Objectif Soins n° 268 du 01/04/2019

 

Ressources humaines

Dossier

Nathalie Joëlle Renou*   Laurent Lamargot**  

Les modalités d'apprentissage du calcul de doses sont une problématique récurrente dans le parcours de formation des apprenants infirmiers et dans le choix de modélisation pédagogique des instituts. Nombreux sont les centres de formation à avoir tenté d'innover pour pallier cette difficulté, sans succès véritablement probants. Dans cet article, nous proposons des modalités pédagogiques à même d'entrevoir des possibles en termes de facilitation d'appropriation des outils par les apprenants étudiants infirmiers.

L'acquisition du calcul de doses est une problématique récurrente dans le parcours de formation des apprenants infirmiers. De nombreux instituts de formation ont déjà tenté d'innover pour pallier cette difficulté, sans succès véritablement probants. Ces situations avaient amené Astolfi et Peterfalvi (1) à déplorer que peu de recherches investiguent les situations didactiques et les dispositifs d'apprentissage, ce qui est encore le cas aujourd'hui. L'enseignement du calcul de doses aux étudiants infirmiers s'apparente bien souvent au mythe de Sisyphe pour les formateurs.

Or, nous constatons que cette obligation de maîtrise du calcul de doses incombant à tout infirmier, ce défi de santé publique du XXIe siècle (2), peut avoir des conséquences sur la vie du patient. Les difficultés perdurent parfois même au-delà du savoir formel acquis en formation. Conscients de ces risques, bon nombre d'employeurs, lors d'entretiens de recrutement, font désormais réaliser aux impétrants des calculs de doses dont les résultats conditionnent la réussite de l'entretien. Nombreuses sont les situations de simulation faisant référence à la maîtrise du calcul de doses.

Nous le voyons bien, les responsabilités pédagogiques de formation sont engagées en ce qui concerne cet exercice. Devant ces implications de formateurs en termes de sécurité des soins, nous avons réalisé une recherche afin de comprendre les origines de cette problématique pour les apprenants infirmiers et tenté d'y apporter des mesures correctives. Notre visée pédagogique est d'entrevoir des possibles permettant aux étudiants de s'affranchir des obstacles épistémologiques qui contrarient leurs apprentissages.

Les objectifs de la recherche

L'objet de ce travail a pour finalité de présenter une modélisation pédagogique d'accompagnement en lien avec les attendus du référentiel de 2009. Notre questionnement initial date de 2007. Suite à une recherche réalisée auprès d'étudiants infirmiers de deuxième année sur une période de trois ans, nous avons réactualisé nos investigations en 2017 auprès d'une promotion d'étudiants également en deuxième année de formation. Puis depuis 2018, nous avons initié ce projet auprès des étudiants de première année, faisant le constat que les schèmes concernés doivent être développés le plus précocement possible.

Sur cette période de onze ans, les situations de calculs de doses apparaissent pour les apprenants infirmiers comme étant source d'anxiété, de peur et d'incertitudes. Cet apprentissage essentiel est en général considéré comme relevant de l'activité. Mais devant les nombreuses difficultés rencontrées par les apprenants, notamment lors des évaluations normatives et des encadrements en stage, il nous semble que cette activité est bien plus que cela.

Le cadre théorique

Le calcul de doses a longtemps été réduit à l'application de règles mathématiques pour satisfaire à un résultat dans la praxis infirmière. Or, dans une perspective soignante, cette réduction ne prend pas en compte la complexité du soin. Nous trouvons d'ailleurs écho à notre propos dans les travaux de Guiet-Silvain et Malabry (3), pour lesquels « les opérations mathématiques engagées dans les procédures sont parfois très complexes et nécessitent de recourir à des comportements selon des règles qui restent souvent implicites ». Dans le cadre des calculs de doses, nous avons fait le choix d'aborder cette complexité au travers du prisme de la métacognition. En effet, à travers cette dernière, nous sommes en capacité de faire le lien entre les difficultés rencontrées par les étudiants et leurs stratégies d'apprentissage et ce, notamment, grâce aux travaux de Flavell (4) et Doly (5). Après avoir défini la métacognition comme la « connaissance que l'on a de ses propres processus cognitifs, de leurs produits, et de tout ce qui y touche » (5), l'auteure assimile la métacognition à un chef d'orchestre des différents processus cognitifs à l'œuvre chez un individu siégeant au niveau de la mémoire à long terme.

