Objectif Soins n° 273 du 01/02/2020

 

Recherche & Formation

Dossier

Chantal Laurens  

À l'aune de la création de la section 92 des sciences infirmières au Conseil national des universités (CNU), ainsi que des sections 91 et 90 respectivement sciences de rééducation et réadaptation, sciences maïeutiques, de la qualification d'enseignants chercheurs dans la discipline, nous proposons un bref retour sur les faits marquants de ces cinquante dernières années en termes de recherche infirmière, d'évolution de la profession et des études devenant universitaires. Nous proposons une réflexion portant sur l'initiation de la recherche auprès des étudiants infirmiers, de formation initiale, spécialité ou cursus universitaire, alimentée par l'expérience et les observations. En effet, la première rencontre avec la démarche de recherche dans le cadre de l'initiation enseignée dans les formations doit bénéficier, selon nous, d'une attention, d'une préparation singulière et d'un accompagnement personnalisé de l'étudiant de la part des enseignants et des " guidants " de mémoire ; cette étape est fondamentale dans la construction de la pensée infirmière du professionnel, du praticien-chercheur et des sciences infirmières.

INTRODUCTION

« La destination du chercheur dépend de la route qu'il suit », (Ibn Al-Arabi).

C'est par cette citation que nous commençons notre propos. En effet, elle nous évoque le chemin parcouru par les professionnels du soin depuis des décennies. Après de nombreuses années d'errance, de quête, le corps infirmier se construit, se professionnalise, se positionne, gagne en reconnaissance. Les études visant à l'obtention du diplôme d'état infirmier connaissent une réingénierie en 2009, faisant suite au processus de Bologne (1) comme l'ensemble des formations paramédicales ; elles deviennent universitaires.

Les infirmiers(es) formés(es) selon le programme de 2009 ont aujourd'hui 7 ans d'expérience. Certains ont depuis suivi des formations pour une spécialité (infirmier(e) de bloc opératoire (IBODE), infirmier(e) anesthésiste (IADE), infirmier(e) en pratique avancée (IPA), cadre de santé (IFCS), puériculteur(trice) ou autre formation universitaire (MASTER...). Dans chaque formation, la recherche a sa place et le diplôme est validé outre les évaluations des unités d'enseignements, par la réalisation et la soutenance d'un mémoire de recherche.

Il nous paraît important de nous intéresser à cette étape de l'initiation à la recherche intégrée au référentiel de formation, d'activités et de compétences, réelle démarche scientifique qui, au-delà d'être imposée par les textes officiels régissant la formation et l'obtention du diplôme, constitue la première marche de l'entrée des sciences infirmières à l'université dans un système Licence-Master-Doctorat (LMD). Force est de constater que dans ces formations de spécialités ou universitaires, les professionnels infirmiers semblent avoir occulté, enfoui au plus profond d'eux-mêmes, ce premier travail de recherche mené en formation initiale. Ce dernier est banalisé, victime d'un relatif désintérêt de la part du professionnel redevenu étudiant, ce qui peut expliquer la mise en sommeil profond des acquisitions méthodologiques et démarches de recherche. Nous nous sommes alors demandé en quoi l'approche de l'initiation à la recherche auprès des étudiants pourrait être un levier dans l'essor de la recherche infirmière et la reconnaissance de la profession ?

Nous proposons notre réflexion prenant assise sur notre expérience et les pratiques locales quant à l'approche de la recherche en formation du point de vue des acteurs, du rôle essentiel de l'initiation dans le développement de la recherche infirmière et pour la discipline des sciences infirmières.

