Écrits professionnels
Les fonctionnaires hospitaliers bénéficient du droit de grève, qui leur est reconnu par l'article 10 du titre I du statut général. Cela vaut également pour les agents contractuels de droit public. Ce droit est toutefois logiquement encadré, pour assurer la continuité du service public de soins. Cela implique l'organisation d'un service minimum. Faute de textes, et en s'appuyant sur la jurisprudence existante, le mouvement de grève qui touche les services d'urgence des établissements publics a mis en évidence les difficultés d'organisation du service minimum. Il semble donc utile d'en dégager une forme de bilan.
Il résulte du septième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, que « le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent », et « qu'en édictant cette disposition les constituants ont entendu marquer que le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle » (décision no 87-230 DC du 28 juillet 1987 – considérants 6, 7 et 8).
Toutefois le législateur peut fixer des limites « en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l'intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte » (décision no 87-230 DC du 28 juillet 1987 – considérants 6, 7 et 8).
Ainsi, il peut être nécessaire de limiter le droit de grève au nom de la continuité du service public : « En ce qui concerne les services publics, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d'apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d'assurer la continuité du service public qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d'un principe de valeur constitutionnelle » (décision no 86-217 DC du 18 septembre 1986 – loi relative à la liberté de communication – considérant 78).
La loi no 63-777 du 31 juillet 1963 a fixé les modalités de la grève dans les services publics, en interdisant certaines formes de grève et en instaurant une obligation de préavis, mais sans poser des règles visant le principe de continuité du service public.
La jurisprudence administrative reste donc la source principale de la réglementation du droit de grève dans les services publics.
Le législateur n'étant quasiment pas intervenu, c'est le juge administratif du Conseil d'État qui a réglé le conflit existant entre le « droit de grève », et le « principe de continuité du service public », en posant le compromis suivant : « La reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d'exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit, comme à tout autre, en vue d'en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l'ordre public » (CE, 7 juin 1950, Dehaene, no 01645 – publié au recueil Lebon). Cette formule est régulièrement reprise par le Conseil d'État.
La continuité du service public de santé doit s'entendre d'un service minimum, et non d'un service normal avec continuité pleine et entière de ce service, car sinon le droit de grève ne serait que virtuel.
En cas de grève, il convient de préserver la continuité du service public hospitalier.
Sous le contrôle du juge, les gestionnaires peuvent imposer le maintien d'une certaine activité. Pour cela ils peuvent exiger que certains agents assurent leur service malgré le mot d'ordre de grève.
Ces limitations au droit de grève doivent être strictement proportionnées.
En effet, les dispositions nécessaires à la continuité du service public « n'autorisent nullement à ce que, par l'institution d'un service normal et non d'un service minimum, il puisse être fait obstacle à l'exercice du droit de grève dans des cas où sa limitation ou son interdiction n'apparaissent pas justifiées au regard des principes de valeur constitutionnelle » (décision no 86-217 DC du 18 septembre 1986 – loi relative à la liberté de communication – considérants 78 et 79).
À ce propos, le ministre signataire de la circulaire no 2 du 4 août 1981 relative à l'exercice du droit de grève dans les établissements visés par l'article L. 792 du Code de la santé publique (Bulletin officiel du ministère de la Solidarité nationale et du ministère de la Santé no 81/37) indique que « la jurisprudence qui s'est dégagée ces dernières années tendant à l'application d'un service minimum tel qu'il est assuré un dimanche ou un jour férié, à l'occasion d'une action gréviste, me semble pouvoir constituer le seuil normal de sécurité devant être respecté par les organisations syndicales ».
Ainsi, le directeur ne peut, sans un motif particulier, interdire l'exercice du droit de grève à toute une catégorie d'agents, voire à l'intégralité du personnel du service (CE, 16 décembre 1966, no 67286, Syndicat national des fonctionnaires et agents des préfectures et sous-préfectures de France et d'Outre-mer, publié au recueil Lebon).
En outre, le directeur ne peut pas plus enjoindre à des personnels de travailler, si le service normal est susceptible d'être assuré par des personnels non grévistes (CE, 9 juillet 1965, no 58778 58779, Pouzenc, publié au recueil Lebon).
C'est le Conseil d'État qui fixe le périmètre et le contenu du service minimum.
Le directeur du centre hospitalier doit « prendre les mesures nécessitées par le fonctionnement de ceux des services qui ne peuvent en aucun cas être interrompus ». Ainsi, il peut « [imposer] en particulier le maintien en service pendant la journée de grève d'un effectif suffisant », ce dernier devant « assurer en particulier la sécurité physique des personnes, la continuité des soins et des prestations hôtelières aux malades hospitalisés et la conservation des installations et du matériel » (CE, 7 janvier 1976, no 92162, publié au recueil Lebon).
Ainsi, « s'il appartient au directeur d'un centre hospitalier, confronté à une grève de certaines catégories de personnel, de prendre les mesures nécessaires pour assurer le maintien d'un effectif suffisant pour garantir la sécurité des patients et la continuité des soins, il ne peut toutefois prendre que les mesures imposées par l'urgence et proportionnées aux nécessités (...) de santé publique » (TA Versailles, ordonnance du 19 octobre 2007, Mlle Émilie Bequignon).
