Recherche & Formation
Dossier
Mélanie Brousseau* Bérangère Chartier** Pierre Chartier*** Lise Latour**** Julie Lescot***** Louise Leprince****** Mathilda Philippe*******
Dès l'entrée en seconde, les jeunes sont confrontés au cannabis. Leur consommation est un problème de santé publique. Une enquête a été menée au sein d'un lycée afin de prendre connaissance de la consommation des lycéens. Celle-ci a permis de mettre en lumière le déni de la dépendance et d'envisager une action de prévention adaptée à ce dernier.
Étudiants infirmiers en deuxième année à l'institut de formation en soins infirmiers de la Croix-Rouge du Mans, et dans le cadre de l'unité d'enseignement « Santé publique et économie de la santé », nous avons mené une enquête sur la consommation de cannabis auprès d'élèves de seconde, en partenariat avec une infirmière scolaire. Elle nous a amenés à travailler sur ce sujet car le cannabis semble très présent dans le lycée où elle exerce. Il s'agit d'un lycée urbain qui délivre un enseignement général avec des options à dominance artistique. La population est majoritairement féminine. L'infirmière scolaire constate une recrudescence de la consommation de cannabis lors de l'entrée des élèves en seconde. De surcroît, elle est de plus en plus confrontée aux « bad trips » et à la dépendance des jeunes et exprime se sentir impuissante face à cette situation.
Au regard de ces informations, notre enquête a ciblé la consommation de cannabis chez les jeunes. Cette dernière prouve que la consommation des lycéens interrogés est nettement supérieure aux moyennes nationales et que ces derniers semblent ne pas faire de lien entre consommation quotidienne et dépendance.
Dans un premier temps, nous avons fait des recherches sur le cannabis, les jeunes, le comportement addictif, l'actualité, les représentations du cannabis, et sur le lycée concerné par l'enquête. Ces informations nous ont permis de construire un questionnaire pertinent pour aller questionner les élèves de seconde.
Dans un deuxième temps, l'enquête a été menée via des questionnaires (1) ciblés sur la fréquence de consommation, les lieux de consommation et le ressenti des lycéens quant à leur consommation de cannabis et leurs sentiments face à la dépendance. Pour réaliser le questionnaire, nous nous sommes réunis en promotion entière et avons échangé nos idées et nos attentes sous forme de « brainstorming » (2). Ensuite, la promotion a été divisée en groupe, dont un était chargé de créer le questionnaire. Les membres du groupe ont trié les idées, ressorti les plus pertinentes et ciblé le type de questions voulu. Il a été décidé de proposer une majorité de questions fermées à choix multiples pour permettre un recueil plus simple des données. Une fois terminé, le questionnaire a été relu par l'ensemble de la promotion et nous l'avons fait remplir à une promotion de première année de notre IFSI. Au décours du test, nous avons pu remarquer que certaines questions n'étaient pas comprises et/ou mal formulées. Nous les avons réajustées pour construire le questionnaire final, que nous avons présenté aux élèves de seconde au cours d'une séance de vie de classe d'une heure.
Par binôme, nous sommes allés rencontrer les douze classes de seconde du lycée. Nous nous sommes présentés ainsi que notre formation et le but de notre venue. Nous avons fait remplir les questionnaires et proposé un « brainstorming » aux élèves. Cette méthode pédagogique a permis de faire ressortir des mots clés et d'échanger avec les élèves autour du cannabis. Nous avons été agréablement surpris par la pertinence des échanges et ces rencontres ont été enrichissantes.
Dans un troisième temps, nous avons récupéré les questionnaires renseignés et avons travaillé sous forme de codage informatique. Le codage nous a permis de réaliser une analyse sur la consommation de cannabis des élèves de seconde d'un lycée en particulier.
Tout au long de sa réalisation, ce travail a été lu et validé par l'infirmière scolaire et le proviseur du lycée ainsi que nos formateurs référents.
