Objectif Soins n° 269 du 01/06/2019

 

Droit

Gilles Devers  

Analyse de quelques décisions récentes de jurisprudence : exclusion d'un Ifsi, licenciement pour inaptitude professionnelle, fugue d'un patient, surveillance d'un patient sous contention, faute dans le diagnostic, manque d'empathie dans l'annonce d'un décès (1)...

Exclusion d'un Ifsi pour des actes incompatibles avec la sécurité des patients

Lorsqu'est prise une décision de suspension de stage pour des actes incompatibles avec la sécurité des patients, le rapport qui saisit le conseil pédagogique doit être adressé dans les mêmes termes aux membres du conseil et à l'étudiant, avec la précision de la mesure envisagée pour que l'étudiant puisse utilement se défendre.

Faits

Une étudiante a été admise en 2013 à l'Ifsi d'un établissement public.

Estimant qu'elle avait accompli des actes incompatibles avec la sécurité des patients, l'étudiante a été suspendue le 22 juillet 2016 de son stage au sein du service de chirurgie vasculaire du groupe hospitalo-universitaire Henri Mondor.

Suite à la réunion du conseil pédagogique, le 21 septembre 2016, qui a émis à la majorité de ses membres un avis favorable à son exclusion définitive de scolarité, la directrice de l'Ifsi a prononcé celle-ci par une décision du 23 septembre 2016.

L'étudiante a formé un recours gracieux le 27 septembre 2016 contre cette décision, recours qui a été rejeté implicitement par le silence gardé par la directrice de l'Ifsi.

Elle a alors saisi le tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 23 septembre 2016, et par un jugement du 8 novembre 2018, le tribunal a fait droit à sa demande.

Le centre hospitalier relève appel de ce jugement.

En droit

Selon l'article 11 de l'arrêté du 21 avril 2007 : « Lorsque l'étudiant a accompli des actes incompatibles avec la sécurité des personnes soignées, le directeur de l'institut de formation, en accord avec le responsable du lieu de stage, peut décider de la suspension du stage de l'étudiant, dans l'attente de l'examen de sa situation par le conseil pédagogique qui doit se réunir, au maximum, dans un délai de quinze jours à compter de la suspension. »

Selon l'article 10-6 du même texte, le conseil pédagogique est notamment consulté pour avis sur les situations individuelles d'étudiants ayant accompli des actes incompatibles avec la sécurité des personnes prises en charge. Dans ce cas, les membres du conseil reçoivent communication du dossier de l'étudiant, accompagné d'un rapport motivé du directeur, au moins quinze jours avant la réunion de ce conseil, et l'étudiant reçoit communication des mêmes éléments.

Le conseil pédagogique entend l'étudiant, qui peut être assisté d'une personne de son choix. L'étudiant présente devant le conseil pédagogique des observations écrites ou orales. La décision prise par le directeur de l'institut de formation est notifiée par écrit à l'étudiant, dans un délai maximal de cinq jours après la réunion du conseil pédagogique.

Il résulte de ces dispositions que lorsque le conseil pédagogique est saisi du cas d'un étudiant ayant accompli des actes incompatibles avec la sécurité des personnes prises en charge, le directeur de l'institut de formation est tenu de transmettre aux membres de cette instance un rapport motivé sur la situation de l'étudiant qui a pour objet de les informer des faits à l'origine de leur saisine et des suites à donner, pouvant aller jusqu'à l'exclusion définitive de la scolarité.

Analyse

Selon l'étudiante, la procédure méconnaissait l'article 10 dans la mesure où le courrier de convocation au conseil pédagogique ne faisait aucune référence à l'objet de la réunion, hormis le fait que sa situation y serait examinée, ni aux suites qui pourraient être données allant jusqu'à l'exclusion définitive de la scolarité. De même, elle soutenait n'avoir jamais reçu le rapport motivé de la directrice de l'Ifsi sur sa situation individuelle.

En défense, le centre hospitalier fait valoir que l'étudiante a été reçue le 22 juillet 2016 par la directrice de l'Ifsi, en présence du référent pédagogique, au sujet des difficultés rencontrées dans le stage à l'hôpital Henri Mondor de Créteil et qu'elle a pris connaissance le 25 juillet 2016 du rapport d'interruption de stage daté du 22 juillet 2016, rédigé par le cadre de santé, dans lequel les manquements qui lui sont reprochés sont présentés. Par ailleurs, il a été remis en mains propres à l'étudiante le 2 septembre 2016 le rapport motivé de la directrice de l'Ifsi.