LE « TREKKING » DE LA RECHERCHE INFIRMIÈRE

Si la recherche paramédicale commence à prendre sa place aujourd'hui en France et à l'international, nous pouvons dire que c'est le fruit du travail et des efforts des professionnels paramédicaux sur les dernières décennies. Associer la recherche infirmière (et paramédicale) à un « trekking » peut paraître surprenant mais c'est ainsi que nous le percevons. Le « trekking » se définit comme une grande « randonnée pédestre » caractérisée par « sa longue durée et la traversée de zones sauvages ou difficiles d'accès » ; le parcours des infirmiers(es) sur la route de la recherche n'a pas été un long fleuve tranquille et a demandé un fort engagement des professionnels. Dès 1966, l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) recommande, dans son cinquième rapport, l'encouragement de la recherche qu'elle considère être « un élément essentiel de l'organisation des services de santé ». Toutefois, l'histoire infirmière est longue et difficile, dans un rapport de subordination au médecin imposé par son statut d'auxiliaire médical dont l'infirmier(e) peine à se détacher. En outre, l'infirmier(e) est imprégné(e) de la culture « des femmes soignantes » inscrite dans l'oralité ; bien qu'étant un acte communicationnel fort, le passage à l'écrit est encore vécu de nos jours comme une contrainte et est souvent lacunaire. Pour autant, certaines professionnelles des XIXe et XXe siècles, conceptualisent les soins dans toutes leurs dimensions, selon des visions et approches différentes et complémentaires, avec cette même préoccupation d'améliorer la prise en soins des personnes soignées, de l'entourage, de la communauté. Si les infirmiers(es) produisent des connaissances sur lesquelles reposent leurs pratiques, s'ils (elles) sont capables de discuter ces dernières y apportant des évolutions s'avérant bénéfiques pour les usagers, ils (elles) peuvent et doivent tracer ce cheminement dans un passage à l'écrit, tracer le processus de pensée qui encadre la démarche clinique qui au-delà de soins contribue à l'organisation du travail collectif des soignants ; « ...tous ces signes qui sont le résultat d'interactions. Quand nous associons dans notre interprétation du signe, le signe à ce qui l'a produit, ce signe devient pour nous ``signe-trace''. Dans cette association, nous connectons les traces du passé et leur interprétation au présent » (Galinon-Melenec 2011, p. 195) (2).

La recherche n'existe que par les écrits des professionnels et/ou des chercheurs ; ils portent dans l'espace public les résultats des études, partageant leur réflexion, enrichissant les savoirs de la discipline et constituant peu à peu les données probantes utiles à une profession et aux disciplines connexes. Contrairement aux professions médicales qui sont universitaires, formées à la méthodologie de la recherche et entraînées à la publication, les auxiliaires médicaux suivent leur formation dans des écoles, devenues des instituts sans avoir de réelle valence universitaire ; il faut attendre le processus de Bologne pour connaître, dans les années 2000, les réingénieries des formations pour les professions paramédicales (notamment les infirmières), introduisant la notion de recherche en tant qu'investigation systématique.

De nombreux textes et décrets jalonnent cette histoire, constituant le socle de la professionnalisation et l'essor de la recherche infirmière (et paramédicale) pour les étudiants (3) et/ou les professionnels en exercice : la loi HPST du 21/07/2009 pose le cadre des protocoles de coopération, des pratiques avancées dont la formation est accréditée par le législateur dans certaines universités françaises en 2018 (4). Dès 2010, la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) organise et gère les projets de recherche qui s'ouvrent aux paramédicaux, tels que les Projets hospitaliers de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP), les Programmes de recherche sur la performance du système de Santé (PREPS) (5) ; alors même que les médecins proposent des Projets hospitaliers de recherche clinique (PHRC) dès 2004.

La recherche infirmière se structure dans certains établissements hospitaliers, tels que les CHU, des professionnels sont identifiés et missionnés sur la coordination de celle-ci : pour le CHU de Toulouse, Nadia Peoc'h (6) assure cette mission et, dès 2010, participe à l'évaluation des PHRIP déposés auprès de la DGOS (la recherche est un axe du projet de soins de l'établissement dès 1993 et des formations d'initiation à la recherche sont proposées en formation continue). Des groupements interrégionaux pour la recherche clinique et l'innovation (GIRCI) se constituent et s'organisent, ainsi que des Cellules d'appui à la recherche en soins (pour exemple, la plateforme CARES au CHU de Toulouse, en 2019).

La recherche infirmière (et paramédicale) est une mesure de la loi « Ma Santé 2022 » contribuant à la collaboration interprofessionnelle et interdisciplinaire, la formation, l'organisation avec la prise en compte des nouveaux métiers, l'amélioration de l'accès aux soins et de la qualité et la pertinence des soins. Elle est aussi un vrai levier managérial dans la coconstruction du sens des pratiques, du raisonnement clinique, de la réflexivité, de « l'agir et du vivre ensemble », in fine la formalisation de la pensée et des savoirs dans la discipline des sciences infirmières. Pour Christophe Debout, la recherche est « le produit des savoirs scientifiques utilisables pour alimenter les prises de décisions infirmières, que ces décisions concernent le chronique, la formation mais aussi l'enseignement » (7).

