Économie de la santé
Après le lancement par le Premier ministre en février dernier de la transformation du système de santé avec la mise en place de cinq chantiers, le président de la République devrait présenter à la rentrée les premiers éléments de cette transformation. Sans préjuger de ce qui sera annoncé, ne doit-on pas saisir cette opportunité pour modifier radicalement notre système de santé en s’appuyant sur les expériences réussies dans certains pays de l’Union européenne ? Car ne s’agit-il pas de changer profondément de logique alors même que les différentes réformes des quarante dernières années n’ont pas spécialement porté leurs fruits ?
Nous avons déjà eu l’occasion de présenter deux systèmes de santé différents, celui de l’Allemagne et celui des Pays-Bas. Nous proposons d’y revenir afin d’en tirer les conséquences potentielles sur les évolutions de notre propre système de santé : la transformation du système de santé en trois matchs, l’Allemagne, les Pays-Bas, la France.
La structuration des deux systèmes de santé est similaire : on retrouve de part et d’autre du Rhin, parmi les offreurs de soins, des hôpitaux publics, des cliniques privées, des établissements de santé à but non lucratif, des médecins libéraux (généralistes et spécialistes). Les deux systèmes reposent sur le principe de la liberté de choix du malade. Les deux pays ont un niveau élevé de dépenses de santé : 11,6 % du PIB français et 11,3 % du PIB allemand, ce qui représente un niveau très élevé comparé aux autres pays européens. Et dans les deux pays existe un système d’assurance maladie obligatoire.
Les dépenses de santé représentent 3 611 euros par habitant et par an en Allemagne contre 3 465 euros en France, avec des taux d’évolution comparables sur les dernières années (plus de 2 % par an).
Toutefois on constate un poids plus important des dépenses hospitalières en France (37 % des dépenses de santé contre 29 % en Allemagne) alors même que le nombre de séjours hospitaliers est plus élevé en Allemagne, de même que le nombre de lits et la durée de moyenne de séjour. Ce paradoxe s’explique en fait par un coût de fonctionnement de l’hôpital français plus élevé, dû en grande partie aux charges de personnels largement supérieures (17,33 ETP hospitaliers pour 1 000 habitants en France contre 11,2 en Allemagne) et par une externalisation plus intense en Allemagne des fonctions supports et techniques.
À l’inverse, il y a 50 % de plus de consultations en médecine de ville en Allemagne qu’en France (30 % des dépenses de santé en ville en Allemagne contre 22 % en France), avec des revenus des médecins libéraux plus élevés et une densité de professionnels libéraux plus forte.
À noter par ailleurs une séparation stricte entre l’hospitalisation et la médecine de ville en Allemagne. Contrairement à la France où l’on développe l’ambulatoire dans les établissements de santé (objectif majeur du plan triennal), les établissements de santé en Allemagne se consacrent exclusivement aux malades qui ont besoin d’être hospitalisés dans un lit, les autres étant pris en charge exclusivement par les professionnels de santé libéraux.
Contrairement à la France, un seul régime d’assurance maladie couvre l’ensemble des salariés en Allemagne, quels que soient leur secteur d’activité et leur statut : l’assurance maladie légale. C’est un régime paritaire, géré par les partenaires sociaux au niveau de chaque Land (région), qui dispose d’une très grande marge de manœuvre pour négocier chaque année avec les offreurs de soins. Un comité fédéral commun qui regroupe les professionnels de santé et l’Assurance maladie existe, le rôle de l’État fédéral se limitant à la “surveillance” du système (à l’instar des conseils de surveillance de nos hôpitaux français) en fixant uniquement le cadre.