Toutefois, si ce rapport énumérait les faits à l'origine de la saisine du conseil pédagogique, il ne précisait pas les mesures pouvant être prises par la directrice de l'Ifsi à l'issue de ce conseil pédagogique, et notamment l'exclusion temporaire ou permanente de la scolarité. Le compte rendu des débats du conseil pédagogique du 21 septembre 2016 ne mentionne pas non plus que l'étudiante ait pu prendre, avant la séance, connaissance des suites encourues avant la tenue du conseil.

Ainsi, l'étudiante a été privée d'une garantie essentielle tenant à la possibilité de préparer utilement sa défense et particulièrement de la possibilité de préparer ses observations sur la mesure envisagée et qui a été finalement adoptée.

Commentaire

Pour les étudiants d'Ifsi, la défense des droits est particulièrement délicate lorsqu'est enclenchée la procédure de suspension du stage pour des actes incompatibles avec la sécurité des patients, accompagnée de la convocation d'un conseil pédagogique. La difficulté est double. Sur le plan de la preuve, le service qui a interrompu le stage fait établir par le cadre de santé, avec éventuellement des témoignages de membres de l'équipe, un rapport qui, s'il est précis et bien rédigé, est particulièrement difficile à combattre, alors que l'étudiante dispose souvent de son seul récit, et que par hypothèse... elle est en situation d'apprentissage. De plus, et de manière constante, les tribunaux refusent de contrôler les appréciations pédagogiques, qui n'entrent pas dans leur champ de compétences. Ajoutons qu'un tribunal est toujours mal à l'aise, peu enclin à prendre le risque lorsqu'un cadre de santé identifie une pratique créant un danger pour les patients.

C'est donc essentiellement sur le critère de la forme que s'exerce la défense. D'abord, il est absolument nécessaire que les membres du conseil et l'étudiant disposent exactement des mêmes documents, transmis dans les mêmes délais, ce qui n'est pas toujours facile à gérer vu que tout doit être fait dans les quinze jours. Ensuite, et c'est le grand intérêt de cet arrêt, le conseil pédagogique n'est pas disciplinaire, il doit donc dans cette perspective conclure ce qui peut être proposé par le conseil entre un soutien pédagogique renforcé, le redoublement ou l'exclusion. Dans cette affaire, le rapport ne prévoyait pas la mesure envisagée, ce qui est une cause d'annulation.

Cour administrative d'appel de Paris, 9 avril 2019, no 18PA03626.

Licenciement d'un praticien pour inaptitude à l'exercice des fonctions

Alors qu'il n'y a que peu de reproches directs sur la pratique clinique, des travers de comportements, qui pourraient être qualifiés de fautes disciplinaires, peuvent être considérés comme des éléments établissant l'inaptitude à l'exercice des fonctions justifiant le licenciement.

Faits

Un médecin a été recruté à compter du 24 novembre 2009 par un centre hospitalier en qualité de praticien attaché associé au sein du service de stomatologie, par un contrat plusieurs fois renouvelé, puis a été nommé en qualité de praticien hospitalier sur une période probatoire d'un an par un arrêté de la directrice générale du Centre national de gestion (CNG) du 1er décembre 2012. À la suite de plusieurs avis défavorables à sa titularisation, la directrice générale du CNG a prononcé son licenciement pour inaptitude à l'exercice de ses fonctions le 2 avril 2014.

Procédure

Par jugement du 14 mars 2017, le tribunal administratif de Versailles a rejeté le recours du médecin, qui a formé appel.

Analyse

Pour prononcer le licenciement, la directrice générale du CNG a estimé que l'intéressé avait, durant sa période probatoire, manqué à son obligation d'information et de suivi de ses patients, adopté une attitude vestimentaire inadaptée, fait preuve d'un manque d'hygiène ainsi que d'un comportement inadéquat et déplacé au sein du service et cumulé ses fonctions avec une activité libérale extérieure sans autorisation préalable.

