RESSOURCES HUMAINES
DOSSIER
Orianne Boyer* Dr Cyrille Dubois**
*médiateure professionnelle et associée fondatrice d’OBCD Groupe
**médiateur professionnel et associé fondateur d’OBCD Groupe
Les associés de la société de médiation professionnelle OBCD Groupe nous livrent des points de repères sur la pratique de la médiation professionnelle dans le management hospitalier. En s’appuyant sur les définitions et le cadre théorique développés par la Chambre professionnelle de la médiation et de la négociation, ils proposent une réflexion sur le développement de dispositifs internes de médiation dans les établissements de santé et médico-sociaux.
La stratégie nationale d’amélioration de la qualité de vie au travail(1) rappelle qu’il faut aujourd’hui « faire de la qualité de vie au travail un fondement indispensable à l’atteinte des objectifs de l’hôpital, en termes de qualité des soins et de performance sociale ». Dans cette perspective, un projet de décret sur la création des médiateurs national et régionaux ou interrégionaux à la qualité de vie au travail, pour les personnels des établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, a été soumis à consultation.
Cet article entend proposer quelques définitions et éléments de réflexion sur la médiation professionnelle et son usage au sein des établissements publics. En effet, si le besoin en médiation a été clairement identifié au sein des structures hospitalières et médico-sociales, il apparaît important, dans un contexte institutionnel complexe, de clarifier les principes fondamentaux qui sous-tendent approches et outils à disposition des personnels du secteur de la santé, social et médico-social.
Cet article pose donc, dans un premier temps, le cadre théorique développé par les médiateurs professionnels de la Chambre professionnelle de la médiation et de la négociation (CPMN) et les définitions permettant de distinguer les différentes pratiques de résolution des conflits dans les établissements publics. Dans un deuxième temps, il présente les modalités d’action des médiateurs professionnels. Enfin, il propose une discussion sur la mise en œuvre de la médiation professionnelle dans les secteurs hospitaliers et médico-sociaux.
L’approche développée par la Chambre professionnelle de la médiation et de la négociation s’intéresse aux phénomènes relationnels. Elle permet de penser la qualité des relations et de rendre explicites les dynamiques de dégradation relationnelle. L’intérêt de cette approche est d’apporter aux personnes des outils qui, s’ils sont saisis avec constance et rigueur dans le quotidien, transforment durablement la qualité des relations.
Cette approche définit la relation selon ses trois dimensions : juridique (un contrat de travail, par exemple), technique (fonctions au sein d’une organisation ; expertise technique) et émotionnelle (issue du vécu et des échanges entre les personnes).
Le conflit est une dégradation de la relation dans sa dimension émotionnelle.
Il est caractérisé par des prêts d’intentions, des interprétations et jugements négatifs. Les personnes en conflit développent des systèmes de contraintes et des représentations imaginaires alimentant une surenchère émotionnelle.
Pour poser la question de la qualité relationnelle, cette approche se fonde sur le concept de l’altérité et interroge donc, en premier lieu, la posture individuelle des personnes dans la relation. Le concept d’altérité invite ainsi chacun à questionner ses représentations de “l’autre”. L’expérience humaine commune est effectivement de reconnaître la singularité des personnes : “je” ne suis pas “l’autre”. Si l’autre et moi ne sommes pas identiques, si nous ne sommes pas les mêmes, nous admettons donc que l’autre et moi n’avons pas les mêmes référentiels, les mêmes perspectives, les mêmes outils de communication, voire… les mêmes valeurs.
Ce constat peut conduire à deux types de posture : “l’autre” peut être perçu comme un adversaire - et la relation se joue alors dans les termes d’un rapport de force. L’alternative à cette posture d’adversité est celle d’altérité, qui s’incarne dans une démarche pragmatique de reconnaissance de l’autre au quotidien. Cette reconnaissance de l’autre se décline sous trois dimensions : « je reconnais que l’autre est légitime à avoir un point de vue différent du mien ; je reconnais que l’autre est mû par une bonne intention, centrée sur lui-même (c’est-à-dire à partir de son référentiel propre - qui est différent du mien) ; je reconnais que l’autre peut être maladroit. »
Au-delà de l’énoncé d’un mantra en trois séquences, que signifie incarner une posture de reconnaissance de l’autre au quotidien ?
