Objectif Soins n° 268 du 01/04/2019

 

Sur le terrain

Dossier

Thérèse Galland et Séverine Proust*   Mélanie Barbier   Chloé Chaumette   Mathilde Croisé   Chloé Ladsous   Émilie Liqueur   Ophélie Pereira   Juliette Sirou**  

Regards croisés entre formatrices en IFSI et étudiantes infirmières.

En tant que formatrices en institut de formation en soins infirmiers, nous œuvrons à l'optimisation de la qualité et de la sécurité des soins pour tous les usagers dans un contexte de désertification médicale territoriale. Cela dans un but de réduire les inégalités d'accès aux soins spécialisés pour les patients. Cette démarche d'écriture est en accord avec le développement de la télémédecine sur le plan national.

La sensibilisation des étudiants infirmiers sur la e-santé, dans une perspective de projection professionnelle, permet d'être au plus proche des besoins et attentes actuelles des usagers.

En tant qu'étudiantes infirmières, en fin de cursus, nous sommes particulièrement sensibles à l'égalité d'accès dans les soins et à la place de la relation soignant-soigné dans la prise en soin. Pour nous, une démarche de soin via la e-santé n'est pas incompatible avec l'écoute active, la bienveillance et le raisonnement clinique.

regard des formatrices

Formatrices à l'Ifsi Croix-Rouge française Centre-Val de Loire, nous avons organisé un travail de recherche sur le thème de la e-santé, dans le cadre de l'unité d'enseignement 1.2 : « Santé publique et économie de la santé ». Ce travail de recherche s'est déroulé au cours du semestre 2 pour l'ensemble de la promotion 2015-2018 et s'est inscrit au sein de la compétence 5 du référentiel infirmier : « Initier et mettre en œuvre des soins éducatifs et préventifs ».

La finalité de cette recherche était de sensibiliser chaque étudiant à la place de la e-santé dans la prise en soin du patient dès le début de sa formation. La stratégie pédagogique a été soutenue par monsieur Emmanuel Rusch, responsable universitaire régional en santé publique.

Dans un premier temps, ce travail de recherche a débuté pour les étudiants avec la définition de certains termes et la découverte de la réglementation en vigueur en lien avec la e-santé. Nous avons donc émis l'objectif pédagogique suivant : « Mobiliser des connaissances législatives et théoriques dans le cadre d'une recherche portant sur la télémédecine ».

Pour poursuivre le déploiement de cette stratégie pédagogique, nous avons orienté les étudiants vers d'autres objectifs pédagogiques :

• « Comprendre la nécessité de s'adapter aux besoins du patient grâce à des outils adaptés et novateurs favorisant le dépistage précoce des complications » ;

• « Prendre conscience des avantages et des inconvénients de la e-santé concernant la prise en soin singulière chez les patients pluripathologiques ».

Enfin, des objectifs pédagogiques en lien avec la relation à l'autre et la posture du soignant dans le contexte de la e-santé ont été définis :

• « Rechercher un climat de confiance avec la personne soignée et son entourage en vue de créer une alliance thérapeutique quel que soit le contexte de prise en soin » ;

• « Comprendre la place de la relation soignant/soigné lors d'une e-consultation ».

Les étudiants ont mené une enquête au sein de différentes structures sanitaires et médico-sociales pour mesurer l'impact de la e-santé sur le terrain. Quatorze heures de travail ont été accordées pour les échanges avec les professionnels de terrain, c'est-à-dire l'enquête de terrain et l'élaboration de leur dossier.

Pour conclure, ce projet, qui a concerné 160 étudiants, a été accueilli positivement par ceux-ci mais également par les différents professionnels de terrains et lieux d'enquête. Dans chaque sous-groupe de 16 étudiants, les missions ont été réparties afin de respecter les temporalités organisationnelles. Les travaux restitués ont démontré l'investissement des étudiants.

Ces derniers ont pris conscience que la e-santé fait partie de leur futur exercice professionnel. Ce travail a éveillé un questionnement en lien avec l'utilisation de ces outils et la relation soignant/soigné. Des réponses ont été amorcées et seront à confirmer dans leur futur exercice.

