Objectif Soins n° 273 du 01/02/2020

 

Droit

Gilles Devers  

Analyse de décisions récentes de jurisprudence en pratique hospitalière, concernant le statut du personnel, les droits des patients, et la responsabilité

(Octobre-Décembre 2019)

Statut du personnel

Heures d'astreinte ou de travail effectif

• Les agents à la disposition de leur employeur et devant se conformer à ses directives, sans pouvoir vaquer librement à leurs occupations personnelles, sont en situation de travail effectif, alors que l'astreinte crée seulement l'obligation d'être en mesure d'intervenir pour effectuer un travail au service de l'établissement.

Conseil d'État, 19 décembre 2019, no 418405.

Faits et procédure

Une infirmière anesthésiste exerçant dans un centre hospitalier a demandé au tribunal administratif de Nantes la condamnation de son employeur à lui verser une indemnité correspondant au paiement d'heures de gardes effectuées pendant des permanences de vingt-quatre heures.

Par un jugement du 20 décembre 2017, le tribunal a rejeté sa demande, et elle a saisi le Conseil d'État.

Droit applicable

Le statut de la fonction publique hospitalière définit la durée du travail effectif comme étant « le temps pendant lequel les agents sont à la disposition de leur employeur et doivent se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ».

Décret no2002-9 du 4 janvier 2002 relatif au temps de travail et à l'organisation du travail, art. 5.

L'article 20 de ce décret définit la période d'astreinte comme étant « une période pendant laquelle l'agent, qui n'est pas sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de son employeur, a l'obligation d'être en mesure d'intervenir pour effectuer un travail au service de l'établissement. La durée de chaque intervention, temps de trajet inclus, est considérée comme temps de travail effectif ».

Enfin, l'article 24 précise que « les agents assurant leur service d'astreinte doivent pouvoir être joints par tous moyens appropriés, à la charge de l'établissement, pendant toute la durée de cette astreinte. Ils doivent pouvoir intervenir dans un délai qui ne peut être supérieur à celui qui leur est habituellement nécessaire pour se rendre sur le lieu d'intervention », et l'article 25 définit les modalités de compensation horaire ou d'indemnisation.

La rémunération des agents distingue ainsi :

– les périodes de travail effectif, durant lesquelles les agents sont à la disposition de leur employeur et doivent se conformer à ses directives, sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ;

– les périodes d'astreinte, durant lesquelles ils ont seulement l'obligation d'être en mesure d'intervenir pour effectuer un travail au service de l'établissement.

S'agissant de ces périodes d'astreinte, la seule circonstance que l'employeur mette à la disposition des agents un logement situé à proximité ou dans l'enceinte du lieu de travail pour leur permettre de rejoindre le service dans les délais requis n'implique pas que le temps durant lequel un agent bénéficie de cette convenance soit requalifié en temps de travail effectif, dès lors que cet agent n'est pas tenu de rester à la disposition permanente et immédiate de son employeur et qu'il peut ainsi, en dehors des temps d'intervention, vaquer librement à des occupations personnelles.

Analyse

Pour ces infirmiers anesthésistes, le centre hospitalier mettait à disposition un logement situé dans l'enceinte de l'hôpital pour effectuer leur garde, avec remise d'un récepteur téléphonique par lequel ils devaient pouvoir être contactés pendant toute la durée de cette garde. De plus, ce récepteur ne pouvait fonctionner qu'à proximité d'un émetteur situé dans l'établissement, les obligeant ainsi à demeurer à disposition immédiate de leur employeur. Par suite, ces agents ne pouvaient, pendant leurs périodes de garde, librement vaquer à leurs occupations personnelles, devant être à la disposition permanente et immédiate de leur employeur, et ces périodes constituaient un temps de travail effectif, devant être rémunéré comme tel.

Imputabilité d'un état dépressif au service

• L'état dépressif dont souffre un agent doit être regardé comme imputable au service s'il présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause.

