Objectif Soins n° 273 du 01/02/2020

 

Écrits professionnels

Cécile Szymczak*   Emmanuelle Esnault**   Maureen Atlan***   Sandrine Nedelec****   Murielle Poirier*****   Lynda Coyau******   Isabelle Mottin*******  

Dans cet article, l'intérêt d'une coopération inter-IFSI dans la formation des étudiants en soins infirmiers est mise en avant. Nous y partageons notre retour d'expérience sur l'élaboration d'un projet d'hybridation. Un travail qui a été précurseur dans la mise en place du groupement hospitalier de territoire.

Génèse du projet

La région Centre-Val de Loire promeut l'innovation pédagogique au sein des Instituts de formation en soins infirmiers (IFSI). Les directeurs des instituts d'Eure-et-Loir souhaitent développer la collaboration départementale afin d'harmoniser les pratiques pédagogiques. Dès 2015, cette dynamique se concrétise à travers un projet de mise en commun d'une unité d'enseignement « Soins infirmiers et gestion des risques » pour la formation infirmière. L'idée ? Mettre en place un dispositif hybride de formation, c'est-à-dire l'articulation d'une formation classique avec des apprentissages en ligne favorisant l'évolution des dispositifs de formation. Les formateurs débutent alors une collaboration en mode « projet ». L'appropriation des principes fondamentaux d'un dispositif hybride permet aux équipes pédagogiques de développer des compétences numériques. La dynamique de groupe issue de ce travail et le vif intérêt exprimé par les étudiants pour la formation hybride contribuent à la motivation des formateurs dans le développement des compétences numériques. Ainsi, les temps d'échange entre formateurs ont amorcé une collaboration qui s'étend au-delà d'une unité d'enseignement. La coopération issue de ce travail s'inscrit dans la culture de la qua lité des établissements de santé et répond à la philosophie des groupements hospitaliers de territoire.

Pour promouvoir l'innovation pédagogique, la région Centre-Val de Loire lance un appel à projet, en 2012. L'IFSI de Dreux élabore des séquences pédagogiques en e-learning pour la formation d'aide-soignante. Ce projet voit le jour grâce au financement par la région d'un poste d'ingénieur pédagogique. En 2015, les directions des Instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) d'Eure-et-Loir souhaitent mettre en place un dispositif pédagogique à distance, commun pour les étudiants en soins infirmiers.

Les objectifs poursuivis sont de :

– favoriser l'harmonisation des dispositifs de formation ;

– dynamiser la collaboration et le partenariat départemental ;

– diversifier les supports pédagogiques à travers la formation à distance.

L'unité d'enseignement proposée s'intitule « Soins infirmiers et gestion des risques ». Ce choix s'inscrit dans la culture de la qualité des établissements de santé. Cette culture doit pouvoir être commune à tous les professionnels, quel que soit le lieu de formation ou d'exercice. Il est donc indispensable de travailler dans une dynamique de collaboration pour favoriser l'intégration des futurs professionnels à travers le territoire. Cette unité d'enseignement relève du champ « Sciences et techniques infirmières, interventions » du référentiel de formation. Elle fait partie des savoirs dits « cœur de métier », et ne dépend donc pas d'une organisation régionale ; aussi, il est plus facile de la faire évoluer.

Pour atteindre les objectifs fixés, une méthodologie de projet est initiée avec un pilote, directeur d'IFSI et un chef de groupe, formateur en IFSI. Dans chaque IFSI, au moins deux formateurs s'impliquent dans ce projet. Le financement à 25 % d'une ingénieure pédagogique multimédia est attribué par le conseil régional Centre-Val de Loire pour les travaux départementaux. En effet, dans le cadre de la stratégie numérique de l'enseignement supérieur (1), initiée en 2013, le conseil régional Centre-Val de Loire encourage fortement l'utilisation des Technologies de l'information et de la communication pour l'enseignement (TICE). Cette démarche s'inscrit dans la « politique forte d'accessibilité au numérique en déployant le Très Haut Débit sur les territoires » (2). Dans le domaine de la santé apparaissent, entre autres, le dossier médical partagé informatisé, la télémédecine... Ces nouveaux outils amènent les futurs utilisateurs à acquérir de nouvelles compétences numériques.

Témoignage d'Emmanuelle Esnault, ingénieure pédagogique

Numérique et distance : le double défi de l'ingénieur pédagogique

Apprivoiser les outils numériques

J'ai eu un rôle de conseil dans la scénarisation pédagogique et dans le choix des outils les mieux adaptés aux activités envisagées. J'ai épaulé les formateurs dans la création de ressources (quiz, bilans...) et leur intégration sur les plateformes pédagogiques qui, difficulté supplémentaire, n'étaient pas uniformisées.

Fluidifier la communication

J'ai également accompagné les formateurs dans le maniement des outils de communication : Google Drive pour la coconstruction et l'organisation des documents de travail, ainsi que le système de visioconférence mis à disposition par la région. De plus, mes déplacements réguliers dans les deux autres instituts du département ont permis non seulement de résoudre un certain nombre de contraintes techniques spécifiques avec le référent TIC de ces instituts mais aussi de favoriser les échanges, y compris informels, avec les formateurs des trois équipes.

