Le parcours de professionnalisation des étudiants en soins infirmiers au CHU de Toulouse : un enjeu d'attractivité, de sécurisation de la prise de poste et de fidélisation - Objectif Soins & Management n° 272 du 01/12/2019 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 272 du 01/12/2019

 

Ressources humaines

Dossier

Chantal Laurens*   Blandine Toitot**   Alain Barnier***  

Les évolutions sociétales et des modes de prises en soins dans un contexte économique contraint semblent favoriser la mobilité des nouveaux professionnels. Ces derniers rencontrent pour certains des difficultés au moment de leur prise de poste, ce qui a amené la direction des soins et la direction des ressources humaines du CHU de Toulouse ainsi que la direction de l'institut de formation en soins infirmiers (IFSI) du pôle régional d'enseignement aux métiers de la santé de Toulouse (PREFMS) à penser un parcours de professionnalisation aux urgences et dans les soins critiques. Nous en mesurons déjà la plus-value.

Chaque année, les deux instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) de Toulouse (CHU-PREFMS et Croix-Rouge française) mettent sur le marché du travail plus de quatre cents professionnels. Le centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse est pourvoyeur d'un grand nombre de places de stages, dans différentes spécialités, divers types d'activités et modes de prise en charge des personnes soignées. Le CHU donne notamment accès à des spécialités qu'il est seul à proposer et/ou qui sont très techniques comme la transplantation multi-organes, les grands brûlés, la réanimation de néonatologie, la réanimation polyvalente, le service d'accueil des urgences vitales et déchocage, la greffe en oncologie-hématologie secteur hautement protégé, etc. Le contexte et le constat partagé des directions des ressources humaines (DRH), direction des soins (DDS) et direction de l'IFSI a engagé cette dernière à repenser la philosophie de son projet pédagogique ; les acteurs de la formation et du terrain se sentaient obligés d'admettre que le postulat selon lequel tous les étudiants infirmiers peuvent exercer sur toutes les typologies d'activités et/ou spécialités était une aberration, « une déviation du jugement par rapport au bon sens » (1), de même l'idée que seuls les étudiants de semestres 5 et 6 peuvent effectuer un stage en soins critiques. Selon nous, immerger précocement les étudiants en MCO et soins critiques est nécessaire à leur apprentissage et à l'élaboration de leur projet professionnel.

La formation est généraliste, pour autant les étudiants ont une appétence voire un profil pour exercer dans tel ou tel type d'activité et/ou spécialité. Le sentiment d'insécurité perçu par les nouveaux diplômés lors de la prise de poste a questionné l'encadrement, qu'il soit formateur ou de terrain. L'étudiant élabore un projet professionnel au décours de sa formation et de son parcours qu'il convient d'accompagner en contexte pour améliorer l'intégration de l'étudiant dans sa profession, le sécuriser. Selon Roche, « la professionnalisation est un acte volontaire de recherche d'adéquation entre les exigences de l'environnement et les ressources naturelles ou acquises des individus pour évoluer dans ce type d'environnement » (1999, p. 35) (2). Ces éléments sont à intégrer au contexte environnemental, aux contraintes imposées aux établissements de santé et de formation, aux évolutions d'une société devenue non compliante et mobile, « sans attaches » dans leur emploi. De fait les recrutements sont de plus en plus difficiles à réaliser et/ou à fidéliser ; les nouveaux diplômés privilégient leur vie personnelle et font préférentiellement le choix d'une activité séquencée au travers de missions d'intérim, ce qui leur laisse une marge de liberté. Cette problématique à laquelle l'employeur CHU est confronté amène à une réflexion que nous pouvons qualifier de collégiale (direction des soins du CHU, direction IFSI, direction des ressources humaines, encadrement des pôles) et à l'élaboration du projet de parcours de professionnalisation que nous partageons ici.

Genèse du projet

Le projet fait suite à une demande conjointe de la DRH et de la DDS du CHU de Toulouse auprès de la direction de l'IFSI du PREFMS dès janvier 2017, ciblant initialement le pôle de médecine d'urgence. Il est issu d'un constat partagé, l'émergence de difficultés pour le novice lors de sa prise de poste et sa posture de professionnel nouvellement diplômé. L'idée est alors de mettre en place un parcours de professionnalisation des étudiants en soins infirmiers dès la deuxième année de formation et sous certaines conditions, que nous décrirons ensuite. La collaboration étroite entre les directions permet d'initier ce projet sur le pôle de médecine d'urgence dès le premier trimestre 2017, très vite rejoint par les pôles des blocs opératoires et anesthésie-réanimation. La direction de l'IFSI de la Croix-Rouge française de Toulouse en tant qu'institut partenaire est alors associée à ce projet, qui s'étend à certaines unités du secteur privé de même typologie qu'au CHU.

