Le président de la République vient de lancer le grand débat national suite aux manifestations de ces dernières semaines. La santé, qui arrive toujours en tête dans les principales préoccupations des citoyens, n'apparaît pas cependant dans les thèmes choisis pour ce débat – même si aucun n'est pour autant exclu. À l'occasion de la présentation dans les jours à venir du projet de loi relatif à la transformation du système de santé, déclinaison opérationnelle des objectifs de « Ma santé 2022 », on aurait pu s'attendre à ce que les questions de santé figurent dans le débat. Mais la santé, au fait, c'est quoi ?
De nombreuses institutions comportent dans leur appellation le terme santé. Les économistes travaillent sur l'amélioration du système de santé. Le terme santé est particulièrement présent.
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé comme un état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. Certes, mais la santé vue par l'individu n'est pas celle appréhendée par le responsable de santé publique, qui n'est pas celle de l'économiste.
Compte tenu de ses nombreuses dimensions, définir la santé se révèle très complexe.
Notons que la santé est un important critère de qualité de vie pour les individus dont la principale préoccupation est d'être en bonne santé. Deux approches sont cependant possibles :
• l'approche passive consiste pour un individu à se dire en bonne santé parce que ses organes ne montrent aucun signe de défaillance, ou bien encore parce qu'il considère que ses besoins sont satisfaits. Autrement dit, l'individu peut être un malade qui s'ignore. Ainsi cet individu va avoir tendance à profiter de la vie au maximum sans pour autant se préoccuper des facteurs déterminants de sa santé ;
• l'approche positive est le résultat d'une guérison : l'individu vient de subir une maladie qu'il a surmontée et, bien que la guérison ne soit pas encore complète, il se dit néanmoins en bonne santé.
Ces deux approches traduisent les deux dimensions de la santé : l'une objective et l'autre subjective. La manifestation d'un besoin de santé s'apparente ainsi toujours à une dimension objective et une dimension subjective. Cela a été mis en évidence pour la première fois dans les années 1970 par des chercheurs qui analysaient les dépenses de santé. Ils constataient alors que les dépenses de santé étaient en croissance exponentielle alors que l'état de santé stagnait : cela traduisait-il l'inefficacité des politiques de santé ? Les chercheurs répondirent qu'il fallait y voir plutôt l'inadéquation des indicateurs de mesure utilisés pour évaluer l'état de santé d'une population. En effet, ceux-ci étaient exprimés en termes de durée de vie, de taux de mortalité et d'espérance de vie, c'est-à-dire par des mesures grossières (critère vivant ou mort). Pour les chercheurs, l'état de santé d'une population débordait largement du critère vivant ou mort, dimension objective, dans la mesure où le besoin de santé a une dimension subjective non négligeable. Lorsqu'un individu se rend chez le médecin, il manifeste un besoin objectif de réparation et un besoin subjectif de sécurité, qui peut être le seul à exister dans certains cas. Les médicaments dits « placebo », qui n'ont pas d'efficacité technique, illustrent parfaitement cette dimension subjective du besoin de santé.
Ce raisonnement a fait école depuis et une majeure partie de la politique actuelle de régulation des dépenses de santé repose sur cette idée, avec une hiérarchisation des remboursements en fonction du degré de confort.
Mais il est extrêmement difficile de distinguer les dimensions objectives et subjectives de la santé : ainsi, les médicaments « placebo » peuvent avoir une certaine efficacité sur les individus, en exerçant une fonction d'assurance et de réassurance, alors même qu'ils sont inefficaces techniquement et cliniquement... C'est pourquoi plusieurs concepts de morbidité ont été définis, la morbidité réelle, ressentie et diagnostiquée :
• la morbidité diagnostiquée correspond à l'ensemble des affections diagnostiquées par le corps médical qui nécessitent le recours au système de santé, à condition que le besoin ait fait l'objet d'une demande de la part de l'individu ;
• la morbidité réelle correspond aux affections ressenties par les individus, sans pour autant être l'objet d'un recours au système de santé, et aux affections inconnues des individus et révélées aléatoirement au cours de la vie, sans faire l'objet d'une demande de santé ;
• enfin, la morbidité ressentie correspond aux troubles ressentis, qui se traduisent ou non par le recours au système de santé ; elle dépend bien sûr des techniques médicales en cours et s'accroît avec l'évolution de celles-ci.
On peut dès lors mettre en évidence plusieurs autres déclinaisons : la morbidité réelle diagnostiquée mais non ressentie (par exemple, une affection pulmonaire diagnostiquée lors d'un cliché radiologique mais dont l'individu ne souffre pas) ; la morbidité réelle ressentie mais non diagnostiquée (par exemple, les caries dentaires) ; la morbidité réelle ni diagnostiquée ni ressentie (inconnue donc, par définition) ; la morbidité ressentie, diagnostiquée mais pas réelle (par exemple, les maladies psychosomatiques).