Dès lors, l'objectif de cette « supervision métacognitive » est de rendre l'individu, en l'occurrence l'étudiant infirmier, performant dans cet objectif d'adaptation concret que représente le calcul de doses.

Les intérêts pédagogiques sont évidents : en premier lieu, assurer la réussite de la tâche demandée, favoriser l'estime de soi par apprentissage de l'autonomie dans l'identification de ses propres schèmes de pensée, développer les compétences attendues, et accroître le développement de stratégies d'adaptation efficaces grâce à l'autoévaluation tout en favorisant le transfert de cet apprentissage dans d'autres situations (5). Ainsi, le rôle du formateur dans ce cas est de favoriser l'ascension de l'apprenant vers ses métaconnaissances individuelles (6)(7).

Mais quelles stratégies d'apprentissage ?

Les difficultés recensées mettent en avant l'incapacité des apprenants à organiser leurs savoirs métacognitifs. Or, les étudiants peuvent « apprendre » à acquérir des savoirs métacognitifs (8) et développer des stratégies métacognitives pour apprendre à apprendre (9). De ce fait, le positionnement du formateur doit intégrer et valoriser ces potentialités des étudiants en soins infirmiers.

En effet, pour que l'apprenant soit en capacité de développer et de mettre en place ces stratégies métacognitives – et la recherche que nous avons réalisée corrobore en ce sens pleinement les travaux de Lafortune et Saint-Pierre (10) –, l'implication de l'étudiant en soins infirmiers, inhérente à cet exercice de calcul de doses, ne peut être dissociée de son affectivité et de sa motivation à apprendre. Cette implication métacognitive dépend donc de la motivation qui influe sur l'augmentation de celle-ci (11).

Savoir susciter et entretenir la motivation estudiantine vis-à-vis des calculs de doses apparaît très nettement être la pierre angulaire de cet édifice métacognitif à même de permettre aux étudiants de réussir cet exercice.

Dès lors, à la lumière de nos résultats, nous comprenons que le manque de connaissances des produits et matériels utilisés sur le terrain peut freiner l'apprentissage des calculs de doses, si les exercices proposés ne sont pas issus du terrain.

Du fait de l'abstraction ressentie de cet exercice par les apprenants, il ne leur est pas possible de l'appréhender comme pleinement empli de réalisme, reflétant la réalité de terrain qu'ils rencontrent ou rencontreront en stage. Pour les étudiants, le calcul de doses réalisé en institut se réduit bien souvent à un exercice scolaire sans qu'ils puissent l'aborder dans toute sa complexité.

Ainsi, il nous semble important, toujours dans le but de motiver les étudiants, de leur proposer des exercices de nature concrète et réelle, avec des énoncés clairs et concis, tels qu'ils les rencontrent sur leurs différents lieux de stage en situations de soins.

Enfin, il apparaît que l'insertion de matériels identiques à ceux utilisés en stage dans les différents ateliers de simulation favorise une meilleure appropriation visuelle chez l'étudiant.

Les facteurs intrinsèques de réussite pour l'apprenant infirmier

Comme nous l'avons vu, l'étudiant doit être motivé pour réaliser des calculs de doses. En cela, nous nous plaçons dans la lignée des travaux de Bereiter (12), mettant en évidence l'intérêt d'un apprentissage intentionnel. Nous cherchons à savoir ainsi comment influer sur la motivation des étudiants en soins infirmiers dans cette activité tout en les valorisant. La conséquence de cette approche pédagogique est de renforcer leur confiance en eux pour leur permettre de développer toutes leurs potentialités en majorant leur estime de soi et l'accession à leurs métaconnaissances individuelles (7).

