Objectif Soins n° 267 du 01/02/2019

 

Promotion de la santé

Dossier

Christelle Laugerat*   Anne Feuillâtre**  

Une des missions des équipes d'appui de soins palliatifs est le soutien des professionnels dans la prise en charge des patients relevant de soins palliatifs. La recherche de nouvelles modalités d'accompagnement nous a amené à proposer une autre manière d'être auprès des équipes : le compagnonnage.

Depuis plusieurs années des changements sont observés dans les EHPAD et les SRR. Les populations accueillies présentent de plus en plus de situations médicales complexes et des problématiques de douleurs intenses. Pour prendre en charge ces patients et résidents, les soignants doivent s'adapter en dispensant des soins plus lourds et techniques (PCA, infuseurs...).

Ces services accueillent de jeunes diplômés qui expriment leur besoin d'être accompagnés. Ils demandent un renforcement de leurs compétences et connaissances dans la prise en charge des patients relevant de soins palliatifs. Les soignants plus anciens dans ces équipes sont aussi dans une demande de réactualisation de leurs connaissances face à l'évolution des pathologies rencontrées (sclérose latérale amyotrophique, cancer avec chirurgie ou traitement invasif), des traitements et des dispositifs (PCA, infuseurs...). Par ailleurs, une recherche de culture commune autour des soins palliatifs continue d'animer ces équipes.

Une des missions des équipes d'appui de soins palliatifs (EADSP) est de soutenir la démarche palliative auprès des établissements recevant des patients relevant de soins palliatifs. Dans ce cadre, le compagnonnage, pédagogie d'apprentissage fondée sur une relation de pair à pair, et axée sur la pratique, nous a semblé être une piste intéressante à expérimenter.

Nous allons tout d'abord exposer la genèse de ce projet, ainsi que son déroulement. Puis nous développerons le premier bilan fait à six mois, le second bilan fait à un an et enfin l'analyse de cette expérience.

GENÈSE DU PROJET

Les équipes d'appui de soins palliatifs interviennent de différentes façons auprès des équipes et des patients relevant de soins palliatifs de ces services : soit de manière ponctuelle à la demande du service, Soit de manière régulière, comme par exemple au centre hospitalier de Montrichard, où des réunions pluri annuelles sont programmées pour évoquer les situations complexes.

L'EADSP s'appuie beaucoup sur les référents de soins palliatifs des établissements, autour des situations cliniques, pour faciliter l'arrivée dans le service ou le retour à domicile d'un patient et pour permettre l'intervention de l'équipe. La reconnaissance institutionnelle des référents est plus ou moins forte selon les établissements.

Nous avons constaté d'une part, l'arrivée de nouveaux professionnels dans les services d'EHPAD et de SRR, ayant un désir d'apprendre face à une population accueillie de plus en plus dépendante et vulnérable. D'autre part, les prises en charge sont lourdes et nécessitent et des soins complexes et techniques, qui étaient peu réalisés dans ces services auparavant.

En prenant en compte tous ces éléments et en tant que professionnelles d'une EADSP, nous avons cherché d'autres modalités d'accompagnement des équipes de soins.

Le compagnonnage nous a semblé être une piste à explorer.

Il s'agissait de proposer des temps de rencontres et d'échanges entre pairs, dont la fréquence et le contenu pourraient prendre des formes différentes d'un établissement voire d'un service à l'autre.

Il nous a semblé important avant de débuter cette expérience de mieux définir la notion de compagnonnage.

Le compagnonnage est un accompagnement des professionnels dans leur champ de compétences, lors de la réalisation d'actes de soins et/ou lors de prise de décision complexe. Pour Bernard de Castera, les trois composantes de celui-ci sont : « apprendre, pratiquer et transmettre ». « Ainsi peut-on concevoir que l'apprentissage des vertus d'un métier s'acquière en les pratiquant chaque jour sous le conseil fraternel d'un ancien. » (1)

Maela Paul conçoit le compagnonnage comme une relation particulière entre l'apprenti et l'accompagné : « Les compagnons entre eux sont des pairs. » (2) Ainsi il n'y aura ni jugement, ni évaluation des actes et attitudes.