Il résulte de ces jurisprudences qu'en situation de grève, le service minimum exclut toute activité qui ne répond pas aux exigences des trois critères précités : sécurité physique des personnes, continuité des soins et des prestations hôtelières, et conservation des installations et du matériel.
En conséquence, à titre d'exemple, il ne saurait être exigé de personnels soignants grévistes assignés de réaliser des actes administratifs nécessaires à la facturation, notamment, qui ne répondent pas aux exigences précitées.
En pratique, si l'on se focalise généralement sur le nombre d'agents présents, cette question du contenu des tâches à accomplir est peu évoquée lorsque est abordé le service minimum.
Certes, il n'appartient ni aux autorités de tutelle ni aux syndicats de déterminer les mesures nécessaires à l'accomplissement du service minimum (CE, 14 octobre 1977, no 98807, syndicat général CGT du personnel des affaires sociales et Union syndicale CFDT des affaires sociales, publié au recueil Lebon).
Toutefois, la réalité vient tempérer cette affirmation.
Selon la durée du mouvement, le nombre de services concernés et leurs spécificités, le service minimum sera variable. Il doit donc être envisagé de manière très précise.
Si la décision du directeur n'a pas à être précédée de la consultation de la CME ou du CTE, le bon sens recommande d'anticiper les modalités de service minimum.
À ce titre, les syndicats disposent de la faculté, au travers du CTE et du CHSCT, de formuler des critiques et des avis en la matière (CE, 4 février 1976, no 97685, section syndicale CFDT du centre psychothérapeutique de Thuir, mentionné dans les tables du recueil Lebon).
Cette négociation est souhaitable compte tenu de l'absence de textes. En effet, il existe pour le directeur un risque de sanction par le juge administratif pour excès de pouvoir dans la limitation du droit de grève. Pour les mêmes raisons, il existe un risque disciplinaire pour les agents en cas d'exercice abusif du droit de grève.
D'ailleurs, l'article L. 2512-2 du Code du travail applicable à l'espèce indique : « Pendant la durée du préavis, les parties intéressées sont tenues de négocier. » Ces négociations portent évidemment sur les revendications des agents, mais il paraît judicieux d'aborder également l'éventualité d'un service minimum, et son organisation.
Les agents qui s'étaient déclarés grévistes peuvent y renoncer à tout moment.
Ce droit doit impérativement être respecté, et la note de service relative au service minimum et à l'exercice du droit de grève sera régulière dès lors qu'elle « ne fait pas obstacle à ce que les agents qui s'étaient déclarés grévistes y renoncent à tout moment » (CAA Bordeaux, 26 juin 2018, no 16BX02998).
De même, rien n'interdit aux agents de faire grève pour une durée inférieure à celle d'une journée de travail. Dans cette hypothèse, à titre d'exemple trois agents différents peuvent faire grève quatre heures chacun sur une journée de travail de douze heures, ou bien deux agent six heures chacun.
Bien que rarement évoquée, cette éventualité doit être envisagée dans l'anticipation d'un recours au service minimum.
Le pouvoir discrétionnaire de l'administration hospitalière est limité par le principe de légalité, et la soumission aux règles de droit administratif. Ce pouvoir connaît des limites, même au regard de la continuité du service, dès lors qu'il s'agit de la protection de la vie privée des agents publics.
Si l'agent hospitalier est soumis à certaines obligations par son statut, il a droit, comme tout citoyen, au respect de sa vie privée.
Ainsi, les personnels en repos qui ne sont pas en astreinte réglementaire, prévue par le décret no 2002-9 du 4 janvier 2002, ni en situation d'urgence officielle (Plan blanc, Plan blanc élargi) lorsqu'ils ont communiqué leurs coordonnés à cette fin, ne peuvent être appelés à leur domicile au titre du service minimum en cas de grève.
Sauf pour certains personnels logés par nécessité de service et soumis à un régime d'astreinte, « aucune disposition réglementaire ne permet d'obliger les autres catégories d'agents à communiquer à leur employeur le numéro de téléphone de leur domicile personnel. Une telle communication ne [pouvait] être effectuée qu'à titre volontaire » (Établissements d'hospitalisation, de soins et de cure (personnel) – Question 67900 de M. Amédée Renault, réponse du gouvernement du 22 octobre 1984, Journal officiel de l'Assemblée nationale du 11 février 1985, p. 558).
Il en résulte que les agents ne peuvent faire l'objet d'appels de plein droit de la part de leur hiérarchie à leur domicile y compris en cas de grève. De plus, la question ne devrait même pas se poser puisqu'il n'est aucunement obligatoire pour un agent public de souscrire un abonnement téléphonique. En effet, à propos des sujétions spéciales, le gouvernement a prévu le régime spécifique des astreintes.
