Se pencher sur la jurisprudence, c'est connaître le droit tel qu'il se pratique, dans la réalité des situations vécues. Dans un procès, il s'affirme de part et d'autre des positions légitimes, mais il y a un conflit et le juge doit trancher. Voici un coup d'œil sur des décisions significatives rendues par les tribunaux ces derniers mois, dans la diversité juridique que crée la pratique des soins dans les établissements de santé.
Si la cause du décès reste inexpliquée, un recours en responsabilité est voué à l'échec.
• Faits. Un patient, qui était alors âgé de 76 ans, a bénéficié, le 2 janvier 2007, d'une ablation d'une tumeur de la queue du pancréas au sein du service de chirurgie viscérale d'un centre hospitalier.
Le 6 janvier suivant, à 0 h 15, l'infirmière de nuit a constaté son décès par embolie gazeuse consécutivement à l'injection sous pression d'oxygène par la tubulure de perfusion.
• Expertise et enquête. L'enquête judiciaire sur les causes de la mort n'a pas permis d'élucider les circonstances du décès et plusieurs causes sont possibles : faute professionnelle d'un membre du personnel, maladresse de la victime ou d'un tiers, suicide ou acte de malveillance.
• Analyse. La famille reproche à une infirmière d'avoir omis de retirer au bout de vingt minutes, ainsi qu'il était prescrit, un aérosol à oxygène sur le visage du patient la veille du décès, à 21 heures, laissant ouverte l'arrivée d'oxygène qui l'alimentait.
Toutefois, le maintien de cet aérosol au-delà de la durée prescrite n'a pu constituer qu'une simple gêne pour le patient et la circonstance qu'une arrivée d'oxygène soit demeurée ouverte ne présente pas, en elle-même, de lien direct et certain avec les causes du décès. De plus, cette arrivée d'oxygène était également utilisée pour les lunettes nasales, et son branchement était inadapté à la tubulure de perfusion.
La famille reproche par ailleurs à l'équipe d'avoir négligé la surveillance médicale et non médicale.
En réalité, l'état de santé du patient ne nécessitait aucun suivi particulier. Il disposait d'un « bip malade » pour prévenir le personnel en cas de besoin. Son décès est intervenu de nuit, avec un personnel soignant réduit, devant faire face à une charge de travail importante. Or, le décès survient rapidement en cas d'injection d'oxygène dans le circuit sanguin.
CAA de Bordeaux, 25 septembre 2018, no 15BX03622.
En l'absence de nécessité d'une surveillance particulière, la chute d'un patient n'engage pas la responsabilité de l'infirmière.
• Faits. Une patiente, âgée de 74 ans, a été admise le 17 juin 2015 dans un centre hospitalier pour une décompensation respiratoire. Elle a fait une chute dans sa chambre le 22 juin 2015 à la suite de laquelle une fracture du col du fémur a été diagnostiquée, qui a nécessité une opération le 23 juin 2015 pour la pose d'une prothèse de la hanche.
Son fils fait valoir que sa mère ne pouvait se lever, qu'elle a été laissée debout le temps d'aller chercher une lingette et qu'ainsi, il y a eu défaut de surveillance de celle-ci.
• Analyse. Le matin du 22 juin 2015, lors de sa toilette pour laquelle elle était assistée par une aide-soignante et une infirmière, la patiente, qui avait été assise sur la chaise percée des toilettes, a glissé sur les fesses et a chuté mécaniquement alors que l'infirmière s'était écartée brièvement pour prendre le matériel nécessaire pour la nettoyer à la salle de bains.
L'état de santé de la patiente ne nécessitait pas une surveillance particulière, notamment lorsqu'elle était aux toilettes et donc en position assise. Cette chute, purement accidentelle, ne révèle aucune faute de la part de l'infirmière.
CAA de Douai, 20 novembre 2018, no 17DA00293.
Lorsque des signes évocateurs n'ont pas été pris en compte, le retard dans le diagnostic d'un infarctus, même difficile, engage la responsabilité.
• Faits. Le 17 septembre 2010, à 8 h 15, souffrant de douleurs abdominales qu'il avait ressenties dès 4 h du matin, un patient s'est présenté au service des urgences d'un centre hospitalier. L'infirmier qui l'a accueilli s'est borné à le renvoyer vers son médecin traitant qui, lors d'un rendez-vous en fin de matinée, lui a prescrit une radiographie de l'abdomen et une échographie abdomino-pelvienne.