Si l’autre est légitime à avoir un point de vue différent du mien, cela signifie que je renonce à lui imposer mon point de vue. La posture de reconnaissance invite à quitter une logique de contrainte pour développer des mécanismes de dialogue permettant soit de créer un accord, soit d’assumer le désaccord.
La posture de reconnaissance nécessite donc un double mouvement : prendre conscience des éléments de contrainte que je peux exercer sur l’autre et décider de ne plus les exercer pour permettre un dialogue de qualité. Cela est d’une acuité urgente dans les établissements de santé et médico-sociaux. Les représentations de soi et de l’autre, les cultures professionnelles, les hiérarchies formelles et informelles, les enjeux de pouvoir au sein des établissements rendent particulièrement contraignantes les modalités de relation. Par exemple, des situations critiques sur le plan relationnel dans le corps médical ne sont mises au jour que très tardivement car les plus jeunes médecins ou internes peuvent craindre, en raison de leur position dans la hiérarchie médicale, d’éventuelles répercussions sur leur carrière.
Sans nier l’existence d’une structure hiérarchique et des niveaux de responsabilité différents au sein d’une organisation, il apparaît urgent de réinstaurer la qualité du dialogue comme une priorité - en assumant l’existence de ces niveaux de responsabilité différents - et donc de ces perspectives différentes. Il s’agit aujourd’hui de quitter un schéma relationnel fondé avant tout sur des statuts et des hiérarchies mais aussi sur des représentations imaginaires de l’autre, légitimant des jeux de rôle et de pouvoir complexes.
Reconnaître la bonne intention centrée sur soi signifie accepter que, selon un référentiel qui est le sien, l’autre soit mû par une rationalité propre visant un bien. Ainsi, la motivation sous-jacente conduisant l’autre à agir (son intention) n’a pas pour objectif de “me faire du mal” mais celui “de se faire du bien” et même souvent de concourir à “un bien pour l’organisation”. Accepter cela ne signifie pas être d’accord avec l’autre mais admettre que celui-ci vise comme moi à un résultat qu’il perçoit ou imagine comme positif.
La condition du lien social réside dans la capacité relationnelle, définie par Cécile Renouard comme « l’aptitude, de chaque personne, à entrer en relation durable et de qualité dans des réseaux librement choisis »(2). Reconnaître la maladresse signifie prendre en considération les capacités relationnelles variables des personnes. Il s’agit là encore de reconnaître la singularité des individus.
Outre le fait que chacun acquiert la maîtrise des outils de communication avec une relative adresse, les capacités relationnelles varient d’un individu à l’autre.
Ainsi, pour incarner une posture de reconnaissance, il s’agit de renoncer à une forme d’omniscience imaginaire qui prend, dans la relation, la forme de prêts d’intentions, d’interprétations ou de jugements des actes ou des paroles d’autrui (que ceux-ci soient positifs ou négatifs). Ces phénomènes apparaissent naturels dans le fonctionnement du cerveau humain, qui est un outil d’anticipation et cherche à créer du sens lorsque toutes les informations ne sont pas disponibles. En l’absence d’une vigilance personnelle, cet outil d’anticipation peut cependant conduire à un enfermement radical dans des représentations imaginaires, empêchant une relation de qualité.
Pour instaurer des relations de qualité, fondées sur la reconnaissance, il s’agit donc de quitter des représentations imaginaires pour laisser à l’autre un espace d’existence et d’interaction lui permettant d’expliciter son action, de donner du sens à ses actes ou ses paroles.
Devenir acteur de reconnaissance signifie donc : accepter de ne pas “savoir a priori” ; créer l’espace de dialogue qui rend possible la surprise et l’inimaginable discussion ; faire confiance et donner du crédit à la parole de l’autre.
L’expertise du médiateur professionnel est celle de la qualité relationnelle. Son intervention dans des situations de crise consiste à accompagner la reprise du dialogue entre les interlocuteurs.