Celui-ci se pratique sur le lieu d'exercice : « Les milieux professionnels font valoir qu'ils ne sont pas simplement des lieux passifs de transfert et de maintenance. Ils sont des lieux où se construisent les compétences dans une dynamique d'enculturation (Lave, 1991). Le compagnonnage inclut des modalités comme la démonstration, le modelage (Larose et collab., 2002), la supervision de l'action et la réflexion sur l'action. Cet ensemble de modalités constitue un échafaudage (étayage) considéré comme plus efficace que l'interaction verbale directe. (...) L'échafaudage est temporaire, et il faut souhaiter que l'apprenti accomplisse le plus possible la tâche sans assistance (Chi, Jeong, Yamauchi et Huamann, 2001). » (3)

Pour nous, il s'agit de transmettre un savoir-faire autour de la prise en charge de patients relevant de soins palliatifs entre pairs (infirmière/infirmier ; infirmière/aide-soignante).

MISE EN ŒUVRE

En tant qu'infirmière et cadre de santé de l'EADSP, nous avons choisi d'expérimenter le compagnonnage auprès d'un établissement proposant des LISP afin d'y soutenir la démarche palliative.

Les objectifs opérationnels étaient :

• permettre une prise en charge globale de la personne relavant de soins palliatifs ;

• favoriser la pensée réflexive autour des prises en charge (pourquoi faisons-nous comme cela ? y a-t-il une autre façon de faire ?) ;

• favoriser le travail et la réflexion en pluridisciplinarité.

Ce projet a été validé par l'ensemble des professionnels de l'EADSP.

Nous avons choisi de le mettre en œuvre au centre hospitalier de Montrichard (établissement possédant un service de SSR avec des LISP et un Ehpad), déjà acculturé à la démarche palliative. De plus, il existait des liens anciens et réguliers entre les soignants de cet établissement et les infirmières de l'EADSP, ce qui nous a semblé plus facile pour avoir des échanges et retours critiques sur notre expérience.

Après validation institutionnelle au sein du centre hospitalier Montrichard, ce projet a été présenté aux équipes concernées lors de leur commission de soins infirmiers en octobre 2015.

Nous avons élargi le lieu d'action aux services d'Ehpad, dans un esprit d'équité d'accès aux soins et pour répondre aux demandes.

Le compagnonnage a débuté en octobre 2015, avec la présence de l'infirmière de l'EADSP une demi-matinée par mois, pendant une période de six mois. Suite à un bilan de cette expérimentation en mai 2016, il a été décidé de la poursuivre six mois de plus afin d'approfondir la démarche et de mieux en mesurer les impacts.

Durant ces temps de présence, l'infirmière de l'EADSP a :

• participé avec les soignants du service à la réalisation de soins techniques complexes auprès d'un patient relevant de soins palliatifs, en privilégiant le travail en binôme et le regard global ;

• aidé à l'évaluation de la douleur et des symptômes gênants (dyspnée, vomissements...) ;

• réalisé des temps de « soutien de couloir » auprès des soignants avec une écoute active ;

• participé à des temps de transmissions et de réunions d'équipe ;

• aidé les soignants à réfléchir aux objectifs et à la mise en œuvre du projet de soins des patients ;

• facilité la pensée réflexive dans le champ des soins palliatifs ;

• aidé à la prise de conscience de ce qui est déjà fait.

BILANs À TROIS ET SIX MOIS

Un bilan d'étape a été réalisé à trois mois avec deux infirmières et la cadre supérieure, sous la forme d'un entretien autour de la dimension organisationnelle. Celui-ci a été positif, mettant en avant des éléments clés :

• le compagnonnage est aidant à la fois pour la prise en charge du confort des patients, mais aussi pour le soutien des soignants ;

• la fréquence des interventions ainsi que le temps passé dans les services (trois heures) paraissent ajustés aux besoins ;

• les transmissions écrites par l'infirmière de l'EADSP dans le dossier de soins permettent les échanges, avec les médecins notamment ;

• l'infirmière de l'EADSP a été intégrée facilement au sein de l'équipe soignante, intégration facilitée par le port de la blouse ;

• durant ces temps d'accompagnement, l'équipe ne s'est pas sentie jugée, ni « examinée », au contraire la notion de collaboration a été perçue.

Puis un bilan a été refait à six mois à partir de questionnaires remplis par l'équipe et d'un temps d'échange avec celle-ci. Durant ces six mois de compagnonnage, neuf patients en SSR et quatre patients en Ehpad ont été rencontrés, vus ou évoqués. Nous avons récupéré huit questionnaires sur les vingt distribués : un rempli par une aide-soignante et sept par les infirmières, dont deux qui n'avaient pas expérimenté le compagnonnage.