Face à la persistance et à l'accroissement des douleurs, la fille du patient a appelé le centre 15. Une ambulance du SAMU est intervenue vers 17 h 10. Constatant la gravité de la situation, l'ambulancier a sollicité un véhicule médicalisé qui est arrivé vers 18 h 10.
Le patient a été transporté aux urgences du centre hospitalier vers 18 h 20. Un électrocardiogramme réalisé vers 19 h 40 a mis en évidence un infarctus du myocarde récent. Une intervention en urgence a été pratiquée, consistant en une angioplastie par stent, laissant au patient un état séquellaire.
• Analyse
Prise en charge par le service des urgences le 17 septembre 2010 à 8 h 15
En renvoyant, le 17 septembre 2010 à 8 h 15, le patient vers son médecin traitant, sans le faire examiner par un médecin urgentiste, l'infirmier n'a pas assuré une prise en charge du patient conforme aux règles de l'art et a commis une faute.
Prise en charge par le service d'aide médicale urgente
L'expert a regretté que le médecin présent dans le véhicule médicalisé du SMUR n'ait pas réalisé entre 17 h et 18 h un électrocardiogramme qui aurait permis de poser le diagnostic de l'infarctus et ainsi d'orienter plus rapidement le patient vers un service de cardiologie. Toutefois, l'absence d'état antérieur ainsi que de tout signe coronarien classique ou atypique rendait improbable le diagnostic de syndrome coronarien aigu.
Dans ces conditions, compte tenu des circonstances dans lesquelles ce service est intervenu et des symptômes que présentait le patient, qui se plaignait de douleurs abdominales sans rapport évident avec un infarctus, les services d'urgence n'ont pas commis de faute en ne procédant pas à un électrocardiogramme immédiatement dans l'ambulance.
Prise en charge lors de son hospitalisation à 18 h 20
Un électrocardiogramme a été réalisé plus d'une heure après l'arrivée du patient, mais eu égard aux symptômes que présentait l'intéressé et à l'absence de tout antécédent, ce délai ne peut être considéré comme fautif.
Perte de chance
La symptomatologie douloureuse que présentait le patient à 4 h du matin était trompeuse et n'évoquait pas une pathologie coronarienne, qui aurait pu impliquer la réalisation immédiate d'un électrocardiogramme lorsqu'il s'est présenté au service des urgences à 8 h 15. Cependant cet examen aurait dû être pratiqué, compte tenu notamment de l'âge du patient et de la persistance des douleurs, dans un délai d'une à deux heures à compter de son admission.
Il n'est pas certain que l'électrocardiogramme aurait mis en évidence des anomalies évoquant un syndrome coronarien aigu dès lors que l'électrocardiogramme réalisé à 19 h 15, soit plus de quinze heures après le début des douleurs, montrait des modifications électriques de la repolarisation de type onde de Pardee, qui s'observent dans les toutes premières heures de l'infarctus. Cependant, selon l'expert, l'obstruction de l'artère avait dû commencer dans la nuit et le diagnostic aurait sans doute pu être posé dans la matinée.
Le centre hospitalier soutient qu'en admettant que le patient ait été examiné par un médecin de garde et qu'un ECG ait été réalisé vers 9 h du matin, les séquelles de l'infarctus du myocarde auraient été les mêmes. Il indique à cet effet que l'expert a reconnu que, le patient ayant ressenti une douleur vers 4 h du matin, l'établissement du diagnostic et sa prise en charge dans la matinée n'auraient pas permis d'éviter les séquelles dans la mesure où la prise en charge doit intervenir dans les trois premières heures de l'apparition des douleurs pour permettre une protection satisfaisante de la fonction cardiaque.
Toutefois, l'expert n'a pas exclu toute amélioration dans l'hypothèse d'une intervention moins tardive, même si les chances de préserver la fonction ventriculaire s'amenuisent après la sixième heure. En outre, la désobstruction de l'artère peut apporter un bénéfice au patient jusqu'à la douzième heure après l'apparition de la douleur.
Compte tenu de ces éléments, la faute commise a fait perdre au patient une chance de subir des séquelles moins importantes que celles dont il a été victime, qui doit être estimée à 25 %.
CAA de Nancy, 2 octobre 2018, no 16NC01794.
Le choix de la voie cœlioscopique, inutilement risqué, et un défaut de surveillance dans les suites constituent des fautes qui engagent la responsabilité.
• Faits. Une patiente, traitée dans un CHU pour une insuffisance rénale chronique terminale, a été équipée, dans l'attente d'une greffe, d'un cathéter péritonéal permettant la réalisation d'hémodialyses.