Les éléments du contexte

Le constat partagé met en évidence les éléments suivants :

• des difficultés à la prise de poste pour les nouveaux diplômés au regard des temps de doublure réduits du fait du contexte général contraint ;

• un défaut de fidélisation de certains secteurs comme les soins critiques et/ou d'urgences pour les nouveaux diplômés ; il semble que ce soit en lien avec une méconnaissance des différents secteurs, du peu de temps de stage effectué en amont dans la formation (projet professionnel somme toute peu abouti) mais également à une confrontation du novice aux responsabilités et compétences attendues du nouveau diplômé ;

• un « turn-over » des infirmier(ère)s dans certains secteurs de soins critiques et/ou d'urgences ; les nouveaux diplômés prenant leur poste dans ces secteurs n'y exercent que très peu de temps, moins d'un an voire six mois tout juste. Les professionnels confirmés, quant à eux, s'épuisent à doubler leurs pairs et former des professionnels de « passage » ; ils s'inscrivent également dans une mobilité à l'origine d'une fuite des compétences ;

• une difficulté à fidéliser sur des secteurs attractifs (pour exemple, la réanimation), à recruter (pour exemple, les blocs opératoires) dans un contexte où se développe l'ambulatoire, où la durée moyenne de séjour diminue, où se met en place la réhabilitation améliorée après chirurgie (RAAC) et où les organisations soignantes et établissements de santé s'adaptent à la demande des usagers.

Du point de vue du pôle clinique

Le contexte institutionnel, contraint financièrement, oblige à une évolution des organisations du travail, une nouvelle répartition et une adaptation des ressources humaines qui contraignent fortement le tutorat et/ou l'accompagnement des nouveaux diplômés lors de leur prise de poste ; de fait, ces derniers sont dans une insécurité telle qu'ils mettent fin à leur activité. Quant aux professionnels confirmés, ils sont atteints dans leur qualité de vie au travail (épuisement physique et psychique, insécurité dans les soins, démotivation, désengagement et mobilité). Ce mouvement des professionnels devenant incessant majore les difficultés au sein des secteurs de soins et notamment la perte des compétences détenues par les professionnels confirmés voire experts. Ce qui n'est pas sans accroître les difficultés dans la gestion des ressources humaines pour l'encadrement de ces secteurs et pôles en termes quantitatifs mais aussi qualitatifs, pour garantir la présence des compétences au quotidien, a fortiori dans des secteurs critiques tels que les réanimations, les soins intensifs, les soins continus, les blocs opératoires, les urgences (accueil des urgences vitales, déchocage).

Du point de vue de l'IFSI

L'IFSI a modifié son postulat ou sa philosophie, acceptant désormais l'idée que certains étudiants ne peuvent pas exercer dans toutes les typologies de services comme il était usuel de penser. Il n'est que de regarder les stratégies des directions de soins pour comprendre que le recrutement s'opère sur la base des parcours professionnels, de l'expérience et des compétences acquises et non pas sur la simple détention du diplôme d'État infirmier. Le projet professionnel devient donc un élément pris en considération par l'équipe pédagogique et qui conditionne le parcours de l'étudiant, tout en respectant les exigences du référentiel de formation et sans être discriminant entre les étudiants. Il convient de rappeler que ce projet répond au référentiel de formation qui prévoit « une coloration singulière de l'étudiant par le stage préprofessionnel d'une durée de 15 semaines » (3).

Le principe est que l'étudiant qui a un projet professionnel défini se fait connaître auprès des formateurs et de la coordinatrice de deuxième année. En prérequis, l'étudiant doit avoir effectué au moins un stage en MCO, validé les UE 2.11 et notamment : calcul de dose, raisonnement clinique, processus traumatiques. Si le projet est validé, si les UE le sont aussi, l'étudiant est positionné en stage dans le secteur correspondant à son projet dès le semestre 3. Le maître de stage et le tuteur, partenaires dans ce projet, vont identifier le potentiel de l'étudiant et l'adéquation de celui-ci au projet professionnel, définir si l'étudiant correspond au profil attendu et repérer en lui un candidat possible pour un recrutement.

