Objectif Soins n° 267 du 01/02/2019

 

Écrits professionnels

Jean-Marc Panfili  

Les cadres de proximité sont les premiers concernés par l'élaboration des plannings du personnel. À ce titre, ils doivent parfaitement maîtriser la réglementation relative au temps de travail. Ainsi, l'invocation d'une organisation difficile à mettre en place n'est pas recevable pour justifier de plannings irréguliers, comme le montrent les décisions d'espèce de la jurisprudence.

Dans un contexte de restrictions budgétaires sévères, impactant les ressources humaines, la tendance à passer outre les contraintes légales d'organisation est fréquente dans les établissements publics de santé. Cela est en outre particulièrement vrai à l'égard des agents contractuels, qui sont peu enclins à faire valoir leurs droits, puisqu'ils espèrent devenir fonctionnaires à terme.

L'exercice d'élaboration des plannings est donc particulièrement compliqué pour les cadres, étant entendu que l'inclusion de RTT dans le planning ne peut intervenir qu'avec l'accord de l'agent, ce dernier gardant la possibilité d'alimenter à sa guise son compte épargne temps.

En effet, désormais, les plannings irréguliers sont sanctionnés par le juge administratif (I). Ces éclairages jurisprudentiels impliquent une conduite à tenir pour les cadres de santé, qui sont les premiers concernés par l'établissement des plannings des agents (II).

I. L'irrégularité des plannings sanctionnée par le juge administratif

La régularité des plannings constitue un impératif a priori (A), sous le contrôle strict du juge administratif (B).

A. L'exigence légale de régularité des plannings de travail

L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) module le droit à une vie privée et familiale par la possibilité d'une ingérence dans ce droit prévue par la loi, et qui constitue une mesure nécessaire dans une société démocratique.

En l'occurrence, la continuité du service public de soins implique des horaires de travail contraignants, encadrés par le droit interne.

En effet, l'article L. 6112-2 du Code de la santé publique (CSP) dispose que : « I.- Les établissements de santé assurant le service public hospitalier et les professionnels de santé qui exercent en leur sein garantissent à toute personne qui recourt à leurs services : (...) 2o La permanence de l'accueil et de la prise en charge, notamment dans le cadre de la permanence des soins (...). »

Nécessairement, une réglementation spécifique organise le temps de travail des personnels soignants.

Ainsi, l'article 13 du décret no 2002-9 du 4 janvier 2002 dispose que le « tableau de service élaboré par le personnel d'encadrement et arrêté par le chef d'établissement précise les horaires de chaque agent pour chaque mois », et « doit être porté à la connaissance de chaque agent quinze jours au moins avant son application », précisant que « toute modification dans la répartition des heures de travail donne lieu, 48 heures avant sa mise en vigueur, et sauf contrainte impérative de fonctionnement du service, à une rectification du tableau de service établi et à une information immédiate des agents concernés par cette modification ».

De plus, l'article 6 de ce même décret indique que « l'organisation du travail doit respecter les garanties (...) de durée hebdomadaire de travail effectif, heures supplémentaires comprises, [qui] ne peut excéder 48 heures au cours d'une période de 7 jours (...), d'un repos quotidien de 12 heures consécutives minimum et d'un repos hebdomadaire de 36 heures consécutives minimum », avec « 4 jours [de repos] pour 2 semaines, deux d'entre eux, au moins, devant être consécutifs, dont un dimanche ».

B. La sanction des plannings irréguliers par le juge administratif

Dans sa décision du 6 novembre 2013, le Conseil d'État a constaté que le cycle de travail appliqué, à la suite d'un accord approuvé en comité technique d'établissement, avait pour effet pour certains agents de ne pas leur permettre de bénéficier d'un dimanche complet de repos tous les quinze jours, en méconnaissance des dispositions de l'article 6 du décret du 4 janvier 2002 (quatre pour deux semaines, deux d'entre eux, au moins, devant être consécutifs, dont un dimanche).

En l'espèce, un agent hospitalier ayant découvert qu'il devait travailler quatre dimanches d'affilée sur le planning du mois d'août, le Conseil d'État s'est prononcé en faveur de l'agent, jugeant que « les dispositions (...) qui confient au chef d'établissement le soin d'arrêter des cycles de travail, après avis du comité technique d'établissement ou du comité technique, ne l'autorisent pas à déroger aux règles édictées par ailleurs par le décret et notamment à celles prévues à son article 6 ». Dès lors, « le tribunal administratif a commis une erreur de droit en rejetant la demande de (...) au motif que le cycle de travail arrêté par le chef d'établissement résultait d'un accord approuvé en comité technique d'établissement ».

L'établissement a été condamné à verser à l'agent une indemnité de 500 euros et 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative pour les frais exposés (CE, 6 novembre 2013, no 359501, mentionné dans les tables du recueil Lebon).