Elle a subi le 12 janvier 2009, afin de prévenir le développement d'une tumeur dont la présence avait été constatée sur le rein gauche, une néphrectomie par voie cœlioscopique.
Une hémorragie abdominale survenue lors de cette opération a nécessité de nouvelles interventions, réalisées les 22 et 29 janvier 2009.
La patiente est décédée d'un arrêt cardiorespiratoire survenu au cours d'une hémodialyse réalisée le 30 janvier 2009.
• Analyse. La patiente, qui recevait un traitement anticoagulant, était exposée lors de cette intervention à un risque hémorragique par lâchage des sutures, risque qui s'est réalisé.
Deux fautes sont reconnues.
D'abord, le choix de la voie cœlioscopique. Cette technique, sans être incompatible avec la présence d'un cathéter péritonéal, accroît en pareil cas le risque de large décollement des tissus et complique le contrôle de l'hémostase.
Ensuite, après l'intervention, le fait de procéder à une nouvelle hémodialyse dès le 30 janvier 2009. Cette opération n'était pas impérieusement requise à cette date et a concouru avec les saignements actifs de la patiente à provoquer un désamorçage de la pompe cardiaque.
Ces fautes n'ont pas été la cause directe du dommage mais ont seulement fait perdre à la victime une chance d'échapper à l'accident hémorragique ou d'en limiter les conséquences.
Conseil d'État, 9 novembre 2018, no 409287.
Analyse d'une situation complexe de responsabilité partagée dans le cas d'un accouchement avec dystocie des épaules.
• Faits. Le 10 avril 2012, une femme a accouché de son troisième enfant dans un centre hospitalier. Le fœtus a présenté une dystocie des épaules, celles-ci restant bloquées au-dessus du détroit supérieur du bassin alors que la tête était apparente. Les mesures obstétriques mises en œuvre en urgence ont permis son extraction rapide en évitant toute anoxie cérébrale. L'enfant est cependant atteint d'une paralysie obstétricale du plexus brachial.
La dystocie des épaules est imprévisible, sauf dans les cas de diabète maternel associé à une macrosomie, c'est-à-dire un poids excessif du fœtus, les risques de macrosomie étant eux-mêmes fonction de l'obésité de la mère et multipliés par deux ou trois lorsque s'y ajoute une prise de poids significative en cours de grossesse.
En l'espèce, la mère, qui souffrait d'obésité morbide, avait pris environ 30 kg au cours de sa grossesse et souffrait d'un diabète gestationnel. Elle présentait ainsi des facteurs de risques permettant de craindre une macrosomie fœtale et, si celle-ci était avérée, de survenance d'une dystocie des épaules lors de l'accouchement.
Toutefois, l'échographie fœtale réalisée le 6 avril 2012 avait permis d'évaluer le poids du fœtus à 4 080 grammes, alors que la mère avait mis au monde sans aucune difficulté, deux ans auparavant et dans un contexte pondéral analogue, un enfant dont le poids était de 4 030 grammes. L'enfant présentait en réalité à la naissance un poids de 5 080 grammes, mais cette différence s'explique par la marge d'erreur très importante qui affectait l'examen échographique.
Compte tenu de ces éléments, les experts s'accordent à considérer qu'aucun motif sérieux n'imposait d'envisager une césarienne, geste qui présente, en outre, un caractère de dangerosité accru en cas d'obésité maternelle. L'absence de recours à une césarienne, qui aurait selon les parents de l'enfant permis d'éviter la survenance de la paralysie obstétricale du plexus brachial de leur fils survenue lors de l'accouchement par voie basse, ne saurait être constitutive d'une faute.
La dystocie des épaules a été diagnostiquée à 9 h 50. La sage-femme a aussitôt procédé à une tentative de manœuvre dite de Mac Roberts, comportant une hyperflexion des cuisses de la parturiente et l'exercice d'une importante pression sus-pubienne, sans obtenir l'expulsion du fœtus. L'extraction a été réalisée à 9 h 55 grâce à une manœuvre dite de Jacquemier, consistant à dégager le bras postérieur de l'enfant, d'abord tentée par l'obstétricien seul, puis réussie avec l'aide d'une infirmière. L'ensemble de ces manœuvres, qui ont abouti à la naissance d'un enfant exempt d'anoxie cérébrale, relève d'une prise en charge conforme aux règles de l'art.
