MANAGEMENT DES SOINS
DOSSIER
directeur du centre hospitalier spécialisé Montperrin, Aix-en-Provence
Directeur du centre hospitalier spécialisé Montperrin, à Aix-en-Provence, Pascal Rio a mobilisé un médiateur professionnel externe dans une situation conflictuelle impliquant deux médecins. Il nous livre l’analyse qui l’a conduit à faire le choix de la médiation professionnelle dans une situation managériale complexe, dans le contexte hospitalier.
Dans un contexte sous contraintes de productivité et en période de questionnement des valeurs professionnelles, les relations humaines dans les établissements hospitaliers se tendent. Alors que la construction d’une culture commune se fondant sur un dialogue et des relations de qualité représente un enjeu essentiel, un point de vigilance particulier demeure, pour un directeur d’établissement, l’articulation et la qualité de la relation avec le corps médical.
Avec la loi HPST(1), l’hôpital est aujourd’hui structuré par pôles. Cette structuration induit des postures et des relations entre les acteurs où se mêlent inquiétudes, redistribution des rôles et des compétences au sein des établissements. Curieusement, alors que la loi HPST a donné davantage de pouvoir aux médecins par le biais de l’organisation polaire, cette loi a été fortement critiquée, dès son élaboration, par les médecins eux-mêmes, qui arguent le fait d’avoir été dépossédés de leur pouvoir et de voir renforcé celui du directeur. Mon point de vue est exactement contraire. Cet article met en exergue l’importance de la qualité des relations et de l’articulation entre direction et corps médical. Il montre que l’outil de la médiation professionnelle est un outil pertinent pour dénouer des situations complexes dans lesquelles les protagonistes ne sont pas liés par des liens hiérarchiques mais fonctionnels.
La loi HPST a instauré le directoire comme pilier de la gouvernance de l’hôpital. Dans cette instance, composée notamment de la direction de l’établissement et de la présidence de la commission médicale d’établissement, la voix médicale est légèrement surreprésentée en nombre. Cet organe stratégique de l’établissement est un lieu d’échanges dans lequel la modalité de fonctionnement est la prise de décision par voie de consensus. Celui-ci est ensuite matérialisé par un avis de la commission médicale d’établissement ou un avis du comité technique d’établissement. La qualité des relations entre direction et corps médical est donc essentielle pour permettre des échanges de qualité, la construction et l’animation d’une vision stratégique ainsi qu’un fonctionnement optimal du directoire.
La loi HPST a aussi redessiné les contours des relations managériales dans le cadre des pôles. Le management polaire redonne le pouvoir de décision aux médecins : les chefs de pôles ont pouvoir décisionnaire sur les questions de gestion et de management des équipes. Aujourd’hui, un chef de pôle consacre généralement plus de temps au management et à la gestion du pôle qu’à la pratique clinique. Cela a peut-être fait émerger chez ces médecins de la frustration : peut-être ont-ils eu le sentiment d’être dépossédés d’une partie de leur travai ; cependant, dans les faits, les médecins ont obtenu davantage de pouvoir de gestion et de management sur le périmètre des pôles. Or cela peut provoquer de véritables inquiétudes - notamment chez des spécialistes de ces domaines - car les médecins n’ont pas été formés à ces compétences dans leur cursus initial.
Aujourd’hui, la loi HPST n’est pas mise en œuvre dans son intégralité. En effet, si les directeurs acceptaient la mise en place à la lettre de cette loi, il s’agirait aussi de déconcentrer les directions fonctionnelles dans les pôles. Seules les compétences que l’on pourrait dire “régaliennes” de l’hôpital resteraient dans le champ des prérogatives des directions hospitalières : gestion des statuts des personnels, gestion de la paie et agrégation du budget de l’établissement. Aujourd’hui, les directions d’établissement restent très attachées à leurs directions fonctionnelles (logistique, relations avec les usagers, finances, gestion économique, patrimoine, ressources humaines) et essaient dans le même temps de faire vivre les pôles. Mais il existe une véritable crainte des directeurs d’hôpitaux de se trouver dépossédés de ce qui est la base de leur travail : « Sinon nous n’existons plus. »
Ainsi, dans cette nouvelle organisation polaire, le management de pôle doit être efficace et construit. Les relations entre les différentes parties prenantes doivent être de qualité pour parvenir à créer des accords au sein de l’établissement. Dans le cas contraire, ces relations deviennent tendues, anachroniques et compliquées car l’intrication des liens fonctionnels et hiérarchiques peut créer du flou. En effet, le directeur a un pouvoir hiérarchique clair sur le personnel administratif et technique. L’existence de cette structure hiérarchique ne signifie certes pas que cela ne génère pas de conflit, mais le cadre demeure clair. Les éléments juridiques de la relation donnent des clés de lecture aux personnes selon des lignes hiérarchiques et un pouvoir décisionnaire et, de fait, proposent des voies de recours en cas de conflit. Par exemple, si un conflit voit le jour entre un salarié (N) et son cadre (N + 1), les personnes impliquées peuvent se saisir du N + 2 ou de la direction de l’établissement pour avoir recours à un tiers et tenter une sortie de crise. La voie de recours apparaît claire, lisible, connue de tous.