À distance de ce travail de recherche, sept étudiantes de troisième année de la promotion 2015-2018 ont accepté de partager leur vision de la e-santé et leur point de vue en tant que futures infirmières.

Regard des étudiantes

Nous sommes sept étudiantes infirmières en troisième année de l'IRFSS Centre-Val de Loire.

Sensibles à la place des objets connectés dans la prise en soin des patients, nous avons été volontaires pour mener ce travail d'écriture avec la participation de nos coordinatrices, madame Galland et madame Proust.

Il est évident aujourd'hui que la e-santé ou la « santé mobile », que ce soit via des objets connectés en santé, des applications mobiles ou encore des sites Internet, fait partie intégrante de notre société et du domaine de la santé.

Lorsque nous évoquons la e-santé ou la santé connectée auprès du personnel soignant, l'opinion est partagée. Elle peut être perçue comme un nouvel outil auquel il est nécessaire de se familiariser au bénéfice de la continuité des soins. Pour d'autres professionnels, une interrogation demeure quant au temps consacré à la découverte de ces outils et l'apprentissage de leur utilisation.

De plus, cette évolution numérique modifie les échanges entre les soignants et les personnes soignées. Cela entraîne un véritable changement de paradigme quant à la place des patients dans le soin. Les pratiques et les compétences infirmières ainsi que l'organisation des soins s'en trouvent aussi influencées.

Ce changement est d'autant plus fort qu'il contribue à la promotion de l'autonomie du patient, qui est plus que jamais au cœur de la prévention dans le secteur de la santé.

Terminologie en e-santé et contexte national et régional

En tant qu'étudiantes infirmières, nous avons voulu commencer par définir le terme e-santé. Cela regroupe tout ce qui est relatif à la santé connectée. De nombreux termes s'y rapportent : la télémédecine, la téléconsultation ou encore des objets connectés du quotidien au service de la santé. La e-santé s'inscrit naturellement au sein des pratiques soignantes à ce jour.

Prenons pour exemple la région Centre-Val de Loire. La e-santé est déjà présente dans le quotidien des acteurs de santé depuis plusieurs années, avec l'introduction du dossier médical partagé en 2012 ainsi que le dossier patient partagé utilisé au CHRU de Tours.

Poursuivons avec le terme de télémédecine : selon Élisabeth Parizel, Philippe Marrel et René Wallstein, la télémédecine, quant à elle, est la pratique d'actes médicaux à distance au travers des différents outils d'information et de communication (1). Elle est pour l'instant peu pratiquée mais tend à se développer, en particulier en milieu rural et pour certaines spécialités médicales, comme la cardiologie, la dermatologie ou la diabétologie, afin de faciliter l'accès aux soins des usagers et de répondre aux besoins de la population.

Enfin, la téléconsultation est une branche de la télémédecine consistant en une consultation médicale à distance entre le patient et le médecin. Une tierce personne peut aider le médecin dans son examen clinique. Par exemple, le contrôle des paramètres vitaux ou la réalisation de certains actes techniques peuvent être réalisés par une infirmière.

Par ailleurs, de nombreux patients utilisent des objets connectés pour simplifier la gestion au quotidien de leur pathologie chronique, comme les applications sur smartphone, les lecteurs de glycémie ou encore les tensiomètres connectés. Ces objets permettent aux patients de suivre l'évolution de leurs résultats et de les rendre autonomes dans l'ajustement de leurs traitements. Ils permettent également au médecin à distance d'obtenir ces résultats sans intervenir lors d'une consultation. Ces objets sont alors utilisés dans le but de rendre le patient acteur de ses soins. Ils permettent aussi d'alléger les services de santé déjà surchargés, sans pour autant avoir un impact négatif sur la santé des usagers.

Cependant, il est à noter que la e-santé soulève un questionnement. En effet, les données transitent par une connexion souvent publique. Il est donc nécessaire de les sécuriser afin qu'elles restent confidentielles, ainsi que l'exige le secret professionnel. Pour cela, l'État français a mis en œuvre différentes actions pour la sécurisation des données, notamment par la « politique générale de sécurité des systèmes d'information de santé », visant à définir les conditions de mise en œuvre de la e-santé et à garantir aux patients la confidentialité de leurs données personnelles.