Selon la perspective cognitiviste, l'étudiant mobilise en permanence des stratégies d'apprentissage pour aborder la complexité de son environnement professionnel (13).

Ainsi, le rôle du formateur est de pouvoir l'aider à trouver les stratégies qui lui conviennent le mieux pour réaliser l'exercice demandé, qu'il lui est incontournable de maîtriser. C'est le paradigme sous-jacent à notre démarche de recherche lorsque nous faisons verbaliser les étudiants sur leurs difficultés liées aux calculs de doses.

Méthodologie de l'enquête exploratoire

Forts des constats d'échecs relatifs à l'enseignement du calcul de doses, nous avons tout d'abord réalisé une enquête durant trois ans, de 2007 à 2010, auprès d'étudiants de deuxième année dans un institut de formation en soins infirmiers du sud de la Sarthe.

Dans un deuxième temps, nous avons renouvelé l'expérience en 2016-2017 au sein d'un autre Ifsi, le plus important de Sarthe, toujours auprès d'étudiants de deuxième année, afin de repérer d'éventuelles différences et d'identifier précisément les maillons manquants des schèmes de cette activité pour les apprenants.

À chaque fois, l'enquête a été menée au décours d'un atelier de calculs de doses dont l'objet de recherche a été très clairement annoncé au préalable aux 46 étudiants du premier institut et aux 115 étudiants du deuxième.

À cette occasion, des cas concrets de calculs de doses ainsi qu'une grille d'enquête leur ont été remis. L'objectif était de recueillir, en direct, le ressenti des apprenants quant à leurs éventuelles difficultés. C'est pourquoi, en plus des items de notre grille d'enquête constituée d'items spécifiques permettant une approche quantitative, nous avons adjoint des items à visée qualitative puisque centrés sur le ressenti des étudiants.

Nous avons dès lors été en capacité d'identifier leur potentiel à décrypter une prescription médicale, à mesurer les écarts entre le réel et le prescrit, et surtout d'identifier les sources de difficultés inhibant la réalisation du calcul.

Les résultats de la recherche

Malgré un rappel des notions de base avec un professeur de mathématiques, des travaux dirigés en groupes restreints autour de séries de calculs de doses et une modélisation pédagogique spécifique dans la construction des apports, en lien avec les unités d'enseignement 2.11 et 4.4, notre recherche a identifié des difficultés chez les étudiants dans l'appropriation de la méthode et le développement de l'activité « calcul de doses ». Les résultats sont identiques pour les deux instituts.

Tout d'abord, nous avons mis en lumière une problématique de décalage, ressenti par les étudiants, entre terrains de stage et instituts de formation. À titre d'illustration, pour certains étudiants, les exercices ne seraient plus pratiqués en stage alors qu'une réactualisation est faite chaque année au niveau des instituts concernés de façon à être au plus près des prescriptions de terrain.

De plus, des obstacles de compréhension des énoncés ont été identifiés ainsi que des difficultés à sélectionner des informations utiles dans la prescription médicale pour faire les calculs. De façon générale, pour les deux instituts, nous avons recensé les éléments suivants :

• les épreuves génèrent chez les étudiants un stress, une peur, avec une perte de moyens pour réaliser ce qui est attendu ;

• la visualisation des produits, des matériels (concentration, contenance) ne prend pas sens pour eux ;

• les nombreux implicites liés à la profession infirmière (savoirs, raisonnement clinique, réflexivité, transférabilité, etc.) ne sont pas mobilisés ;

• le raisonnement proportionnel, en adéquation avec les masses, les volumes et les débits, n'est pas maîtrisé ;

• une posture « attentiste » des apprenants, en lien avec la correction faite par le formateur, est très majoritairement à l'œuvre ;

• les étudiants font preuve d'une plus grande vigilance en situations simulées ou lors d'ateliers.

