RESSOURCES HUMAINES
Dossier
Anne Braguier* Jean-François Cadue** Karine Debin-Parquet*** Florence Foucart**** Isabelle Gamory***** Claire Malka****** Annette Rion******* Sylviane Souil******** Dominique Bourgeon*********
Problématiques et enjeux de la professionnalisation révélés par le prisme d’une expérience interinstituts…
L’adéquation entre les formations initiales et les attentes des employeurs constitue un enjeu majeur pour les instituts paramédicaux dans le sens où la mutation des pratiques professionnelles, le développement de la technologie et l’évolution sociétale ne cessent de s’accélérer ces dernières années. Les cursus de formation doivent conjuguer une vision de l’apprenant, une maîtrise de l’environnement tout en appréciant les besoins des établissements sanitaires et médico-sociaux. En perspective de cette problématique, le développement d’une certification s’imposera très rapidement dans le cadre de l’universitarisation et, plus largement, au regard des exigences légitimes des différents acteurs du champ sanitaire. Dans ce sens, il devient de plus en plus impératif d’évaluer la qualité de la professionnalisation des nouveaux diplômés.
En 2013, la coordination des instituts de formation d’un CHU a impulsé une démarche qualité portant sur l’ensemble des cursus de formation. Un groupe pilote rassemblant des formateurs (trices) issus des trois filières de la formation initiale (Ifsi et Ifas, IFMEM et IFMK) et de la formation continue (EIADE et IFCS) a été créé. Suite à une formation idoine, un référentiel a été choisi et proposé à l’ensemble des équipes. Chaque institut a réalisé sa propre auto-évaluation en impliquant l’ensemble des personnels concernés. Le groupe pilote a rédigé la synthèse des travaux puis dégagé un axe commun à toutes les filières. Attendue par le conseil régional et l’université, la démarche qualité constitue un véritable levier de changement, notamment pour des instituts confrontés à une nécessaire traçabilité et formalisation des pratiques. L’axe d’amélioration interinstituts a abouti à une enquête auprès de l’ensemble des employeurs de nos anciens étudiants pour vérifier l’adéquation entre les compétences acquises et la réalité du travail.
Cette démarche a nécessité, en 2016-2017, un effort important pour les membres du groupe : plus de six cents questionnaires ont été envoyés à une pluralité d’acteurs.
Le groupe a recueilli un taux global de réponses de 38 %, niveau satisfaisant dans le sens où les taux moyens de réponses à une enquête quantitative sont de l’ordre de 20 %. L’enquête portait essentiellement sur les attentes des professionnels vis-à-vis d’un nouveau diplômé après 6 mois d’exercice et les facteurs influençant sa professionnalisation.
Les résultats obtenus comportent deux sources d’étonnement. Les trois attentes prépondérantes sont identiques sur l’ensemble des filières et s’émancipent des compétences techniques : éthique professionnelle, capacités relationnelles et travail en équipe. A contrario, les trois derniers attendus portent sur les habiletés techniques, les capacités à prendre des décisions et les aptitudes à se positionner.
L’homogénéité des attentes pour l’ensemble des filières est représentée par le diagramme ci-dessous.
Souvent, les discours dominants font état d’un manque de technicité des étudiants lors de leur prise de fonction. Or, ce sont des attentes relationnelles et éthiques qui émergent de l’enquête. Elles soulèvent plus de questions que de réponses. Traduisent-elles des attendus au regard des apprenants ou offrent-elles l’expression d’un sentiment général des soignants au regard de leur exercice actuel ? Les acteurs de santé projettent-ils leurs ressentis sur les profils des apprenants ? Ou bien les six mois d’exercice suffisent-ils à la professionnalisation et les attendus changent-ils d’orientation à ce stade ? Ce dernier point paraît pertinent car la dimension relationnelle devient pleine et entière lorsque les soignants maîtrisent la technicité.
Au début de la professionnalisation, le soignant se centre sur la technicité (1) puis secondairement privilégie la dimension relationnelle (2). Les six mois d’exercice réalisés, le regard des nouveaux soignants se recentre-t-il sur le patient ?
Une enquête qualitative fondée sur des entretiens semi-directifs permettrait d’apporter des éléments de réponses.
En second lieu, l’analyse groupale sur l’ensemble des instituts présente une homogénéité semblant gommer les singularités de métier. Pour la première fois, une expression “paramédicale” semble émerger… Le groupe de pilotage construit sur la pluriprofessionnalité révélerait-il une véritable dimension soignante reposant sur des valeurs et des conceptions communes à toutes les filières ?
Au-delà de ces constats, les formations répondent globalement aux attentes des professionnels.
Le groupe a choisi d’étudier ces facteurs au regard de quatre critères : formation théorique, formation clinique, profil de l’apprenant et alternance. Cette typologie permettra d’envisager des axes d’amélioration ainsi que des collaborations entre les instituts de formation et les unités de soins.
Les acteurs de terrain analysent logiquement la formation sous l’angle qu’ils connaissent : les stages. Leur perception traduit une exigence accrue de formation clinique avec, peut-être, une nostalgie des mises en situation professionnelles, regret variable selon les métiers.
La problématique se centre sur la gestion de l’alternance cours/ stages, avec une nécessité de développer le tutorat : les tuteurs se jugent impliqués mais souffrent d’un manque d’éclairage sur leur rôle d’encadrant. Ils manquent, par ailleurs, de temps pour susciter le questionnement des étudiants, notamment sur les connaissances théoriques, afin qu’elles prennent sens dans l’approche clinique.
Si la démarche de soin est maîtrisée, elle doit s’ancrer dans une réalité professionnelle et dans les normes collectives pour autoriser des prises en soin personnalisées. L’autonomie et les capacités relationnelles des étudiants restent néanmoins déterminantes dans le processus de professionnalisation.
Une dimension normative, comportementale, apparaît dans l’enquête, que la formation ne semble pas appréhender alors que des compétences multiples sont acquises.
Malgré l’allongement de la durée des stages, leur diversité, la formation en alternance stages/ cours, la politique d’encadrement et les échanges entre formateurs et équipes sont encore pointés comme des dimensions majeures de la professionnalisation des étudiants.
Ce travail, conduit sur quatre années consécutives, a souligné l’importance de la pluriprofessionnalité au sein des instituts de formation et a induit, chez les membres du comité de pilotage, un sentiment d’appartenance à un réel groupe paramédical. Préfigure-t-il une future filière universitaire en santé ?
Outre les pistes de recherches qualitatives que cette enquête soulève, elle doit se prolonger par un questionnement auprès des diplômés à six mois d’exercice.
Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.