Les pièces du dossier sont notamment un rapport émis par le directeur du centre hospitalier et un rapport de l'enquête diligentée par l'agence régionale de santé, lesquels s'appuient sur de nombreux témoignages. Il en ressort que le praticien s'est refusé à informer plusieurs patients opérés et leurs familles après avoir conduit des interventions chirurgicales et à délivrer les prescriptions médicales requises dans le cadre de leur suivi postopératoire, a mené des consultations médicales en portant une blouse tachetée de sang et sans enfiler systématiquement des gants dans le cadre des auscultations réalisées, s'est abstenu de participer à des réunions auxquelles il lui appartenait de prendre part au regard de ses fonctions, et a tenu des propos déplacés, sexuellement connotés, menaçants et insultants à l'égard du personnel soignant et administratif du centre hospitalier, y compris en présence de patients. Ce comportement est corroboré par un courrier du 5 décembre 2014 d'un cadre de santé indiquant que les infirmières avaient peur de l'intéressé, pleuraient et ne dormaient plus en raison de ses injures et humiliations.

Au regard de leur gravité, de leur multiplicité et de leur continuité, ces faits sont de nature à caractériser une inaptitude de l'intéressé à l'exercice des fonctions de praticien hospitalier. L'administration pouvait légalement les prendre en compte alors même que, par ailleurs, ils revêtent également un caractère fautif susceptible de justifier une sanction disciplinaire.

Commentaire

Le praticien, qui au final a exercé près de quatre ans, d'abord comme contractuel puis comme praticien hospitalier à titre probatoire, contestait son licenciement pour inaptitude à l'exercice des fonctions en relevant que le différend ne portait pas sur sa pratique clinique, mais essentiellement sur les aspects de comportements vis-à-vis des patients et de leurs familles, d'obligations institutionnelles et de l'équipe. La juridiction lui répond que si ces comportements auraient effectivement pu être sanctionnés sur le plan disciplinaire, ils suffisent à établir l'inaptitude à exercer les fonctions, critère qui ne se limite pas à la pratique clinique.

Cour administrative d'appel de Versailles, 14 mars 2019, no 17VE01497.

Fugue d'un patient, suivie de son décès

En l'absence de signes évocateurs spécifiques, la fuite d'un patient en hospitalisation libre ne traduit pas une faute de surveillance, et le fait que les recherches n'aient pas permis de retrouver le malade ne suffit pas à établir une faute dès lors qu'il a été fait diligence avec les moyens du service.

Faits

Le 18 février 2013, à la suite des examens pratiqués au service des urgences, un patient âgé de 43 ans a été hospitalisé en médecine interne et gastro-entérologie en raison d'une septicémie à staphylocoque. Le 6 mars 2013, sa disparition a été signalée et son corps a été retrouvé le 3 avril suivant dans les bois à l'extérieur de l'enceinte du centre hospitalier.

La famille a formé un recours en responsabilité devant le tribunal administratif, estimant que l'équipe hospitalière avait failli à son obligation de sécurité et de surveillance et qu'après sa disparition, les recherches avaient été menées avec une lenteur fautive et de manière désorganisée.

Analyse

Sur la prise en charge

Avant cette hospitalisation, le patient avait séjourné dans le service de neurologie de l'établissement, où avait été posé le diagnostic d'atrophie cérébrale frontale le 10 décembre 2012, donnant lieu en janvier 2013 à un sevrage alcoolique.

Le patient a donc été admis aux urgences moins d'un mois plus tard, mais pour une suspicion d'accident vasculaire cérébral avec déficit moteur et asthénie, et non pas au titre de troubles psychiatriques. Puis, après un examen clinique concluant à un surdosage en tranquillisants sans trouble neurologique et un avis spécialisé, il a été transféré au sein du service de médecine interne et gastro-entérologie du centre hospitalier dans un état fébrile.

Il avait ensuite passé quelques jours dans une clinique privée pour l'ablation d'un kyste sacro-coccygien et, de nouveau, du 13 au 16 février, en raison d'une altération importante de son état général.

Le patient présentait des antécédents d'hépatite C, de cirrhose et d'épilepsie mais aussi de psychose et de paranoïa, antécédents mentionnés dans sa fiche d'accueil aux urgences du centre hospitalier, mais ces pathologies étaient équilibrées par un traitement et il n'avait manifesté durant les jours précédant sa disparition, ni lors de ses précédents séjours dans des établissements de santé, aucun trouble du comportement, ni même exprimé une réticence à son hospitalisation ou son souhait de rentrer à son domicile.