Identification d'invariants par les étudiants

Après analyse collective des résultats, il ressort que la majorité des étudiants ont réussi à identifier des invariants opératoires permettant la construction des schèmes facilitant l'activité « calculs de doses ». De plus, en les faisant verbaliser sur leurs ressentis et les « blocages » qu'ils éprouvent, nous avons formulé une hypothèse qui est que se concentrer sur le savoir opérationnel ne suffit pas.

À la manière de ce que démontrent Guiet-Silvain et Malabry (3), dans cet exercice de calcul de doses, il importe de recentrer l'étudiant sur « la description et l'analyse des différents schèmes d'organisation de la pensée », ce que Doly (5) désignait sous les termes de « distanciation réflexive ».

Dans ce contexte, la construction d'un schème global (procédural, déclaratif et conditionnel) repose sur l'identification du maillon ou des maillons faisant défaut aux apprenants pour leur permettre d'identifier les éléments manquants à la réussite des attendus (14). Seuls, ils ne sont pas toujours en capacité d'y arriver. C'est là qu'interviennent les formateurs à l'Ifsi, les pairs et les tuteurs infirmiers en stage. En effet, au décours des ateliers, et l'instar des travaux de Vygotsky (15), nous avons pu également observer la place prépondérante qu'occupent les pairs.

De ce fait, les résultats de cette recherche nous offrent des possibles en termes de stratégies pédagogiques d'accompagnement constructivistes et socioconstructivistes.

Ainsi, nous pouvons envisager de favoriser le développement métacognitif des apprenants lors d'ateliers « calculs de doses » collectifs et individuels et de favoriser l'identification des schèmes manquants pour chacun d'eux, leur permettant par la suite d'utiliser et de compléter de manière autonome leurs savoirs.

Nos propositions pédagogiques

La première étape concerne le traitement de l'information par l'étudiant, à l'instar de ce qui peut être construit dans le cadre du raisonnement clinique. Plus précisément, le rôle du formateur est de lui permettre de repérer, d'une part, ce qui est important dans son appréhension du matériel pour le calcul de doses, et d'autre part les informations qui lui seront utiles (16). En ce sens, une expérience porteuse de sens est réalisée à l'Ifsi de Saverne, où les ateliers de calculs de doses sont précédés d'un atelier « crêpes ».

Au même titre que ce qui peut être construit dans le cadre de l'enseignement du raisonnement clinique, cette expérience permet aux formateurs de s'appuyer sur les expériences antérieures des étudiants qui sont transposables aux calculs de doses. Cela leur permet d'activer leurs connaissances afin de les mettre au service d'un nouveau contenu. En ce sens, comme le décrit Antoine de la Garanderie (17), la gestion mentale collective d'une activité (attention, mémorisation, compréhension, réflexion et imagination créatrice) sert l'apprenant-individu.

De ce fait, le formateur dispose d'une « boîte à outils pédagogiques » (17) qu'il propose aux apprenants aux décours des ateliers collectifs puis ensuite en suivi individuel. Pour exemple : des supports visuels ont été construits permettant aux apprenants de visualiser toutes les solutions de perfusion utilisées dans l'établissement support. Cette boîte à outils est d'autant plus efficace pour identifier les schèmes manquants qu'elle est explicitée initialement dès la première année (17). Ce qui explique notre projet de 2018.

En conséquence, nous réalisons les préconisations suivantes.

Avec l'objectif d'accompagner l'étudiant dans l'identification de ses méthodes de pensée, de favoriser l'appropriation visuelle des différents matériels existants, de réaliser les rappels de conversion, de consolider l'acquisition des incontournables en lien avec les UE 2.11 et 4.4, de valoriser les différentes expériences de chacun et de faire le lien entre théorie et pratique de terrain, le formateur instaure des ateliers à visée métacognitive en plus des ateliers spécifiques aux unités d'enseignement précitées.

