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Éthique Alors que les principes gestionnaires ont tendance à prendre le pas sur le soin, la Chaire Santé de l’Université Jean-Moulin Lyon III s’interroge sur les notions de valeurs du système de soins. Elle vient de publier son premier ouvrage collectif : « Les valeurs du soin. Enjeux éthiques, économiques et politiques ».
La Chaire Santé « Valeur (s) du soin centré-patient » n’est pas née au cœur de l’Université Jean Moulin Lyon III par hasard. Cette université de sciences humaines et sociales compte plusieurs facultés, dont une faculté de philosophie, ainsi que le plus gros Institut d’administration des entreprises (IAE) de France, un institut de la faculté de droit, et l’IFROSS, l’Institut de formation et de recherche sur les organisations sanitaires et sociales, qui forme des cadres hospitaliers et des directeurs d’établissement de santé.
L’objet de la chaire ? Engager une réflexion collective autour de la question du sens et de la valeur de la centralité du patient dans les structures de soins afin de créer de nouvelles transversalités disciplinaires et géographiques.
« Ce projet est né de la rencontre avec Roch Doliveux, le dirigeant de la société pharmaceutique UCB qui partait en retraite, explique Jean-Philippe Pierron, professeur de philosophie et directeur de la Chaire. Il souhaitait convaincre les industriels et les actionnaires des industries de santé de l’intérêt à réorienter notre manière de penser nos activités en les recentrant plus sur les personnes. C’est-à-dire traduire dans le langage des comptables, des indicateurs financiers, ce qui lie intimement le patient au soignant, pour avoir un impact au niveau du système de soins dans sa globalité. » La Chaire a donc été lancée pour mener un travail épistémologique sur ce qui fait que la relation de soins est interhumaine et au cœur des enjeux de la gestion et de l’économie. Elle est co-dirigée par Didier Vinot, professeur en sciences de gestion et se fonde sur une approche pluridisciplinaire associant philosophie, économie, science politique, sociologie et gestion. Son périmètre est complémentaire de celui des chaires existant à l’AP-HP : Hospinomics, portant sur l’économie de la santé, et Philosophie à l’hôpital.
« La question du “patient centré” étant galvaudée, nous avons souhaité aller plus loin, en sachant que le terme “valeur du soin” a été absorbé par le langage des économistes. En parlant de “Valeur (s) du soin centré-patient”, nous affirmons que le vrai enjeu qui se donne dans le soin est quelque chose (comme le travail des soignants) qui n’a peut-être pas un prix, mais qui est fondamental. La santé n’a pas de prix, mais elle a un coût, dans lequel ne s’y engagent pas que des aspects économiques, explique Jean-Philippe Pierron. Et c’est ce qui fait “toute” sa valeur. »
Pour mener à bien ce travail, la Chaire s’appuie sur une équipe déjà structurée : les deux codirecteurs, une post-doc spécialisée en politique et économie de la santé, ainsi qu’une anthropologue et des équipes de recherche associées à la chaire. Lancée fin 2016, elle bénéficie d’un mécénat reconductible sur 9 ans, par période de 3 ans. Grâce au soutien de ses partenaires*, elle dispose donc d’une bonne visibilité, ce qui est rare dans le domaine de la recherche en sciences sociales. Le premier cycle (années 1 à 3) porte sur la délimitation des objets de recherche, la précision de ce qu’on appelle valeur du soin et la réflexion sur l’intérêt de se lancer dans la recherche de construction d’indicateurs qualitatifs. « La T2A est un vrai problème pour les cadres de santé et les médecins, souligne Jean-Philippe Pierron. Cette tarification compte ce que l’on peut comptabiliser, mais pas tout ce qui est en dehors de l’acte et fait la relation au patient. La souffrance des cadres vient de ce que ce comptage rend invisible ce qui fait le soin. » Le premier ouvrage collectif de la Chaire, paru à l’automne 2018, formalise cette première étape du travail de recherche, en mettant en valeur la pluralité des valeurs de soins afin de ne pas céder à la pression organisationnelle et économiste (même s’il ne faut pas les nier). « C’est en quelque sorte un manifeste qui définit notre programme et notre état d’esprit. L’idée est de donner suite avec des traductions concrètes. Car en deux ans nous avons constaté que nous répondons à un problème de gouvernance par les nombres, il existe un vrai sentiment de trahison pour les soignants », précise le professeur.
La suite ? « Passer à la vérification empirique de ces intuitions, avec par exemple un volume 2 sur “le travail du soin et le soin du travail”, ou “comment mettre en place des organisations du travail des soignants qui ne malmènent pas la finalité de leur travail. Ou encore s’interroger sur ce qu’est le temps du soin, notamment lorsque l’on est tarifé à l’activité.” »
Les années 4 à 6 seront dédiées à la création d’un séminaire permanent autour des « humanités médicales » en sortant d’une logique de silos et en ouvrant la chaire à l’international. Enfin, pour les années 7 à 9, est prévue la création d’un espace de formation destiné aux professionnels de santé. L’objectif : former les intelligences aux caractères complexes, à la dimension interdisciplinaire des enjeux.
* Roch Doliveux (ex-directeur exécutif d’UCB, partenaire en nom propre), UCB (laboratoire dédié aux maladies neuro-dégénératives, dont l’épilepsie), Calydial (groupe hospitalier privé d’intérêt collectif spécialisé sur les maladies rénales chroniques).