En cas d'imprévu, l'autorité hiérarchique n'a pas le droit d'exiger la communication des numéros de téléphone de ses agents, et l'encadrement n'a pas plus le droit de les rappeler pour exiger une prise de service, lorsqu'ils sont en repos ou en congés. Dans cette situation, tout agent n'a évidemment aucune obligation ni de répondre ni, a fortiori, de satisfaire la demande.
Si toutefois des agents acceptent de communiquer leurs coordonnées et d'être sollicités ou informés par téléphone ou courrier électronique au titre du service minimum, ce dispositif reste particulièrement fragile sur le plan juridique car non conforme au droit commun interne précité, et aux exigences de protection des données personnelles (règlement (UE) du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE).
Si la connexion à Internet, la disposition d'une messagerie, et la détention d'un téléphone connecté se sont désormais généralisées, nul n'a l'obligation d'y souscrire. En conséquence, l'administration doit anticiper des modes de communication et de contact avec les agents alternatifs aux moyens électroniques. Précisément, la notification de la décision d'assignation doit être certaine, et intervenir impérativement avant la prise de service de l'agent.
Cette question est très difficile à résoudre, et fait généralement l'objet de procédures dépourvues de sécurité juridique.
Dans la pratique, on emploie le terme d'assignation pour désigner l'ordre donné à certains agents de ne pas participer à la grève, et d'assurer leur service.
Le directeur dispose d'un pouvoir d'assignation, et non de réquisition. Le pouvoir d'assigner pour organiser le service minimum appartient au seul directeur de la structure hospitalière (CE, 7 janvier 1976, no 92162, centre hospitalier d'Orléans, publié au recueil Lebon).
Ce pouvoir d'assignation des personnels grévistes, en nombre suffisant, vise à assurer le fonctionnement des services et les missions essentielles à la sécurité des soins, à l'hébergement et à la sécurité des matériels et installations.
Les agents sont mis en demeure de travailler en considération de critères objectifs liés à la nature même de leur mission et aux responsabilités dont ils sont investis.
La liste d'agents assignés prend la forme d'une note de service ou d'un tableau de service.
Le défaut de notification aux organisations syndicales est sans influence sur la régularité des convocations individuelles (CE, 4 février 1976, no 97685, section syndicale CFDT du centre psychothérapeutique de Thuir, mentionné dans les tables du recueil Lebon).
Toutefois, le bon sens recommande cette communication de note de service ou de tableau de service aux organisations syndicales, compte tenu de l'absence de textes et du risque de sanction par le juge administratif en cas d'excès de pouvoir.
Les personnels concernés assignés sont informés individuellement de manière qui doit être certaine.
Le directeur doit pouvoir évaluer l'impact du mouvement de grève, afin de prévoir certaines assignations, au regard de l'effectif minimum requis.
En effet, comme déjà indiqué, le recours aux assignations est autorisé uniquement lorsque les non-grévistes sont en nombre insuffisant pour assurer la continuité du service public (CE, 9 juillet 1965, no 58778, 58779, Pouzenc, publié au recueil Lebon).
Le principe précité est repris par la lettre-circulaire DH/FH no 97-10464 du 3 juillet 1997 précisant que « (...) la désignation d'office d'agents dans le cadre de l'organisation d'un service minimal n'est justifiée que si la continuité des soins ne peut être assurée par un nombre suffisant d'agents non-grévistes (...) ».
Ainsi, s'il est possible de légalement requérir les agents en grève d'un établissement de santé, dans le but d'assurer le maintien d'un effectif suffisant pour garantir la sécurité des patients et la continuité des soins, il ne peut s'agir que des mesures imposées par l'urgence et proportionnées aux impératifs de santé publique (CE, 9 décembre 2003, no 262186, publié au recueil Lebon).
Il en résulte que le directeur ne peut édicter des assignations excédant un délai prévisionnel de 48 heures, sans porter une atteinte grave à la liberté fondamentale que constitue le droit de grève (TA Toulouse, ordonnance réf., 23 juillet 2019, no 1904036, 1904073, centre hospitalier de Montauban).
L'obligation pour les agents à se déclarer grévistes dans un délai de 48 heures à 24 heures avant la grève est également nécessaire pour définir des modalités d'information permettant à l'administration de prévoir le remplacement des agents grévistes en faisant appel d'abord au volontariat des agents non grévistes (CE, réf., CHU de Toulouse, 8 avril 2013, no 367453 ; CAA Bordeaux, 26 juin 2018, no 16BX02998).
Il résulte des différentes jurisprudences que la retenue sur rémunération doit être proportionnelle à la durée du service non fait. Il semble que si les agents doivent se déclarer grévistes, pour les raisons précitées liées à la règle du service fait, ils doivent également pouvoir indiquer la fraction de temps pendant laquelle ils veulent être grévistes pour la journée de service concernée.
Bien que rarement envisagée, cette hypothèse doit être intégrée à l'organisation du service minimum.
L'organisation du service minimum en cas de grève à l'hôpital public est particulièrement sensible ; cela est d'autant plus vrai au regard de l'absence de textes. C'est pourquoi, directions et partenaires sociaux ont tout intérêt à y consacrer un travail spécifique de négociation « à froid », en dehors d'un contexte de tension propre à tout conflit social.