CAA de Marseille, 5 novembre 2019, no 18MA00156.

Faits et procédure

Un cadre de santé, qui exerçait ses fonctions au sein d'un Ehpad a, le 14 novembre 2014, sollicité de son employeur la reconnaissance en maladie professionnelle du syndrome dépressif dont il souffre.

Le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette requête par un jugement du 27 novembre 2017.

L'intéressé a formé appel.

Droit applicable

Le fonctionnaire en activité a droit à des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie rendant impossible l'exercice de ses fonctions. Il conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois, et ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants.

Loi no 86-33 du 9 janvier 1986, Art. 41 2o.

Toutefois, si la maladie provient d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. Dans ce cas, l'imputation au service de la maladie ou de l'accident est appréciée par la commission de réforme.

Une maladie contractée par un fonctionnaire ou son aggravation doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

Analyse

Le cadre de santé soutient que l'état dépressif dont il souffre depuis 2012 trouve son origine dans son activité professionnelle.

Un rapport du directeur de l'établissement, rédigé le 20 janvier 2014, établit que la présence d'un médecin libéral dans l'établissement, avec lequel les relations sont difficiles et compliquées, a été source de tension, en particulier à la mi-juin 2013, lorsque celui-ci a publiquement jeté le doute sur la probité de certains agents, dont ce cadre de santé, au motif qu'il n'aurait pas fait respecter le principe du libre choix du médecin traitant au sein de l'établissement.

Le cadre de santé a fait l'objet d'un suivi médical par son médecin traitant, lequel atteste le 18 décembre 2013 lui avoir prescrit des anxiolytiques associés à des somnifères, alors qu'il était par ailleurs atteint d'une paralysie faciale, d'une diverticulose, d'un zona frontal, d'une hypertension artérielle et d'insomnies,

Les certificats médicaux du 1er janvier 2014 et du 5 février 2014 du médecin traitant de l'intéressé attestent d'un état dépressif réactionnel lié à des problèmes sur le lieu d'exercice professionnel.

Le médecin du travail indique que, suite à la visite du 5 janvier 2014, il a constaté un état de souffrance morale.

Un psychiatre agréé, mandaté par la commission de réforme, après examen du 23 avril 2014, estime que la pathologie dépressive est directement liée à son activité professionnelle habituelle, intervenue dans un contexte professionnel pénible, et que ce syndrome l'empêchait de reprendre son travail, avis confirmé le 26 novembre 2014 pour une mise en congé de longue maladie, en raison d'un syndrome dépressif sévère lié à son activité professionnelle

De telle sorte, le cadre de santé, en l'absence d'événement extérieur à l'origine de son état, apporte la preuve d'une altération de sa santé liée directement à son activité professionnelle, et le syndrome dépressif dont il souffre doit être regardé comme une maladie imputable au service en raison du conflit qui l'a opposé à un médecin libéral de l'établissement.

Certes, l'établissement a pris les mesures nécessaires pour réduire les tensions au sein de service dans lequel travaille l'intéressé, mais cela n'est pas de nature à faire disparaître le lien de causalité entre la pathologie et les conditions de travail.

Droit des patients

Accès aux origines des enfants nés sous X

• L'enfant né sous X peut saisir le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP) pour connaître l'identité de sa mère, et éventuellement de son père, mais cette instance ne peut donner les informations qu'avec l'accord express de ceux-ci. Le Conseil d'État estime que cet état de la loi n'est pas contraire aux principes de protection des droits de l'enfant.

Conseil d'État, 16 octobre 2019, no 420230, Publié).

Faits et procédure

Une femme, née sous X le 11 juin 1952, a été adoptée par un couple selon jugement du 6 novembre 1952. En septembre 2010, devenue majeure, elle s'est adressée au Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP) pour tenter d'obtenir l'identité de ses parents biologiques. Par une décision du 12 mars 2012, le CNAOP a refusé de lui communiquer l'identité de sa mère biologique, et par voie de conséquence de son père.