Face à ce régime unique autoadministré fortement décentralisé s’oppose la pluralité des régimes d’assurance maladie français en fonction du secteur d’activité des individus, fortement régulés et administrés par l’État (les fameuses conventions d’objectifs et de gestion : COG), avec donc une responsabilisation de plus en plus faible des partenaires sociaux, les conseils d’administration des caisses d’assurance maladie n’ayant finalement que peu de pouvoirs. L’État a donc un rôle prépondérant, que ce soit au niveau central (ministère de la Santé) ou au niveau régional (agences régionales de santé), sans qu’il y ait néanmoins de régionalisation mais une simple déconcentration des pouvoirs.
De même, si les niveaux de prise en charge par le régime obligatoire des dépenses de santé sont sensiblement identiques (73,8 % en France contre 70,4 % en Allemagne), en revanche le périmètre de prise en charge n’est pas le même. L’Allemagne a fait le choix politique d’avoir des taux de remboursement supérieurs mais sur un périmètre plus restreint, avec l’instauration d’un bouclier sanitaire. Par ailleurs, si la généralisation de la complémentaire santé est pratiquement atteinte en France (95 % de la population couverte en 2010), représentant ainsi 13,8 % des dépenses de santé, il n’existe pas à proprement parler d’assurance complémentaire en Allemagne. En effet, les fonctionnaires et les salariés à hauts revenus peuvent se soustraire à l’assurance obligatoire pour prendre une assurance privée, mais qui dès lors prend tout en charge, cela ne concernant que 11 % de la population pour 2 % des dépenses de santé.
Le régime d’assurance maladie allemand ne saurait être en déséquilibre : c’est un principe constitutionnel. Dès lors la recherche de l’équilibre par des actions centrées avant tout sur les recettes s’impose aux différentes caisses. Si un fonds santé a été instauré pour mutualiser les ressources et les redistribuer, les mécanismes d’équilibre reposent avant tout sur une augmentation des cotisations, sur des mécanismes de subvention de l’État fédéral, en dernier ressort l’utilisation des réserves. Il existe des mécanismes de maîtrise des dépenses mais ils sont à la marge, dans la mesure où l’Assurance maladie négocie les moyens des offreurs de soins en fonction des ressources dont ils disposent.
Mécanisme de régulation complètement à l’opposé en France, il repose sur la maîtrise des dépenses et surtout de leur évolution depuis 2016, avec l’instauration de l’Ondam, objectif national des dépenses d’assurance maladie, qui fixe un volume de dépenses à ne pas dépasser, a priori.
Les résultats sont sans appel pour la France : 11,8 milliards d’euros cumulés d’excédents en 2014 en Allemagne contre 104,8 milliards d’euros de déficits cumulés en France… Cherchez l’erreur.
Les deux pays sont engagés dans une restructuration du tissu hospitalier qui vise à réduire le parc hospitalier et donc à rendre efficient celui-ci, mais avec des méthodes divergentes :
• une régionalisation des dépenses hospitalières en Allemagne et un pilotage au niveau des Länder par les caisses d’assurance maladie qui négocient les budgets des hôpitaux, versus une déclinaison de l’Ondam en France au niveau régional appliquée par le bras armé de l’État, l’agence régionale de santé ;
• un mécanisme de financement fondé sur l’activité dans les deux pays, étendu à la psychiatrie en Allemagne, mais avec des tarifs identiques quel que soit le secteur en Allemagne, ne prenant pas en compte l’amortissement, les investissements étant financés directement par les Länder. Et une négociation et donc une fixation des tarifs entièrement régionalisée, dégressifs en fonction des volumes.
À l’instar des établissements de santé, les négociations entre les professionnels de santé et l’Assurance maladie sont décentralisées au niveau des Länder, qui fixent des volumes d’activités encadrés par des enveloppes définies en fonction de la population et de la morbidité. Il en découle une rémunération des professionnels libéraux bien supérieure en Allemagne, dans un système de tiers payant entièrement généralisé et avec l’absence de dépassements d’honoraires. Autrement dit, l’inverse de la France.