Au demeurant, le patient était libre de ses mouvements, et pouvait quitter l'enceinte du centre hospitalier de manière impromptue comme il l'a fait. Son état de santé, particulièrement précaire à son admission, s'était amélioré, lui permettant de tenir sur ses jambes le 27 février, puis de marcher dans le couloir le 5 mars, enfin, plus longuement, le 6 mars. Il avait d'ailleurs le matin même de sa disparition fait librement une promenade, avant de rentrer pour le repas.

Ni l'état de santé, ni le comportement du patient, nonobstant ses antécédents médicaux, ne laissaient présager un départ inopiné du service de médecine générale dans lequel il était hospitalisé pour des troubles non psychologiques, et n'imposaient de prendre des mesures spécifiques de surveillance et de protection à son égard. Dès lors, il ne peut être reproché à l'équipe un manquement à l'obligation de surveillance qui incombe à tout établissement.

Sur les recherches

À la suite de l'appel téléphonique passé par une standardiste à 14 h 10 signalant la présence du patient marchant près d'un bâtiment, une aide-soignante a été envoyée pour le ramener à sa chambre.

Les recherches afin de le retrouver étant restées vaines, le protocole de fugue pour les personnes sorties sans autorisation a été mis en œuvre, l'administrateur de garde alerté à 14 h 45 et la police prévenue par une infirmière de la disparition du patient vers 15 h. Une infirmière a patrouillé autour de l'établissement et a sollicité des informations complémentaires sur l'état de l'intéressé, puis le lendemain ont été engagées des recherches plus intensives à l'aide d'un maître-chien et, le 8 mars, d'un hélicoptère, sans succès.

Par la suite, le centre hospitalier a procédé aux diligences nécessaires pour alerter les autorités de police, et l'échec des recherches n'établit une désorganisation au sein du service.

Commentaire

Une affaire dramatique, et on comprend bien la réaction de la famille qui avait engagé un recours en responsabilité. Toutefois, la juridiction applique méthodiquement le principe selon lequel la responsabilité n'est engagée qu'en cas de faute, et à l'examen du dossier, elle ne relève de faute ni sur la surveillance, ni sur l'organisation des recherches. Sur le plan juridique, il est parfaitement clair que les patients sont en service libre, et la fugue en elle-même ne traduit pas l'existence d'une faute. Il en serait différemment s'il y avait eu une prescription particulière de surveillance, ou si cette prescription nécessaire n'avait pas été faite, et encore : l'appréciation de la juridiction serait sans automatisme, car le principe reste la liberté, et que serait la vie des patients sans la liberté ?

Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5 mars 2019, no 17BX00060.

Absence de fouille d'une jeune patiente placée sous contention

Le fait de ne pas avoir procédé à une fouille d'une jeune patiente, placée sous sédatif et contention du fait d'un état d'agitation, n'est pas nécessairement une faute, s'il y a eu un examen attentif d'un psychiatre, dans un service non spécialisé en psychiatrie.

Faits

À la suite d'une tentative de suicide par voie médicamenteuse, une jeune patiente, alors âgée de 16 ans, a été admise au service des urgences du CHU de Pointe-à-Pitre le 4 mars 2010 à 9 heures. En raison de son état particulièrement agité et agressif, le psychiatre de l'établissement a prescrit l'administration d'un tranquillisant ainsi que son placement dans une chambre de dégrisement avec contention.

Quelques minutes après son placement dans cette chambre, la patiente a provoqué un incendie en essayant de brûler ses liens avec un briquet qu'elle avait conservé dans la poche de son short.

Atteinte de brûlures au troisième degré, elle a été transférée dans le service de réanimation de l'hôpital, avant d'être transférée, le 10 mars 2010, au service des brûlés de l'hôpital Cochin à Paris. Une amputation des doigts de sa main droite avec greffe a dû être réalisée le 12 mars.

Elle a ensuite été prise en charge, du 25 mars au 1er juin 2010, dans un centre de rééducation fonctionnelle.