Elle a formé un recours contre cette décision, recours rejeté par la Cour administrative d'appel de Paris, et elle a alors saisi le Conseil d'État.

Droit applicable

Le CNAOP est chargé de faciliter l'accès aux origines personnelles.

CASF, art. L. 147-1.

Lorsqu'il reçoit les demandes d'accès à la connaissance des origines par l'enfant, le CNAOP recherche les éléments relatifs à l'identité de la femme qui a demandé le secret de son identité lors de son accouchement et, le cas échéant, de la personne qu'elle a désignée comme étant l'auteur de l'enfant (CASF, Art. L. 147-5), mais il ne peut communiquer l'identité de la mère que s'il n'y a pas eu de manifestation expresse de la volonté de celle-ci de préserver le secret de son identité, et après avoir vérifié sa volonté (CASF, Art. L. 147-6).

Ainsi, le CNAOP doit refuser de satisfaire à la demande d'un enfant visant à connaître l'identité de sa mère lorsque cette dernière a manifesté la volonté de taire son identité lors de l'accouchement et a renouvelé expressément cette volonté en réponse à la demande de levée du secret.

Pour le Conseil d'État, cette possibilité de lever le secret de l'identité de la mère sous réserve de l'accord de celle-ci respecte un équilibre suffisant entre le respect dû au droit à l'anonymat garanti à la mère lorsqu'elle a accouché et le souhait légitime de l'enfant né dans ces conditions de connaître ses origines.

Autorité parentale et acte de soin courant

• Par principe, l'autorité parentale est conjointe, mais à l'égard des tiers de bonne foi, chacun des parents est réputé agir avec l'accord de l'autre quand il fait seul un acte usuel relativement à la personne de l'enfant (Code civil, Art. 372-2). Il reste à qualifier, au cas pas cas, ce que recouvre cette notion, en tenant compte de la nature de l'acte, des caractéristiques du patient, en particulier de son âge, des risques et de l'ensemble des circonstances.

Conseil d'État, 4 octobre 2019, no 417714.

Faits

Un médecin pédiatre a reçu en consultation deux jeunes filles, alors âgées de 12 et 13 ans, accompagnées de leur mère, et il a préconisé leur vaccination contre le papillomavirus humain. Il leur a administré ce vaccin, en présence de leur mère, quelques jours plus tard.

Le père des deux jeunes filles a porté plainte contre ce médecin devant le conseil de l'Ordre, qui lui a infligé un blâme.

Droit applicable

Selon l'article 372-2 du Code civil, à l'égard des tiers de bonne foi, chacun des parents est réputé agir avec l'accord de l'autre, quand il fait seul un acte usuel de l'autorité parentale relativement à la personne de l'enfant.

Lorsqu'un professionnel de santé accomplit un acte médical à l'égard d'un mineur, il lui appartient de rechercher le consentement du ou des titulaires de l'autorité parentale ainsi que du mineur dès lors qu'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision (CSP, Art. L. 1111-4 et L. 1111-5). Il doit s'efforcer de prévenir ses parents ou son représentant légal et d'obtenir leur consentement. En cas d'urgence, même si ceux-ci ne peuvent être joints, il donne les soins nécessaires.

(CSP, Art. R. 4127-42).

De telle sorte, sauf en cas d'urgence, lorsqu'un acte médical ne constitue pas un acte usuel de l'autorité parentale, il ne peut être accompli à l'égard d'un mineur qu'après s'être efforcé de contacter les titulaires de l'autorité parentale et d'obtenir leur consentement.

La loi ne définit pas la notion d'acte usuel, et la jurisprudence pose pour règle : le médecin doit apprécier si, eu égard à la nature de cet acte, des risques et des bénéfices, aux caractéristiques du patient, en particulier de son âge, et compte tenu de l'ensemble des circonstances dont il a connaissance, cet acte peut être regardé comme usuel de l'autorité parentale.