Dans une situation de crise, il est souvent proposé de résoudre en premier lieu les aspects juridiques et techniques (rappel au contrat de travail, référence aux bonnes pratiques) dans l’objectif de calmer la situation.
Les médiateurs professionnels de la Chambre professionnelle de la médiation et de la négociation ont développé une approche singulière et rigoureuse de la médiation. Cette pratique permet de répondre aux problématiques conflictuelles en s’intéressant en priorité à la dimension émotionnelle de la relation. Pour les médiateurs professionnels, la priorité pour sortir du conflit consiste dans le rétablissement d’un dialogue de qualité entre les personnes.
La médiation professionnelle est un processus structuré fondé sur l’intervention d’un tiers indépendant (de toute hiérarchie), impartial (par rapport aux parties en conflit), neutre (il n’a aucun intérêt dans les différentes solutions de crise), agissant en toute confidentialité à toutes les étapes du processus de médiation.
Ce processus structuré permet aux personnes en conflit de trouver leurs propres solutions aux crises relationnelles qu’elles traversent.
Le médiateur ne préconise aucune solution mais instaure les conditions favorables à la reprise d’un dialogue pacifié, responsable et ancré dans la réalité.
L’usage de la médiation professionnelle dans les établissements hospitaliers et médico-sociaux est encore balbutiant. Au-delà du mésusage du terme “médiation”, qui peut être parfois utilisé pour qualifier d’autres pratiques de résolution de conflit (conciliation, notamment), le processus de médiation ne “va pas de soi” dans le contexte hospitalier. Certains établissements se sont lancés dans la réflexion et le développement d’un dispositif interne de médiation professionnelle et ont pu identifier un certain nombre d’écueils à éviter.
Un écueil important est la tendance à l’imitation des dispositifs mis en place pour d’autres problématiques ou la référence aux habitudes hospitalières de travail en “commission”. Par exemple, la mise en place d’une commission interprofessionnelle de médiation est souvent évoquée. Le travail en commission peut certes être très pertinent dans l’élaboration d’un projet hospitalier ; il peut aussi être une nécessité pour trouver des solutions innovantes ou agir dans l’ordre disciplinaire. Cependant, un dispositif de médiation professionnelle peut difficilement être déployé par le biais d’une commission interprofessionnelle siégeant et statuant sur une situation donnée : dans un processus de médiation, il ne s’agit pas de mobiliser dans la collégialité un maximum d’expériences, de points de vue et d’expertises pour trouver une solution “technique” à une situation donnée; l’objectif d’un processus de médiation est d’accompagner des individus se trouvant dans une difficulté relationnelle pour les aider à réfléchir par eux-mêmes dans un cadre confidentiel afin de décider de la meilleure façon de sortir d’une situation critique.
Il s’agit donc de réinstaurer un dialogue qui n’existe plus entre les personnes. Cela signifie :
• permettre aux personnes de structurer leur pensée et de distinguer la part émotionnelle de la situation des problématiques factuelles ;
• faire réfléchir les personnes sur leurs propres postures individuelles dans la relation ;
• créer un engagement des personnes assurant le cadre d’échanges de qualité pendant la réunion de médiation.
Ce travail demande la création d’un lien de confiance avec le médiateur. Si la situation est traitée par le biais d’une procédure “administrative”, le lien de confiance ne pourra pas s’établir : comment sera comprise ou perçue l’articulation entre la commission et le médiateur intervenant dans une situation donnée ?
De même, si les entretiens sont menés par des binômes, les intervenants pourront peut-être se “rassurer” mutuellement mais ils risquent de se positionner en “juges” ou en “arbitres” et non en “médiateurs”.
Cela peut donc rendre compliquée la création d’un lien de confiance - qui pourtant est essentiel pour conduire les personnes vers la reprise du dialogue dans la réunion de médiation.
De plus, la confidentialité est un principe extrêmement important. La mise en place d’une commission “médiation” implique la multiplication du nombre de personnes informées d’une situation. Cela risque d’être un réel frein à la saisine d’un dispositif de médiation : les personnes peuvent craindre que leur situation ne soit divulguée au sein de l’établissement ou simplement ne pas souhaiter que leur “cas” soit discuté par un collectif.