Pour mémoire, les Pays-Bas ce sont 17 millions d’habitants (soit plus de trois fois moins qu’en France), pour lesquels la nation consacre environ 70 milliards d’euros à leurs dépenses de santé (190 milliards en France, soit un peu moins de trois fois plus), soit environ 10 % du produit intérieur brut (idem en France). Sinon, le panorama global en matière de dépenses de santé est à peu près équivalent pour la France et les Pays-Bas.
Les fondements de l’organisation du système de santé aux Pays-Bas sont également identiques : un accès aux soins pour tous, une solidarité fondée sur une assurance obligatoire pour tous et accessible par tous, une bonne qualité des soins. Ces fondements on les retrouve dans les 4 lois fondatrices du système de santé néerlandais :
• la loi relative à l’assurance maladie (2006), dont la mise en œuvre est confiée à des assureurs privés mis en concurrence dans le cadre d’un marché public contrôlé et régulé par l’État ;
• la loi relative aux soins de santé de longue durée (2015), dont la mise en œuvre revient à l’État uniquement ;
• la loi relative au soutien social, qui concerne essentiellement les personnes âgées et les personnes en situation de handicap (2015), dont la mise en œuvre est confiée aux 400 communes des Pays-Bas (donc une très forte décentralisation en la matière, mais avec des communes fortement regroupées et beaucoup moins nombreuses qu’en France (36 000, soit 90 fois plus, cherchons l’erreur !) ;
• et enfin la loi relative à la jeunesse (2015 également), donc concernant les enfants et adolescents, dont la mise en œuvre est également confiée aux communes.
Les objectifs portés par la réforme de 2006 étaient d’offrir à tous les Néerlandais une protection de base étendue en matière de soins de santé, en confiant celle-ci à des opérateurs (assureurs de santé et prestataires de soins de santé) mis en concurrence les uns avec les autres. La quasi-totalité des assureurs de santé (24 actifs aux Pays-Bas) sont organisés sous forme de coopératives, c’est-à-dire des institutions à but non lucratif. Il s’agissait de passer d’une logique fondée essentiellement sur l’offre de soins à une logique fondée sur la demande de soins (approche institutionnelle versus approche populationnelle), afin de diminuer les listes d’attente, la bureaucratie, et de centrer l’action sur l’amélioration de l’efficacité et de la qualité. Les assureurs exercent une certaine influence sur les prestataires de soins, passant avec eux des contrats sélectifs lorsqu’ils achètent des soins ; les assurés exercent également une influence sur les assureurs puisqu’ils peuvent librement changer d’assureur chaque année et donc faire jouer la concurrence. Le tout avec un État chargé de contrôler, mais également de définir le marché des prestations de soins assurées obligatoirement.
Les deux autres lois portant sur les soins de longue durée et le soutien social ont pour objectifs d’améliorer la qualité des soins, d’avoir une approche intégrale des besoins, mais également de maîtriser les coûts tout en garantissant l’accès aux soins, dans un contexte (comme en France) d’augmentation du vieillissement et de croissance des maladies chroniques. Même si, dans un premier temps, c’est la solidarité de l’entourage proche de la personne qui est privilégiée, ainsi que ses moyens personnels. Ce n’est que si ceux-ci n’existent pas et que la personne a besoin d’une prise en charge 24 heures sur 24 que celle-ci peut prétendre à une aide. Concernant le soutien social, ce sont les communes qui en sont chargées car elles sont plus proches des citoyens et donc mieux à même de proposer une offre de soins efficace de plus grande qualité (les communes néerlandaises assurent en quelque sorte les missions aujourd’hui assumées par les conseils départementaux en France).