L'échelonnement de l'espérance de vie reflète la condition socioprofessionnelle et les conditions de vie et de travail. On note des comportements différents entre les hommes et les femmes en matière de prévention, de recours au système de santé. Boltanski compare le risque sanitaire selon les catégories socio-professionnelles, risque appréhendé en termes d'espérance de vie et de recours aux soins médicaux. L'écart entre ces deux variables diminue lorsque l'on passe des cadres supérieurs aux cadres moyens, des ouvriers aux employeurs, des ouvriers aux ouvriers agricoles. Plus l'on s'élève dans la hiérarchie sociale, plus l'on consomme des soins médicaux, à risque morbide donné. Il énonce les explications suivantes :
• il y a entre les individus aisés une communauté de langage avec le médecin qui permet de mieux opérer la transformation de la sensation de symptôme ;
• les conditions de vie, de travail sont plus favorables chez les classes privilégiées et favorisent davantage l'écoute du corps.
Toutefois ce constat a été contesté, la différence de consommation médicale par catégorie socioprofessionnelle n'étant pas statistiquement significative. Ce qui change, c'est le mode de recours aux soins et donc la qualité subjective de la prise en charge.
On définit souvent arbitrairement le produit d'un système de santé comme l'amélioration de l'état de santé d'un individu ou d'une population suite au plan de guérison suivi : c'est le différentiel entre l'état de santé à la sortie et à l'entrée du système de santé. Dès lors, on confond à la fois l'input et l'output, à travers l'individu. Cela suppose cependant une évolution normale de cet état de santé en l'absence de tout traitement. Cette définition implique de nombreuses difficultés de mesure du produit du système de santé.
La nécessité d'évaluer correctement l'efficacité d'une politique de santé s'est fait jour sous l'impact économique de la crise et des difficultés financières de la Sécurité sociale. Avec une enveloppe budgétaire restreinte, comment améliorer néanmoins l'état de santé de la population ? Deux confusions doivent être évitées : d'une part, celle qui consiste à se focaliser uniquement sur le coût (approche comptable), d'autre part, celle qui consiste à ne considérer que l'efficacité médicale (approche thérapeutique). L'évaluation économique, c'est l'analyse du rapport coût/résultat.
Trois conditions sont indispensables pour mener à bien une évaluation médico-économique d'une stratégie de santé :
• comparer alternativement deux actions visant un même objectif, entre lesquelles il convient de choisir ;
• mesurer simultanément les coûts et les résultats ;
• spécifier le point de vue adopté.
Ensuite, plusieurs types d'évaluation sont possibles :
• celui qui revient à choisir la stratégie qui minimise le coût, à résultat comparable ;
• l'évaluation coût/efficacité, avec un objectif à dimension unique, par exemple limiter le nombre de décès ;
• la méthode coût/utilité, par exemple le nombre d'années de vie gagnées ;
• la méthode coût/bénéfice, qui valorise monétairement les conséquences d'une politique (valorisation de la vie humaine).
La santé recouvre de nombreuses facettes, selon le point de vue adopté ou l'objectif poursuivi. Sans oublier que les déterminants de la santé ne sont pas issus du système de santé lui-même, mais de tout ce qui concourt à améliorer l'environnement de vie de la personne :
• l'hygiène de vie : c'est le développement de l'hygiène qui a permis d'améliorer considérablement l'état de santé de la population française ;
• le mode de vie : de nombreux facteurs de risque sont intrinsèquement liés au mode de vie. Les soins corporels, l'activité physique, l'alimentation, le travail, les problèmes de toxicomanie, notamment, ont un impact global sur la santé des individus ;
• l'environnement : la pollution est une source importante de maladies.
Dès lors, le spécialiste de la santé publique va se focaliser sur ces déterminants de la santé.
Le ministère de la Santé est garant de la politique nationale de santé publique. Aujourd'hui, trois grandes directions en sont chargées, placées sous la responsabilité d'un secrétariat général :
• la Direction générale de la santé (DGS) est chargée d'élaborer et de mettre en œuvre la politique relative à la prévention, à l'environnement sanitaire, à la maternité, à l'enfance et aux actions spécifiques de santé, à la gestion des risques sanitaires, ainsi qu'à l'organisation et à la formation des professions médicales et paramédicales ;
• la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) est chargée de la programmation de l'offre de soins et des investissements hospitaliers, de la gestion des statuts et de la formation des personnels hospitaliers, ainsi que de l'organisation des établissements hospitaliers ;
• la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) pilote la mise en œuvre des politiques d'action sociale en direction des personnes ou des groupes en difficulté sociale, des enfants et des adultes handicapés, des personnes âgées ainsi que des familles, des enfants et des adolescents.