Procédure

Le juge des référés du tribunal administratif a ordonné, le 26 juillet 2011, une expertise médicale. À la suite de la remise par l'expert de son rapport, le 20 juillet 2012, la patiente et ses parents ont introduit une requête devant le tribunal administratif tendant à l'indemnisation de leurs préjudices consécutifs à la prise en charge au CHU de Pointe-à-Pitre.

Par un jugement du 22 octobre 2015, le tribunal administratif a rejeté leur requête. Par un arrêt du 12 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel qu'ils avaient formé contre ce jugement.

Ils forment un pourvoi devant le Conseil d'État.

Analyse

Selon l'expert judiciaire, le psychiatre de l'établissement qui avait examiné la patiente dès son arrivée avait défini des mesures adaptées à l'état de l'adolescente en la faisant placer, après administration d'un tranquillisant, dans une chambre d'isolement ouverte, donnant sur le couloir du service, avec mise en place d'une contention physique.

Dès lors, aucun manquement aux règles de l'art n'avait été commis dans la prise en charge de la patiente lors de son admission au service des urgences. Eu égard aux obligations incombant à un service d'urgence et dans les circonstances de l'espèce, il ne pouvait être reproché au personnel soignant de ne pas avoir préalablement déshabillé et fouillé l'adolescente, qui portait un tee-shirt, un short et des sandales.

Commentaire

La cour d'appel a tenu compte des moyens dont disposait le service, qui n'était pas spécialisé en psychiatrie, et de l'état de la patiente lors de son admission, bien pris en compte par le psychiatre. La circonstance que la patiente avait pu conserver un briquet, qui se trouvait dans la poche de son short, ne suffisait pas à établir un manquement fautif dans la prise en charge. Un arrêt de cour est nécessairement un résumé, et la solution retenue suppose que l'examen pratiqué par le psychiatre était étayé et incluant une forme de coopération. Il reste pour le moins problématique, même dans un service non spécialisé, de placer un patient sous contention physique sans s'être assuré qu'il ne disposait pas d'engin dangereux sur lui, mais la fouille n'est jamais un acte banal, et il y a eu un processus volontaire de la patiente. La situation aurait été différente si elle s'était blessée du fait de la contention. En définitive, le message est que l'agitation de la patiente ne signifie pas son irresponsabilité.

Conseil d'État, 18 mars 2019, no 418985.

Faute dans l'examen de signes de souffrance cardiaque, mais doute sur la causalité

L'examen trop rapide d'un patient se présentant pour des douleurs à la poitrine constitue en soi une faute, qui engage la responsabilité pour perte de chance dans la mesure où un examen complet aurait vraisemblablement permis de mettre en œuvre un traitement efficace.

Faits

Un homme, cadre commercial âgé de 52 ans, a présenté le 24 octobre 2007, au cours d'une réunion de travail, un malaise avec douleurs à la poitrine. Il a été transporté aux urgences d'un centre hospitalier, où il est resté quelques heures. Ont été pratiqué des examens, dont un électrocardiogramme qui s'est avéré normal. Il a quitté le service avec un diagnostic de crise d'angoisse et il est retourné au travail. En fin de journée, il a repris la route pour regagner son domicile, distant de plus de sept cents kilomètres. Il est décédé le lendemain sur une aire d'autoroute où il s'était arrêté pour se reposer.

Vu les circonstances du décès a été ordonnée une autopsie, concluant que le patient est décédé de mort naturelle d'origine cardio-vasculaire par trouble du rythme avec thrombose ventriculaire, induite par la myocardite à lymphocytes survenant sur un cœur déjà fragilisé par une nécrose myocardique.

En droit

Lorsqu'une pathologie prise en charge dans des conditions fautives a entraîné une détérioration de l'état du patient ou son décès, c'est seulement lorsqu'il peut être affirmé de manière certaine qu'une prise en charge adéquate n'aurait pas permis d'éviter ces conséquences que l'existence d'une perte de chance ouvrant droit à réparation peut être écartée.

Analyse

L'équipe médicale n'a pas fait le nécessaire pour s'assurer que la douleur ressentie à la poitrine n'était pas d'origine cardiaque, par des examens complémentaires, voire un avis spécialisé, alors que deux éléments pouvaient permettre d'éliminer cette hypothèse : la reproduction de la douleur par une pression locale de la paroi thoracique et la réalisation d'un cycle de troponine, enzyme spécifique du myocarde. Ainsi, la prise en charge n'a pas été conforme aux règles de l'art, ce qui établit une faute.