Au niveau national, cette modernisation du système de santé permet alors de répondre plus rapidement aux besoins en santé des populations mais également d'améliorer la qualité de la prise en soin, en réduisant par exemple les temps d'attente pour une consultation. C'est pourquoi une « Stratégie nationale e-santé 2020 » (2) a été publiée. Les directives ministérielles précisent les objectifs et les attentes concernant le déploiement de la e-santé :

• développer la médecine connectée afin d'accompagner les médecins dans leurs diagnostics ;

• encourager l'innovation autour de la santé, en articulant professionnels de santé, acteurs économiques et usagers ;

• simplifier la gestion administrative des patients par la prise de rendez-vous en ligne et les admissions sur une plateforme numérique dédiée ;

• renforcer la sécurité des données de santé par un plan d'action autour de la sécurisation des systèmes d'information.

Au niveau régional, en 2017, l'agence régionale de santé (ARS) Centre-Val de Loire a rencontré des professionnels de santé sur le terrain pour leur expliquer les différents dispositifs de télémédecine ainsi que les démarches mises en œuvre pour les accompagner dans ces nouvelles pratiques. L'équipe régionale de télémédecine proposait également, lors de ces rencontres, des démonstrations sur les usages de la e-santé. Elle a échangé avec les professionnels sur les projets d'innovation et délivré des conseils sur les démarches à mettre en œuvre au sein des différentes structures de soins (formation continue sur l'utilisation du chariot de télémédecine).

Accompagnement et maladie chronique dans le cadre de la e-santé

Suite à ce travail de recherche et grâce aux expériences vécues au cours de nos différents stages, en tant qu'étudiantes infirmières, nous cernons mieux les enjeux de la e-santé.

En effet, face au développement croissant des maladies chroniques, de l'ambulatoire, de la déshospitalisation, mais aussi face à la problématique récurrente des déserts médicaux, les soignants peuvent trouver des solutions concrètes pour répondre aux besoins du patient.

Ainsi, selon le Haut Conseil de la santé publique, 20 % de la population française est atteinte d'une maladie chronique à ce jour. Par exemple, le diabète touche plus de 4 millions de personnes en France.

Dans ce contexte de chronicité, les patients sont d'autant plus concernés par ces outils connectés. En effet, ceux-ci vont améliorer leur vécu dans la gestion quotidienne de leur maladie. De plus, un intérêt existe concernant le dépistage précoce des complications de ces pathologies. Les infirmiers sont directement concernés par le développement de ces nouvelles technologies pour assurer le suivi quotidien des patients et faire le lien avec tous les partenaires de soins.

Ces nouvelles technologies placent le patient au cœur du système en le rendant partenaire de son parcours de soin.

Cependant, en tant qu'étudiantes infirmières, nous nous questionnons sur la communication entre le soignant et la personne soignée :

• existe-t-il un risque de déshumanisation au travers de l'utilisation de ces outils auprès du patient ?

• cette e-consultation peut-elle préserver une relation de confiance entre le soignant et le patient ?

• quelle est la place de l'infirmier concernant le déploiement de ces nouvelles technologies ?

Cette autonomie renforcée du patient quant à la « prise en main » de sa santé via ces nouveaux outils numériques implique de nouvelles connaissances et de nouvelles compétences pour les soignants. En effet, les infirmiers se familiarisent petit à petit avec ces outils. Ils conseillent par exemple les patients sur les diverses applications mobiles qui leur sont proposées. Ils ont un rôle d'éducateur auprès des patients pour leur permettre d'utiliser eux-mêmes les différents outils.

L'utilisation de ces nouvelles technologies permet l'accès pour les soignants à des données de santé fiables et immédiates via des interfaces interconnectées entre patients et soignants sans avoir à attendre un rendez-vous physique. Cela permet ainsi une prise en soin plus précoce et adaptée à la situation singulière du patient. Cela renforce l'attitude participative du patient, améliorant ainsi sa qualité de vie. Cela représente un changement important dans l'organisation des soins et l'analyse clinique de l'infirmier : le raisonnement clinique de l'infirmier permet au médecin se trouvant à distance d'affiner son diagnostic médical.