La Haute Autorité de santé, créée en 2004, est chargée d'évaluer l'utilité médicale de l'ensemble des actes, prestations et produits de santé pris en charge par l'Assurance maladie, de mettre en œuvre la certification des établissements de santé, et de promouvoir les bonnes pratiques et le bon usage des soins auprès des professionnels de santé et du grand public.
Créé par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, l'Inpes est plus particulièrement chargé de mettre en œuvre les politiques de prévention et d'éducation pour la santé, dans le cadre des orientations de la politique de santé publique fixées par le gouvernement et le parlement.
Créée le 1er avril 2010, les agences régionales de santé sont en charge de la déclinaison et de la mise en œuvre régionale de la politique nationale de santé, de la définition d'une politique régionale de santé, de l'organisation des soins, de la veille et de la sécurité sanitaire, ainsi que de la prévention dans leur région. Elles exercent leurs compétences dans les domaines ambulatoires, hospitaliers et médico-sociaux.
Public ou privés, autorisés et financés par les ARS, les établissements de santé délivrent les soins aux malades qui en ont besoin.
Libéraux ou salariés, les professionnels de santé regroupent les médecins, les infirmiers, les chirurgiens-dentistes, les pharmaciens, les masseurs-kinésithérapeutes, les sages-femmes, les biologistes, les pédicures-podologues, les orthoptistes, les orthophonistes.
Un système de santé englobe l'ensemble des organisations, des institutions et des ressources dont le but est d'améliorer la santé. La plupart des systèmes de santé nationaux sont composés d'un secteur public et d'un secteur privé, d'un secteur traditionnel et d'un secteur informel. Les systèmes de santé remplissent principalement quatre fonctions essentielles : la prestation de services, la création de ressources, le financement et la gestion administrative.
• Créer des financements au forfait pour la prise en charge à l'hôpital des pathologies chroniques, dont le diabète et l'insuffisance rénale chronique pour leur partie hospitalière dès 2019.
• Déployer mille communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pour mailler le territoire national à l'horizon 2022, dans un cadre de financement conventionnel pérenne.
• Développer et financer des assistants médicaux auprès des médecins libéraux, à condition que ces derniers exercent en groupe, s'inscrivent dans un exercice coordonné ou une CPTS et s'engagent sur un bénéfice mesurable pour la population en matière d'accès aux soins (augmentation de la patientèle, réduction des délais de rendez-vous...), dans le but de libérer du temps médical et de permettre aux médecins de se concentrer sur les soins.
• Labéliser dès 2020 les premiers « hôpitaux de proximité », avec l'objectif de reconnaissance de 500 à 600 établissements. Ces derniers assureront des missions hospitalières de proximité, en médecine polyvalente, soins aux personnes âgées, soins de suite et de réadaptation, consultations de spécialités, consultations non programmées, et devront disposer d'un plateau technique de biologie et d'imagerie, d'équipes mobiles et d'équipements en télémédecine.
• Réformer le régime des autorisations des activités de soins, dans une logique de gradation des soins entre proximité, soins spécialisés, soins de recours et de référence, organisées à des échelles territoriales nécessairement différentes et en s'appuyant sur des seuils d'activité quand cela est pertinent au regard des enjeux de qualité et de sécurité des soins.
• Créer un statut unique de praticien hospitalier, associé à la suppression du concours, pour faciliter l'entrée dans la carrière, diversifier les parcours professionnels (reconnaissance des valences non cliniques) et faciliter l'exercice mixte.
• Redonner au service son rôle de « collectif » dans l'organisation des activités de soins et le management de l'équipe soignante ; favoriser la reconnaissance collective par la création d'un dispositif d'intéressement lié aux projets d'amélioration de la qualité de service ; prendre en compte les compétences en management dans la nomination des responsables médicaux.
• Élargir les compétences de la commission médicale d'établissement pour renforcer la participation des médecins au pilotage des hôpitaux.
• Supprimer le numerus clausus et refondre les premiers cycles des études en santé autour de processus d'orientation progressifs encourageant les passerelles et la diversification des profils.
• Réformer le 2e cycle des études médicales et supprimer les épreuves classantes nationales, pour une orientation tenant mieux compte des compétences et aptitudes des élèves et de leur projet professionnel.
* Source : ministère de la Santé.