Si l'étudiant est identifié comme tel, s'il persiste dans son projet et le confirme, si les UE de l'année sont validées, l'étudiant est positionné en stage préprofessionnel du semestre 6 dans le service où il est pressenti pour un recrutement. Selon Bonnet et al. (2013), la réingénierie de la formation infirmière répond à des évolutions sociétales et questionne la place de l'étudiant. S'il a été longtemps « possible acteur de sa formation, il est aujourd'hui invité (et le revendique) à être l'auteur de ses apprentissages, en développant sa capacité à construire ses connaissances et à les mobiliser de manière pertinente et adaptée en situation de formation puis par la suite en situation de travail » (p. 4) (4). Ces auteurs précisent que les managers dans les pôles cliniques attendent des nouveaux professionnels « qu'ils puissent répondre intégralement à leur fiche de poste et développent une professionnalité différente, requise aujourd'hui dans le contexte des mutations (...) au plan sociétal et au regard des évolutions du système de santé français » (p. 4) (5). Le parcours de professionnalisation personnalisé à partir de la deuxième année semble pouvoir faciliter cette capacité de l'étudiant à construire ses savoirs et les mobiliser en situation ; il paraît également pertinent pour permettre à l'étudiant d'effectuer le transfert de ses acquisitions en situation de travail, lequel serait en lien avec son projet professionnel. Faire converger les besoins, les attentes et les objectifs dans une collaboration étroite apparaît fondamental dans cette professionnalisation, a fortiori dans un contexte de groupement hospitalier de territoire (GHT), groupement de coopération sanitaire (GCS) et d'universitarisation des formations de santé.

Une conduite de projet participative : clé de la réussite

Les clés de la réussite des projets tiennent à la dynamique collaborative instaurée. Rendre acteurs les professionnels impliqués favorise une mise en œuvre réussie du projet.

Une contractualisation s'est faite entre l'IFSI, la DDS et le pôle d'expérimentation du projet.

Celui-ci a été mené en collaboration étroite entre l'IFSI et les pôles cliniques ciblés afin de déterminer les éléments de validation du projet et les modalités de son application sur les deux années ; les prérequis incontournables pour les étudiants (pour exemple, en ce qui concerne les soins critiques : pharmacologie, calcul de dose, physiologie, hygiène...) : les attendus des partenaires, les indicateurs de suivi et d'évaluation.

Au-delà de ces critères et indicateurs, les professionnels de terrain ont été associés étroitement à la préparation du stage spécifique, laquelle s'est ajoutée à la préparation de stage standard pour ces étudiants.

Les professionnels sont également associés à l'objectivation de la plus-value de ce dispositif auprès de chaque partenaire (pôle, étudiant, DDS et DRH) en termes de recrutement, conditions de prises de poste, fidélisation et compétences professionnelles.

L'objectif est d'étendre ce dispositif à l'ensemble des pôles volontaires, ce qui permettrait de modéliser le dispositif et de l'inscrire dans une démarche qualité, d'amélioration, afin de répondre aux évolutions de la formation, du contexte institutionnel (public ou privé pour les soins critiques) et aux attendus de chacun des partenaires dans ce dispositif d'accompagnement.

La plus-value de ce parcours de professionnalisation

Ce parcours de professionnalisation pour les étudiants des semestres 3-4 et 5-6 prenant assise sur leur projet professionnel est un élément déterminant dans le dispositif de formation des futurs professionnels et dans la construction de leur identité professionnelle. Selon Lac (2010), la professionnalisation est appréhendée « comme un ensemble de processus en interaction conduisant à la construction et à l'évolution d'une identité professionnelle attestant de compétences spécifiques » (6). Le passage du statut d'étudiant à celui d'infirmier est complexe pour les nouveaux diplômés, qui prennent conscience brutalement des responsabilités qui leur incombent. Il n'est plus possible pour l'étudiant de répondre aux interlocuteurs : « Je vais voir l'infirmier... », puisque désormais l'infirmier c'est lui. Ce nouveau statut est pour certains d'entre eux déstabilisant, difficile à assumer dans un contexte contraint où le temps de doublure des novices est de plus en plus court face à des exigences de plus en plus nombreuses et pointues.

Le parcours de professionnalisation semble être un atout pour la triade étudiant-formateurs-maîtres de stage, projetant l'étudiant dans un statut de futur membre de l'équipe, le préparant à une future prise de fonction sécurisée favorisant la fidélisation ; c'est du moins l'hypothèse que nous formulons.