Analyse

Dans cette affaire, la chambre disciplinaire nationale s'est fondée sur la seule circonstance que la vaccination en cause n'était pas obligatoire, pour en déduire qu'elle ne pouvait être qualifiée d'acte usuel de l'autorité parentale. Ce faisant, elle a commis une erreur de droit.

En effet, elle aurait dû rechercher l'existence de risques liés à la nature de la vaccination, analyser les caractéristiques des patientes concernées et l'ensemble des circonstances dont le médecin avait connaissance, pour juger que le médecin n'avait pu de bonne foi considérer que la mère des deux jeunes filles était réputée agir avec l'accord de l'autre titulaire de l'autorité parentale.

Modalités de l'information préalable

• Pour prouver que l'information préalable a été correctement fournie au patient, la production d'un document écrit et signé par le patient n'est ni nécessaire, ni suffisante. Il faut démontrer que, lors d'un entretien, les moyens adaptés ont été réunis pour que le patient ait donné en connaissance de cause un consentement éclairé à l'acte de soins.

CAA de Marseille, 3 octobre 2019, no 18MA02481.

Droit applicable

Selon l'article L. 1111-2 CSP, toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent, ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus.

Un manquement des professionnels de santé à leur obligation d'information engage la responsabilité de l'hôpital dans la mesure où il a privé le patient d'une chance de se soustraire au risque lié à l'intervention en refusant qu'elle soit pratiquée. C'est seulement dans le cas où l'intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que peut être déniée l'existence d'une perte de chance.

La production d'un document écrit et signé par le patient n'est ni nécessaire ni suffisante pour que puisse être considérée comme rapportée la preuve, qui incombe au professionnel de santé, de la délivrance de l'information. Il lui appartient en revanche d'établir qu'un entretien, préalable nécessaire à la délivrance d'une information conforme à ces dispositions, a bien eu lieu et de démontrer par tout moyen que le patient a été mis à même de donner en connaissance de cause un consentement éclairé à l'acte de soins auquel il s'est ainsi volontairement soumis.

Analyse

La patiente a été reçue le 12 janvier 2010 en consultation, pour un entretien individuel portant sur les risques de la chirurgie proposée. En outre, elle a signé le 3 mars 2010 un document expliquant l'ensemble des risques inhérents à l'intervention qu'elle s'apprêtait à subir, et notamment le risque de perdre la vision de l'œil opéré. Dans ce document, elle reconnaissait que la nature de l'intervention et ses risques, lui avaient été expliqués en termes qu'elle avait compris, et qu'il avait été répondu de façon satisfaisante à toutes les questions qu'elle avait posées, ajoutant « je donne mon accord ». Enfin, le délai de réflexion qui lui a été laissé entre la première consultation et l'intervention subie a été largement suffisant, soit trois mois.

Fin de vie d'une personne âgée : humanisme et qualité des soins

• S'agissant de la fin de vie, des manquements à la délicatesse dans les relations avec la famille ou un manque d'attention pour la protection du corps du défunt sont des fautes qui engagent la responsabilité.

CAA de Bordeaux, 19 novembre 2019, no 17BX02629, 17BX02828.

Faits

Une patiente, âgée de 81 ans, qui présentait depuis plusieurs années un diabète de type 2 et des troubles majeurs de la déglutition, compliqués de multiples pneumopathies d'inhalation, conduisant à des hospitalisations répétées, a été à nouveau admise dans un CHU le 26 juillet 2012 pour altération de son état général, dénutrition, déshydratation et grabatisation.

Constatant que son état de santé se dégradait rapidement à chaque retour à son domicile, l'équipe soignante a préconisé une prise en charge en Ehpad à l'issue de son hospitalisation et, alors qu'elle relevait de soins palliatifs, l'admission a été effective le 15 novembre 2012 à 13h 30. Or, la patiente y est décédée le lendemain à 18h 45.

