COLLOQUE L’innovation technologique et organisationnelle offre de nouvelles perspectives pour l’accès à la santé du plus grand nombre. Les pays du Sud peuvent même montrer la voie à leurs cousins du Nord, créant de nouvelles professions du soin ou allouant de nouveaux rôles aux professionnels existants.
Une lentille oculaire pour l’opération de la cataracte à 4 $ au lieu de 100 ? Une console de jeu pour faire sa rééducation à domicile quand on vit trop loin d’un établissement de soin ? Des messages de prévention santé diffusée au plus grand nombre ? Toutes ces innovations en santé, et bien d’autres, étaient présentées au cours du colloque FAMx, organisé les 31 mai et 1er juin par la Fondation de l’académie de médecine. Leur point commun ? Elles relèvent de ce qui est actuellement qualifié d’innovation inversée, à savoir, celle qui est déployée en contexte économique contraint - en résumé, les pays du Sud - et pourrait inspirer les systèmes de santé occidentaux.
Une table ronde s’est notamment penchée sur les nouveaux rôles que ces innovations induisent du côté des professionnels de santé : délégations de tâches, recentrage sur un coeur de métier voire développement de nouvelles compétences et de nouveaux métiers.
Ainsi, en Tanzanie, un centre communautaire de dermatologie propose aux professionnels de santé non médecins (cadre infirmier des centres de santé, sages-femmes, voire aide-infirmiers expérimentés) des zones isolées un programme de résidence de deux ans afin qu’ils mettent en place des cliniques de proximité. À Los-Angeles, une innovation, inspirée des agents de santé communautaires inventés à la fin des années 90 en Haïti, permet à des membres des communautés de s’investir dans l’accompagnement vers le système de droit commun des personnes qui en sont les plus éloignées parce qu’elles parlent peu ou mal la langue, parce qu’elles sont issues d’une culture différente, parce qu’elles vivent dans la précarité… Une activité qui se rapproche de la fonction, en France, des médiateurs en santé. « Des résultats tangibles sont observés auprès des patients, par exemple une amélioration au niveau de l’hémoglobine glyquée des patients diabétiques, un moindre recours aux services d’urgence, ou une meilleure observance des prescriptions médicamenteuses, a résumé Ami Shah, directrice adjointe du programme de santé communautaire du comté de Los Angeles. »
La messagerie SMS permet également l’offre de nouveaux outils, notamment en prévention. Au Sénégal ce sont des messages spécifiquement élaborés à l’intention des personnes diabétiques ou de leurs médecins non généralistes qui sont mis en œuvre depuis quelques années. En Éthiopie, c’est également par ce biais que le suivi de grossesse peut être amélioré (rappel des rendez-vous importants et messages de prévention). Calmedica, entreprise française, a, elle, choisi d’utiliser cette technologie de communication éprouvée et très accessible pour créer un robot conversationnel qui rappelle aux patients la veille d’une intervention chirurgicale en ambulatoire comment ils doivent se préparer, le principe du jeûne, les mesures d’asepsie, l’heure du rendez-vous, etc. Le robot recontacte également les patients à J + 1. « Nous élaborons un algorithme validé médicalement par chaque service client de notre offre, explique Corinne Segalen, médecin et présidente de Calmedica. Il s’agit de détecter tout problème qui apparaîtrait et nécessiterait l’intervention d’un personnel de soin. L’hôpital Saint-Antoine (Paris, AP-HP), l’utilise, et cela leur a permis de libérer du temps infirmier pour créer des consultations. »
Enfin, le dispositif français Asalée, dans lequel sont désormais engagées quelques 600 infirmières, salariées ou libérales, a été mis en avant. Parti des besoins d’un territoire en voie de désertification médicale, il permet l’association d’une infirmière avec un ou plusieurs médecins pour l’accompagnement spécifique de 4 profils patients : malades diabétiques, personnes à risques cardio-vasculaires, victimes de troubles de la mémoire ou à risque de BPCO. L’infirmière propose des consultations d’éducation thérapeutique mais également des activités nouvelles financées par des actes dérogatoires (prescription de tests de dépistage, d’examens biologiques, etc.).
« Chacune d’entre nous a une activité singulière, parce qu’on travaille avec des médecins également singuliers, sur des territoires spécifiques, précise Anne. L’une de nous a ainsi fait tout un travail sur l’accès aux soins dans la communauté malienne, d’autres ont créé des jardins thérapeutiques ou développé une activité autour du sevrage tabagique. »
Des perspectives encourageantes, car les innovations présentées ont été évaluées et ne représentent en aucun cas des « soins au rabais ». Reste à savoir comment le système de santé occidental pourrait les intégrer et à s’attaquer aux nombreuses résistances qui riquent de se manifester.
Une table ronde consacrée à l’acceptabilité des innovations frugales en France a permis d’évoquer différentes dimensions de ce transfert d’innovations.
Les innovations frugales résultent de la volonté de concevoir des soins accessibles au plus grand nombre à moindre coût. Souvent originaires des pays émergents, il existe néanmoins déjà des exemples en Europe : le Raspberry pi, ce mini-ordinateur puissant et rapide dont le faible coût (< 100 €) installé au chevet du patient pour capter rapidement une évolution des signes vitaux.
Ces technologies sont souvent considérées comme une médecine low cost. « Le premier seuil d’acceptabilité de ces technologies en France, c’est évidemment celui de la qualité », résumait Jean-Claude Ameisen
Car lorsque la HAS recommande une procédure ou un médicament, ce n’est pas en fonction de son prix. Dans ces conditions, pour diffuser une nouvelle procédure, le patient doit être convaincu de son intérêt… ou ne pas avoir d’autre option : « Pourquoi importer les procédures de chirurgie de la cataracte développées pour l’accès aux soins des populations himalayennes, si efficaces soient-elles, alors que les assurés français sont satisfaits des protocoles dont ils disposent déjà ? souligne Virginie Tournay
Mais d’autres résistances existent. « Nous avons du mal à accepter une innovation simple, rappelons-nous qu’il a fallu dix ans pour accepter que l’ulcère soit dû à une bactérie et que de simples antibiotiques pouvaient le soigner. » Le poids du lobbying pharmaco-industriel n’y est sans doute pas pour rien.
D’autres intervenants ont mentionné des inerties institutionnelles : peut-on importer les prothèses fabriquées en Inde à moindre coût, même si leur qualité est excellente, sachant qu’elles sont fabriquées dans un système dont les exigences sociales ne sont pas aussi élevées qu’en Europe ? Et pourrait-on accepter que la nouvelle plateforme miracle qui permet de mettre en réseau des radiologues avec des opérateurs d’imagerie pour analyser des données récoltées en zone isolée, compense une démographie médicale flageolante en occident grâce aux compétences médicales développées dans les métropoles du Sud ? C’est en tout cas ce qui se passe avec la plateforme Lifetrack Medical System, initialement développée pour les Philippines et qui pourrait prochainement être utilisée par le National Health System (au Royaume-uni) pour analyser son imagerie… en Inde.
(1) médecin immunologiste et président d’honneur du Comité consultatif national d’éthique
(2) biologiste et directrice de recherche au CNRS