Objectif Soins n° 265 du 01/10/2018

 

AU LUXEMBOURG

DOSSIER

Xavier Demoisy*   Sandra Mignot**  


*Directeur des soins du centre
de réhabilitation du Château
de Colpach.

Les rôles et missions du cadre luxembourgeois sont similaires à ceux de leurs voisins francophones. Leur environnement de travail se distingue principalement par un plurilinguisme indispensable et… des rémunérations plus confortables.

Au Luxembourg, les cadres de santé représentent une profession nécessitant une autorisation ministérielle d’exercer. La fonction fait partie des 23 professions de santé réglementées dans le pays. Pour accéder à un poste de cadre, le professionnel doit attester d’un diplôme d’État d’infirmier hospitalier gradué. Ce cursus d’un an était au préalable organisé par le ministère de la Santé, avec une session d’examen annuelle, un stage et un mémoire à soutenir devant une commission ad hoc. Il était accessible aux professionnels témoignant de trois ans d’exercice préalable au moins dans un établissement hospitalier public ou privé agréé par le ministre de la Santé publique, comme membre à temps plein de l’équipe soignante.

Mais compte tenu des besoins importants en professionnels de santé au Luxembourg, et des capacités de formation limitées du Grand-Duché, il est également possible de se former à l’étranger. De nombreux cadres de santé luxembourgeois se sont donc formés via les écoles de cadres de Belgique ou de France, ou directement via un master de ces mêmes pays. « Beaucoup désormais choisissent cette option, précise Xavier Demoisy, directeur des soins du centre de réhabilitation du Château de Colpach (Croix-Rouge luxembourgeoise), alors que la génération précédente passait souvent par l’école des cadres en France ou en Belgique. Les masters en sciences de la santé publique orientation gestion ou enseignement, ainsi qu’une formation en sciences infirmières réalisée en collaboration avec une université Belge et le Québec, ou encore le master en management de la qualité à Nancy et Metz, sont particulièrement prisés. » Les formations officiellement reconnues dans les pays frontaliers le sont aussi automatiquement au Luxembourg, mais un examen d’équivalence portant sur la législation du système de soin luxembourgeois peut être exigé au recrutement.

UN MARCHÉ DU TRAVAIL OUVERT SUR L’ETRANGER

Compte tenu des difficultés du Luxembourg à pourvoir ses postes (d’infirmiers, comme de cadres de santé), le marché du travail est largement ouvert aux étrangers communautaires, titulaires des formations reconnues. On estime que près de 48 % de la population luxembourgeoise est de nationalité étrangère. Le pays emploie quelque 175 000 frontaliers (résidents ou non) sur une population active totale de 277 000 personnes(1). Concernant les infirmiers, par exemple, sur les années 2013-2017, 3 062 autorisations d’exercer(2) ont été délivrées, dont seulement 10 % pour des diplômés luxembourgeois, contre 1466 pour des diplômés français (48 %), 733 pour des diplômés allemands (24 %), 406 pour des diplômés belges (13 %)(3).

Un plurilinguisme nécessaire

Il n’existe pas d’obligation linguistique stricto sensu. Cependant, tout le monde ne parle pas français au Luxembourg, même si cette langue fait partie des trois idiomes administratifs (avec le luxembourgeois, bien sûr, et l’allemand) officiels. Il est donc vivement recommandé d’apprendre la langue nationale, afin de comprendre et se faire entendre de tous - notamment des personnes âgées et des enfants. La loi stipule(2) : « La personne (…) doit avoir les connaissances linguistiques nécessaires à l’exercice de la profession, soit en allemand, soit en français, et comprendre les trois langues administratives du Grand-Duché de Luxembourg ou acquérir les connaissances lui permettant de les comprendre. » Xavier Demoisy précise : « Le portugais [la communauté étrangère la plus représentée dans le pays, avec quelque 96 000 ressortissants, devant la communauté française] et l’anglais sont également très utiles. »

Surtout, un défaut de compréhension peut engager la responsabilité disciplinaire, civile ou pénale, du professionnel si elle aboutissait à une erreur dans l’exercice de sa profession.