Un rapport d'expertise a été effectué, ne laissant ressortir aucune faute dans la prise en charge qui ait pu conduire à ce décès. Le litige reste pour un défaut d'humanisme. Ici, entrent en jeu deux textes :

CSP, Art. L. 1110-5 CSP : « Toute personne a le droit d'avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté. » CSP, Art. L. 1110-10 CSP : « Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage. »

Le transfert entre le CHU et l'EHPAD

La famille reproche le défaut de consentement éclairé de la patiente dans cette décision de transfert du CHU vers l'Ehpad. Les juges écartent ce grief, en relevant que les facultés mentales de la patiente étaient altérées, et que ses deux fils avaient adhéré à ce placement préconisé par l'équipe soignante lors d'une réunion de coordination du 24 août 2012.

Le transfert, prévu à 14 h, a été effectué à 13 h 30, ce qui n'a pas permis à la fille d'accompagner sa mère. Cette erreur, aussi regrettable soit-elle, ne révèle pas une faute dans l'organisation du service de nature à engager la responsabilité.

La famille fait valoir qu'après une décision de principe du 1er octobre et alors que la décision a été différée au 15 novembre 2012, dans l'attente d'une place disponible à l'Ehpad. Or, l'état de la patiente s'était progressivement dégradé et son pronostic vital était considéré comme engagé le 13 novembre 2012, ce dont ses enfants étaient informés. Toutefois, l'expert qualifie de « logique et pertinent » son transfert le 15 novembre dès lors que le décès ne semblait pas imminent, et que son état correspondait au profil habituel des patients pris en charge pour des soins palliatifs.

Alors même que le décès est survenu le lendemain de l'admission dans cet Ehpad, le fait que le transfert ait été assuré en ambulance non médicalisée, son état de santé le permettant, n'a pas été à l'origine d'une souffrance inutile.

Aussi, sur ce volet, la responsabilité est écartée, en l'absence de faute.

Séjour à l'Ehpad

Le dossier médical fait état, les 15 et 16 novembre 2012, de soins de confort avec une médication pour le traitement de la douleur et de l'anxiété, des soins de bouche et de prévention des escarres, une surveillance de la diurèse et de la glycémie, une perfusion la nuit et l'arrêt de toute alimentation par la bouche.

Les membres de la famille n'étaient pas présents lors de la réalisation de ces soins, et l'une des enfants a elle-même hydraté sa mère lorsqu'elle se trouvait à son chevet. Certes, le dossier de soin ne précise pas les heures auxquelles les soins ont été dispensés, ce qui n'est pas requis, mais cela ne suffit pas à faire douter de la réalité de ces soins palliatifs.

En revanche, la famille a critiqué à juste titre les propos tenus par l'infirmière lors de l'accueil de leur mère, évoquant le décès probable, les formalités et la toilette mortuaire alors que la patiente était en mesure d'entendre, la tenue de ces propos caractérisant un manque de délicatesse, ce qui est une faute.

Par ailleurs, il a fallu déplorer une mauvaise gestion de la table réfrigérante, sur laquelle reposait le corps de la défunte. En effet, cette table réfrigérante fonctionnait de manière trop intense, laissant le corps collé, ce qui a altéré la présentation du corps de la défunte à ses enfants.

Le respect dû à la personne prise en charge en soins palliatifs et le devoir de soutien de l'entourage, tel que prévus par les dispositions des articles L. 1110-5 et L. 1110-10 CSP ne prennent pas fin à l'instant du décès, mais incluent le respect dû au corps du défunt, notamment en ce qui concerne sa présentation aux proches.

RESPONSABILITÉ

Pose d'une chambre implantable sur la voie jugulaire par un interne

• Un interne en médecine exerce ses activités sous la responsabilité d'un praticien référent, mais la présence de celui-ci n'est pas exigée en permanence et pour la totalité des actes médicaux de pratique courante.

