Entretien avec Nicolas Cadène, rapporteur général de l'Observatoire de la laïcité : « Les difficultés naissent souvent d'une mauvaise compréhension de la laïcité » - Objectif Soins & Management n° 269 du 01/06/2019 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 269 du 01/06/2019

 

QUALITÉ & GESTION DES RISQUES

Dossier

Nicolas Cadène  

L'Observatoire de la laïcité est une commission gouvernementale qui veille sur la bonne application de la laïcité en France. Selon son rapporteur général, si les réelles difficultés au sein de l'hôpital public sont relativement rares, même si elles sont très médiatisées, elles sont généralement le fruit d'une mauvaise compréhension des principes par les usagers ou les personnels.

Selon un sondage réalisé par Viavoice pour l'Observatoire de la laïcité en janvier, 58 % des personnes interrogées estiment que la laïcité telle qu'elle est définie par le droit est bien appliquée à l'hôpital public. Ce résultat vous a-t-il surpris ?

L'hôpital public arrive même en tête des institutions appliquant le mieux la laïcité : 15 % des personnes interrogées dans ce sondage disent qu'elle y est appliquée « parfaitement » et 43 % « correctement ». En réalité, cette réponse ne me surprend pas car je crois que l'hôpital public est vraiment un des lieux où le service public a le plus de sens. En effet, c'est un endroit où doivent être prises en considération l'intimité des personnes ainsi que leurs convictions profondes. Dans la mesure où des patients y sont soignés pendant plusieurs jours voire plusieurs semaines et qu'ils sont donc contraints d'y séjourner, il faut pouvoir répondre à leurs besoins, y compris spirituels. Les personnels hospitaliers ont une compréhension réelle de ces problématiques.

La laïcité telle qu'elle est définie dans la loi ne s'applique-t-elle qu'à l'hôpital public ?

Les hôpitaux publics doivent respecter le cadre de la « charte de la laïcité dans les services publics ». Dans les autres établissements, tout dépend si vous êtes dans le cadre d'une mission de service public ou non. Dans le premier cas, les principes de la laïcité s'appliquent. Dans le second, une plus grande liberté est donnée aux personnels, qui pourront éventuellement afficher leurs convictions religieuses. De même, les établissements privés eux-mêmes, les cliniques confessionnelles notamment, peuvent aussi afficher des convictions. On note aussi qu'à l'heure actuelle, les Ehpad n'exercent pas une mission de service public. Ainsi, ils ne sont pas tenus aux mêmes règles de laïcité que les hôpitaux publics, certains d'entre eux ont d'ailleurs un caractère confessionnel. En règle générale, nous avons remarqué que les faits religieux posent finalement peu de questions dans les établissements privés.

La « Charte de la laïcité dans les services publics » que vous évoquez est-elle un texte contraignant ?

Elle n'a pas de valeur opposable en elle-même mais les principes qu'elle résume sont évidemment contraignants puisqu'ils sont issus de la loi. Cette charte est un texte assez ancien, qui commence à être connu, et il est d'ailleurs censé être affiché dans tous les services publics, dont l'hôpital. Il faut noter que s'il peut y avoir des divergences dans le débat intellectuel et philosophique sur le concept de laïcité, il n'y a qu'une seule conception qui s'applique en droit et qui ne peut pas être contestée. Mais bien souvent les difficultés viennent du fait que la laïcité peut se trouver être l'objet de polémiques et d'instrumentations qui aboutissent à des grandes confusions. Le plus souvent, quand la laïcité est mal appliquée quelque part, il n'y a pas forcément de mauvaise intention au départ, mais plutôt des incompréhensions.

Les crispations autour des questions de la laïcité à l'hôpital sont généralement très médiatisées. Sont-elles, pour autant, fréquentes et/ou en recrudescence selon vos observations ?

