Dans un contexte de mise en lumière de problématiques spécifiques en EHPAD et de tension entre les attendus du terrain et les référentiels métiers actuels, la nécessité de reconnaître la professionnalité de l’aide-soignant s’impose d’une manière aiguë. L’idée de départ de notre travail était d’objectiver l’exercice réel de la profession d’aide-soignant, en dépassant les représentations classiques de « la main qui lave », et de repérer les évolutions possibles de cette profession. Cet article propose de présenter une méthodologie d’évaluation de la fonction aide-soignante en secteurs de soins ou lieux de vie, illustrée d’exemples.
Depuis que l’hôpital public a créé le grade d’aide-soignant en 1949, trois ans après le diplôme d’État d’infirmières, la formation et la profession d’aide-soignant n’ont cessé d’évoluer, toujours en regard des formation et profession infirmières.
Plusieurs éléments montrent que nous atteignons aujourd’hui un nouveau virage :
• la technicisation toujours grandissante des soins infirmiers, avec le passage de ces études au système LMD et aujourd’hui le développement des pratiques avancées infirmières ;
• l’arrivée dans le paysage de la formation initiale d’une nouvelle population : les bacs professionnels ASSP
• les attentes importantes dans les services de soins vis-à-vis des aides-soignants ;
• les injonctions paradoxales auxquelles sont soumis les aides-soignants dans beaucoup de secteurs et qui provoquent de profonds malaises dans certains EHPAD ;
• le « Plan pour les métiers de l’autonomie » lancé par l’ancien gouvernement, le 27 mars 2014, qui a fusionné le DEAVS
• la possibilité prévue par ce plan d’étendre cette fusion afin d’y intégrer le champ du secteur sanitaire, par un rapprochement avec le diplôme actuel d’aide-soignant et de créer un double niveau de formation :
• diplôme de niveau V, commun aux secteurs sanitaire et social, et centré sur les actes de la vie courante, en établissements et à domicile ;
• diplôme de niveau IV, dans le secteur sanitaire, centré sur des soins plus techniques.
C’est dans ce contexte bien particulier qu’un groupe de travail du CHU de Toulouse a tenté de donner des éléments de réponses à la question : « Quelles évolutions est-il possible de prévoir pour l’aide-soignant de demain ? »
Le groupe a établi un état des lieux de la profession actuelle, en élaborant une cartographie des activités aides-soignantes, dont voici les différentes typologies retenues :
• accueil des personnes ;
• réalisation de soins d’hygiène et de confort ;
• aide et accompagnement dans les activités quotidiennes ;
• observation de l’état de santé, du comportement relationnel et social du patient ;
• observation et mesure des paramètres vitaux ;
• observation du bon fonctionnement des appareillages et dispositifs médicaux ;
• aide, soutien psychologique au patient et à l’entourage ;
• soins éducatifs auprès du patient ou de la famille ;
• entretien de l’environnement immédiat du patient ;
• entretien, nettoyage et rangement de matériels ;
• assistance de l’IDE ou du médecin pour la réalisation de soins ;
• activités administratives ;
• transmission des observations par oral et par écrit ;
• accueil et accompagnement des stagiaires.
Afin d’illustrer cette réflexion, une évaluation de la fréquence de ces catégories d’activités a été menée par chacun des membres du groupe et pour chacune des disciplines et lieux d’exercice de la profession (médecine, chirurgie, réanimation, psychiatrie, gériatrie, SSIAD, EHPAD). La cotation suivante a été choisie :
• 1 = peu fréquent (0 à 3 fois/ 24 h) ;
• 2 = fréquent (4 à 10 fois/24 h) ;
• 3 = très fréquent (plus de 10 fois/ 24 h).
L’évaluation des fréquences que nous avons traitées ci-dessous repose sur une évaluation déclarative.
Un ou deux services de chaque discipline étaient représentés dans le groupe.
En plus de proposer une grille et un outil d’évaluation, qui nous l’espérons sera utilisé dans le cadre du projet de soin, d’un projet de pôle ou de service, ce travail nous a permis d’avoir une photographie partielle des activités aides-soignantes aujourd’hui, au CHU et en lieu de vie, et d’établir les graphiques ci-dessous.
Ces résultats partiels permettent de visualiser clairement que la représentation de l’aide-soignant ne réalisant que des soins d’hygiène est à réactualiser, quel que soit le lieu d’exercice.
Le graphique n° 1 met en évidence que ce type d’activité ne se situe, pour le CHU, qu’en troisième position, derrière l’accueil des personnes et après l’aide et le soutien psychologique au patient et à l’entourage.