CAA de Douai, 19 décembre 2019, no 18DA00328.

Faits

Une patiente a été admise le 6 janvier 2015 dans un CHU pour la prise en charge d'un lymphome non hodgkinien. Elle a subi le même jour, par un interne, une intervention destinée à la pose d'une chambre implantable sur la voie jugulaire interne droite devant permettre l'injection du produit chimiothérapique.

L'échec de cette intervention, résultant de la formation par le cathéter d'un coude empêchant le bon écoulement du produit, a nécessité une nouvelle intervention, réalisée le lendemain sous anesthésie générale, au cours de laquelle la chambre implantable a été retirée et une nouvelle chambre installée sur la voie jugulaire gauche.

Droit applicable

L'interne exerce des fonctions de prévention, de diagnostic et de soins, par délégation et sous la responsabilité du praticien dont il relève (CSP, Art. R. 6153-3). Les internes exécutent les tâches qui leur sont confiées par le médecin référent ou le praticien responsable de l'entité d'accueil, à l'occasion des visites et consultations externes, des examens cliniques, radiologiques et biologiques, des soins et des interventions. Ils peuvent exécuter des actes médicaux de pratique courante, sont chargés de la tenue des observations et participent aux services de garde.

De telle sorte, si un interne en médecine exerce ses activités sous la responsabilité d'un praticien référent, la présence de celui-ci n'est pas exigée en permanence et pour la totalité des actes médicaux de pratique courante réalisés par l'interne.

Analyse

L'absence de médecin responsable au cours de l'intervention du 6 janvier 2015 réalisée par un interne, à cette date en cours d'internat en chirurgie, n'est pas constitutive d'une faute dans l'organisation du service.

Par ailleurs, l'intervention a duré, selon la fiche de suivi d'intervention, une heure vingt-cinq, soit au-dessus de la moyenne de la durée observée pour ce type d'intervention, environ d'une heure, mais cette durée, qui reste raisonnable, ne révèle pas l'existence d'une faute médicale, d'autant plus qu'il le résulte aucune conséquence de ce dépassement.

Le compte-rendu de l'intervention établit que l'interne, à la suite de la pose de la chambre implantable, a procédé à la mise en continuité du système et à la vérification de la bonne perméabilité du cathéter. Une incertitude demeure sur la méthode qu'il a employée pour s'assurer du bon fonctionnement du cathéter, mais cela ne constitue pas une faute de nature à engager la responsabilité, dès lors qu'il n'est pas établi que l'interne n'aurait pas procédé à cette vérification. Par ailleurs, il est connu que, après une implantation correcte, la coudure du cathéter peut survenir après l'implantation au moment de la fermeture cutanée.

Défaut de matériel et responsabilité sans faute

• Lorsque le défaut d'un matériel a causé un dommage à un patient, la responsabilité du centre hospitalier est engagée sans qu'il soit nécessaire de prouver sa faute, mais dans un deuxième temps, l'établissement peut exercer une action récursoire contre le fabriquant.

CAA de Bordeaux, 19 novembre 2019, no 17BX03865.

Faits

Le 2 décembre 2011, une dame alors âgée de 79 ans, a subi dans un CHU de Bordeaux une intervention chirurgicale pour le traitement d'une sténose de la carotide gauche.

Cette thrombo-endartériectomie s'est déroulée de façon satisfaisante, de même que la phase de réveil, mais à six heures, la patiente a présenté un malaise avec collapsus en relation avec un volumineux hématome compressif au niveau de la zone opératoire. La reprise chirurgicale réalisée en urgence a révélé une hémorragie causée par la rupture du fil de suture de l'artère carotide.

La compression manuelle nécessaire à la limitation de cette hémorragie a provoqué un accident vasculaire cérébral massif qui a eu pour conséquences une hémiplégie droite complète et flasque, une aphasie et des troubles cognitifs.