L'universitarisation des études paramédicales, les spécialités de grade Master (comme le Diplôme d'état d'infirmier en pratique avancée), les projets de recherche où les infirmiers(es) sont investigateurs et non plus les médecins... sont autant d'évolutions pour la profession et sa reconnaissance, et contribuent au développement de la recherche infirmière. La création très récente de la section 92 des sciences infirmières au CNU (8) et la qualification d'enseignants chercheurs issus de la profession sont l'un des activateurs de cet essor de la recherche. « La science est une réalité sociale qui a son histoire, ses résultats, ses hypothèses, ses méthodes... et le chercheur doit se faire très humble quand il aborde cette grande dame qu'est la science » (Mialaret, 2004) (9). Selon nous, cette humilité et cette rigueur qu'impose la recherche, réelle démarche scientifique, s'acquièrent dès la formation initiale des infirmiers(es).

L'INITIATION À LA RECHERCHE ET SON APPROCHE DANS LE PROCESSUS DE FORMATION

Selon le Conseil international des infirmiers(es) (CII)N en 1998 : « la recherche en soins infirmiers comprend l'étude de tous les aspects, activités et phénomènes relatifs à la santé et pouvant être intéressants d'une manière ou d'une autre pour les infirmières [...] » (cité par Formarier, p. 111) (10) ; « elle est une démarche qui procède d'une quête systématique visant à dégager de nouveaux savoirs infirmiers au bénéfice des patients des familles et des communautés » (11) (CII 1998). Aussi, un apprentissage apparaît fondamental pour les étudiants en soins infirmiers.

• Le cadre règlementaire : Quelle que soit la formation, les enseignements relatifs à la recherche sont identifiés dans le référentiel de formation déclinés en Unités d'Enseignements (UE) et selon les textes officiels. Le mémoire de fin d'études validant l'obtention du diplôme d'état ou du diplôme universitaire, est contributif de la recherche par la mobilisation des acquis de la formation dans la mise en œuvre d'une démarche de recherche. Pour illustrer nos propos, nous faisons un focus sur chaque formation en soins infirmiers et la recherche dans les instituts locaux :

→ Formation initiale en soins infirmiers (IFSI) : deux UE identifiées en lien avec les compétences 7 et 8 (respectivement Analyser la qualité des soins et améliorer sa pratique professionnelle ; Rechercher et traiter des données professionnelles et scientifiques) ;

- UE 3.4 semestres 4 et 6 : Initiation à la démarche de recherche (démarches et méthodes).

- UE5.6 semestre 6 : Analyse de la qualité et traitement des données scientifiques et professionnelles.

→ Formation IBODE : deux critères identifiés en lien avec la compétence 8, Rechercher, traiter et produire des données professionnelles et scientifiques ;

- Critère 7 : Pertinence de la démarche d'analyse critique d'une situation de travail ;

- Critère 8 : Pertinence, qualité du questionnement professionnel, pertinence des données recherchées au regard de la problématique.

→ Formation IADE : trois UE identifiées en lien avec la compétence 7 : Rechercher, traiter et produire des données professionnelles et scientifiques dans les domaines de l'anesthésie, la réanimation, l'urgence et l'analgésie ;

- UE 1.4 santé publique, économie de la santé, épidémiologie ;

- UE 5 stage de recherche de 4 semaines :

 5.1 Statistiques

 5.2 Méthodologie de la recherche-essais cliniques

 5.3 Analyse commentée d'articles scientifiques

- UE 7 Mémoire professionnel.

→ Formation cadre de santé : deux modules en lien avec la recherche

- Module 3 : analyse des pratiques et initiation à la recherche ;

- Module 6 : approfondissement dans la fonction d'encadrement et de pédagogie.

→ Formation IPA (DE grade MASTER) :

- UE recherche : semestres 2 et 3, en lien avec la compétence 6 : Rechercher, analyser et produire des données professionnelles et scientifiques.