Ainsi, outre la problématique spécifique des repos dominicaux, le droit applicable nous indique que des plannings dérogatoires à la réglementation ne peuvent être la règle d'organisation. Ces dispositions réglementaires sont strictes et il ne peut y être dérogé, même après avis favorable du comité technique d'établissement.

Plus récemment, le Conseil d'État retient qu'« il résulte de la combinaison des articles 1er, 9 et 11 du décret no 2002-9 du 4 janvier 2002 que la durée de travail effectif des agents de la fonction publique hospitalière ne peut excéder 48 heures, heures supplémentaires comprises, au cours d'une période de 7 jours, ni 44 heures, heures supplémentaires non comprises, au cours d'une semaine civile, ni 39 heures en moyenne par semaine civile, heures supplémentaires non comprises, au cours d'un cycle irrégulier ». La Haute Juridiction administrative nous indique en outre que « les articles 6 et 16 à 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, (...) sont sans incidence sur l'interprétation à retenir des dispositions de l'article 6 du décret mentionné ci-dessus, selon lesquelles la durée hebdomadaire maximale de travail, calculée de façon absolue et non en moyenne, ne peut excéder 48 heures au cours d'une période de 7 jours ». Le Conseil rappelle en outre que « à la lettre et à l'objet des dispositions relatives au temps de travail, (...) visent à assurer la protection de la santé et la sécurité des salariés, [et que] ces dernières dispositions doivent être interprétées comme imposant que la durée du travail effectué par un agent de la fonction publique hospitalière au cours de toute période de 7 jours, déterminée de manière glissante, et non au cours de chaque semaine civile, n'excède pas 48 heures » (CE, 4 avril 2018, no 398069, mentionné dans les tables du recueil Lebon).

Dans cette décision, outre l'affirmation que la durée du travail effectuée par un agent de la fonction publique hospitalière au cours de toute période de 7 jours, déterminée de manière glissante, et non au cours de chaque semaine civile, n'excède pas 48 heures, le Conseil invoque la nécessité d'« assurer la protection de la santé et la sécurité des salariés ». Il est fait implicitement référence au droit constitutionnel à la protection de la santé, au repos et aux loisirs, prévu par le 11e alinéa du Préambule de 1946.

À noter que se trouve également mis en jeu le droit au respect de la vie privée et familiale prévu par l'article 8 de la CEDH, qui peut constituer une protection pour les agents hospitaliers en disposant que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ».

En 2017, le juge administratif a de nouveau été saisi à propos de plannings illégaux. En l'espèce, la direction du centre hospitalier a refusé de réviser un planning irrégulier.

Le tribunal administratif et la cour administrative d'appel ont donné raison aux agents requérants dans la continuité des décisions du Conseil d'État. La cour administrative d'appel a considéré qu'« aux termes de l'article 6 du décret du 4 janvier 2002 (...) : ``L'organisation du travail doit respecter les garanties ci-après définies. (...) Les agents bénéficient d'un repos quotidien de 12 heures consécutives minimum et d'un repos hebdomadaire de 36 heures consécutives minimum. Le nombre de jours de repos est fixé à 4 jours pour 2 semaines, deux d'entre eux, au moins, devant être consécutifs, dont un dimanche.'' (...) ». La Cour en déduit que « les agents doivent bénéficier tous les 14 jours d'un congé couvrant deux jours entiers calendaires dont un dimanche », et que « cette obligation ne peut être satisfaite, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier, par un décompte du temps de repos d'heure à heure équivalant en durée à une période de 48 heures qui n'inclurait pas deux jours pleins ». La Cour ajoute que « la circonstance que le bénéfice de deux journées calendaires conduirait à une organisation difficile à mettre en place ou aboutissant en pratique à ce que les agents travaillant de nuit bénéficient de trois jours pleins de congé est sans incidence sur la légalité du régime applicable ».

Dès lors, la Cour valide le jugement de première instance donnant raison aux agents requérants et condamnant l'établissement à verser à chacun 80 euros. La Cour octroie en outre 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative (CAA de Lyon, 9 octobre 2018, no 17LY01546, 17LY01556, 17LY01557, 17LY01559, 17LY01560, 17LY01561).

Compte tenu de la jurisprudence du Conseil d'État précitée, outre l'affirmation que la durée hebdomadaire maximale de travail, calculée de façon absolue et non en moyenne, ne peut excéder 48 heures au cours d'une période de 7 jours, ces décisions d'espèce nous indiquent que l'invocation d'une organisation difficile à mettre en place n'est pas recevable pour justifier de plannings irréguliers.

II. Quelles conséquences pour l'encadrement de proximité

La contrainte impérative de fonctionnement du service justifie une modification ponctuelle de planning, dans le respect des règles spécifiques applicables à certains personnels (A), sans oublier que la continuité du service implique avant tout une obligation de moyens (B).