Le regard des équipes soignantes

Au niveau organisationnel, le temps de présence et la périodicité ont convenu à l'équipe. Les professionnels ont souligné que les échanges avec l'infirmière de l'EADSP ont été faciles grâce à sa disponibilité, son écoute et les conseils qu'elle a pu donner.

Le compagnonnage a apporté tout d'abord des conseils pratiques, puis un soutien aux actions et enfin une aide à l'adaptation du projet de soins.

Il a permis un apprentissage et une prise de recul sur l'analyse des situations et la prise en charge de la douleur. Dans un autre champ, il a contribué à la mise en œuvre et au développement de techniques non médicamenteuses en lien avec le rôle propre.

La traçabilité réalisée par l'infirmière de l'EADSP dans le dossier de soins a aidé à la continuité des soins, facilité la communication entre les membres de l'équipe (IDE, AS, médecins) et permis une meilleure lisibilité du projet de soins et l'accessibilité à certaines informations pour tous.

A posteriori le compagnonnage a facilité les échanges pluridisciplinaires au sein des équipes (soignants/médecins) et certains conseils ont pu être mis en pratique (prise en charge de la douleur, adaptation du projet de soins, relation avec les familles...).

Le seul frein exprimé par l'équipe était le manque d'effectif infirmier lors de la présence de l'infirmière de l'EADSP.

Le regard de l'infirmière de l'EADSP

L'infirmière a fait les mêmes constats que l'équipe soignante concernant l'organisation et l'intégration. Toutefois, il a été nécessaire de prendre un peu de temps au début pour repréciser les objectifs de cette expérimentation, repérer les lieux et connaître les professionnels.

Elle s'est adaptée aux besoins des soignants avec des constructions différentes à chaque fois. Au départ, il n'y avait pas d'anticipation de son passage et elle a suivi l'activité de l'équipe en saisissant l'opportunité de transmettre ses savoirs, par exemple autour de la prise en charge de la douleur et de l'initiation au toucher-massage. Puis, au fur et à mesure de l'expérimentation, les soignants ont anticipé sa venue, préparant des questionnements précis sur une prise en charge et/ou une participation à un soin complexe. La traçabilité dans le dossier de soins a été facilitante pour diffuser plus largement certains apports à l'équipe. Ce temps a permis de « coller » au plus près des questionnements des soignants. De plus, cette immersion dans le quotidien des soins est aussi une façon pour une infirmière d'équipe transversale de ne pas perdre de vue la réalité des services de soins.

Il apparaît au bout de six mois d'expérimentation que les soignants ont besoin d'approfondir leurs compétences autour de la thématique douleur. En effet, les soignants, dans ce domaine, ont besoin d'appui pour pouvoir mieux argumenter un ajustement thérapeutique auprès des médecins traitants. Ils n'ont pas de difficulté à identifier le symptôme douleur, mais sont dans la demande d'un regard expert pour affiner, voire parfois confirmer leurs observations et évaluations. Ces temps d'évaluation communs ont permis aussi de parler des différents traitements médicamenteux, de leurs délais et durées d'action.

Autre point, il n'a pas été noté de diminution de sollicitations autour des situations complexes auprès de l'EADSP, durant cette période d'expérimentation.

Au bout de ces six mois, émergent plusieurs questionnements :

• le compagnonnage entraîne-t-il un changement dans les pratiques, les réflexions autour des soins ? Et comment peut-on le mesurer ?

• la spécificité de ce temps de présence infirmier est-elle perçue par rapport aux autres interventions de l'EADSP ?

• quel impact ce compagnonnage a-t-il eu sur la prise en charge des patients relevant de soins palliatifs ?

• de quelle manière cette aide au travail en pluridisciplinarité a-t-elle permis qu'émergent des temps de discussion entre IDE, AS, et avec la compétence médicale ?

• les soignants ont-ils pu acquérir d'autres pratiques de soins que le toucher-massage ?

• y a-t-il eu d'autres impacts ?

• de façon générale, les impacts de ce type d'expériences sont-ils tous mesurables ?

Au regard de nos différents questionnements et d'une demande des professionnels du centre hospitalier Montrichard de poursuivre le compagnonnage, nous avons convenu de renouveler ce projet pour une nouvelle période de six mois.

Bilan à un an (de juin 2016 à janvier 2017 : sept mois)

Au cours de ces sept mois, quinze patients ont été vus ou évoqués (huit en EHPAD et sept en SSR), et il y a eu trois discussions avec l'équipe autour de décès (deux fois en Ehpad, une fois en SSR).

Treize questionnaires sur vingt nous ont été retournés, remplis par huit aides-soignantes, quatre infirmières et une cadre de santé.

