Objectif Soins n° 264 du 01/08/2018

 

Actualités

Lisette Gries  

Management Une enquête menée auprès de cadres de santé en Alsace, dont les résultats ont été présentés lors des Journées d’études du Cefiec, montre que les changements de poste ponctuels et imprévus sont mal vécus par les agents et désorganisent les services. À l’inverse, les remplacements anticipés ont des effets plus positifs.

Le Cefiec (Comité d’entente des formations infirmières et cadres) a choisi, pour la 73e édition de ses Journées nationales d’études, qui se sont déroulées à Strasbourg du 6 au 8 juin(1), de réfléchir à la question de la mobilité, ou des mobilités. Mobilité des salariés dans les services, mobilité internationale, mais aussi mobilité de l’esprit ou encore mobilité physique : le sujet a été étudié sous toutes ses coutures lors la journée du 7 juin. Pour l’acception du terme la plus courante, s’entendant comme la mobilité des soignants d’un service à l’autre, les étudiants de l’IFCS de Strasbourg, sous la direction de Patrick Colin, sociologue, ont livré les résultats d’une enquête menée auprès des cadres de santé des Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) et d’autres hôpitaux publics alsaciens. Grâce à 52 questionnaires et 29 entretiens semi-directifs, ils ont identifié les divers effets de ces mouvements de soignants à qui l’on demande de changer de poste pour remplacer des collègues ou renforcer une équipe. Les répondants, à 85 % des femmes, ont pu s’appuyer sur une expérience solide, puisqu’ils avaient 9 ans d’ancienneté en moyenne dans leur fonction d’encadrement.

Peur et insécurité

« Nous avons décidé de limiter la mobilité à deux aspects : la mobilité ponctuelle, définie comme le fait de pallier une absence imprévue ou une surcharge de travail, et la mobilité anticipée, qui est prévue sur le planning de plus ou moins longue date », a expliqué Patrick Colin en préambule. La mobilité ponctuelle est due pour 94 % des cadres à de l’absentéisme, qui s’entend comme des absences courtes et de dernière minute, expliquées notamment par des arrêts maladie, des raisons familiales majeures ou encore des accidents du travail. 29 % des cadres évoquent aussi des surcharges ponctuelles d’activité. En moyenne, ils doivent avoir recours à cette mobilité ponctuelle quatre fois par mois, avec de fortes disparités selon les services. 71 % des cadres précisent qu’ils négocient avec leurs agents pour que ces derniers travaillent à un autre poste dans ce contexte, mais 40 % reconnaissent l’imposer parfois et 19 % l’imposer souvent à leurs équipes.

Les cadres interrogés mettent en avant les impacts négatifs de ces remplacements au pied levé sur l’organisation du service : hausse de la charge de travail, augmentation des heures supplémentaires et remaniement du planning. Le moral des équipes est également touché. Les cadres remarquent que les soignants expriment de la peur et de l’insécurité (29 %), du stress (27 %) et un sentiment d’injustice (18%). Ils craignent majoritairement de ne pas être compétents dans une autre unité fonctionnelle que celles où ils ont développé une forme d’expertise. Les cadres notent que ce stress peut être si important qu’il est source d’arrêts maladie.

Pour autant, tout n’est pas noir. La mobilité ponctuelle permet aux agents d’avoir une meilleure vision d’ensemble du service et/ou du pôle et de développer leurs compétences. 20 % des cadres pensent même que cela renforce la cohésion d’équipe et la solidarité. Pour que cette situation soit vécue au mieux, les cadres mettent au point différents systèmes. Un tiers d’entre eux a recours au travail en binômes, un autre tiers mise sur le développement des compétences des agents en amont par des formations, continues ou initiales. 44 % s’appuient sur des outils, comme l’uniformisation des pratiques ou des locaux, mais aussi l’élaboration de tableaux de remplacements. Pour susciter l’adhésion des soignants, les cadres sont attentifs à garantir une équité de traitement et à communiquer avec leurs équipes, surtout avec les agents les plus réticents. Enfin, les retours positifs d’autres collègues sont des arguments précieux dans les négociations.