A. L'impératif de service de dernière minute et le rétablissement impératif de l'agent dans ses droits

Si selon le décret de 2002 la modification dans la répartition des heures de travail donne lieu, 48 heures avant sa mise en vigueur, à une rectification du tableau de service établi et à une information immédiate des agents concernés, le texte prévoit également un délai plus bref « en cas de contrainte impérative de fonctionnement du service ». Cela ne souffre pas de discussion, et autorise des mesures urgentes de modification de planning. Attention, cela n'autorise pas pour autant l'encadrement à disposer des coordonnées téléphoniques des agents pour les solliciter au domicile pendant leur repos. Pour rappel, y compris dans le cadre du « plan blanc », les coordonnées téléphoniques sont communiquées sur la base du volontariat et ne peuvent être utilisées qu'en cas de déclenchement de ce plan.

Pour l'agent sollicité, le rétablissement des droits de l'agent doit intervenir au plus tôt, après la modification pour raison de service. Concrètement, la suppression d'un repos de dimanche à un agent, pour contrainte impérative de service, n'autorise pas à le faire travailler quatre ou cinq dimanches d'affilée ensuite. Ce dimanche perdu par l'agent doit être rendu au plus vite, sous peine de sanction par le juge administratif.

L'article 28 de la loi no 83-634 du 13 juillet 1983 dispose que « tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie (...) doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique », mais « sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ». De plus, l'article 99 de la loi no 86-33 du 9 janvier 1986 précise qu'« en cas d'empêchement du fonctionnaire chargé d'un travail déterminé, et en cas d'urgence, aucun autre fonctionnaire ayant reçu l'ordre d'exécuter ce travail ne peut s'y soustraire pour le motif que celui-ci n'entre pas dans sa spécialité ou n'est pas en rapport avec ses attributions ou son grade ». Mais, précision importante, « l'application de cette disposition ne peut faire échec aux règles d'exercice des professions réglementées par des dispositions législatives ».

En ce qui concerne le personnel infirmier, les dernières dispositions déontologiques protègent son indépendance face à la hiérarchie hospitalière. En effet, l'article R. 4312-6 du CSP indique que « l'infirmier ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit » et l'article R. 4312-63 du même code précise que « l'infirmier, quel que soit son statut, est tenu de respecter ses devoirs professionnels (...) et l'indépendance de ses décisions ». De plus, « en aucune circonstance l'infirmier ne peut accepter, de la part de son employeur, de limitation à son indépendance professionnelle. Quel que soit le lieu où il exerce, il doit toujours agir en priorité dans l'intérêt de la santé publique, des personnes et de leur sécurité ».

En résumé, le pouvoir hiérarchique est limité, et avant de l'exercer les cadres de proximité doivent être avertis des règles particulières qui s'appliquent aux différents personnels soignants.

B. La continuité du service implique une obligation de moyens

L'établissement des plannings pose évidemment la question des moyens humains disponibles.

À cette fin, l'administration hospitalière est de son côté tenue à une obligation de moyens.

En effet, l'article L. 6143-2 du CSP dispose que : « Le projet d'établissement (...) prévoit les moyens (...) de personnel (...) dont l'établissement doit disposer pour réaliser ses objectifs. » De plus, « (...) Après concertation avec le directoire, le directeur : (...) 2o Décide, conjointement avec le président de la commission médicale d'établissement, de la politique d'amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins, ainsi que des conditions d'accueil et de prise en charge des usagers (...) », cela conformément à l'article L. 6143-7 du même code.

Enfin, en vertu de l'article L. 6146-1 du CSP, « le praticien chef d'un pôle (...) organise, avec les équipes médicales, soignantes, administratives et d'encadrement du pôle, sur lesquelles il a autorité fonctionnelle, le fonctionnement du pôle et l'affectation des ressources humaines en fonction des nécessités de l'activité (...), dans le respect de la déontologie de chaque praticien et des missions et responsabilités des services, des unités fonctionnelles, des départements ou des autres structures, prévues par le projet de pôle (...) ». À cette fin, l'article R. 6146-8 du CSP dispose que : « I. – Sur la base de l'organisation déterminée par le directeur, le contrat de pôle mentionné à l'article L. 6146-1 définit les objectifs, (...) ainsi que les moyens qui lui sont attribués. »

Les cadres de proximité sont les premiers concernés par l'élaboration des plannings du personnel. À ce titre, ils doivent parfaitement maîtriser la réglementation relative au temps de travail. Ils doivent également connaître les principes d'obéissance hiérarchique et leurs limites.

Mais à l'impossible nul n'est tenu, en conséquence le manque de personnels doit être signalé expressément par les cadres aux directions médico-administratives, qui sont en principe garantes de l'obligation de moyens.