Droit applicable

Un établissement hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise, c'est-à-dire lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle un usager peut légitimement s'attendre (Code civil, Art. 1245-3). Cette règle joue en cas d'implantation, au cours de la prestation de soins, d'un produit défectueux dans le corps d'un patient.

Cette responsabilité sans faute joue vis-à-vis des patients, mais si sa responsabilité a été reconnue, l'établissement dispose d'une action récursoire contre le producteur.

Analyse

La rupture du fil ayant suturé l'ouverture de l'artère carotide, qualifié de très fin mais aussi très résistant, constitué de polypropylène et utilisé couramment depuis de nombreuses années, est selon les experts un phénomène de caractère « heureusement exceptionnel ».

Les experts sont interrogés sur les causes possibles d'une telle rupture : une poussée de tension en postopératoire, un effort de toux ou une fragilisation du fil par étirement lors de l'extraction de son support auraient pu jouer un rôle, mais ces hypothèses sont en contradiction avec la grande résistance qu'impose l'usage auquel il est destiné, et le chirurgien s'est assuré du bon état du fil de suture qu'il utilise.

Il n'en reste pas moins que ce fil n'a pas permis le maintien de la fermeture de l'artère carotidienne. Il n'a pas offert la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, cette donnée objective qu'est son caractère défectueux conduit à reconnaître la responsabilité sans faute du CHU.

Par principe, la responsabilité de santé n'est engagée qu'en cas de faute. Mais ce principe concerne uniquement l'activité de soin, c'est-à-dire le diagnostic, la thérapie, la surveillance et la prévention. Lorsqu'est en cause un défaut du matériel, on bascule vis-à-vis du patient sur un autre régime qui est celui de la responsabilité sans faute, solution qui n'est pas inéquitable car l'hôpital dispose ensuite d'une action récursoire contre le fabriquant.

Ischémie d'un pied chez un polytraumatisé

• Alors que chez un patient traumatisé admis en urgence, l'ischémie d'un pied a été signalée, l'absence d'examen vasculaire est une faute qui engage la responsabilité.

CAA de NANCY, 23 juillet 2019, no 17NC02737.

Faits

Un homme, né en 1987, a été victime d'un grave accident le 28 décembre 2007, alors qu'il circulait en voiture. Pris en charge par un centre hospitalier, il présentait lors de son admission de multiples traumatismes du crâne, de la face, du bassin et des membres inférieurs. Il a subi plusieurs interventions chirurgicales afin notamment de réduire la fracture ouverte des os du nez, d'assurer l'enclouage des fémurs et de réaliser une aponévrotomie rendue nécessaire par le syndrome des loges musculaires de la jambe gauche.

Le pied gauche présentant un état trophique préoccupant, il a été décidé de le transférer le 7 janvier 2008 dans un CHU où une ischémie de ce membre inférieur a été diagnostiquée. Les soins apportés n'ont pas permis d'éviter une amputation trans-métatarsienne de l'avant pied gauche le 25 février 2008, puis l'amputation de la totalité du pied le 27 avril 2011.

Analyse

L'ischémie au pied gauche était signalée lors de son admission au centre hospitalier le 28 décembre 2007. Or, aucun examen vasculaire n'avait été réalisé, ce qui a conduit à une dégradation progressive de ce membre inférieur. Cela constitue un erreur de diagnostic, et cette erreur doit être qualifiée de faute vu l'absence de réaction au signalement initial, ce alors que la conduite à tenir, en commençant par un examen vasculaire, ne fait pas de doute dans une telle situation.

Après admission au CHU le 8 janvier 2008, le diagnostic de l'ischémie et les soins apportés n'ont pas permis d'éviter l'amputation du pied gauche. Le retard initial se trouve de façon directe et certaine à l'origine de l'amputation du pied gauche et des préjudices en résultant, et ces faits engagent la responsabilité exclusive du premier centre hospitalier.

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