Du côté du corps médical, les relations sont plus complexes. La direction n’a pas de pouvoir hiérarchique et les relations sont des relations techniques fonctionnelles. De même entre médecins et personnels paramédicaux : les relations ne sont pas hiérarchiques mais fonctionnelles. Or, la non-acceptation de la place du pouvoir fonctionnel de l’autre peut apparaître particulièrement éprouvante pour les différents acteurs agissant selon cette modalité. Cette organisation peut amener une certaine confusion et, en cas de conflit, n’offre pas de recours clair aux personnes pour en sortir. Ce type de structuration et de modalité d’organisation du travail apparaît aiguiser les difficultés relationnelles entre les personnes. De fait, se révèle la nécessité pour les différentes parties prenantes en situation d’encadrement - responsables de pôles, direction, cadres de santé, notamment - de mobiliser les outils de la médiation professionnelle.
Au sein du CHS de Montperrin existent différents dispositifs ou mécanismes contribuant à assurer la régulation des relations. Les directions des soins, des ressources humaines et autres directions fonctionnelles ont un rôle clair à jouer dans cette régulation : elles sont par essence un lieu d’écoute et de recherche de solutions.
Les services de santé au travail (médecin, psychologue du travail) et les partenaires sociaux ont aussi un rôle d’accueil, d’écoute et d’orientation des agents en cas de difficultés relationnelles ou de difficultés à travailler sereinement avec leurs collègues ou supérieurs hiérarchiques. Les commissions ou organes lancés dans le cadre de démarches d’amélioration de la qualité de vie au travail et de prévention des risques psychosociaux sont aussi des lieux privilégiés qui doivent être mus par cette nouvelle conception des rapports sociaux.
La médiation professionnelle est un outil mobilisé dans le cadre d’accompagnement d’équipes ou de résolution des conflits interpersonnels. Lorsque la culture ou l’art de la médiation aura été assimilé par les directions d’établissement, elle devra se décliner dans le management polaire. C’est là que doivent s’exercer les nouvelles modalités relationnelles et managériales.
La médiation professionnelle est un outil qui permet de passer d’un management paternaliste hiérarchique à un rôle plus diffus mais qui se veut moins autoritaire et qui permet de resituer les niveaux de responsabilité des personnes. C’est un outil qui permet de faire émerger des solutions plus durables qu’une décision imposée par un supérieur hiérarchique ou une autorité morale. Notre époque nous demande de changer nos modalités managériales : la médiation professionnelle le permet.
Dans un contexte relationnel historiquement complexe, une situation de tension s’est cristallisée entre deux médecins, sans lien hiérarchique, mais impactant fortement l’établissement. Il était indispensable de trouver une solution permettant de dépasser cette situation critique. Or, aucune intervention interne ne m’apparaissait adéquate dans la situation donnée.
C’est à ce même moment que j’ai reçu une invitation de la part de MNH Groupe(2) à participer à une conférence présentant différentes approches de résolution des conflits : la conciliation, d’une part et la médiation professionnelle d’autre part. À l’issue de cette conférence, l’option de la médiation m’apparaissait particulièrement adaptée car suffisamment encadrée pour arriver à une solution concrète. De plus, l’objectif de la médiation n’était pas de trancher et d’affirmer les torts ou raisons de l’un ou l’autre protagoniste. Elle avait pour objectif de permettre à deux personnes qui n’échangeaient plus de rentrer en résonnance et de renouer un dialogue rompu.