L’État est garant du respect de la couverture universelle et des conditions de prise en charge. À ce titre, il s’assure que chaque citoyen est affilié à une assurance (de base) couvrant les frais médicaux tout en lui laissant la liberté de choisir son assureur ; que les assureurs assurent bien de manière obligatoire ces personnes au titre de l’assurance maladie et ce quel que soit leur état de santé ; que le montant des primes de l’assurance de soins de santé proposée est identique pour chaque assuré, indépendamment de son état de santé, de son âge ou de son passé médical ; que les assureurs de soins de santé proposent bien une offre de soins disponible pour l’ensemble de leurs assurés. Enfin l’État fixe le contenu de la couverture de base.
En revanche la mise en œuvre relève des prestataires de soins de santé, des assureurs maladie et des assurés eux-mêmes, qui de ce fait ont une grande liberté, partant du postulat que le fonctionnement du marché et la concurrence sont à l’origine de stimuli participant à une meilleure qualité des soins proposés et permettant de travailler de façon efficace.
Après conseil auprès de l’Institut national des soins de santé aux Pays-Bas (indépendant), l’État détermine la couverture de base, qui est très étendue et inclut la majeure partie des soins médicaux, des médicaments et des matériels médicaux essentiels. Les soins de kinésithérapie et les soins dentaires sont partiellement remboursés. Sur cette base, les assureurs de soins de santé déterminent les offreurs de soins et leur localisation, avec lesquels ils négocient de manière sélective sur la base des informations disponibles en matière de qualité, d’efficacité et du retour des clients. Les assureurs ont l’obligation de proposer une offre de soins dans la couverture de base qui soit disponible pour l’ensemble de leurs assurés. Par ailleurs, les assureurs de soins de santé proposent des mutuelles complémentaires permettant d’obtenir le remboursement d’autres soins et auxquelles souscrivent environ 90 % des Néerlandais. Chaque assuré décide lui-même de souscrire ou non une mutuelle complémentaire et, le cas échéant, s’il souhaite le faire auprès du même assureur que celui auprès duquel il a déjà souscrit la couverture de base. Les mutuelles sont entièrement régies par le droit privé et l’État ne les soumet à aucune règle restrictive (contrairement donc à la France, où la mutuelle a été rendue obligatoire).
L’amélioration de la qualité repose sur l’hypothèse que la mise en concurrence des assureurs et des prestataires de soins est source d’augmentation de la qualité. Assurés, assureurs et offreurs de soins sont donc les acteurs essentiels de l’amélioration de la qualité. Les assurés peuvent choisir d’autres prestataires de soins de santé et ont chaque année la possibilité d’opter pour un meilleur assureur de soins de santé, ce qui met la pression sur les neufs groupes proposant une assurance maladie, sans compter qu’ils peuvent exprimer leur mécontentement par le biais de leurs organismes représentatifs. Les assureurs de soins de santé contrôlent la qualité et l’efficacité des prestations de soins qu’ils “achètent”. Lorsque les soins de santé ne sont pas d’un niveau satisfaisant, les assureurs peuvent alors décider de ne plus contracter avec les établissements concernés. En raison du fait que le budget consacré aux soins de santé est un budget défini, les assureurs de soins de santé sont incités à faire preuve de discernement dans l’achat de soins de santé. En outre, les assureurs de soins de santé contrôlent que les déclarations présentées par les prestataires de soins de santé sont correctes et que les soins déclarés ont été effectivement fournis et l’ont été de manière efficace. Du fait de leur obligation de fournir des soins, les assureurs-maladie doivent, si besoin, proposer leur entremise dans la recherche de prestataires de santé. Enfin, les prestataires de soins de santé déterminent comment les soins de santé sont fournis. Ils prennent également les décisions finales dans les salles de consultation et les lieux de traitement médical. Les prestataires de soins de santé ont eux aussi, dans ce cadre, en tant que groupe professionnel, établi des directives relatives à la qualité des soins proposés.