Selon l'expert, le décès peut être en rapport avec une pathologie coronaire, ou avoir été causé par un trouble du rythme survenant dans le cadre très possible d'une dysplasie arythmogène du ventricule droit, favorisée en outre par une hypokaliémie, mais l'expert ne peut déterminer la cause certaine du décès.

S'agissant de la causalité, il y a deux hypothèses. Si la mort est en rapport avec une pathologie coronaire, la perte de chance est majeure (80 %), mais si elle a été causée par un trouble du rythme survenant dans le cadre très possible d'une dysplasie arythmogène du ventricule droit, le mécanisme est étranger à ce qui s'est passé le matin à l'hôpital. Aussi, il n'est pas établi de manière certaine qu'une prise en charge conforme aux règles de l'art n'aurait pas permis d'éviter le décès.

Au total, c'est une hypothèse de perte de chance : en s'abstenant de pratiquer des examens plus approfondis, l'équipe a fait perdre une chance au patient d'échapper à son décès qui a été évaluée à 50 %.

Commentaire

Il n'y a de responsabilité que si une faute est prouvée, et c'est le cas en l'occurrence avec cet examen, qui s'est limité à des actes nécessaires mais insuffisants et faussement rassurants. Mais il faut encore que la faute ait un lien de causalité avec le dommage, et le rapport d'expertise distingue deux hypothèses : l'une liée à l'évolution des signes non pris en compte dans l'après-midi, et l'autre résultant d'une évolution autonome. Il y a eu privation d'actes, qui aurait permis peut-être d'éviter le drame, et dans ces circonstances les juridictions reconnaissent la perte de chance.

Cour administrative d'appel de Versailles, 5 février 2019, no 16VE01022.

Annonce tardive de décès et manque d'empathie

L'annonce tardive faite à la famille du décès d'un patient et le manque d'empathie constituent des fautes qui causent un dommage spécifique, et engagent la responsabilité.

Faits

Un homme, âgé de 83 ans, a été admis au service des urgences d'un centre hospitalier le 14 novembre 2009 à 23 h 30 pour des difficultés respiratoires. Son décès a été constaté par une infirmière le lendemain, à 7 h 45.

Une procédure d'expertise a conclu à un décès soudain, et a permis d'écarter d'éventuelles défaillances du centre hospitalier dans la prise en charge du patient.

Cela étant, la famille déplorant les conditions dans lesquelles le décès leur a été annoncé, a engagé un recours en responsabilité sur cette question spécifique.

Par un jugement du 22 décembre 2014, le tribunal administratif a rejeté leur demande. Ce jugement a été confirmé par un arrêt du 9 novembre 2017 de la cour administrative d'appel de Marseille. La famille a formé un pourvoi devant le Conseil d'État.

Analyse

Le décès du patient, survenu dans la nuit du 14 au 15 novembre 2009, n'a été annoncé à sa famille que le 15 novembre 2009 en début d'après-midi, alors que son fils s'était rendu sur place pour lui rendre visite, et ce par une infirmière, qui l'a également informé que le corps de son père avait déjà été transporté à la morgue.

Cette annonce tardive du décès du patient à sa famille doit être qualifiée de fautive ; du fait du manque d'empathie de l'établissement et du caractère tardif de cette annonce, cette faute a causé une souffrance morale distincte de celle du deuil.

Commentaire

La solution dégagée par cet arrêt est simple et relève même de l'évidence : le fait de ne pas annoncer un décès à la famille, puis de donner l'information à la va-vite, en informant que le corps est déjà à la morgue, constitue évidemment une faute, qui cause un dommage particulier aux proches déjà éprouvés par le deuil. Mais c'est un manquement à l'humanisme fondamental, qui doit être la marque de fabrique du travail des professionnels de santé. Au final, le droit a été dit, mais il aura fallu que cette famille aille jusqu'au Conseil d'État... ce qui montre une difficulté objective des tribunaux à percevoir la dimension profonde des droits des patients.

Conseil d'État, 12 mars 2019, no 417038.

(1) Pour chaque affaire est indiqué le numéro de rôle (ex. : no 18PA03626 pour la première affaire), ce qui permet de retrouver le texte complet de la décision sur légifrance.gouv.fr.

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