Ainsi, la construction d'un schème global (procédural, déclaratif et conditionnel) qui repose sur l'identification du ou des maillons faisant défaut aux apprenants facilite l'appropriation des calculs de doses (3).

De ce fait, nous préconisons de répartir les étudiants en groupes de pairs sous la responsabilité d'un formateur qui donne les consignes. Ce dernier spécifiera clairement les attentes pédagogiques lors des exercices en lien avec la pratique, et pourra ou non rester présent ensuite.

Les calculs de doses proposés sont intégrés dans des mini-situations émanant du terrain et s'articulant également avec les attendus des UE 2.11 et 4.4 ou bien encore avec les unités d'enseignements spécifiques aux processus.

En groupe de quatre ou cinq (14), les étudiants réalisent les exercices sans priorité de sens. Le but est d'être le plus à l'aise possible, de manipuler, de « tripoter », d'analyser la situation comme dans un contexte professionnel, en favorisant le raisonnement, dans un cadre sécurisé, sécurisant et sans avoir à supporter le stress d'un service de soins.

Quand une difficulté individuelle émerge, les pairs peuvent aider afin d'identifier le maillon manquant du schème cognitif (défi, questionnement, compréhension, connaissances, capacités d'attention, expériences vécues, etc.). Le formateur n'intervient qu'en deuxième intention, avec dans ses possibilités pédagogiques des éléments servant à « forger l'apprentissage » (17). Ainsi, il aide à faire prendre conscience à l'étudiant des ressources intrinsèques et extrinsèques dont il dispose. De même, il l'aide à identifier la tâche de calcul puis la projection qu'il peut faire de celle-ci dans l'activité d'administration (2). De plus, le formateur pose la règle de faire verbaliser l'étudiant en difficulté sur toutes les étapes de sa réflexion, à commencer par la lecture de l'énoncé. En effet, comme le démontre Phaneuf (18), l'explicitation à voix haute permet de comprendre le cheminement intellectuel de l'apprenant lorsqu'il raisonne et permet également d'étudier les processus cognitifs mobilisés par l'apprenant au cours de cette activité.

Ainsi, l'accompagnement favorise le feedback entre ce qui est vu, fait sur le terrain (exercices exclusivement issus des services) et les exercices proposés dans les autres ateliers des UE 2.11, 4.4 (cours de pharmacologie, mise à disposition de supports visuels, tutoriels, répertoire des solutés injectables et électrolytes, connaissances incontournables mises à disposition sur la plateforme collaborative et que les apprenants doivent s'approprier, décryptage d'une prescription médicale de terrain, etc.).

Le formateur adopte une posture bienveillante, centrée sur la valorisation de l'implication de l'étudiant, et à la fin de l'atelier, les étudiants repartent sans avoir nécessairement terminé dans le temps imparti, sans correction de groupe, afin de les laisser finir les exercices qui ne le seraient pas.

À distance, la correction est mise à disposition sur la plateforme collaborative de l'institut. Le début de l'atelier métacognitif suivant sera marqué par le débriefing du premier. Afin d'assurer une individualisation des prises en charge selon les difficultés des étudiants, à la fin de chaque atelier, le formateur responsable du TD réalisera un retour aux référents pédagogiques concernant un étudiant en difficulté ainsi qu'aux formateurs responsables des UE 2.11 et 4.4.

L'évaluation faite depuis dix ans de cette méthode permet d'observer une autonomisation et un transfert de connaissances plus rapides qu'avec une méthode traditionnelle. L'étudiant s'inscrit dans une démarche de professionnalisation en étant acteur des axes de sa progression sur cette thématique. Le retour fait par les étudiants va d'ailleurs dans ce sens, avec un plébiscite pour ce type d'analyse de pratique. En fonction des années de formation et de la progression des groupes, il arrive parfois qu'ils deviennent eux-mêmes source de proposition.