Toutefois, le partogramme renseigné par la sage-femme comporte également, après le relevé de l'échec de la manœuvre de Mac Roberts, l'indication « essai rotation paradoxale ». Il en résulte que la sage-femme a tenté de réaliser ce geste, qui a en outre été décrit avec précision par la mère durant les opérations d'expertise. Cette circonstance n'est pas démentie par l'absence de stigmates sur la tête du nouveau-né dès lors que ceux-ci, selon le rapport d'expertise, sont inconstamment signalés dans l'observation néonatologique. Un tel geste, susceptible en cas de dystocie des épaules de provoquer des dilacérations voire un arrachement des racines du plexus brachial, était très dangereux pour le fœtus et formellement contre-indiqué. Sa réalisation revêt, par suite, et malgré le contexte d'urgence dans lequel il est intervenu, le caractère d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier.
• Liens de causalité. Des lésions du plexus brachial étaient constituées avant même l'identification d'une dystocie des épaules, en raison du phénomène d'étirement du plexus brachial par propulsion fœtale entravée lors des efforts d'expulsion, principale cause des paralysies obstétricales du plexus brachial. Ces lésions ont vraisemblablement été aggravées par la réalisation fautive d'une rotation paradoxale de la tête fœtale. Compte tenu des conditions dans lesquelles le geste fautif a été réalisé, en particulier de la rapidité avec laquelle l'expulsion du fœtus a pu être obtenue à compter du moment où la dystocie a été diagnostiquée, il y a lieu d'évaluer à 30 % la part prise par la manœuvre de rotation de la tête fœtale dans la constitution des lésions dont l'enfant est atteint.
Toutefois, une prise de poids de 14 kg multiplie par 2 à 3 l'incidence de la macrosomie chez la patiente obèse. La macrosomie associée au diabète maternel est un facteur aggravant du risque de dystocie des épaules, dont la paralysie obstétricale du plexus brachial est une complication classique. L'importance du poids du fœtus accroît également le risque de constitution, avant le constat de la dystocie, d'un phénomène de propulsion fœtale entravée. La non-observance par la mère des consignes d'hygiène alimentaire et d'activité physique, en favorisant une prise de poids d'environ 30 kg au cours de la grossesse et en multipliant ainsi le risque de macrosomie du fœtus, a entraîné une perte de chance d'éviter la paralysie obstétricale du plexus brachial associée à la dystocie des épaules, ainsi que ses complications. Il y a lieu d'évaluer à 50 % cette perte de chance initiale, à raison de laquelle la responsabilité du centre hospitalier ne saurait être engagée.
Dans ces conditions, la part des préjudices dont l'indemnisation doit être mise à la charge du centre hospitalier de Valenciennes s'établit à 15 %.
CAA de Douai, 18 décembre 2018, no 16DA02538-17DA00055.
Un acte suicidaire, intervenu peu après une hospitalisation mais sans signes évocateurs, n'engage pas la responsabilité de l'équipe médicale.
• Faits. Un homme né en 1981 a été victime, le 23 mai 2013, d'un malaise suivi d'un important état d'anxiété ayant nécessité une hospitalisation au service des urgences d'un centre hospitalier.
Les examens réalisés à la suite de ce malaise n'ayant pas permis de détecter d'anomalie, le patient a été autorisé à regagner son domicile.
Le 27 mai 2013, il a été admis dans le service des urgences d'un CHU pour un nouvel épisode d'angoisse avec impression de mort imminente.
Le patient a été gardé en surveillance, en vue d'une réévaluation de son état psychique, dans le service des urgences pour la nuit avec un traitement anxiolytique.
Le 28 mai, vers 6 h 45, il a tenté de se suicider en se défenestrant.
• Analyse. Le 23 mai 2013, le patient, qui ne présentait pas d'antécédents psychiatriques, a été examiné par les médecins du service des urgences du premier établissement, qui lui ont uniquement prescrit un traitement anxiolytique à sa sortie du service pour traiter sa crise d'angoisse.
Selon les déclarations au service de police du psychiatre qui a examiné le patient dans la soirée du 27 mai 2013, celui-ci était anxieux et avait peur de mourir mais ne présentait pas de « désorientation tempo-spatiale, il n'exprimait pas d'idées tristes ou d'idées suicidaires ».
Ce constat est également partagé par l'infirmière de garde, qui indique, dans un procès-verbal, qu'« à aucun moment, il n'a fait état d'un désir de mourir », et qu'il a été gardé sous surveillance pendant la nuit, placé dans un box du service des urgences et a été examiné à plusieurs reprises.