- UE Mémoire : Semestre 4 en lien avec la compétence 6 (cf. ci-dessus).

• La notion d'initiation à la recherche

L'initiation à la recherche est présente dans toutes les formations et nous sommes convaincues que l'approche que nous en avons auprès des étudiants, ce que nous en disons, le retour d'expérience que nous en faisons conditionnent l'appropriation de la démarche et de la méthodologie, ainsi que la suite qui sera donnée par le professionnel dans cette activité de recherche. Mais qu'est-ce que l'initiation en recherche ? Il convient de la définir pour en comprendre les enjeux.

Parler d'initiation évoque la découverte, l'apprentissage... Selon le dictionnaire Larousse, « c'est admettre quelqu'un à la connaissance, lui donner les connaissances rudimentaires d'une science, révéler une pratique... ». La recherche même si elle fait partie de notre quotidien comme producteur des objets d'études et contributeur de la démarche elle-même, est un ensemble structuré « d'activités intellectuelles ayant pour objet la découverte, l'invention, la progression de connaissances nouvelles » (CNRTL) (12).

La recherche infirmière entre dans le champ de la recherche appliquée et « vise à trouver des solutions à des problèmes cliniques et à conduire des changements dans les pratiques de soins. La recherche infirmière a pour finalité la santé, en améliorant la qualité, l'efficacité et l'efficience des soins infirmiers » (Rothan Tondeur, 2015, p. 7) (13). Cette initiation à la recherche enseignée par les instituts de formation devient le fondement de la recherche en soins infirmiers pour les professionnels en devenir. Étape essentielle dans le parcours de professionnalisation des étudiants, cette initiation permet à l'étudiant de « se frotter » à la rigueur de la recherche, démarche et méthodologie mais aussi éthique et déontologie, réel pont entre la théorie et la pratique, à l'origine d'allers et retours entre notre propre réalité et l'idéal que nous mettons en perspective. En aucun cas, l'initiation ne peut amener à une généralisation des résultats obtenus au regard du temps imparti pour le travail de mémoire dans le cursus de formation, de la faible population d'enquête et la faible puissance statistique de l'étude. Pour autant, cette initiation n'est pas à prendre à la légère ou à déprécier auprès des étudiants ou des professionnels, attribuant un caractère minimaliste au travail en contexte. Cet apprentissage de la recherche matérialisé dans le mémoire de fin d'études permet à l'étudiant de transformer le regard intuitif porté sur les situations, les phénomènes en regard scientifique, distancé, objectif. En avoir conscience permet d'appréhender autrement les enseignements et l'accompagnement de l'étudiant.

• L'approche de la recherche dans la formation

L'enseignant comme le « guidant » ont un rôle fondamental dans l'initiation à la recherche et la mise en œuvre au travers du mémoire de fin d'études. Hormis les enseignements magistraux sur la méthodologie, les statistiques, les outils de recueil ou de traitement et d'analyse des données..., les travaux dirigés comme les lectures critiques d'articles scientifiques, l'accompagnement de l'étudiant s'avère primordial pour l'appropriation de cette démarche scientifique et sa mise en œuvre par le mémoire. L'évaluation des acquis et la mobilisation de ces derniers s'imposent. Les enseignants et « guidants » amènent l'étudiant à dépasser ses intuitions, ses croyances, ses impressions, ses préjugés, à aller au-delà des apparences. L'objectif pour lui est de définir son objet d'étude, de mettre en lumière les phénomènes, les observer, les comprendre, les interpréter, les expliquer, voire les améliorer influant de fait les pratiques professionnelles.

Il ne s'agit pas pour l'étudiant de se contenter d'explications ou d'interprétations toutes faites en les plagiant, mais bien d'utiliser sa capacité à « dérouler le fil » de sa pensée et de sa réflexion selon une logique et des choix raisonnés. Le but ultime de la recherche en soins infirmiers est de comprendre et/ou modifier les pratiques de soins, les pratiques professionnelles et managériales, les interactions dans l'élaboration du travail collectif et qui devrait être de proposer des améliorations et des innovations pour la qualité et la pertinence des soins et des conditions de travail. Le mémoire de fin d'études élaboré dans le cadre d'une initiation à la recherche est le produit de la réflexion, du raisonnement et produit des connaissances pour la profession, pour faire évoluer les pratiques de soins vers l'efficience.