Continuité des soins

D’autres motifs peuvent motiver des mouvements internes de personnels, comme les absences planifiées ou les hausses prévisibles d’activité. Dans ce cas, la mobilité des soignants, anticipée et inscrite au planning, n’a pas les mêmes effets. 60 % des cadres peuvent faire appel à un pool de remplaçants, mais deux tiers d’entre eux estiment que cette équipe dédiée ne peut pas répondre à tous les besoins. Si le pool favorise, de fait, la mobilité et le développement des compétences, il est impossible d’en créer dans des services nécessitant des compétences pointues et des habilitations particulières. Afin d’organiser cette mobilité des agents, les cadres se mettent d’accord entre eux lors de réunions de cadres (25 %) ou de réunions d’absentéisme (13 %). D’autres transmettent leurs besoins à l’encadrement supérieur en amont, qui répartit alors les personnels en fonction au moment d’élaborer le planning (40 %). Sur le terrain, ils misent sur l’accompagnement des agents par des binômes ou des formes de parrainage (41%), mais aussi sur la formation et le développement des compétences en amont (39 %).

Ils constatent que cette mobilité anticipée, si elle est source de difficultés d’adaptation, est aussi vue par les soignants comme une opportunité d’accroître leur employabilité. Plus de la moitié des cadres indiquent d’ailleurs qu’ils n’imposent jamais cette mobilité anticipée, qui est majoritairement négociée (60 %), voire volontaire (44 %). Les effets positifs sont d’ailleurs nombreux pour l’unité : découverte d’autres organisations (21 %), travail avec d’autres collègues (21 %), garantie de la continuité des soins (21 %). Pour les cadres, c’est la garantie d’avoir le temps de préparer leurs agents, mais aussi le terrain où ils seront accueillis. Ils notent que les soignants parlent d’ouverture (31 %), d’opportunité (22 %), mais aussi de stress (22 %) et d’insécurité (14 %). Cette mobilité est vue par les soignants comme une occasion de découvrir autre chose, même si la peur de ne pas être compétents reste présente. « Notre étude, qui ne s’adressait qu’aux cadres, montre donc une différence importante du vécu des soignants selon que la mobilité est ponctuelle ou anticipée. Ce constat fait écho aux conclusions de la thèse d’Edith Van Schingen(2), qui a mené une enquête auprès de 3 077 infirmières », précise Patrick Colin.

Préparer le terrain dès l’Ifsi

Anticipée comme imprévue, la mobilité fait désormais partie de la vie des services. 84 % des cadres l’évoquent dès l’entretien d’embauche et 73 % en parlent lors de l’entretien d’accueil dans le service. Sept cadres sur dix constatent qu’elle est différemment vécue selon l’âge des agents, les jeunes générations y étant moins réticentes, et ce d’autant plus que la question a été abordée dès la prise de poste. Deux tiers remarquent aussi une différence de ressenti selon le statut des agents : les ASH et les aides-soignantes ont un vécu plus positif que les IDE. La question se pose donc de préparer les IDE dès l’Ifsi, une proposition qui obtient l’approbation de 90 % des cadres. 60 % des personnes interrogées n’ont pour autant pas de piste concrète à suggérer. Parmi les leviers envisagés, celui qui revient le plus souvent est la construction d’un parcours de stages avec les étudiants dans les services de soin (57 %). 24 % des répondants évoquent la diversification des lieux de stages et 19 % soulignent l’importance de mettre en adéquation le degré des connaissances des étudiants et les attentes des terrains de stages. « Cette réflexion sur le vécu de la mobilité rappelle la nécessité d’établir des passerelles entre les cadres formateurs dans les Ifsi et les cadres infirmiers dans les services », conclut Patrick Colin.