Lors de ces ateliers, la posture du formateur valorise l'étudiant dans une démarche d'accompagnement éthique (19), surtout en cas de difficultés et d'incompréhension. Il semble cependant que l'apprenant soit plus « vigilant » dans un contexte de travail.

En termes de fréquence, en tenant compte des différentes modélisations menées durant cette recherche et des évaluations des étudiants sur ces périodes d'investigation, nous préconisons qu'en plus des ateliers mis en place dans les unités d'enseignement 2.11 et 4.4 soient organisés deux ateliers par semestre jusqu'à la fin de la deuxième année et un seul par semestre en troisième année, avec la possibilité d'ajouter un atelier supplémentaire si besoin. La réflexion actuelle porte également vers un partenariat avec les lieux de stage et la création d'un outil d'évaluation spécifique, à l'instar du carnet de bord utilisé par les étudiants. L'expérience a été menée dans le premier institut, montrant toute sa plus-value dans la construction de la compétence.

Conclusion

Au regard de ce que notre recherche apporte, nous nous interrogeons sur ce qui est aujourd'hui communément décrit comme étant « l'activité calcul de doses ». En effet, comme nous l'avons vu, aborder le calcul de doses revient à aborder la complexité. Par ailleurs, si nous nous en tenons à la définition de Tardif (20), cet auteur nous donne à voir la compétence comme étant un « système de connaissances, déclaratives (le quoi) ainsi que conditionnel (le quand et le pourquoi) et procédurales (comment), organisé en schémas opératoires et qui permettent, à l'intérieur d'une famille de situations, non seulement l'identification de problèmes, mais également leur résolution par une action efficace ».

De plus, en nous fondant sur l'acception que Perrenoud (21) donne de la compétence, « l'identification de la compétence n'est pas complète si on ne peut pas dire à quelles ressources cognitives elle fait appel ». En ce sens, le rôle du formateur et des pairs semble dès lors capital pour accompagner l'étudiant dans l'identification de son processus métacognitif (22), lui permettant de devenir autonome dans l'acquisition de la compétence « calcul de doses ».

En conséquence, il nous apparaît désormais évident, par la corrélation fortement positive entre les différents éléments de ces définitions (23) et les schèmes mobilisés pour le calcul de doses, qu'il serait intéressant, à l'instar de ce que présente Yvan Malabry (24), de ne plus considérer le calcul de doses comme relevant du domaine de l'activité mais plutôt de le considérer comme une compétence à part entière dans un processus qui va se développer avec l'expérience et la construction de celle-ci.

(1) Jean-Pierre Astolfi, Brigitte Peterfalvi, « Obstacles et construction de situations didactiques en sciences expérimentales », Aster, 1993, 16, p. 103-141.

(2) Éric Roditi, « L'enseignement du calcul de doses médicamenteuses : un défi pour la santé publique au XXIe siècle », in Jean-Luc Dorier, Sylva Gousseau-Coutat (eds), Enseignement des mathématiques et contrat social : enjeux et défis pour le XXIe siècle, Actes du colloque EMF, 2012, GT9, p. 1235-1245.

(3) Jeanne Guiet-Silvain, Yvan Malabry, « Le geste professionnel, du savoir à la compétence : l'exemple de la proportionnalité des doses chez les infirmiers », Carrefours de l'éducation, 2012/2, no 34, p. 177-„193.

(4) John H. Flavell, « Metacognitive aspects of problem solving », in Lauren B. Resnick (ed), The nature of intelligence, Erlbaum, Hillsdale, 1976.

(5) Anne-Marie Doly, « La métacognition : de sa définition par la psychologie à la mise en œuvre à l'école », in Gérard Toupiol (dir.), Apprendre et comprendre. Place et rôle de la métacognition dans l'aide spécialisée, Paris, Retz, 2006, p. 84-124.