Pour recevoir des soins, le système de soins fonctionne comme tel : sauf aide médicale urgente, le Néerlandais se rend chez son médecin traitant qui fait office de gate keeper et le renvoie le cas échéant chez un spécialiste ou un hôpital si nécessaire. L’assuré choisit lui-même les soins de santé disponibles et, dans ce cadre, l’assureur maladie remplit un rôle de conseiller et de médiateur. Le prestataire de santé pour lequel il a opté, discute des possibilités de traitement avec le patient et procède aux soins en question.
L’Assurance maladie néerlandaise est financée sur la base de cotisations versées par les assurés et les employeurs. Chaque assuré paie, à partir de ses 18 ans, une prime “nominale” à son assureur maladie. En moyenne, cette prime s’élève à 1 200 € par an. À cela s’ajoute une franchise de 385 € (en 2016) pour chaque assuré âgé de plus de 18 ans, qui a pour but, entre autres, de sensibiliser les citoyens à la question du coût des frais de santé. Un certain nombre de formes de soins proposées (tels que les soins prodigués par les médecins traitants et les soins postnataux) ne tombent pas sous le coup de cette franchise. En ce qui concerne les enfants et les jeunes de moins de 18 ans, l’État acquitte les frais de l’assurance en puisant dans les moyens généraux. Il y a par ailleurs une cotisation en fonction du niveau du revenu payée par l’employeur. Au niveau macro, il s’agit d’un montant comparable à celui de la cotisation annuelle. Cette cotisation en fonction du niveau de salaire combinée à la contribution de l’État pour les enfants et les jeunes de moins de 18 ans sont versées au fonds de l’Assurance maladie. Pour certains soins relevant de la couverture de base, les assurés doivent payer une contribution personnelle en sus de la franchise. Il s’agit dans ce cadre de produits et services tels que le transport des malades, les appareils auditifs, certains médicaments et les chaussures orthopédiques. Les assurés peuvent également opter, de leur propre initiative, pour une franchise de 500 € au maximum, et ainsi payer une prime nominale d’assurance plus faible. Enfin, pour les personnes à faibles ressources, existe une aide financière dont le paiement est effectué par les services de l’administration fiscale. Cette aide permet de couvrir une part importante de la prime d’assurance maladie et de la franchise.
Les assureurs de soins de santé sont donc financés avec ces cotisations, mais également une contribution d’ajustement. En fonction de l’état de santé de ses assurés, un assureur perçoit une cotisation plus élevée ou plus faible en provenance du fonds d’assurance des soins de santé. Sans cet ajustement du risque, il ne serait pas possible d’avoir un champ d’action égal pour tous du fait de ces conditions, étant donné que les assureurs avec de meilleurs risques et ceux avec des risques moins avantageux ne bénéficient pas de la même base de manœuvre. En outre, cet ajustement doit empêcher que les assureurs de soins de santé procèdent à une sélection sur la base des risques. Autrement dit, le système a prévu les phénomènes de sélection adverse.
Dans le cadre du contrôle des soins remboursés au titre de la loi sur l’assurance maladie, diverses parties sont chargées d’un certain nombre de missions formelles. L’État a à charge le contrôle de l’intégralité du système de santé et fixe les conditions de qualité auxquelles les soins doivent répondre. Diverses instances publiques ont pour tâche de contrôler ces exigences de qualité :
• l’autorité néerlandaise en matière de soins de santé veille à ce que la loi sur l’assurance maladie soit appliquée correctement et est l’autorité de surveillance sur les marchés des soins de santé ;
• l’autorité des consommateurs et du marché est chargée de s’assurer du respect des règles de concurrence sur le marché des soins de santé dans l’intérêt des patients et des assurés ;
• l’Inspection des soins de santé est chargée de contrôler la qualité et la sécurité des soins de santé et de mettre en œuvre les pouvoirs dont elle dispose en la matière.