Pour Wittorski (2009), la professionnalisation est vue comme « l'accompagnement de la flexibilité du travail. Il s'agit alors de favoriser une évolution continue des compétences pour assurer une efficacité en permanence accrue du travail » (p. 782) (7). Les terrains de stage sont professionnalisants par leur offre de formation en termes de dispositifs, de savoirs, de savoir-faire (et techniques) et dans l'acquisition de la posture professionnelle attendue.

La professionnalisation, dit Wittorski, « relève, selon nous, d'une intention organisationnelle de ``mise en mouvement'' des sujets passant par la prescription, l'organisation de certaines compétences (...) la proposition de dispositifs spécifiques (travail et/ou formation) permettant de les développer » (p. 783) (8). Le parcours de professionnalisation s'inscrit dans cette vision. Il semble reposer sur la motivation et l'engagement de l'étudiant, sur le modèle attente-valeur décrit par Pintrich (2003) et Viau (2003) ; d'une part, la valeur accordée à une activité et/ou une tâche et, d'autre part, le sentiment de contrôle et d'auto-efficacité ; ces aspects « déterminent le degré d'engagement et la persévérance dans la tâche (ou activité) donnée, et ont potentiellement des effets sur la performance scolaire » (9). Permettre à l'étudiant de mettre en œuvre son projet professionnel paraît satisfaire ses attentes, la valeur attribuée à l'activité ou la tâche et favoriser sa motivation et son engagement dans le travail.

Un retour réflexif... vigilance critique de l'action

Les facteurs de réussite

Hormis la collaboration étroite DDS-IFSI qui est continue et permet de réussir les différents projets initiés, nous devons la réussite de ce projet à la conjoncture actuelle : l'existence de plusieurs projets imbriqués sur la thématique des stages ; la réorganisation du capacitaire des stages en soins infirmiers au CHU de Toulouse (10) ; l'immersion précoce en MCO des étudiants en soins infirmiers, y compris les soins critiques ; le parcours de professionnalisation qui est l'objet de cet article. Par ailleurs, les établissements de santé connaissent des évolutions de structuration, d'organisation dans un contexte économique contraint qui modifient les capacitaires en stages et les modalités de prise en soins (et prise en charge) des usagers de nos institutions. Parallèlement les formations de santé s'inscrivent dans une universitarisation qui amène des transformations dans la didactique et la vision que nous pouvons avoir du futur en termes de formation et d'apprentissage. Pour répondre aux besoins de santé des populations dans cet environnement, il n'est pas envisageable de surseoir à cette collaboration, d'autant qu'elle est bien ancrée dans nos pratiques ; en revanche, elle se doit d'intégrer ces nouvelles perspectives, transformations et visions.

La réussite de ce projet, mis en œuvre il y a un peu moins de deux années, démontre déjà son succès. Vingt étudiants de la promotion 2016-2019 ont formalisé leur projet soins critiques ; ils ont tous effectué un stage dans cette typologie d'activité (réanimation, soins intensifs en secteur public et privé) en deuxième année et en troisième année. Ils ont tous eu une proposition de recrutement au CHU.

Les étudiants font un retour satisfaisant de ce dispositif ainsi que les unités de soins lors de la rencontre annuelle de l'IFSI-IFAS-direction des soins (PREFMS, Croix-Rouge française et instituts toulousains partenaires) avec l'encadrement des pôles, leur projet étant accompagné par les équipes (maître de stage et tuteur) et par les formateurs.

Les points de vigilance

Nous devons cependant être vigilants dans ce contexte et ces projets. Leur objectif est bien de permettre aux étudiants de concrétiser leur projet professionnel et non d'en faire des spécialistes en réanimation, en digestif, en médecine d'urgence ou toute autre spécialité. Nous avons dû interrompre momentanément l'expérience sur le pôle de médecine d'urgence au regard du turn-over des professionnels et des cadres de santé ; celui-ci ne permettait pas la mise en œuvre et le suivi du parcours des étudiants dans le cadre de ce projet singulier.

Nous sommes dans une démarche d'accompagnement dans l'acquisition de capacités et capabilités, d'habiletés, de compétences, de posture, leur permettant d'être sécurisés dans leur première prise de poste, au moment même où les responsabilités tombent sur leurs épaules et où s'effectue la prise de conscience de ce que signifie « être infirmier ». La stabilité relative de l'équipe soignante et de l'encadrement s'avère incontournable dans ce parcours de professionnalisation personnalisé. En outre, ce que va percevoir l'étudiant, l'accueil et l'accompagnement dont il va bénéficier seront des éléments majeurs dans la confirmation de son projet et sa volonté de venir exercer au CHU.