Le regard de l'équipe soignante

Globalement les retours de l'équipe soignante sont les mêmes que ceux à six mois concernant cette expérience.

Les nouvelles connaissances autour de la prise en charge palliative ont pu être réinvesties auprès des patients et des proches, notamment autour des soins de confort et de la relation avec les familles.

En ce qui concerne la prise en charge de la douleur, le compagnonnage a permis que l'ensemble des professionnels affinent les éléments d'évaluation de la douleur (manifestations physiques, retentissement psychologique, expressions...). Il a pu être constaté un changement dans la mise en œuvre des traitements médicamenteux :

• meilleure connaissance des thérapeutiques ;

• traitements plus adaptés aux situations (voies d'administration, posologies) ;

• réflexion sur les prescriptions anticipées ;

• mise en œuvre de traitements non médicamenteux (toucher-massage, positionnement, détournement de l'attention...) ;

• réflexion sur la douleur liée aux soins ;

• rôle propre des soignants valorisé.

Les discussions en équipe ont été favorisées, avec une impression de réfléchir différemment aux prises en charge des patients relevant de soins palliatifs avec une certaine prise de distance.

Lors d'une réunion avec le médecin coordinateur du SSR, les cadres de santé et les soignants, il a été souligné un changement dans la dynamique pluridisciplinaire. En effet plusieurs discussions autour de prises en charge complexes en soins palliatifs ont pu se mettre en place. Les aides-soignantes ont pris de l'assurance, ce qui leur a permis d'interpeller plus facilement les médecins.

Le compagnonnage est perçu comme nécessaire pour la prise en charge des patients relevant de soins palliatifs et pour le soutien des soignants (réassurance autour des compétences, reconnaissances de ces dernières, échanges pluridisciplinaires), favorisant un mieux-être au travail.

Le regard de l'infirmière de l'EADSP

Après la période d'intégration des six premiers six mois, l'infirmière de l'EADSP a été interpellée plus facilement, avec un élargissement des champs de sollicitations (débriefing post-décès, plus de situations en Ehpad).

Sur le deuxième temps, le compagnonnage a été investi différemment par l'EADSP : des recueils d'informations et des analyses de situations ont pu être réalisés par l'infirmière de l'EADSP lors de sa présence au centre hospitalier de Montrichard. Cela a permis de gagner du temps dans l'analyse des problématiques et la mise en œuvre de propositions.

ANALYSE DE L'EXPÉRIENCE DU COMPAGNONNAGE

De cette expérience, les professionnels du centre hospitalier de Montrichard et l'infirmière de l'EADSP ont fait le constat de changements de pratiques concernant la prise en charge des patients relevant de soins palliatifs à différents niveaux.

• Prise en charge de la douleur :

- évaluation plus fine des problématiques douleur des patients ;

- amélioration de l'argumentation auprès des médecins permettant une meilleure adaptation des traitements ;

- apprentissage par les infirmières de nouvelles connaissances autour des traitements médicamenteux (morphiniques : délais et durée d'action, équivalences... ; traitement de la douleur neurogène) ;

- apprentissage et mise en œuvre de nouvelles compétences par l'équipe soignante sur la prise en charge non médicamenteuse (prévention de la douleur induite par les soins, notamment lors des mobilisations, mise en place de packs chauds/packs froids, toucher-massage, détournement de l'attention, utilisation de coussins, traversins...).

• Renforcement des savoir-faire et savoir-être :

- auprès des patients en fin de vie ;

- adaptation des soins (mobilisation, intensité des soins, respect du rythme de la personne...) ;

- auprès des médecins généralistes et coordinateurs (sollicitations plus aisées).

• Communication et travail en pluridisciplinaire :

- plus de fluidité dans les échanges interprofessionnels (AS/IDE, AS/médecin, IDE/médecin...) ;

- discussions des projets de soins en pluridisciplinaire (réunions de synthèse, transmissions).

• Prise de distance :

- dans les relations avec les familles (analyse de ce qui peut se jouer dans certaines situations complexes) ;

- dans les relations avec les patients, en questionnant les actions mises en œuvre.

• Soutien des professionnels :

- temps investi par l'équipe pour échanger avec l'infirmière de l'EADSP sur ce qui a fait souffrance pour eux dans certaines situations (décès brutaux, attachement aux patients...) ;

- aide à investir les moments de relecture des situations afin d'en dégager les points positifs et/ou négatifs.