Le graphique n° 2 place l’aide et le soutien psychologique au patient et à l’entourage au même niveau que les soins d’hygiène.
Le graphique n° 3, quant à lui, montre l’importance de l’observation clinique, qui arrive au même niveau de fréquence que les soins d’hygiène.
Ces constats sont particulièrement questionnants puisque le temps de formation en IFAS consacré à la compétence « Établir une communication adaptée à la personne et son entourage », particulièrement mobilisée pour ces activités, n’est que de 70 h (soit 2 semaines sur un total de 17 semaines de cours).
Dans ce champ de la communication, nous notons également une part de plus en plus importante donnée aux soins éducatifs, pour lesquels l’aide-soignant est de plus en plus sollicité (patients de plus en plus demandeurs, augmentation des maladies chroniques, informations données aux familles) ; or l’éducation thérapeutique est un soin qui relève de la compétence infirmière, et qui est, actuellement, peu abordé en formation initiale aide-soignante.
Autre élément à noter : l’importance de l’observation de l’état de santé, du comportement relationnel et social du patient. Cette observation est au service de la mise en œuvre d’un raisonnement clinique de la part de l’aide-soignant. Les futurs aides-soignants sont formés à ces activités durant le module 2, « Apprécier l’état clinique d’une personne », mises en œuvre lors du module 3, « Réaliser des soins adaptés à l’état clinique de la personne ». Cependant, la formation initiale théorique ne peut que balayer l’ensemble des fonctions, sans pouvoir entrer dans les détails de pathologies complexes ou de prises en charge particulièrement pointues, telles qu’elles peuvent exister dans un CHU.
Autre point : la place des transmissions est dans beaucoup de services particulièrement importante, en lien avec des prises en charge plus rapides (urgences, ambulatoire), ou des patients plus lourds (réanimation, gériatrie) ou encore en lien avec les interventions seul à domicile (SSIAD). Elles peuvent même être faites au fil de l’activité quotidienne, notamment en cas de travail en binôme IDE-AS (réanimation, chirurgie). Là encore, la formation initiale ne consacre qu’une semaine de cours à ce domaine alors que les attentes sont fortes.
Les aides-soignants, chacun dans leur discipline, font des propositions pertinentes qui ont un double objectif : fluidifier le parcours et la prise en charge du patient (déperfusion avant la sortie, hémoglucotest avant le service du repas…), et ne pas se situer dans l’exercice illégal de la profession infirmière. De ces multiples propositions, ont émergé plusieurs axes éventuels d’évolution de la profession.
Parmi ces soins techniques, on distingue :
• les soins communs à tous les secteurs (glycémie capillaire, pansements simples, déperfusion au moment de la sortie, réalisation de soins de bouche médicamenteux, application de pommade…) ;
• les soins spécifiques à certaines unités (mise en place du scope aux urgences et en réanimation, administration d’aérosol médicamenteux si préparé par l’IDE, changement des poches de lavages vésicaux, aspirations endotrachéales…).
Ces pratiques de soins techniques pourraient, si elles ne sont pas intégrées dans le futur référentiel de formation, être l’objet de protocoles de coopération entre professionnels de santé, tels que définis dans l’article 51 de la loi HPST du 21 juillet 2009, qui donne la possibilité aux professionnels de santé de « s’engager, à leur initiative, dans une démarche de coopération ayant pour objet (…) de réorganiser leur mode d’intervention auprès du patient », et permet à cette fin la mise en place à titre dérogatoire de transferts d’actes ou d’activités de soins
Établis au cas par cas, ces protocoles pourraient répondre plus spécifiquement aux besoins de chaque spécialité dans le respect de la réglementation.
Au plus près des patients, les aides-soignants doivent savoir repérer les signes d’alerte d’une modification dans leur état de santé. La spécificité et la complexité des pathologies pouvant être prises en charge dans un CHU et l’impossibilité pour la formation initiale d’approfondir chaque pathologie nous amènent à penser que la formation continue pourrait intensifier des formations, par spécialité, sur les pathologies et les signes cliniques associés ; ce type d’apports pourraient être aussi réalisés en interne par les services eux-mêmes.
Les aides-soignants, nous l’avons vu, sont les acteurs principaux de l’accueil des patients et des familles dans nombre de services. Tout le long de l’hospitalisation, jusqu’au départ, ils sont en proximité immédiate du patient, répondent à ses questions, ses craintes, sa souffrance. L’apprentissage de la gestion des émotions semble être un impératif pour éviter l’usure psychologique de ces soignants et des problématiques de burn-out. L’intensification de cette prise en charge relationnelle est un des axes forts de l’évolution de la profession.
