atténuent mais ne suppriment pas les défauts de chaque type de rémunération. Dans un schéma où la rémunération à l’acte dominerait, l’introduction d’une partie fixe (associée à une rémunération à l’acte à taux variable) limite mais ne supprime pas l’incitation à accroître le volume des soins. Par ailleurs il convient d’éviter que les forfaits deviennent un effet d’aubaine pour les médecins, sans contrepartie sur le niveau des soins dispensés.
Le principe est de définir ex post la valeur de la consultation en fonction du respect global de budgets préalablement définis. Par exemple, un dépassement de 10 % de l’enveloppe conduit à une baisse équivalente du tarif de la consultation. C’est le système instauré pour maitriser l’ONDAM en France : quand les hôpitaux dépassent le volume d’activité fixé, l’année suivante les tarifs sont diminués d’autant. Cette piste a été explorée en Allemagne dans les années 1980, au Canada (au Québec dans les années 1970, en Alberta et en Nouvelle Écosse au début des années 1990), et aux États-Unis pour les soins dispensés à des patients couverts par Medicare. Ces expériences ont fait apparaître les effets potentiellement pervers de cette forme d’encadrement du volume d’activité. Paradoxalement, elle peut entraîner une multiplication du volume d’actes chez le médecin. La raison réside dans le décalage entre le niveau de responsabilisation (collectif) et les pratiques divergentes (individuelles). Chaque médecin, individuellement, a intérêt à réaliser un grand nombre d’actes pour se prémunir du risque de voir le prix de la consultation baisser. Ce comportement va être d’autant plus répandu que les médecins anticiperont un dépassement de l’enveloppe globale.
Ce plafonnement prend la forme d’une rémunération réduite du nombre d’actes une fois que le plafond (de revenu ou d’actes) est atteint. Ce type de mécanisme a existé en France avec des plafonds très élevés pour les professions d’infirmiers et de kinésithérapeutes. Fixé à un niveau d’activité relativement élevé, le mécanisme a un intérêt limité en termes d’encadrement du volume d’activité. Il peut néanmoins être utile pour sanctionner des médecins lorsque l’on juge leur volume d’activité sûrement incompatible avec une pratique médicale de qualité. Fixé à un niveau plus bas, le mécanisme devient par construction plus intéressant pour encadrer les volumes d’activité mais les effets pervers sont plus nombreux. Il est en premier lieu compliqué par le fait que l’activité des médecins varie au fil de leur carrière, plutôt faible en début de carrière lorsque ceux-ci se constituent une clientèle, l’activité de chaque médecin augmente avant de se stabiliser et de diminuer à nouveau en fin de carrière. Établir un plafond peu supérieur à la moyenne du volume d’activité moyen conduit de facto à sanctionner les médecins en milieu de carrière. De plus, le plafonnement de l’activité médicale se heurte au développement du temps partiel accompagnant la féminisation du corps médical. Il n’est pas réaliste de penser que l’on peut adapter le plafond selon le temps travaillé, dans la mesure où le nombre d’heures travaillées est une information susceptible d’être manipulée par la profession médicale (puisqu’elle est difficilement vérifiable).
Ce dispositif existe en Allemagne sous le nom de “Praxisbudget”. Il consiste à définir un quota d’actes moyen par patient. Le plafond d’activité correspond à ce quota d’actes multiplié par le nombre de patients vus au moins une fois dans le trimestre. Une fois que le médecin a atteint ce plafond, il n’est plus payé par les caisses d’assurance maladie. Le quota d’actes peut de surcroît être ajusté selon le profil de la patientèle. Par rapport à la capitation, la différence réside dans le fait que si le volume d’actes délivré est inférieur au plafond, la caisse ne rembourse que le volume d’actes effectué (et non un forfait). Cela élimine le risque négatif sur l’effort du médecin. En revanche, l’activité étant plafonnée, le médecin n’est pas incité outre mesure à augmenter son volume de soins. Ce schéma de rémunération est de plus cohérent avec le fait que la demande induite par les médecins prend probablement la forme d’une incitation à revenir consulter plus souvent que nécessaire. En revanche, en pratique, il requiert l’existence du tiers payant pour les consultations (pour pouvoir comptabiliser “en direct” le nombre d’actes réalisé par le médecin). Toutefois ce système peut inciter le médecin à augmenter le plus possible sa patientèle, si possible avec des patients ayant une faible morbidité, tout en pratiquant l’adressage des cas plus complexes. Surtout, ce mode de rémunération n’est efficace que si le régulateur est même de fixer un quota d’actes pertinent. Le risque de sélection de clientèle sera en effet élevé si le quota d’actes moyen est sous-calibré. D’un autre côté, l’efficacité en termes d’encadrement des dépenses sera relativement limitée si le quota est fixé à un niveau trop élevé. La calibration du quota d’actes est donc importante, mais à la fois son calcul sur base historique et celui sur une base normative posent des problèmes méthodologiques.
Les développements précédents montrent qu’il n’existe pas de “bon” mode de financement des médecins. Tout dépend du contexte dans lequel on se trouve (pénurie ou pas de médecins, contexte financier contraint ou pas, etc) et des objectifs qui sont recherchés. Il est certain que le paiement à l’acte ne pourra être remplacé par un système à la capitation par exemple, qui correspond certainement le mieux à la prise en charge des malades chroniques et des parcours, que si l’adhésion des acteurs est pleine et entière. L’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale a ouvert la voie pour expérimenter; le chantier sur les modes de financement de la stratégie de transformation du système de santé devra consolider et dresser un cap.
• Pour en savoir plus Trésor Eco N° 42 - Septembre 2008 - page 8
→ La théorie de l’agence analyse les relations entre deux entités en ciblant les asymétries d’information entre les deux et les conséquences qu’elles engendrent sur la relation entre les deux individus, appelée relation d’agence, et les comportements stratégiques de chacun qualifiés soit de sélection adverse, soit de risque moral. La sélection adverse intervient lorsque l’asymétrie d’information porte sur les caractéristiques du bien échangé entre les deux individus ; le risque moral apparaît lorsque l’asymétrie d’information porte sur l’actionou l’effort produit par les individus eux-mêmes dans la relation d’agence.
→ Appliquée à la relation d’agence entre le médecin et le financeur (l’assurance maladie), la théorie de l’agence fait apparaître trois effets de sélection adverse et trois effets de risque moral, plus ou moins présents selon le mode de rémunération :
- les effets de sélection adverse : un dû à la non définition des soins produits (le financeur méconnaît les caractéristiques du bien produit par le médecin qu’il finance cependant), un risque de préférence des malades les moins lourds aux plus complexes par le médecin au détriment des besoins de la population, un risque de qualité insuffisante du bien produit
- les effets de risque moral : un effet de surproduction (le médecin s’il est financé à l’acte a intérêt à maximiser son activité pour obtenir un revenu le plus conséquent possible), un effet de sous-consommation si le médecin est financé forfaitairement (il a intérêt à minimiser son effort), un effet de fractionnement des venues au cabinet pour multiplier les consultations et donc son revenu.