• Renforcement de l'intérêt :

- pour la prise en charge des patients relevant de soins palliatifs ;

- du développement d'une démarche palliative au sein de l'établissement.

Par ailleurs, les professionnels de l'EADSP se sont appuyés sur le compagnonnage pour modifier certaines de leurs pratiques avec cet établissement. Lors de sa présence, l'infirmière de l'EADSP a approfondi certaines analyses de demandes, et a apporté des pistes d'actions en amont du passage de l'équipe EADSP. Nous pouvons penser qu'il y a eu une amélioration qualitative de la prise en charge des patients (réponse plus rapide) sans impact quantitatif pour l'EADSP (même nombre de sollicitations que les années précédentes).

CONCLUSION

La formation est une mission importante pour une équipe mobile de soins palliatifs. Nous sommes en perpétuelle recherche de nouvelles modalités dans un contexte changeant et un turn-over des soignants important.

Nous avons aussi constaté les limites des modules de formation, avec un écart souvent présent entre l'enseignement et la réalité du terrain.

Par cette expérience, nous voulions tester une nouvelle modalité en étant au plus près des réalités de service.

L'analyse montre les différents changements observés dans les pratiques.

La formation par module ne nous permet pas de voir comment les apports sont réinvestis par les soignants.

Par un accompagnement sur le terrain, pendant une durée définie, nous pouvons mieux identifier les réels besoins et accompagner les changements. De plus, nous pouvons sensibiliser un plus grand nombre de professionnels, toutes compétences confondues.

La relation de confiance qui se crée entre les soignants des services et l'infirmière de l'EADSP invite à des échanges sur leur vécu, amenant la notion de soutien. Ces temps ont permis d'aborder des sujets comme les répercussions sur les soignants des décès répétés, les vécus de fin de vie difficile, les relations avec les proches.

Cette expérience nous semble être une autre piste de formation possible auprès d'établissements qui ne disposent pas d'équipe mobile de soins palliatifs et qui ont à cœur de soutenir la démarche palliative.

Nous devrons nous questionner au sein de l'équipe sur la poursuite de cette modalité d'intervention : quels objectifs, quelles modalités ? Quelles compétences ? Pourrait-on le proposer aux Ehpad ?

Toutefois, nous pouvons nous questionner sur ce mode de formation : qu'en sera-t-il de ses impacts à plus long terme ? La dynamique va-t-elle se poursuivre dans le temps ? Un accompagnement ponctuel des professionnels est-il suffisant ?

Vécu de l'infirmière de l'EADSP

Pour l'infirmière de l'EADSP, le compagnonnage demande une « adaptation » à différents niveaux :

• le lieu : connaissance des locaux, de l'organisation des services ;

• l'organisation des soins ;

• la création d'un lien de confiance avec les soignants par la participation aux soins, aux temps informels (pause-café, thé), aux échanges informels ;

• une attitude d'accueil et de partage, d'écoute ;

• être à la fois en posture d'expert accompagnant les professionnels et parfois dans la mise en œuvre de ses missions spécifiques d'infirmière EADSP auprès des familles.

« J'ai pu observer des modifications dans les réflexions, les actions au cours des mois ainsi que dans les interpellations de la part des soignants.

Une vraie relation de collaboration s'est créée avec les soignants, ouvrant à des échanges plus spontanés, un peu comme si je faisais partie de l'équipe.

Le risque d'un certain isolement et de décalage avec la réalité des soins est présent lorsque nous travaillons en équipe mobile territoriale. Cette possibilité d'« intégrer » une autre équipe peut être une bonne prévention voire un soutien (échanges entre pairs) pour limiter ce risque.

En tant qu'infirmière d'EADSP, j'ai trouvé intéressant de travailler en autonomie (les visites de l'EADSP se font souvent en binôme) et d'être centrée sur mes compétences infirmières, mon rôle propre.

Les limites de cette expérience sont surtout d'ordre organisationnel, puisque cela demande le détachement d'une infirmière une matinée par mois. La possibilité de proposer plusieurs compagnonnages me semble difficile... »

1 Bernard de Castera, Le compagnonnage : culture ouvrière, Paris, PUF, 1988, p. 59.

2 Maela Paul, « Autour du mot accompagnement », Recherche & Formation, no 62, 2009, p. 91-107.

3 Léon Harvey et Diane Barras, « Transfert des compétences et construction d'un langage d'action en situation de compagnonnage professionnel en soins infirmiers », Revue des sciences de l'éducation, vol. 34, no 3, 2008, p. 665-687.