Nous constatons que c'est très inégal selon les établissements et les zones géographiques. Mais il n'y a cependant qu'un nombre très limité de cas problématiques même si ceux-ci font généralement beaucoup de bruit quand ils se produisent quelque part. De leurs côtés, les fédérations hospitalières avaient aussi réalisé des enquêtes sur ce sujet. Il en ressort qu'il y a environ un tiers des personnels qui disent avoir déjà été confronté à une situation posant question par rapport à la laïcité. Mais dans un cas sur dix seulement la question est devenue conflictuelle et ce conflit s'est lui-même résolu neuf fois sur dix par le dialogue. On voit donc que les cas réellement problématiques sont très rares. Cela ne veut pas dire qu'il ne faille pas se former à ces situations. Au contraire ! Car quand elles se produisent, elles peuvent générer des fortes tensions qui pourraient être largement évitables.

L'Observatoire a publié un guide intitulé « Laïcité et gestion du fait religieux dans les établissements publics de santé », avec de multiples exemples concrets. Il rappelle notamment le devoir de neutralité des agents du service public. Comment cela s'exprime-t-il par exemple ?

Nous citons le cas d'une chirurgienne d'un CHU souhaitant porter un foulard lorsqu'elle procède aux visites postopératoires de ses patients. Or il s'agirait d'une atteinte à la neutralité des agents publics. En effet, chaque soignant, médecin ou infirmier d'un hôpital public ne représente pas que son individualité mais une entité plus grande, qui est l'administration publique. La raison est que cette neutralité est la garantie de l'impartialité de l'institution et de l'égalité de traitement des usagers. La neutralité s'exprime certes au travers des vêtements ou des signes portés par l'agent mais davantage encore par ses propos. Ainsi des propos prosélytes tenus par un agent hospitalier seront sanctionnés beaucoup plus lourdement que le simple port d'un signe religieux.

Les sanctions sont-elles fréquentes à l'hôpital public ?

On n'est bien sûr jamais obligé d'arriver directement à la sanction, d'autant que dans la plupart des cas, les situations peuvent se résoudre par le dialogue et les explications sur les principes de la laïcité. Il y a, par exemple, une confusion fréquente sur la compréhension des signes religieux discrets. Cette mauvaise interprétation vient de la loi de 2004 sur la laïcité à l'école qui avait été très médiatisée. Au sein de l'institution scolaire, les élèves ont effectivement le droit de porter des signes de leur religion à condition de ne pas la manifester ostensiblement. Mais cela n'a rien à voir avec les fonctionnaires, qui eux sont tenus à une neutralité stricte. Les cadres de santé sont d'ailleurs régulièrement amenés à expliquer cette différence aux élèves infirmiers. Lorsque ceux-ci sont sur leur terrain de stage dans des établissements publics, ils doivent déjà respecter cette obligation de neutralité.

S'agissant des patients, des questions de laïcité peuvent parfois se poser au sujet de l'alimentation. Que dit la loi sur ce sujet ?

À vrai dire, il n'y a pas tant de difficultés qui se posent sur le sujet des repas des personnes hospitalisées. Normalement, l'hôpital doit offrir un minimum de choix dans l'alimentation des patients, au-delà d'ailleurs des questions de convictions religieuses. Si un patient souhaite un menu confessionnel, il n'est pas interdit de le lui fournir dans les limites des contraintes pratiques.

Dans quelles limites les patients peuvent-ils pratiquer leur religion pendant leur séjour à l'hôpital ?

Si une chambre d'hôpital est partagée par deux personnes et que la pratique de l'une gêne l'autre, cette pratique ne sera pas possible. En revanche, il est toujours possible d'avoir une pratique cultuelle dans un lieu dédié de l'établissement. En outre, le patient qui en fait la demande doit aussi pouvoir être accompagné par un aumônier. Cette possibilité doit d'ailleurs lui être signalée à son arrivée car, à l'inverse, l'aumônier n'a lui pas le droit d'aller toquer aux chambres des malades car cela relèverait du prosélytisme.

