Économie de la santé
Créées en 2010, les agences régionales de santé disposent d'un outil juridique puissant concernant l'offre de soins hospitaliers : les autorisations sanitaires. Le droit des autorisations est juridiquement un levier important de régulation, fondé sur le respect des textes applicables et sur la compatibilité des activités autorisées et des projets présentés avec les objectifs opposables fixés dans le schéma régional de santé. Tout établissement de santé doit être autorisé par l'ARS pour pouvoir fonctionner ; ensuite pour chacune des 18 activités de soins et les 5 équipements matériels lourds soumis à autorisation, l'établissement doit disposer d'une autorisation spécifique là aussi attribuée par le directeur général de l'ARS.
Un grand merci à Agnès Caradec-Uséo, directrice-adjointe du pôle ville-hôpital à la Direction de l'offre de soins de l'ARS Ile-de-France, qui a très largement contribué à l'écriture de cet article
Dans le cadre de ma santé 2022 un important chantier a été engagé sur la réforme des autorisations sanitaires. Les enjeux de cette réforme sont de mieux articuler sécurité des soins et territorialisation. Une vingtaine de groupes de travail thématiques et transversaux sont à ce jour mobilisés au plan national. Les premiers décrets sont annoncés à la concertation ; par ailleurs l'article 36 la loi OTSS habilite le gouvernement à prendre par ordonnance des mesures législatives devant s'inscrire dans la continuité des modifications réglementaires.
Il s'agit donc de définir une organisation territoriale structurée, graduée dans le cadre d'une démarche qualité améliorée. La réforme contribue à deux des trois engagements majeurs de la stratégie de transformation du système de santé :
• favoriser la qualité et replacer le patient au cœur du soin,
• créer des collectifs de soins au service des patients :
• améliorer l'organisation des soins de proximité,
• accompagner la réorganisation des hôpitaux pour qu'ils prennent place dans la nouvelle organisation des soins de proximité et garantissent des soins de qualité.
Elle doit permettre l'émergence d'une logique globale de gradation (hôpitaux de proximité/ établissements de recours/établissements de référence ultra spécialisés) tout en s'appuyant, dès que pertinents, sur des systèmes de seuil d'activité, dans un contexte de renforcement de la qualité et de la pertinence.
Mais ce régime des autorisations sanitaires est-il réellement un outil de régulation des soins hospitaliers ?
Dans un premier temps la réforme a pour objectif de simplifier, de moderniser et d'harmoniser le régime des autorisations sanitaires.
En effet les textes fixant les conditions techniques de fonctionnement des activités de soins sont pour certains très anciens (plus de 20 ans pour certains comme la périnatalité) et inexistants pour d'autres (médecine, chirurgie, psychiatrie, soins de longue durée).
Par ailleurs les niveaux de précisions des conditions techniques de fonctionnement sont très variables d'une activité de soins à l'autre :
• Déclinaison de certaines activités en modalités, en pratiques thérapeutiques, en types ou en mentions complémentaires bien identifiées (cancérologie, soins de suite et de réadaptation, cardiologie interventionnelle...),
• Organisation graduée en fonction du niveau de prise en charge et du plateau technique requis (cas des types 1 à 3 en périnatalité),
• Traitement de manière globale sans aucune distinction en fonction de l'âge adultes/enfants) ou de la spécialité exercée (cas des activités de médecine, de chirurgie...),
• Existence de seuils opposables d'activité minimale pour un nombre limité d'activités de soins,
• Juxtaposition d'un système d'autorisations d'activités de soins avec un système qui demeure par équipement pour un nombre restreint d'EML.
Cette hétérogénéité dans l'encadrement des activités conduit à un manque de lisibilité et à un flou juridique pour l'ensemble des acteurs pouvant se traduire par des recours hiérarchiques ou des contentieux.
Ensuite la réforme a pour objectif d'adapter le régime des autorisations au nouveau contexte de l'offre de soins :
• La territorialisation de l'offre de soins : le régime actuel est basé sur la notion de site d'implantation et appréhende les activités de soins et les équipements matériels lourds de manière individualisée, sans véritablement prendre en compte l'environnement immédiat, ni la filière de soins dans lesquels s'insèrent ces activités. L'objectif annoncé est donc de mieux prendre en compte la dimension territoriale de l'offre dans le régime des autorisations en favorisant des organisations territorialisées : dépasser le champ strict des établissements de santé et des structures autorisées, encourager la gradation des prises en charge, promouvoir dans ce cadre le « faire ensemble » (coopérations et mutualisations, sécurisation des acteurs en termes de responsabilité) et favoriser le « hors les murs » (approche parcours patients et accès aux soins).