Une obligation de formation continue pour les cadres de santé

Les cadres de santé sont soumis à une obligation de formation professionnelle continue de 40 heures annuelles, ou 120 heures tous les 3 ans. Si celle-ci n’est pas respectée, l’autorisation d’exercer devient caduque(2). « Il faut régulièrement rap peler cette obligation aux cadres », souligne Xavier Demoisy, qui est originaire de Belgique.

On retrouve dans le paysage sanitaire luxembourgeois les mêmes types d’emploi pour les cadres de santé qu’en France : cadres de proximité (ou responsables d’unité), cadres intermédiaires et cadres supérieurs (titulaires d’un diplôme en école de cadres ou master), directeurs des soins (généralement titulaires d’un master). « Le master est une habitude que nous avons globalement prise plus vite que les cadres français », observe Xavier Demoisy.

UN SYSTÈME DE SANTÉ COMPLET ET PERFORMANT

Le pays dispose de quatre établissements de soins aigus généralistes, pour 2 332 lits. En 2013, il affichait 5 lits/1 000 habitants (contre 3,35/1 000 en France…). Le Luxembourg compte six établissements spécialisés pour la chirurgie cardiaque, la radiothérapie, la rééducation fonctionnelle et de réadaptation, la réhabilitation mentale, la rééducation gériatrique ainsi que pour la réhabilitation physique et post-oncologique. Le dispositif est complété par un établissement associatif pour l’accompagnement de la fin de vie et un établissement de cures thermales. Les réseaux de soins et tout un secteur médicosocial pour l’accompagnement ou l’accueil de personnes concernées par le handicap ou le grand âge peuvent également être organisés et gérés par des cadres et cadres supérieurs de santé.

Un paysage global du soin quelque peu différent

Les aides-soignantes ont par exemple la possibilité de réaliser davantage d’actes techniques (injections d’insuline, administration de médicaments sous supervision, branchement d’une alimentation entérale, par exemple…). L’infirmier peut suivre des formations (d’une durée de deux ans) lui permettant d’obtenir un BTS spécialisé en chirurgie, en psychiatrie, en pédiatrie, en anesthésie- réanimation. Il existe également des métiers d’assistants techniques médicaux de laboratoire ou d’assistants techniques médicaux de radiologie, formés directement après le bac, pour lesquels il n’est pas nécessaire de passer par le cursus infirmier. Les médecins sont, pour la plupart, des libéraux (seuls deux établissements salarient leurs médecins), ce qui induit un relationnel différent. « Ils ne sont pas présents en permanence, ce qui peut compliquer le dialogue, note Xavier Demoisy, et il est très difficile pour la direction médicale d’un établissement de contraindre des médecins libéraux à un fonctionnement qui ne leur conviendrait pas. »

Les représentants des soignants siègent dans les conseils d’administration des établissements de soins, au même titre que ceux des médecins. « Et nous faisons partie d’une direction très collégiale où il est assez facile de trouver notre place et de faire des propositions, poursuit le directeur des soins. La direction médicale n’a pas de prééminence sur la direction des soins. Le système nous permet de tenir compte des approches de tous les métiers et de parvenir au consensus. »

DES RISQUES PSYCHOSOCIAUX PEU PRÉGNANTS MAIS PRIS EN COMPTE

Dans l’ensemble, les établissements bénéficient de moyens humains et matériels plus avantageux qu’en France ou en Belgique. « C’est quelque chose que l’on peut avoir tendance à oublier quand on travaille ici depuis plusieurs années », explique Xavier Demoisy.

Des dotations relativement confortables qui expliquent également que le risque psychosocial soit moins prégnant. « C’est néanmoins un point auquel nous sommes attentifs. Nos conventions collectives prévoient également des procédures en cas de situations de harcèlement moral. Et les directions des ressources humaines et la médecine du travail s’engagent sur la prévention de ces situations. »