Outre le guide de la laïcité, quelles sont les autres ressources proposées par l'Observatoire de la laïcité ?

Nous avons produit un MOOC qui est disponible gratuitement sur notre site. Il ne concerne pas que l'hôpital public, mais porte sur la fonction publique en général. Il dure une douzaine d'heures et permet de comprendre les grands principes de la laïcité et la posture générale à adopter quelle que soit l'administration pour laquelle on travaille.

Quelles sont les autres formations présentielles existantes ?

Il existe des formations sur un, deux ou trois jours dans le cadre d'un plan que nous avons conçu et qui sont déclinées sur les territoires par le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) et le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Selon les durées, ce sont des formations pour les agents, pour les formateurs et pour les formateurs de formateurs. Globalement, ces formations sont plutôt bien suivies dans les diverses fonctions publiques. Elles le sont cependant un peu moins dans le domaine sportif et dans le domaine de la santé. Les formations sur la laïcité proposées par le ministère de la Santé sont également trop peu suivies. Enfin, nous avons également mis en place des diplômes universitaires (DU) dans 21 universités partout en France. Ces formations permettent d'acquérir une très bonne connaissance à la fois du droit de la laïcité et de l'évolution intellectuelle et philosophique du concept. La plupart traitent également des faits religieux dans leur diversité. Cette formation a également été rendue obligatoire pour les futurs aumôniers de toutes les religions ainsi que pour les ministres du culte étrangers.

Qu'est-ce que l'Observatoire de la laïcité ?

Il s'agit d'une commission gouvernementale qui avait été créée par le président de la République Jacques Chirac en 2007, mais qui n'a été officiellement installée qu'en 2013 par son successeur, François Hollande. L'Observatoire de la laïcité est actuellement présidé par Jean-Louis Bianco, ancien ministre et ancien député socialiste. Il est composé de vingt personnalités dont deux parlementaires. L'une d'elles est la députée LREM du Maine-et-Loire, Nicole Dubré-Chirat, retraitée de la fonction publique hospitalière, qui a été cadre de santé au CHU d'Angers et qui a présidé le conseil interdépartemental de l'Ordre des infirmiers du Maine-et-Loire, de Mayenne et de la Sarthe. À noter que la directrice générale de l'offre de soins (DGOS), Cécile Courrèges, est également membre de droit de l'Observatoire. « Au sein de l'Observatoire, nous avons des membres très divers qui viennent de tous les horizons et nous permettent de mutualiser les connaissances sur des secteurs différents, explique Nicolas Cadène, le rapporteur général. Nicole Dubré-Chirat fait partie de ceux qui nous apportent un éclairage supplémentaire sur le secteur hospitalier grâce à sa connaissance de la réalité du terrain et de cas concrets. » La principale mission de l'Observatoire est en effet de « rendre compte de tout ce qui concerne la laïcité et d'en rendre compte au président de la République et au Premier ministre dans un rapport annuel », explique Nicolas Cadène. L'Observatoire doit ainsi « réunir les données, produire et faire produire les analyses, études et recherches permettant d'éclairer les pouvoirs publics sur la laïcité ». Il traite également de la « gestion du fait religieux » dans le secteur privé. Il travaille en menant de nombreux déplacements sur le terrain dans toute la France et en auditionnant régulièrement des acteurs. « Nous avons également un rôle de rappel du droit dans le but d'éviter au maximum les contentieux, ajoute Nicolas Cadène. Nous sommes une sorte de service public de la laïcité et nous sommes d'ailleurs quotidiennement sollicités par des élus, des responsables administratifs, des collectivités locales ou des associations qui ont besoin de se faire préciser quelle est la bonne application de la laïcité dans telle ou telle situation. Nous répondons à ces sollicitations dans un délai maximal de 48 heures. » Enfin, l'Observatoire organise également des interventions sur la laïcité auprès de publics variés : établissements scolaires, administrations décentralisées, organisations associatives ou sportives.

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