Ainsi, l'infirmier, jouant le rôle de lien entre le patient et le médecin à distance, devra non seulement avoir la connaissance de l'outil technologique mais aussi accompagner le patient dans la relation médecin/patient à distance. Il saura aussi réaliser certains gestes d'investigation, afin que le médecin puisse poser son diagnostic.

Ces outils permettent également à l'infirmier de se référer quasiment en temps réel à ses pairs, ou à des pairs experts dans une pathologie, afin d'obtenir de l'aide ou une orientation de prise en soin. L'utilisation de ces outils permet une coopération entre les différents partenaires de soin quels que soient leurs lieux d'exercice.

Il est donc évident que la e-santé est aujourd'hui une dimension incontournable dans le secteur de la santé, induisant un changement inexorable et global dans la conception de la prise en soin des patients.

Formation des soignants et coopération interprofessionnelle

L'instauration de nouvelles technologies dans la prise en soin des patients demande une redéfinition des champs de compétences des différents professionnels de santé. Ces modifications de pratiques impliquent la mise en place d'une formation continue pour les soignants. De plus, des séquences pédagogiques pour les étudiants de la filière infirmière permettent le partage de savoir-faire entre formateurs et étudiants concernant la e-santé et ses pratiques au quotidien. Le but est de permettre une optimisation des soins donnés aux patients et également d'éviter les risques de glissement de tâche, autrement dit, un acte réalisé par un professionnel qui n'en a pas la compétence réglementaire.

Le référentiel infirmier souligne, par le biais de la compétence 4, la position centrale de l'infirmière dans « la mise en œuvre des actions à visée diagnostique et thérapeutique ».

En effet, en prenant l'exemple de la télémédecine, il peut être envisageable qu'un infirmier apprenne à réaliser de nouveaux soins, de nouvelles surveillances, de nouveaux gestes afin d'éclairer le médecin dans une démarche diagnostique ou de soin.

Ainsi, dans cette démarche de partenariat se créent des protocoles de coopération entre les professionnels de santé (protocoles validés par l'ARS). Cela permet un partage de données, une transmission d'informations d'un professionnel à l'autre dans le but de dépister précocement des complications de maladies chroniques et de faciliter la continuité des soins. Les protocoles validés par l'ARS sont examinés régulièrement pour être validés ou non par la Haute Autorité de santé.

La modernisation des pratiques de soin qui tend vers le développement de nouveaux « outils diagnostiques » et de nouvelles techniques nous amène donc en tant qu'étudiantes infirmières à questionner le champ de la compétence infirmière. Ce métier est en constante évolution et de ce fait il est nécessaire d'actualiser et de développer ses connaissances et d'adopter une posture réflexive.

Conclusion

Nous remercions Mélanie, Chloé C., Mathilde, Chloé L., Émilie, Ophélie et Juliette, jeunes diplômées à ce jour, d'avoir consacré plusieurs soirées à l'écriture de cet article. Nous espérons avoir leur retour d'expérience en lien avec la e-santé et l'évolution de leur questionnement après leurs premiers pas sur le terrain.

L'évolution de la e-santé met en exergue l'importance du rôle infirmier dans l'analyse clinique et la contribution au diagnostic médical. L'infirmière demeure donc le pivot entre le patient et le médecin, autrement dit la pierre angulaire dans cette triade relationnelle en mutation en lien avec l'émergence de la e-santé.

(1) Élisabeth Parizel, Philippe Marrel, René Wallstein, « La télémédecine en questions », Études 2013/11, t. 419, p. 461-472 (consulter sur : https://bit.ly/2U5yaGM).

(2) Ministère des Affaires sociales et de la Santé, « Stratégie nationale e-santé 2020 – Le numérique au service de la modernisation et de l'efficience du système de santé », juillet 2016 (consulter sur : https://bit.ly/2MXuPne).