EN BELGIQUE
DOSSIER
Joëlle Durbecq* Anne-Lise Favier**
*Directrice du département
infirmier aux Cliniques
universitaires St Luc.
Joëlle Durbecq, directrice du département infirmier des Cliniques universitaires St Luc (Belgique), nous éclaire sur la fonction d’infirmière en chef, l’équivalent en Belgique de la fonction cadre de santé que nous connaissons en France. Poste à responsabilités que l’on atteint après un cursus complémentaire éventuellement de niveau universitaire, la fonction d’infirmière en chef revêt divers aspects - humains, organisationnels, managériaux - qui s’apprennent en partie sur des contours théoriques mais qui reposent aussi grandement sur la pratique, sur la base d’un mental solide, car en Belgique, comme ici en France, les risques psycho-sociaux deviennent de plus en plus nombreux et touchent surtout le secteur hospitalier soumis à toujours plus de pression. Porte ouverte vers une carrière au service des autres, la fonction d’infirmière en chef peut évoluer tant vers des fonctions transversales que hiérarchiques jusqu’à occuper la direction des soins.
Gérer un budget, encadrer une équipe, veiller à la qualité des services dispensés aux patients sont autant de tâches que doit accomplir l’infirmière en chef, le rôle le plus difficile à accomplir dans la hiérarchie infirmière, selon moi », détaille Joëlle Durbecq.
Les bases sont posées : la fonction d’infirmière en chef, l’équivalent du cadre de santé de notre système français inclut un grand nombre de responsabilités. Pour devenir infirmière en Belgique, il existe encore deux voies de formation possibles : la voie d’infirmière brevetée, qui s’inscrit dans la poursuite de l’enseignement secondaire, non reconnue, d’un diplôme qui ne donne pas accès à une spécialisation ou à des études complémentaires universitaires, et le cursus du baccalauréat infirmière, voie royale s’il en est, pour évoluer ensuite dans le métier. Ce cursus de baccalauréat infirmière, directement intégré à l’enseignement supérieur, permet en effet d’accéder ensuite à d’autres fonctions dont celle d’infirmière en chef. Concrètement, la candidate, bachelière de l’enseignement secondaire s’inscrit pour une durée de quatre ans (enseignement supérieur paramédical) afin de décrocher ce diplôme de bachelière en soins infirmiers. La formation est délivrée dans une dizaine de Hautes Écoles en Belgique francophone et compte, en plus de l’enseignement théorique, de nombreux stages - un minimum de 2 300 heures d’enseignement clinique au chevet du patient sont requis - pour permettre à chaque aspirante infirmière d’être au plus près des réalités du terrain. Ce diplôme obtenu, la diplômée devient “infirmière responsable en soins généraux” ce qui lui permet éventuellement de s’inscrire ensuite dans un cursus universitaire plus long et d’envisager une spécialisation. Pour exercer comme infirmière en chef, là aussi, deux possibilités : des études à l’école des cadres permettent par exemple de faire une formation complémentaire de trois ans, à raison d’un jour de formation par semaine, articulée autour de la gestion d’équipe ou alors un mastère en santé publique ou sciences infirmières, de niveau universitaire.
« Infirmière en chef est une fonction que l’on apprend en partie en se formant via un mastère mais c’est surtout sur le terrain que l’on va prendre cette responsabilité » prévient Joëlle Durbecq. En effet, quand on passe de la responsabilité d’un ou deux patients pendant les années étudiantes à plus d’une quinzaine, la pression n’est pas la même. Il faut aussi apprendre à gérer une équipe de soins, l’humain est alors en première ligne et en ce sens, le cadre supérieur est là pour guider l’infirmière en chef. Au sein du département infirmier, l’infirmière en chef noue des liens hiérarchiques avec ses pairs, tandis que ceux-ci deviennent plutôt fonctionnels quand ils touchent à la relation infirmière/ médecin, qui sont tous les deux liés par un lien très puissant : « dans les faits, on ne sélectionnera jamais une infirmière en chef sans connaître l’avis du médecin qui sera amené à travailler avec elle », indique Joëlle Durbecq. Côté périmètre de travail, l’infirmière en chef bénéficie d’une certaine autonomie budgétaire, à différents niveaux, pour le matériel de soins par exemple (lits, porte-perfusion, pompes volumétriques par exemple) même si les marchés publics et la phase d’accréditation menée ces dernières années ont un peu modifié la donne et visent une certaine harmonisation. C’est d’ailleurs une tâche qui revient de plus en plus au cadre supérieur.