Avant cette enquête, nous craignions que les lycéens ne soient pas sincères face au questionnaire. En effet nous ne les connaissions pas et nous avions peur qu'ils minimisent leur consommation pour ne pas être mis en faute. Nous avons insisté sur le caractère anonyme des questionnaires et sur notre simple volonté de connaître leurs modes de consommation du cannabis.
Sur 373 élèves, 126 expriment avoir eu une expérience avec le cannabis et 94 disent en fumer. Nous nous sommes demandé si ces résultats coïncidaient avec les enquêtes nationales.
Pour situer les répondants dans un contexte plus large, nous avons recherché les plans de santé publique et les chiffres sur le cannabis afin de pouvoir les comparer avec les nôtres.
En 2016, en France, « 48 % des jeunes de 17 ans ont expérimenté le cannabis et 9 % sont des fumeurs réguliers » (3).
Lors de notre enquête, les élèves sondés étaient 86 % à avoir 16 ans, soit un an de moins que les enquêtes de l'OFDT ; 33 % déclarent avoir expérimenté le cannabis et 20 % se disent fumeurs réguliers (fumant au moins deux fois par semaine). Or, moins de 10 % d'entre eux se déclarent dépendants.
Le pourcentage d'expérimentations déclarées est de 15 points inférieur au pourcentage national. Cette différence peut correspondre aux élèves qui n'ont pas osé répondre positivement à la question et/ou au fait qu'ils aient une année de moins que les jeunes sondés de l'OFDT.
Le pourcentage de fumeurs réguliers au lycée est nettement supérieur à la moyenne nationale (+ 11 points). Le pourcentage d'élèves de seconde se déclarant dépendants est supérieur de 5 points au pourcentage national. Cette comparaison nous a permis d'envisager que les jeunes rencontrés avaient été honnêtes lors du remplissage des questionnaires.
Le positionnement des lycéens face à la dépendance suscite des interrogations. En recoupant certaines questions, concernant la consommation actuelle des jeunes fumeurs, leur dépendance et leur besoin de cannabis, nous repérons des incohérences. Le graphique suivant reprend et organise les réponses à ces trois questions.
Sur 94 fumeurs actuels, 18 déclarent avoir besoin de fumer du cannabis. Parmi les 18 qui en ont besoin, seulement 6 se disent dépendants, 6 se disent non dépendants et 6 n'ont pas répondu à la question concernant la dépendance. De plus, 20 lycéens fument plusieurs fois par semaine mais ne se déclarent pas dépendants. 14 affirment fumer quotidiennement sans se considérer dépendants. Sur les 94 fumeurs de cannabis déclarés, 13 % d'entre eux se considèrent dépendants. Ces derniers fument pour la majorité plusieurs fois par jour.
Face aux chiffres récoltés nous émettons plusieurs hypothèses : Est-ce que les lycéens ont des connaissances sur la signification de la dépendance ? Est-ce qu'ils font un lien entre le besoin de fumer du cannabis et être dépendant ? Est-il difficile pour un jeune d'assumer sa dépendance au cannabis ? Sont-ils dans le déni de leur dépendance ?
Les résultats de nos différentes actions ciblées sur les consommations de cannabis et le positionnement des lycéens face à la dépendance nous ont permis d'orienter nos futures actions de prévention. En effet, au cours du semestre 4 nous mènerons une action de prévention au sein du lycée. Les objectifs généraux seront de faire prendre conscience aux lycéens de leur consommation, d'apporter des connaissances sur les effets du cannabis et de prévenir la consommation. Au regard de leur positionnement, proposer un test pour mesurer leur dépendance nous semble pertinent et adapté.
(1) 373 questionnaires ont été remplis par les élèves, en notre présence, au cours d'une heure de vie de classe.
(2) Remue-méninges.
(3) François Beck, « Drogues, chiffres clés », OFDT, juin 2017 (consulter sur : https://bit.ly/2IEVSCK).