Certains cadres de santé, maîtres de stage ou formateurs sont ancrés dans des représentations et/ou préjugés, voyant dans ce dispositif une spécialisation et une discrimination masquées. Cette posture peut constituer un frein à la mise en œuvre du projet coconstruit IFSI-DDS-pôles. Une communication doit s'élaborer sur le sujet afin d'amener les cadres « réfractaires » à repenser leur point de vue et faire que le frein devienne levier. Cette proximité entre l'IFSI, la DDS et les pôles permet également de confronter les évaluations des étudiants dans un profil de poste attendu d'un professionnel diplômé alors même qu'en semestre 3-4 il leur reste une année de formation à réaliser. Selon Sommier, « l'autonomie ne constitue ni une donnée ni une substance, il s'agit d'un construit personnel progressif qui relève d'une relative indépendance acquise. Elle est construite par un être vivant selon ses propres lois et ses cohésions internes » (2017, p. 67) (11). Cette construction du futur professionnel s'inscrit dans un espace-temps, un environnement, des interactions et relations interpersonnelles et interprofessionnelles, une « appropriation personnelle qui se développe dans l'action et par rapport à son environnement » (ibid., p. 67) (12). La marge de progression doit être prise en compte dans l'évaluation du maître de stage, du tuteur et du cadre formateur.

Le parcours de professionnalisation semble faciliter la construction et l'agir professionnel de l'étudiant, lequel se place dans une posture de questionnement, de curiosité, de réflexivité et de compétence : « penser par soi-même pour s'approprier les éléments de compréhension » (ibid., p. 88) (13). Nous pouvons alors comprendre que cet accompagnement facilite et sécurise la prise de fonction du nouveau diplômé.

Un autre point de vigilance relève de la DRH. Le remplacement de l'été sur un contrat de 1 ou 2 mois, la complexité des démarches apparaissant péjoratifs et semblant participer de la fuite des nouveaux diplômés amènent la DRH à recruter ces professionnels en contrat à durée indéterminée. Un étroit partenariat s'impose entre la DRH et la DDS afin de développer l'attractivité du CHU de Toulouse pour ces professionnels et pouvoir recruter de manière exhaustive les étudiants que nous formons dans ce parcours de professionnalisation.

Conclusion

Le projet pédagogique de l'IFSI a été repensé en équipe et le parcours de stage des étudiants de deuxième et troisième année se construit au regard de leur projet professionnel ; le parcours de professionnalisation prend ici toute sa dimension. Les étudiants sortent tous avec les dix compétences attendues ; cette évidence qu'il est bon de repréciser met fin au discours des opposants au projet, voyant dans ce dispositif une « spécialisation dissimulée » et une certaine discrimination. S'inscrivant dans une posture gagnant-gagnant avec l'étudiant et le futur employeur, l'IFSI prend en compte le projet professionnel et les aspirations. L'étudiant est accompagné dans son parcours de formation dont l'orientation s'adapte au projet professionnel au-delà de l'obligation réglementaire lié aux typologies de stages obligatoires.

Ainsi, nous identifions trois typologies de stages qualifiants (SQ) propres à un CHU ou un établissement privé spécialisé et qui requièrent des savoirs spécifiques et critiques ; le Littré définit ces derniers comme étant d'« une précision et connaissance de niveau très élevé ». La philosophie du projet pédagogique a été questionnée. Nous proposons les trois typologies de SQ suivantes :

• SQ1 : apprentissage métier (savoirs, savoir-être, savoir-faire) sur des soins techniques « courants » tels que le prélèvement sanguin, la pose d'une perfusion périphérique, la pose d'une sonde urinaire, un pansement simple ou complexe, l'organisation et la gestion des activités de soins... ainsi que des soins de compétence 3 (soins du rôle autonome infirmier) majoritairement pratiqués en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), en soins de suite et réadaptation (SSR), en médecine, en santé mentale, activité en libéral, hospitalisation à domicile, etc. ;

• SQ2 : secteurs de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO) mobilisant quotidiennement les soins techniques complexes et invasifs tels que l'oncologie, la chirurgie, la médecine spécialisée, la transplantation, etc.

• SQ3 : secteurs critiques et de haute technicité tels que la réanimation, les soins intensifs, la réanimation transplantation multi-organes et/ou greffe en hématologie hautement protégée, l'hémodialyse, les grands brûlés, les blocs opératoires, etc.