Sur le terrain, l’infirmière en chef remplit une multitude de missions tant au niveau des ressources humaines que dans la gestion de la qualité et la relation au patient. Si ce n’est pas elle qui participe au choix concernant le recrutement de nouvelles infirmières, c’est pourtant bien elle qui en exprime le besoin. Parfois, dans certains services particuliers - par exemple au bloc opératoire - l’infirmière en chef participe de manière plus importante à la sélection des ressources : il faut s’assurer que la personne choisie va pouvoir évoluer au sein de cet environnement parfois hostile. Il faut gérer la compatibilité des équipes et de leurs personnalités. L’une de ses attributions consiste d’ailleurs à répartir les ressources infirmières dans le bon service en fonction des besoins du moment. C’est elle aussi qui réalise les évaluations de ses équipes via un entretien de fonctionnement annuel, qui gère les horaires et anime les réunions de travail au sein de son service. Elle a également un rôle important dans la gestion des risques psychosociaux, risques qui deviennent de plus en plus prégnants en Belgique, surtout depuis que les hôpitaux sont soumis à l’accréditation et à d’autres mesures de rationalisation, ce qui génère une pression supplémentaire sur les épaules du personnel : l’infirmière en chef est d’ailleurs en première ligne d’exposition à ces risques, le burnout guettant particulièrement les personnels hospitaliers et à plus forte raison les postes à responsabilité. La ministre fédérale de la Santé publique, Maggie De Block, a d’ailleurs présenté en mai dernier un projet-pilote d’un plan visant à éviter le burn-out : financé par l’Agence fédérale des risques professionnels, ce nouveau plan devrait débuter en novembre 2018 et proposer un accompagnement spécifique mais aussi des traitements et thérapies pour les personnes concernées - 3 0000 belges seraient touchés chaque année par cette souffrance au travail - principalement dans les secteurs hospitaliers et bancaires.
D’un point de vue responsabilité, l’infirmière en chef est également la garante de la qualité des soins dans la mesure où elle s’assure du parcours patient et des améliorations possibles à apporter : « sur ce volet de la démarche qualité, le rôle est de plus en plus complexe, estime Joëlle Durbecq, surtout ces dernières années avec l’accréditation, les hospitalisations qui sont de plus en plus courtes et les exigences de plus en plus fortes ». Une fois infirmière en chef, une évolution de carrière est possible vers la fonction de cadre supérieur, puis éventuellement de directrice de soins, à l’instar du parcours de Joëlle Durbecq qui explique : « j’ai été infirmière pendant 5 ans, puis infirmière en chef pendant 10 ans avant d’exercer la fonction de cadre supérieure pendant la même durée. Aujourd’hui, je suis directrice de soins et je perçois une évolution dans le parcours des jeunes infirmières : elles veulent un équilibre entre leur vie privée et leur vie professionnelle ; alors que certaines infirmières en chef sont là depuis 30 ans, beaucoup d’entre elles restent en moyenne une quinzaine d’années ; certaines quittent la fonction quand elles sont encore jeunes, n’ayant pas trouvé l’équilibre qu’elles cherchaient ». Pourtant, plusieurs évolutions sont possibles, notamment en hôpital universitaire où l’infirmière en chef peut évoluer vers un poste transversal en tant que coordinatrice des soins ou s’orienter vers la recherche voire entreprendre le suivi d’une étude pilote.
Dans les hôpitaux belges, comme en France, la situation évolue : on prépare les soins de demain, on réduit les budgets sur tous les postes et on anticipe aussi la vague grise - des personnes de plus en plus âgées - qui s’annonce avec le vieillissement de la population. Ainsi, le lien ville-hôpital est de plus en plus utilisé pour permettre une certaine continuité des soins. À cet égard, le rôle de l’infirmière en chef change aussi : « deux projets-pilote impliquant la ville et notre hôpital sont actuellement menés, l’un sur le retour précoce à domicile après la naissance et l’autre sur l’hospitalisation à domicile pour une antibiothérapie au long cours administrée pour les infections orthopédiques et urologiques », note Joëlle Durbecq.
De nouvelles missions pour les infirmières en chef qui endossent alors de nouvelles attributions. Toujours en lien avec la prise en charge du patient, action au cœur de sa fonction.
La Belgique est un état fédéral qui compte 11 358 357 habitants. Densément peuplé (37e au niveau mondial), son système de santé repose sur le principe de l’assurance sociale, caractérisée par la solidarité entre les plus riches et les pauvres. Son espérance de vie est de 81 ans (83 pour les femmes, 78 pour les hommes) et il compte une moyenne de 619 lits d’hospitalisation pour 100 000 habitants (données OMS). Le pays compte 191 460 infirmières dont 65,2 % en Flandre, 29,7 % en Wallonie et 5,1 % dans la région de la capitale Bruxelles, dans une forte proportion de féminisation, puisque l’on compte 86,8 % de femmes contre 13,2 % d’hommes. Pour répondre aux exigences européennes, la formation d’infirmier responsable de soins généraux est passée de 3 à 4 ans en 2016. Cette mesure tente ainsi de valoriser le cursus en formant mieux les futurs professionnels à la réalité du terrain. Une réforme qui crée une “année blanche” en 2019 pour la profession infirmière puisqu’aucune infirmière nouvellement diplômée ne sortira en juin de cette année-là, les dernières infirmières formées en trois ans étant sorties en juin 2018 tandis que les futures diplômées du nouveau système de formation en 4 ans le seront en juin 2020 !