L’unité de formation centrée sur la communication pourrait être développée dans le référentiel, permettant l’approfondissement de la relation soignant-soigné dans tous les contextes, formation qui pourrait ensuite être complétée par des apports spécifiques à la spécialité, pris en charge par la formation continue.
Des activités éducatives sont déjà mises en place, comme en gériatrie, par exemple, où les aides-soignants assurent une éducation des aidants à l’accueil et durant l’hospitalisation sur la prévention de la déshydratation, des troubles de la déglutition ou des troubles cutanés ; ou en médecine, où les différents examens et les différents régimes sont expliqués pour faciliter leur acceptation par le patient. En chirurgie ambulatoire, certaines consignes sont déjà données par l’aide-soignant. La délivrance des consignes de sortie ainsi que l’appel du lendemain pourraient lui être également confiés.
Dans tous les secteurs, nous pouvons prévoir une intensification de ces attentes.
Dans la formation initiale, le thème « éducation » pourrait être développé avec, par exemple, l’apport d’un premier niveau dans la démarche d’éducation thérapeutique, ce qui pourrait aussi, bien sûr, être envisagé dans le cadre de la formation continue.
Il nous semble prépondérant de développer cet apport, dès la formation initiale, cela au vu de l’importance que les transmissions revêtent actuellement, non seulement par leur fréquence mais aussi par l’exigence de leur contenu.
Une familiarisation aux différents logiciels de traçabilité existants, qui mettent parfois en difficulté certains professionnels, serait également souhaitable ; cette familiarisation pourrait être envisagée très rapidement, dès la prise de poste, dans le cadre de la journée d’accueil des nouveaux agents.
Il nous semble qu’une réflexion, secteur par secteur, pourrait être menée afin de répartir certaines tâches, aujourd’hui uniquement réalisées par l’infirmier, pour fluidifier le parcours du patient et améliorer l’organisation du travail.
Ainsi, la commande des matelas, évoquée dans les secteurs de chirurgie, ou les mouvements de patients via l’informatique, que l’on retrouve dans tous les secteurs d’activité, la vérification et la gestion des dossiers d’hospitalisation sous contrainte en psychiatrie, ou le remplissage des bons de laboratoire pour les bilans biologiques aux urgences, avec supervision IDE… pourraient être pris en charge par l’aide-soignant, après une réflexion menée par l’équipe sur ces changements d’organisation.
Ce travail a permis d’identifier les évolutions déjà en marche de ce métier qui modifient la représentation que nous pouvions en avoir : les aides-soignants sont maintenant attendus sur bien plus de domaines que les soins d’hygiène, et cette tendance ne peut que s’amplifier.
Les perspectives qui en résultent vont donc toucher bien sûr en premier lieu la formation, mais également nos fonctionnements. Nous ne pourrons, en effet, faire l’économie de réflexions à mener, à différents niveaux – établissement, pôle, service -, sur le rôle et la place que nous voulons que l’aide-soignant prenne dans nos organisations, ainsi que sur le regard que nous portons sur ce professionnel, afin de le sortir de son « invisibilité »
Ce travail propose pour cela un outil d’évaluation et d’identification des activités aides-soignantes, au plus près des spécificités de chaque secteur. À charge pour ceux qui le désireront de s’approprier cet outil, de l’affiner et de mener en équipe une réflexion de fond sur leur organisation et les missions à confier à leurs aides-soignants dans le cadre d’une interprofessionnalité harmonieuse.
(1) Accompagnement soins service à la personne.
(2) Services aux personnes et aux territoires.
(3) Diplôme d’État d’auxiliaire de vie sociale.
(4) Diplôme d’État d’aide médico-psychologique.
(5) Diplôme d’État d’accompagnement éducatif et social.
(6) HAS, « Coopération entre professionnels de santé : mode d’emploi », avril 2012 (consulter sur https://bit.ly/2M0VCx4).
(7) Anne-Marie Arborio, Un personnel invisible. Les aides-soignantes à l’hôpital, Paris, Économica, coll. « Sociologiques », 2012.
(8) Everett C. Hugues, Le regard sociologique. Essais choisis, Textes rassemblés et présentés par Jean-Michel Chapoulie, Paris, Éditions de l’EHESS, 1996.
Les auteures déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.