Tous les étudiants n'aspirent pas, ou ne sont pas prêts à faire des stages et/ou exercer en SQ3. L'utopie pédagogique du transfert, selon laquelle le professionnel novice peut exercer dans un secteur hautement spécialisé même s'il n'y a pas été confronté durant sa formation (ou peu), impose d'être repensée et reconsidérée. Les services de soins comportent des invariants de la profession qui sont partagés. Toutefois, certaines spécialités du CHU et/ou de cliniques privées exigent du professionnel un niveau de maîtrise et/ou une expertise qui dépassent largement le « seul transfert » d'invariants ; l'absence de ce niveau génère les insuffisances et l'insécurité du nouveau professionnel.

Aujourd'hui le projet pédagogique intègre le projet professionnel individualisé des étudiants, ses aspirations et ses appétences pour certains secteurs. Positionner les étudiants dans des secteurs pour lesquels ils ne se sentent pas prêts et/ou pour lesquels ils n'ont pas d'attrait les met en difficulté ainsi que les équipes soignantes d'accueil, qui se trouvent alors en échec, l'étudiant n'atteignant pas le niveau de compétence attendu.

En revanche, cette nouvelle approche de la formation des étudiants, tout en respectant le cadre réglementaire, amène une plus-value certaine pour l'étudiant dont le projet professionnel et personnel est pris en compte, pour les unités de soins qui accompagnent un étudiant engagé et le préparent à sa prise de poste ; la plus-value est également pour l'institution-employeur qui offre au nouveau diplômé la perspective d'un recrutement, d'une sécurisation de sa prise de poste, d'un accompagnement dans son parcours de formation bénéfique au développement des compétences et à la prise d'assurance face aux responsabilités inhérentes aux infirmiers et infirmières en exercice.

Après deux années, le dispositif fait émerger des éléments de réussite relayés conjointement par les étudiants, les pôles cliniques et les formateurs, notamment en termes de satisfaction des étudiants dans la prise en compte de leur projet professionnel, de recrutement et de fidélisation sur les secteurs de compétences critiques et hautement techniques.

(1) Définition philosophique d'aberration selon le CNRTL, consulté sur le site du CNRTL en ligne le 22 juillet 2019.

(2) Jeanine Roche, « Que faut-il entendre par professionnalisation ? » Éducation permanente, 1999, vol. 3, no 140, p. 35-50.

(3) Profession infirmier, recueil des principaux textes relatifs à la formation préparant au diplôme d'État et à l'exercice de la profession, réf. 531200, Paris, Berger-Levrault, 2013.

(4) Jacques Bonnet, Rosette Bonnet et Diane Grober-Traviesas, « Une approche communicationnelle de la professionnalisation au sein des instituts de formation en soins infirmiers en France », Revue de communication sociale et publique, 9/2013, p. 1-20 (consulter sur : https://bit.ly/2MwxXGB).

(5) Ibid., p. 4.

(6) Michel Lac, Christine Mias, Sabrina Labbé et Michel Bataille, « Les représentations professionnelles et l'implication professionnelle comme modèles d'intelligibilité des processus de professionnalisation », in Richard Wittorski (ed), Regards croisés sur la professionnalisation et ses objets, Les Dossiers des sciences de l'éducation, 2010, no 24, p. 133-„145.

(7) Richard Wittorski, « À propos de la professionnalisation », in Jean-Marie Barbier, Etienne Bourgeois, Gaëtane Chapelle et Jean-Claude Ruano-Borbalan (dirs), Encyclopédie de l'éducation et de la formation, Paris, PUF, 2009, p. 781-793.

(8) Ibid., p. 783.

(9) Gaëlle Molinari, Bruno Poellhuber, Jean Heutte, Elise Lavoue, Denise Sutter Widmer et Pierre-André Caron, « L'engagement et la persistance dans les dispositifs de formation en ligne : regards croisés », Distances et médiations des savoirs, 13/2016, p. 1-30 (consulter sur : https://bit.ly/314daiX).

(10) Cf. l'article « La gestion rationnelle et normalisée des stages en soins infirmiers au CHU de Toulouse : un enjeu pour les futurs professionnels », Objectif Soins & Management, août/septembre 2019, no 270.

(11) Martine Sommier, « Sois curieux ou l'enjeu de la curiosité dans la formation des étudiants en soins infirmiers », in Jean-Noël Demol et Catherine Guillaumin (dirs), Vivre et penser l'alternance, se professionnaliser en santé, Paris, L'Harmattan, 2017, p. 65-88.

(12) Ibid., p. 67.

(13) Ibid., p. 88.