La démarche a donc été déployée en plusieurs étapes : le cadre d’intervention et les principes de la médiation professionnelle ont été présentés à la présidence de la commission médicale d’établissement. Avec l’aval de cette dernière, le processus a été proposé et accepté par les médecins impliqués dans la crise. Les entretiens individuels et réunion de médiation ont ensuite été conduits par le médiateur professionnel.
Dans le cas du management des médecins ou de la régulation de leurs relations, cet outil apparaît très pertinent car les solutions au conflit émergent du dialogue entre les personnes concernées. Elles ne sont imposées par aucune autorité hiérarchique, ou morale, ou de corps (Ordre des médecins). Ce processus est bien sûr conditionné à son acceptation par les protagonistes. En cela, il a été important que le médiateur intervenant dans cette situation soit médecin lui-même - même si celui-ci n’a pas agi selon des liens de confraternité. C’est une condition d’acceptation du processus par les protagonistes qui sont encore dans une logique de corps extrêmement présente (l’Ordre des médecins est très fort). Il ne s’agit certes pas de compétences : s’il n’est pas nécessaire pour un médiateur intervenant dans un conflit entre médecins d’être médecin, cela peut faciliter l’acceptation par les protagonistes. Il serait dommage de s’en priver. Dans la résolution de cette crise, la double casquette de médiateur a permis d’échapper à une résistance au processus.
Dans un environnement où les personnes s’organisent selon un schéma en “tuyaux d’orgue” et où il est nécessaire de faire émerger des mécanismes pour contrebalancer la difficulté de gestion des institutions, la qualité relationnelle apparaît fondamentale. Si la tendance naturelle pour les différents acteurs est de se recroqueviller et de se crisper, de se fermer à l’échange et à la relation, la démarche opposée s’avère pourtant essentielle.
Cette démarche est celle qui permet de partager une vision commune et discuter les éléments qui font la réalité de la structure : « S’il y a un éléphant dans la pièce, on en parle ! » Sans qualité relationnelle, chacun cherche à ne pas voir l’éléphant. C’est là l’importance de l’intervention du tiers dans des instances de régulation : la médiation professionnelle est l’une des formes possibles d’intervention de ce tiers.
La qualité principale des établissements de santé est leur capacité d’adaptation. Aujourd’hui, les instances de régulation des relations ou de dialogue sont encore bridées par la course à l’activité. Cependant, la médiation arrive dans les établissements de santé. Elle se généralisera, c’est une question de survie.
(1) hôpital, patients, santé et territoires, 2009
(2) Conférence du 6 février 2018 organisée par MNH Group-Oratorio, Management et qualité relationnelle dans les établissements hospitaliers. Prévention, médiation : quelles opportunités ?
L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts.
Dans cette situation, il était important de faire appel à un médiateur externe. À mon sens, le médiateur ne peut pas appartenir à une structure car les phénomènes d’acculturation d’une personne à son milieu risquent de compromettre sa posture (indépendance, impartialité, neutralité). Avoir recours à un médiateur externe permet donc d’assurer qu’il est vierge de toute cette pollution générée par l’acculturation d’une personne à son milieu. L’inconvénient que l’on pourrait envisager est celui d’une intervention “hors sol”. Le médiateur ne peut comprendre la situation qu’à la lumière des informations qui lui sont fournies. Si elles sont parcellaires voire transformées, sa vision sera différente. Mais comme l’enjeu pour le médiateur n’est pas celui de former un jugement mais de permettre aux personnes de retrouver du lien, ce risque n’en est pas un.
Par ailleurs, une autre difficulté se présente quant à la posture d’un médiateur interne : par toutes ces interventions de médiation, il devient dépositaire de grandes et petites situations ou secrets et de tout ce qui fait la vie des personnes travaillant dans une structure au fil des mois et des années. Le filtre qui n’existe pas avec un médiateur externe quand on lui confie les choses risque de s’installer au fil du temps avec le médiateur interne car il est une personne que l’on risque de rencontrer dans les couloirs. Une tendance naturelle serait peut-être alors de voir s’instaurer des mécanismes d’autocensure envers le médiateur interne ou encore de ne plus faire appel à ses services. C’est pourquoi le recours au médiateur externe apparaît important.
Cela ouvre une réflexion plus large sur l’échelon adéquat dans le développement d’un dispositif de médiation interne et conduira sans doute à identifier le groupement hospitalier de territoire (GHT) comme un niveau pertinent. Ce périmètre pourrait permettre à des médiateurs internes au GHT d’intervenir sur des situations en dehors de leur établissement d’exercice.