Si à 5 heures, il a remis une lettre au personnel infirmier sur laquelle figurait la mention « Adieu mes amours », le verso de la lettre comportait également des projets de vie de telle sorte que cette lettre ne pouvait alerter le personnel soignant quant à une éventuelle aggravation de son état d'angoisse.
À 6 h 20, l'infirmière de service qui s'est présentée au patient a pu constater une amélioration de son état psychique.
Ainsi, le comportement de l'intéressé ne révélait ni un état d'énervement particulier ou une attitude agressive ni un état de détresse justifiant un traitement spécifique pour des troubles psychiatriques ou une orientation vers une structure d'accueil spécialisée. Aucune faute résultant d'une erreur dans le diagnostic et dans l'orientation du patient ne peut être retenue à la charge du centre hospitalier.
En l'absence de prescription médicale de mesures particulières de surveillance ainsi qu'en l'absence de circonstances pouvant laisser prévoir son geste dans les moments qui l'ont précédé, le fait que le patient ait pu accéder à un couloir pourvu d'une fenêtre qu'il était possible d'ouvrir et qu'il n'ait pas fait l'objet d'une surveillance constante ne peut être regardé comme constitutif d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service.
CAA de Lyon, 8 novembre 2018, no 16LY03125.
Le fait pour un médecin psychiatre d'imposer des relations sexuelles à sa patiente, par surprise puis sous emprise, constitue un viol.
• Faits. Un médecin psychiatre a imposé des rapports sexuels à une jeune femme, qui était sa patiente, notamment à l'issue de séances de yoga. À la surprise du premier rapport sexuel lors de la première séance, a succédé un état de contrainte morale sur la jeune fille, compte tenu de l'emprise psychologique sur sa personne, liée à sa position de psychiatre et à la thérapie et aux soins qu'il prétendait lui prodiguer.
• Analyse. La vulnérabilité de la jeune femme résulte de l'expertise d'un psychiatre qui fait état de troubles de l'organisation de la personnalité et d'un ensemble de difficultés psychiques d'une certaine intensité au moment des faits. Cet état de vulnérabilité résulte également du parcours de vie de la victime, des déclarations de témoins, des constatations que l'accusé relate lui-même avoir effectuées et de la demande de soins de la victime. Le psychiatre ne pouvait donc pas ignorer cet état de vulnérabilité.
Ainsi, la cour d'assises a retenu que le psychiatre avait imposé des rapports sexuels à cette jeune femme, se trouvant dans un état de vulnérabilité connu de l'auteur, lequel avait exercé sur elle une contrainte morale, dans le cadre d'une emprise psychologique liée à sa qualité de psychiatre et à la thérapie qu'il prétendait lui prodiguer, et la qualification de viol doit être retenue.
Cass. crim., 17 octobre 2018, no 17-83958.
Des fautes professionnelles méritent une sanction disciplinaire, mais elles doivent revêtir une gravité avérée pour justifier un licenciement.
• Faits. Une aide-soignante, agent dans un EHPAD, a été licenciée pour faute.
• Analyse. L'EHPAD fait grief à l'agent de ne pas avoir établi de fiche de transmission concernant la chute d'une résidente survenue le 13 janvier 2014 vers 20 h, à la fin de son service, et de ne pas avoir prévenu l'infirmière présente au moment des faits alors que cette chute a entraîné une luxation de l'épaule de l'intéressée qui a dû être réduite au bloc opératoire.
L'aide-soignante soutient qu'elle s'est assurée de l'état de santé de la résidente, que celle-ci ne présentait aucun traumatisme apparent, qu'elle a manqué de temps pour remplir immédiatement une fiche de transmission mais qu'elle a signalé oralement cette chute à l'équipe de nuit, qu'il n'est pas établi qu'une infirmière était encore présente au sein de l'établissement et qu'en tout état de cause, le protocole de prévention de chutes qui lui est reproché de ne pas avoir appliqué n'était pas au nombre des protocoles validés au sein de l'établissement.
Toutefois, en s'abstenant de remplir immédiatement une fiche de transmission, l'aide-soignante a fait obstacle à la continuité des soins et à la traçabilité de cette chute. Dès lors, ces faits caractérisent une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire.