La montée en compétence numérique des formateurs

Le bilan est très positif car les formateurs se sont appropriés les règles de fonctionnement imposées par le travail à distance. Ils se sont familiarisés avec Google Drive comme outil de travail collaboratif. Le recours à la visioconférence est devenu plus fréquent, les formateurs ayant assimilé peu à peu les bonnes pratiques (respecter le tour de parole, ralentir le débit).

En ce qui concerne les TICE, les équipes ont gagné en autonomie. Ainsi, les projets se poursuivent, grandement facilités par la mise en place, par la région, d'une plateforme pédagogique commune.

Témoignage de Lynda Coyau, formatrice

Un formateur en IFSI/IFAS est un professionnel soignant qui partage des moments privilégiés avec des apprenants en cours de professionnalisation. Le formateur transmet des ressources et des repères qui influencent l'acquisition de savoirs indispensables à la maîtrise de compétences professionnelles. Après deux années de référence dans l'organisation et la gestion des unités d'enseignement 4.5 « Soins infirmiers et gestion des risques » pour les semestres 2 et 4, en binôme avec une autre cadre de santé formatrice, je me suis investie dans ce projet de formation à distance avec grand intérêt. L'idée était plutôt novatrice dans notre établissement et ce partenariat inter-IFSI de département n'avait été engagé au préalable qu'au travers un module de la formation aide-soignante. Les rencontres entre formateurs ont été agréables et fructueuses par la participation active de chacune autant sur le fond que sur la forme. Les progrès des étudiants ont pu être constatés et la multiplication des ressources, ajoutée à la bienveillance naturelle de chaque partenaire, ont fait de cette collaboration un moment précieux. Ce partage a été bénéfique, tant pour les formateurs que pour les formés.

Les résultats sont à la hauteur de nos espérances. Le projet est à poursuivre ; en effet, d'autres unités d'enseignement pourront gagner à évoluer comme nous avons gagné à participer à ce projet.

Organisation du travail

L'unité d'enseignement concernée par le projet est dispensée en 1re et en 2e années. L'organisation est identique pour ces deux années :

1. Réalisation d'un état des lieux des contenus des cours et des travaux dirigés dans les trois instituts. Du fait du référentiel de formation (3) très détaillé, cet état des lieux fait apparaître peu de disparités dans les contenus.

2. Harmonisation des contenus et des méthodes pédagogiques.

3. Intégration des TICE.

4. Mise à disposition des contenus communs sur les plateformes numériques dédiées.

5. Évaluation du dispositif par les étudiants et les formateurs.

Ce travail est réalisé en mode « projet » avec des retours réguliers à la fois au directeur pilote et aux autres directeurs d'instituts. Le modèle de travail adopté, ADDIE, se décline en cinq étapes : l'analyse des besoins, le design ou la conception du scénario pédagogique, le développement ou la création de contenu, l'implémentation ou le déploiement du parcours de formation sur la plateforme et, enfin, l'évaluation du dispositif.

Les formateurs établissent un rétroplanning et déterminent une alternance des lieux de réunions compte tenu de la localisation des instituts dans le département. Le travail effectué lors des rencontres départementales se poursuit en intersession.

Mutualisation

Ce projet nous a rapidement fait prendre la mesure de l'intérêt de travailler ensemble. La mutualisation des contenus enrichit les unes et les autres et favorise le développement d'idées nouvelles. Au fil du temps, cette mutualisation s'étend aussi bien aux ressources matérielles qu'aux compétences et savoirs des formateurs. Deux IFSI réalisent chacun une situation simulée filmée ; le troisième, un cours sonorisé avec le studio d'enregistrement.

Grâce au travail en collaboration, les cours magistraux et les travaux dirigés évoluent dans chaque IFSI. Un glossaire commun en gestion des risques est validé. De nombreux autotests sont élaborés et mis à disposition des étudiants sur les plateformes de formation. Les évaluations sont harmonisées, tant sur les modalités que sur les exigences en lien avec l'unité d'enseignement.

Certaines activités pédagogiques sont laissées à l'appréciation de chaque IFSI car le mot d'ordre de notre groupe est « d'harmoniser sans uniformiser ».

Les trois instituts disposant de ressources différentes, ils conservent leur spécificité et leur marge d'autonomie.

Témoignage de Sandrine Nedelec, formatrice

Forte de cette expérience, complétée par une formation en interne assurée par les ingénieurs pédagogiques multimédia, j'impulse sur les recommandations de ma direction le développement d'une autre unité d'enseignement en blended-learning (4) : l'unité 3.4 « Initiation à la démarche de recherche ». Le choix de cette unité répond à une double problématique. D'une part, la situation géographique rend difficile le recrutement d'un formateur universitaire pour l'enseignement magistral des étapes de la recherche ; d'autre part, les équipes pédagogiques souhaitent développer la pédagogie inversée. Ce type de pédagogie, facilité par l'usage du numérique, est un atout pour que les étudiants s'approprient plus facilement les connaissances en lien avec l'enseignement et se mobilisent à bon escient notamment lors des TD.