Enfin, la saisine d’une commission implique un temps de réaction important. Or, il est toujours préférable devant une situation de crise de pouvoir activer rapidement l’intervention de médiation.
Une inquiétude des services de ressources humaines ou des groupes réfléchissant à la mise en place d’un dispositif de médiation est de voir le service de médiation saisi “pour tout et n’importe quoi” et “devenir un bureau des pleurs”, ou encore saisi “pour des situations qui ne relèvent pas de la médiation”. Cet argument est récurrent et justifie généralement la décision de mettre en place ces formats de « commissions », qui devront décider si la situation requiert bien un processus de médiation.
Cependant l’expérience montre qu’un dispositif interne de médiation, déployé par des professionnels formés et bien articulé à son contexte d’intervention, répond à ces inquiétudes :
• si la personne en conflit saisit directement le médiateur, celui-ci, après avoir reçu la personne en entretien individuel, peut par lui-même statuer sur la nécessité ou non de la mise en place d’un processus de médiation. Il s’agit là du professionnalisme d’une personne correctement formée à la médiation : elle connaît son périmètre d’intervention et peut analyser la pertinence ou non du processus de médiation dans la situation donnée ;
• dans le cas où la situation ne nécessite pas la mise en place d’un processus de médiation, mais un autre type d’intervention, le médiateur peut référer la personne auprès d’un autre professionnel compétent (médecin du travail, psychologue du travail, assistant social, ressources humaines). Pour autant, l’entretien individuel aura permis un dialogue et une réflexion permettant à la personne en difficulté de clarifier et de structurer sa pensée - voire d’apaiser une situation difficile ;
• la saisine directe du médiateur permet un gain de temps et de réactivité incontestable au niveau opérationnel.
Pour être pleinement efficace, la fonction de médiation professionnelle doit être accompagnée par un dispositif relais, au niveau des services, de sensibilisation à la qualité relationnelle et de sensibilisation des cadres à cet outil. Les cadres doivent prendre conscience que l’utilisation des outils de la qualité relationnelle constitue une approche innovante du management et non un aveu d’échec face à une situation complexe qu’ils n’auraient pas su gérer. Là encore, les représentations doivent évoluer.
Les pouvoirs publics ont identifié les besoins en médiation existant au sein des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux pour répondre aux problématiques relationnelles conduisant à du mal-être au travail. Pour autant, la mise en œuvre de dispositifs performants, pertinents et adaptés aux contextes locaux est encore balbutiante. La mise en place des médiateurs national, régionaux et interrégionaux représente une avancée importante. Mais, comme l’a rappelé le Médiateur national, c’est au niveau des établissements eux-mêmes - voire des groupements hospitaliers de territoire - qu’un approfondissement de cette réflexion, en dehors des cadres habituels, doit avoir lieu pour faire émerger des réponses locales originales et adaptées aux situations des établissements.
(1) Stratégie nationale d’amélioration de la qualité de vie au travail, “Prendre soin de ceux qui nous soignen”, 5 décembre 2016.
(2) Cécile Renouard, Éthique et entreprise, Les Éditions de l’atelier, 2013, p. 102.
Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêts.
Elle vise à mettre les individus en position de responsabilité pour trouver une sortie de conflit par eux-mêmes. Elle se distingue de :
→ l’approche judiciaire : celle-ci fait intervenir un juge. Elle procède en rappelant les personnes à la loi et en s’intéressant à la dimension juridique de la relation. La décision de justice s’impose aux parties en conflit ;
→ la procédure de conciliation : celle-ci fait intervenir un tiers sur la base d’une expertise technique ou d’une autorité morale. Ce tiers propose une réponse technique aux difficultés relationnelles ;
→ l’arbitrage : cette procédure fait intervenir un tiers qui prend une décision d’autorité imposée aux parties en conflit.
→ reprise de la relation : les personnes reprennent la relation “comme avant”.
→ aménagement de la relation : les personnes font le point sur leurs modalités d’interaction et s’accordent sur nouvelles modalités relationnelles.
→ rupture de la relation : les personnes décident de rompre la relation sur des bases rationnelles et non dans un sentiment de colère ou de frustration.