Le système d’assurance maladie aux Pays-Bas repose donc sur une assurance pour les soins de longue durée gérée par l’État, une couverture de base gérée entièrement par des assureurs privés mis en concurrence, et une couverture complémentaire gérée également par les mêmes assureurs privés. L’assurance maladie est obligatoire pour tout le monde : les assureurs doivent assurer tous les citoyens ; il existe un fonds de péréquation des risques ; l’assuré peut choisir son assureur et en changer tous les ans. Il revient à l’État de définir la couverture de base ; les assureurs négocient avec les offreurs de soins. L’État prend également en charge les personnes les plus vulnérables (jeunes jusqu’à 18 ans, personnes à faibles revenus, maladies de longue durée). Pour quels résultats ? Il n’y a plus de déficit public, le coût étant finalement supporté par les assureurs privés, à charge pour eux de s’équilibrer par une meilleure efficacité. Les frais de gestion ont connu une forte baisse et depuis 2012 les assureurs privés font des profits. Le système est par ailleurs très égalitaire puisqu’il n’y a aucune discrimination par les risques, le panier de biens couvert est très étendu et les plus modestes sont pris en charge par l’État. Les indicateurs de qualité des soins placent les Pays-Bas parmi les premiers pays. Les dépenses consacrées à la santé restent élevées mais ne contribuent à aucun déficit public.
Les systèmes de santé allemand et néerlandais ont des points communs : des régimes d’assurance maladie excédentaires, un rôle de l’État réduit et une régionalisation du système, un fort rôle donné à l’Assurance maladie, une responsabilisation accrue des offreurs de soins. Mais surtout ils reposent sur des logiques de fonctionnement foncièrement différentes par rapport au système de santé français, qui sont autant de pistes d’évolution qui pourraient être reprises dans la transformation de notre système.
Sans forcément remettre en cause le monopole de l’Assurance maladie française, comme l’ont fait les Pays-Bas, une première étape pourrait consister à revoir le mode de gouvernance du système de santé français, en confiant un rôle beaucoup plus important à l’Assurance maladie, et donc aux partenaires sociaux, dans la gestion du système et de l’offre de soins, l’État ne conservant que son rôle régalien minimal. Aujourd’hui coexistent finalement deux autorités : l’État d’un côté, avec le ministère de la Santé, l’Assurance maladie de l’autre, les deux étant reliés par une convention d’objectifs et de gestion. Malgré des améliorations ces dernières années, il n’en reste pas moins que subsistent deux pouvoirs de régulation, poursuivant parfois des objectifs non convergents. Il semblerait utile une bonne fois pour toutes de confier la gestion du système de santé à l’Assurance maladie, dans le respect de grands objectifs fixés par l’État, mais donc avec un seul décideur pour l’ensemble des offreurs de soins.
Par ailleurs, la gestion du système de santé reste très centralisée, même si la création des agences régionales de l’hospitalisation, puis des agences régionales de santé, ont été des avancées significatives. Dans les faits, ces agences sont des organes déconcentrés de l’État et ne disposent pas réellement de pouvoirs décentralisés. L’ensemble des règles de fonctionnement et de financement sont décidées au niveau central sans réelles marges de négociation avec les acteurs locaux. De même subsistent au niveau régional les agences régionales de santé et les organismes d’assurance maladie (caisses primaires, coordination de la gestion du risque).
Ainsi, en s’inspirant des modèles allemand et néerlandais, une transformation de la gouvernance du système de santé français pourrait consister à confier à l’Assurance maladie l’unique rôle de régulation du système de santé, avec une déclinaison régionale forte, dotée de pouvoirs de négociation avec les offreurs de soins au niveau local, dans le cadre de moyens financiers décentralisés.