Évolution des représentations d'un dispositif hybride

Un dispositif de formation hybride se définit comme un « dispositif articulant à des degrés divers des phases de formation en présentiel et des phases de formation à distance, soutenues par un environnement technologique comme une plate-forme de formation » (5). Au cours de ce travail en collaboration inter-IFSI, nous voyons évoluer notre conception de la formation à distance vers une formation hybride.

Dans un premier temps, notre conception d'un dispositif hybride se limite à l'alternance de cours déposés sur une plateforme pédagogique et de cours en présentiel. Aucune d'entre nous n'avait encore expérimenté réellement un tel dispositif. Et malgré notre volonté de répondre à la demande, nous ne percevons pas clairement la plus-value d'une telle ingénierie pour les étudiants.

Ensuite, l'intervention de l'ingénieure pédagogique nous pousse à repenser l'articulation entre les savoirs à transmettre, les activités que nous souhaitons mettre en place et les ressources possibles en termes de plateformes pédagogiques. Elle nous interroge sur les finalités et les moyens et nous oriente sur le choix des médias les plus adaptés. Nous comprenons ainsi l'importance d'une scénarisation du dispositif de formation et nous dépassons l'écueil qui consiste à considérer le simple dépôt de cours sur une plateforme comme de la formation hybride.

Enfin, nous nous emparons des nouvelles technologies pour mettre en place des activités de plus en plus variées dans notre ingénierie de formation. C'est ainsi que nous développons des compétences numériques insoupçonnées avant la mise en œuvre de ce dispositif.

Facteurs de motivation

Les facteurs de motivation pour le développement des compétences numériques des formateurs sont de plusieurs ordres :

1. L'intérêt manifeste des étudiants pour la formation hybride. L'analyse des bilans des enseignements pointe de nombreux éléments positifs :

– travailler au moment le plus opportun ;

– visionner à de nombreuses reprises les cours sonorisés ;

– réaliser les autotests autant de fois que nécessaire ;

– alterner les temps à distance et les temps de travail à l'IFSI ;

– être accompagnés par les formateurs ;

– être rassurés dans le développement de leurs apprentissages.

2. Le plaisir de travailler ensemble. Au début de ce projet, il a fallu apprendre à se connaître. Nous sommes des formatrices issues de trois instituts avec des pratiques propres à chacune. Les différents temps de travail sont riches en échanges. Un état d'esprit de partage favorise les moments de convivialité.

3. La créativité. Ce projet a rendu possible la réingénierie pédagogique dans son ensemble. Cette dynamique a contribué au développement d'activités variées et inédites. Elle suscite l'envie d'innover.

4. La reconnaissance du travail. Le soutien et le retour des directions sont encourageants et participent à la valorisation du travail du groupe.

Travail précurseur à la mise en place du groupement hospitalier de territoire

Au fil du temps, les liens développés entre collègues et les échanges informels permettent le partage de pratiques. Ces éléments favorisent la collaboration inter-IFSI d'autant que le groupement hospitalier de territoire (GHT) d'Eure-et-Loir est légiféré le 1er juillet 2016.

Ainsi, notre dynamique de groupe correspond à la volonté nationale de coopération des établissements entre eux. Notre travail s'inscrit dans le projet pédagogique partagé des instituts de formation d'Eure-et-Loir validé en 2017 ayant pour priorités :

– de favoriser une même qualité de prestation aux apprenants ;

– d'optimiser l'efficience des ressources humaines et matérielles de chaque institut au service du territoire ;

– de développer une culture qualité commune. (6)

À ce jour, le développement de cette coopération est même fortement renforcé à travers la multiplication des groupes de travail départementaux. La mise en place d'un dispositif hybride départemental est un défi à la fois pour les formateurs – mais aussi pour l'ingénieure pédagogique – où chacun voit ses compétences évoluer.

Bibliographie

    (1) Stratégie numérique pour l'enseignement supérieur, http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid89439/le-„numerique-au-service-d-une-universite-performante-innovante-et-ouverte-sur-le-monde.html, consulté le 04/„12/„2018

    (2) http://www.regioncentre-valdeloire.fr/accueil/la-region-centre-val-de-loire/conseil-regional-du-numerique/numerique-en-centre-val-de-„loire.html

    (3) Référentiel de formation. Annexe V de l'arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d'État d'infirmier.

    (4) Apprentissage mixte : apprentissage liant les temps e-„learning et les temps plus classiques en présentiel, le plus souvent en TD.

    (5) Charlier B., Deschryver N. et Peraya D., Apprendre en présence et à distance. Une définition des dispositifs hybrides, Distances et savoirs 2006/4, Volume 4, p. 469-496.

    (6) Projet pédagogique partagé dans le cadre de la coordination départementale du GHT instituts d'Eure-et-Loir.