• La dimension qualitative des soins et la sécurité des prises en charge : le régime actuel doit être adapté et enrichi pour permettre de renforcer la qualité et la sécurité des soins, à toutes les étapes du parcours et pour toutes les activités. Dans cette optique, l'objectif devrait se traduire par un encadrement juridique plus précis et plus exigeant des conditions d'implantations et de fonctionnement : détermination d'un socle minimal en termes de normes de structures, propositions de règles relatives à la prise en charge et aux parcours patients, réflexion sur les seuils d'activité (structurels et techniques), introduction des dispositions sur la démarche qualité et la gestion des risques. L'expertise scientifique des sociétés savantes, de la HAS, de l'INCA, de l'ABM a été sollicitée en amont du lancement des travaux et accompagne la démarche.
• L'introduction de l'innovation en santé (thérapeutique et organisationnelle) : les décrets doivent intégrer les nouvelles techniques de prise en charge. L'ambition affichée au début de la démarche était de passer d'une logique de normes de moyens à une logique d'objectifs à satisfaire en s'attachant à l'évaluation des organisations.
Si les autorisations sanitaires sont un moyen à la disposition des ARS pour autoriser ou non telle ou telle activité de soins, et de ce fait planifier l'offre de soins sur les territoires, il est un facteur beaucoup plus restructurant de l'offre de soins : la démographie des professionnels de santé.
En effet il n'existe pas de système de santé sans professionnels. Les conditions techniques de fonctionnement des activités de soins reposent en grande partie sur l'encadrement en personnels. Ainsi si le nombre de docteur est insuffisant pour satisfaire ces conditions, l'ARS peut suspendre l'autorisation voir retirer celle-ci. La quantité, la qualité, la localisation des professionnels de santé va donc constituer un outil de régulation plus ou moins subi par les ARS. On peut considérer que les ARS influent sur la répartition des professionnels de santé : répartition des internes, accompagnements incitatifs des professionnels, prime d'attractivité et d'engagement. Mais en même temps les professionnels de santé sont libres d'exercer et de s'installer là où ils veulent. De ce fait la fermeture d'un service peut résulter d'un manque de professionnels, alors même que l'ARS souhaiterait conserver cet établissement pour des raisons de santé publique.
Un deuxième outil de régulation réside dans les moyens alloués par les ARS pour le financement des activités de soins, que ce soit de manière indirecte (tarification à l'activité) ou directe (allocation des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation, des dotations annuelles de fonctionnement). La T2A a été un important facteur de restructuration ; les établissements n'atteignant pas un seuil d'activité permettant de rentabiliser leur outil de travail ont vocation à disparaître, sauf aide particulière à la discrétion des ARS. De la même manière, e décidant d'attribuer ou non une MIGAC, l'ARS détermine l'organisation des soins sur l'ensemble du territoire, y compris entre les secteurs publics et privés de l'offre de soins.
Enfin, on ne peut pas nier, même dans un marché administré comme celui de la santé, l'existent d'une certaine forme de concurrence entre les établissements, elle aussi facteur de régulation de l'offre de soins. Cette main invisible du marché est plus ou moins importante selon la taille des régions et le nombre des établissements. Et bien souvent la délivrance des autorisations ne fait que reconnaître ou entériner cette concurrence, ne disposant pas de moyens pour retirer une autorisation quand les conditions techniques de fonctionnement sont remplies. De la même manière dans bien des situations les ARS subissent la fermeture de tel ou tel service privé, ou de telle ou telle clinique, qui pour des raisons de viabilité économique décident de stopper leur activité de soins. Sachant que l'offre de soins privée étant de plus en concentrée entre les mains d'une dizaine de groupes internationaux en France, ces groupes disposent d'une force considérable face au pouvoir de régulation de l'ARS. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les établissements de santé publics ont été incités, puis obligés à se regrouper sous forme de groupements hospitaliers de territoire (GHT). Mais cette logique de groupe affaiblit le pouvoir de régulation des ARS ; la preuve en est que même le régime des autorisations sanitaires est en train de s'adapter à cette nouvelle donne.
A première vue les autorisations sanitaires constituent un important levier de régulation de l'offre de soins hospitaliers. En pratique elles sont plutôt un outil pour les ARS pour pouvoir dire non, plutôt qu'une véritable régulation. Il suffit de constater que la plupart des autorisations sont renouvelées, et que les aspects de démographie des professionnels de santé, l'allocation des moyens de financement et enfin la concurrence entre les acteurs, sont des « outils » de régulation bien plus puissants ; que les autorisations sanitaires ne font finalement que suivre en s'adaptant.