Depuis 1996, le financement du système de santé français, et notamment la loi de financement de la Sécurité sociale, repose sur la base d’une maîtrise des dépenses d’assurance maladie. C’est le vote chaque année de l’Ondam (objectif national de dépenses d’assurance maladie) qui fixe a priori pour l’année le taux d’évolution des dépenses d’assurance maladie à ne pas dépasser. C’est donc avant tout une logique de coût de la santé qui est avancée. Or si la santé a certes un coût, elle est aussi un puissant facteur de richesses et de redistribution, de manière directe et indirecte. D’une part améliorer la santé des citoyens, c’est investir dans le capital humain et donc améliorer la productivité du système ; d’autre part, l’ensemble des dépenses, et en premier lieu celle des personnels, sont un facteur de redistribution majeur dans l’économie d’un pays. La santé n’est donc pas un coût uniquement, c’est aussi un facteur de recettes. Or le financement du système fondé ces dernières années sur une réduction des dépenses a des effets très négatifs in fine sur les recettes de l’Assurance maladie. Prenons par exemple l’encadrement des équipements matériels lourds (scanner, IRM) : empêcher l’installation de ces appareils, ce qui place la France très loin derrière les autres pays européens, c’est d’une part réduire l’accès aux soins, donc à la prévention, et engager des dépenses de soins pour les années futures qui auraient pu être évitées ; d’autre part, c’est se priver d’investir dans des appareils pouvant être construits en France, et donc sources de recettes pour l’Assurance maladie par le bais des cotisations sociales que vont lui verser ces entreprises. L’Allemagne a très bien compris ce système vertueux des dépenses d’assurance maladie : en libérant les équipements matériels lourds, non seulement elle a amélioré la prévention mais surtout elle a engrangé des recettes d’assurance maladie en confiant à ses propres sociétés la construction des machines.
Autrement dit, le système doit être fondé sur une logique de recettes qui doivent être constamment augmentées, non pas par des cotisations sociales ou des impôts supplémentaires forcés, mais par une logique de redistribution positive de la santé dans le système économique. La santé ne doit plus être vue comme une dépense mais comme un investissement à court, moyen et long terme, facteur de richesses et de redistribution économique. Investir dans la santé, c’est dépenser aujourd’hui pour moins dépenser demain et augmenter les recettes de l’Assurance maladie. Il faut sortir du cercle vicieux de la maîtrise des dépenses pour entrer dans le cercle vertueux des recettes. “Aller vers” les acteurs cela doit être aussi “payer pour voir” et ne pas hésiter à investir dans l’innovation, la recherche, l’enseignement. Sous prétexte de maîtrise des dépenses, la France finalement appauvrit son système de santé au lieu de le développer.
Les pouvoirs publics français prônent le développement de l’ambulatoire à l’hôpital, alors même que l’offre ambulatoire est en grande difficulté en ville (déserts médicaux). Pourtant la France a la chance d’avoir organisé deux secteurs, l’un hospitalier, l’autre ambulatoire. Plutôt que de les mettre en concurrence sur le développement de l’ambulatoire, ne serait-il pas plus opportun de concentrer l’hôpital sur son rôle d’hospitalisation et de valoriser la médecine de ville. Ce qui suppose un changement du mode de financement de l’hôpital, et notamment la prise en compte de l’investissement, qui ne l’est pas aujourd’hui dans les tarifs, mais également la revalorisation des rémunérations des offreurs de soins en ville, afin de rendre attractive leur profession. Dans le cadre d’un système régionalisé, comme en Allemagne, ces tarifs pourraient être différenciés en région, afin de tenir compte des particularités régionales : en effet aujourd’hui, la valeur d’une consultation est la même que l’on soit dans en milieu très rural ou en milieu très urbain ; or le coût de l’exercice pour une profession de santé n’est absolument pas le même. De la même manière, le coût de fonctionnement à l’hôpital peut encore être réduit en poursuivant une politique active d’externalisation des fonctions supports et techniques.
D’autres pistes peuvent être étudiées, comme le développement de la qualité des soins par la mise en concurrence des offreurs de soins par l’Assurance maladie. Si l’on veut que la transformation du système de santé ne soit pas une énième réforme d’un système de santé en difficulté, c’est un véritable changement de logique et de paradigme qu’il faut mettre en œuvre.