(6) Marie Anne Broyon, « Métacognition et cultures », in Actes du VIIIe congrès de l'ARIC, Recherches et pratiques interculturelles : nouveaux espaces, nouvelles complexités ?, Genève, 2001.

(7) Pauline Minier, « Les approches métacognitives de l'apprentissage », Université du Québec à Chicoutimi, 2000 (consulter sur : https://bit.ly/2MO1fQQ).

(8) Anne-Marie Doly, « Métacognition et médiation à l'école », in Philippe Mérieux (dir.), La métacognition, une aide au travail des élèves, Paris, ESF, 1997, p. 17-64.

(9) Michel Grangeat, « La métacognition, un enjeu pour l'autonomisation », in Philippe Mérieux (dir.), La métacognition, une aide au travail des élèves, Paris, ESF, 1997, p. 95-129.

(10) Louise Lafortune, Lise Saint-Pierre, La pensée et les émotions en mathématiques – Métacognition et affectivité, Montréal, Les Éditions Logiques, 1994.

(11) Barbara L. McCombs, « Motivational skills training : combining metacognitive, cognitive, and affective learning strategies », in Claire E. Weinstein, Ernest T. Goetz, Patricia A. Alexander (eds), Learning and study strategies : issues in assessment, instruction, and evaluation, San Diego, CA, Academic Press, 1988, p. 141-169.

(12) Carl Bereiter, « Aspects of an educational learning theory », Review of Educational Research, 1990, 60 (4), p 603-624.

(13) Hélène Hensler, « Élaboration d'une conception de l'enseignement dans le domaine des stratégies d'apprentissage », Thèse de doctorat, Université de Sherbrooke, Sherbrooke, 1992.

(14) Clélia Quiles, « Comment évaluer la métacognition ? Intérêts et limites de l'évaluation de la conscience métacognitive », Thèse de doctorat, Médecine humaine et pathologie, Université de Bordeaux, Bordeaux, 2014.

(15) Lev S. Vygotsky, « Internalization of higher psychological functions », in Mind in society, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 1978, p. 52-57.

(16) Dan Sperber, Deirdre Wilson, La Pertinence – Communication et cognition, Paris, Les Éditions de Minuit, 1989.

(17) Antoine de La Garanderie, Les profils pédagogiques, Paris, Le Centurion, 1980.

(18) Margot Phaneuf, « La réflexion à voix haute, complément ou substitut de la démarche de soins », Prendre soin – Soins infirmiers, 2009 (consulter sur http://www.prendresoin.org/?p=2188).

(19) Agnès Veilhan, « L'éthique de l'accompagnement en validation des acquis de l'expérience : de l'individuel au collectif », Éducation permanente, 2004, 159, p. 107-116.

(20) Jacques Tardif, « Le transfert des compétences analysé à travers la formation des professionnels », in Philippe Meirieu, Michel Develay, Christiane Durand, Yves Mariani (dir.), Le transfert de connaissances en formation initiale et en formation continue, Lyon, CRDP, 1996, p. 31-45.

(21) Philippe Perrenoud, « Construire un référentiel de compétences pour guider une formation professionnelle », Université de Genève, Faculté de psychologie et de sciences de l'éducation, 2001.

(22) Gérard Toupiol (dir.), Apprendre et comprendre. Place et rôle de la métacognition dans l'aide spécialisée, Paris, Retz, 2006.

(23) Laurent Cosnefroy, L'apprentissage autorégulé. Entre cognition et motivation, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2013.

(24) Yvan Malabry, « Le geste professionnel : du savoir à la compétence. L'exemple du calcul de proportionnalité des doses chez les infirmiers », Actes du congrès de l'Actualité de la recherche en éducation et en formation (AREF), Université de Genève, septembre 2010.