De plus, l'EHPAD fonde sa décision sur le manque de respect dont l'aide-soignante aurait fait preuve à l'égard de sa hiérarchie à la suite de cet incident. Il lui est reproché, d'une part, d'avoir exprimé verbalement et avec violence son désaccord à l'infirmière référente puis d'avoir poursuivi cette dernière dans le couloir de service, d'autre part, d'avoir opposé à l'argumentation purement professionnelle du cadre de santé une attitude agressive et des propos aussi véhéments qu'insolents. Il ressort des rapports établis par l'infirmière référente puis par le cadre de santé que l'aide-soignante a effectivement eu un comportement inapproprié lors des entretiens qu'elle a eus avec cette infirmière et ce cadre de santé et que ce comportement caractérise également une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire.
Toutefois, la sanction de licenciement apparaît disproportionnée à la gravité des fautes alors que l'établissement pouvait prononcer une sanction alternative, notamment une exclusion temporaire de fonction.
CAA de Bordeaux, 20 novembre 2018, no 16BX01562.
Un choc psychologique, lié à une annonce faite dans l'organisation du travail, peut constituer un accident de service.
• Faits. Un adjoint territorial des établissements d'enseignement a demandé la reconnaissance de l'imputabilité au service de l'accident dont elle a été victime le 25 janvier 2016.
• En droit. Un accident, qui se définit comme un événement précisément déterminé et daté, survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet événement du service, le caractère d'un accident de service.
Le droit de conserver l'intégralité du traitement est soumis à la condition que la maladie mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'accomplir son service soit en lien direct, mais non nécessairement exclusif, avec un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de ses fonctions.
• Analyse. Le 21 janvier 2016, l'agent qui exerçait jusqu'alors depuis une vingtaine d'années des activités de sauveteur-secouriste à l'infirmerie du collège pour apporter les premiers soins aux élèves, en plus de ses fonctions de lingère, a été reçue par le principal et la gestionnaire de cet établissement et a appris soudainement lors de cet entretien la modification de son service, à savoir qu'elle n'occupera plus ses fonctions de secouriste et qu'elle effectuera, en plus de la majorité de son service à la lingerie, de nouvelles tâches d'entretien des locaux et de restauration des élèves. Un nouveau planning de service lui a été transmis le 25 janvier 2016 prenant effet le jour même.
L'agent a déposé immédiatement une déclaration d'accident de travail initial et a bénéficié à compter de cette date d'un arrêt de travail jusqu'au 5 février 2016, établi par son médecin traitant, qui mentionne comme constatation détaillée « stress majeur suite à l'exclusion de son service, état d'angoisse, pleurs ». Cet arrêt a été plusieurs fois renouvelé, jusqu'au 8 août 2016 et son changement d'affectation à sa demande sur un autre poste du département.
Le médecin expert affirme que l'agent n'a pas d'antécédents psychiatriques et estime que l'accident survenu est imputable au service « dans la mesure où l'état de souffrance mentale est en lien avec un événement soudain et précis (convocation par le chef d'établissement qui prononce un changement d'affectation) » et que les arrêts de travail qui ont suivi présentent un lien avec cet accident.
Le psychiatre qui suit l'agent en consultation indique dans son certificat médical du 29 juin 2016 que l'agent « présente un état de stress post-traumatique lié à un événement survenu sur son lieu de travail » et qu'elle « ne peut en aucun cas reprendre un poste sur cet établissement ».
La commission de réforme, dans son avis du 6 juillet 2016 favorable à la reconnaissance de l'imputabilité de cet accident, indique « stress majeur suite à l'exclusion de son service, état d'angoisse et pleurs » qui nécessite un arrêt de travail à compter du 25 janvier 2016 imputable au service.
Ainsi, l'ensemble des avis médicaux concordent sur le fait que l'agent, à l'annonce, lors de l'entretien du 21 janvier 2016, de la suppression de son service de secouriste à l'infirmerie et à la suite de la remise le 25 janvier 2016 de son nouveau planning de service, a subi un choc réactionnel. Ces avis attestent également de l'absence d'antécédents psychiatriques. La circonstance que le changement de fonctions résulterait d'une réorganisation du service en raison de l'affectation d'une nouvelle infirmière dans l'établissement qui n'avait plus à être secondée est sans incidence sur l'imputabilité au service des conséquences psychiques qui ont pu en résulter, dès lors qu'il est établi que ces conséquences procèdent effectivement de cet événement précisément déterminé et daté, lequel n'a pas été provoqué par une faute de l'intéressée. Dans ces conditions, l'accident doit être regardé comme imputable au service.
CAA de Marseille, 11 décembre 2018, no 17MA04374.