Des performances en matière de santé parmi les meilleures du monde

Le Luxembourg est un “petit” pays (2 500 km2, 600 000 habitants) mais il dispose du plus fort PIB par habitant dans le monde. Ce qui explique une politique de santé ambitieuse. Selon l’institut Legatum, le Grand-Duché est le pays présentant les meilleures performances en matière de santé (physique et mentale, infrastructures et système de prévention) dans le monde (dans l’index 2017, la France n’apparaît qu’en 18e position). Le pays a ainsi pu mettre en œuvre une assurance dépendance, à laquelle cotisent tous les actifs depuis le début des années 2 000. « Cela permet un maintien à domicile, avec des soins, et une adaptation des logements plus importante qu’en France, observe notamment Xavier Demoisy. Surtout, dans l’ensemble, nous ressentons une réelle différence de moyens, en personnel, comme en matériel. Quand on travaille ici depuis quelques années, on perd conscience de cela. »

Les professionnels de santé relèvent de deux conventions collectives de travail. La CCT-FHL(4) et la CCT-SAS(5) (pour les soins à domicile et le médico-social). Principale différence, la première se fonde sur un horaire de travail de 38 heures et la seconde sur une semaine de 40 heures. Un parallélisme a été instauré avec les niveaux de rémunération de la fonction publique (FP), même si les établissements de soins n’en dépendent pas. « À chaque fois qu’une augmentation de la masse salariale est acceptée dans la FP, la même doit être attribuée, sous la forme d’une enveloppe globale, aux salariés relevant des deux conventions du secteur du soin », précise Pitt Bach, secrétaire central adjoint du Syndicat santé, services sociaux et éducatifs de l’OGBL (confédération syndicale indépendante du Luxembourg). En outre, les syndicats se sont beaucoup mobilisés en 2016 pour obtenir une revalorisation des carrières de cadres. « Nous étions arrivés à un différentiel considérable, pouvant aller jusqu’à 1 000 euros, entre un cadre éducatif et un cadre de soins », ajoute Pitt Bach.

Des rémunérations attractives mais un coût de la vie élevé

Pour avoir une idée des rémunérations brutes des cadres, la convention CCT-FHL, hors primes, 13e mois ou encore pécule de vacances, débute à 5 472 € bruts pour un cadre de proximité sans ancienneté et s’achève à 9 587 € bruts. « Les cadres supérieurs et cadres de soins sont souvent hors convention, précise Pitt Bach. Ils ont la possibilité de négocier leur salaire à la hausse. » À présent, c’est le différentiel de rémunération entre IDE et cadres qui devra être renégocié. « Hors prime fonctionnelle, une infirmière qui fait des nuits risque de gagner plus qu’un cadre de proximité », observe Xavier Demoisy. Il faut cependant préciser que le coût du logement au Luxembourg est comparable à celui de Paris, sur l’ensemble du territoire. « Même si le reste du budget d’une famille est davantage comparable à celui d’une famille résidant dans le reste de la France », poursuit Xavier Demoisy.

NOTES

(1) Source : www.statistiques.public.lu

(2) Texte coordonné de la loi modifiée du 26 mars 1992 sur l’exercice et la revalorisation de certaines professions de santé.

(3) Source : www.statistiques.public.lu

(4) Convention collective de travail des salariés occupés dans les établissements hospitaliers et dans les établissements membres de la Fédération des hôpitaux luxembourgeois.

(5) Convention collective de travail pour les salariés du secteur d’aide et de soins et du secteur social.

Quelques chiffres

• En 2014, le système de santé enregistrait au total 633797 journées d’hospitalisation, pour une durée moyenne de 7,2jours ; 38,4 % des séjours étaient des hospitalisations de jour, et le taux d’occupation des lits était de 71,6 %.

• Les infirmiers gradués étaient au nombre de 114 en 2017 (contre 122 en 2011) ; 6 000 infirmiers exerçaient en 2017 (contre 4931 en 2011), ainsi que 417 spécialistes en anesthésie et réanimation, 264spécialistes en pédiatrie, et 198spécialistes en psychiatrie. Les infirmières libérales sont peu et viennent compléter le système de soins à domicile.

• La part de la population âgée de plus de 65ans est de 14,1 % (17,7 % en France) et les plus de 80 ans représentent 3,9 % (5,7 % en France).

Source : http://www.statistiques.public.lu/

http://sante.public.lu/fr/actualites/2013/09/carte-sanitaire-2012/index.html