La recherche infirmière « repose sur des méthodes rigoureuses destinées à répondre à des questions et/ou résoudre des problèmes issus de la clinique » (2015, p. 15) (14). Ainsi, l'initiation à la recherche réalisée dans les instituts de formation gagnerait à associer étroitement les pôles cliniques et médico-techniques dans le choix des objets d'études et/ou la contribution à l'étude elle-même. Selon Peoc'h, « la pratique infirmière et paramédicale pourrait être considérée comme un laboratoire, un milieu riche de données qui invite au questionnement et à la recherche » (p.9) (15). À l'aune de l'entrée de la section des sciences infirmières au sein du CNU, la recherche infirmière est un véritable enjeu pour la profession (praxéologique, identitaire) au bénéfice des personnes soignées, des familles et communautés. Le terrain professionnel devient le terrain d'une recherche dite appliquée et dès lors « repose sur une nécessité établie par le chercheur de répondre à un problème qui se pose immédiatement à l'observation. Le chercheur doit trouver une solution à un problème qui fait suite à l'observation de ce qui semble être de nouveaux faits et de nouveaux phénomènes » (Bonneville, Grosjean,, Lagacee, 2007, p. 31) (16). C'est ainsi que les sujets de mémoire devenant peu à peu objets d'études, prennent forme : une situation « interpellante », un constat, un phénomène, un effet... l'étudiant se questionne, échange avec l'équipe de soins, les enseignants, commence à lire, à faire l'état de l'art, il revêt la peau d'un praticien chercheur. Pour Delavergne (2007), le praticien chercheur appartient à deux mondes « un praticien qui cherche, un chercheur qui pratique [...], comprendre autrement tout en étant à l'intérieur » (17). L'enquête sur le terrain professionnel permet d'allier novices et experts dans une réflexion sur les pratiques professionnelles, pouvant être générateurs de projets d'équipes.

• Les enjeux de cette initiation pour les acteurs

– La direction des soins et les pôles cliniques, médico-techniques : L'initiation à la recherche passe par la rigueur de la démarche et de la méthode, du protocole de recherche en prenant en compte les principes éthiques et déontologiques. Depuis plus de dix années, la réalisation d'enquêtes au CHU de Toulouse par les étudiants quelle que soit la formation est soumise à autorisation de la direction des soins qui assure la coordination de l'ensemble des demandes (locales et extérieures). L'étudiant soumet son protocole exhaustif et sa grille de recueil des données au cadre supérieur de santé de la direction des soins coordonnant les enquêtes (et les stages). Nominatif, l'accord est relayé auprès des cadres de santé dont les unités sont ciblées et qui sont le relais de l'étudiant dans l'organisation de l'enquête auprès des professionnels. L'élaboration d'une banque thématique est en projet (thèmes de recherche pouvant émaner des pôles et/ou des instituts de formation), pour recenser et proposer les sujets de mémoire aux étudiants, consolidant le lien hôpital/écoles, axe 4 du projet de soins du CHU de Toulouse. Cette banque thématique peut aussi faire émerger des projets de recherche d'équipes soignantes (PHRIP et autre), et in fine contribuer à l'essor de la recherche et à l'élaboration de données probantes mises à disposition de la profession. La direction des soins et les professionnels des pôles sont partie prenante de l'enseignement auprès des étudiants, quelle que soit la formation.

– Les instituts de formation, écoles et universités.

Les enseignements sur la recherche sont règlementaires, régis par les textes, les référentiels de formation. Le système LMD impose aux étudiants une formation à la recherche et une mise en pratique de la démarche, le doctorat menant à une carrière universitaire d'enseignant chercheur et à la guidance des travaux des « chercheurs novices ». La recherche infirmière assurée par des praticiens-chercheurs, telle qu'elle se profile en sciences infirmières, rend possible des travaux collaboratifs et transdisciplinaires, contribue à une réflexion sur l'évolution des systèmes de santé, des pratiques professionnelles de soins ou managériales. Quant à la transdisciplinarité, elle aide à croiser les regards, les disciplines, les approches et épistémologies, à débattre et amener les controverses : c'est ce qui fait l'intérêt scientifique pour la recherche et la science. « La recherche en sciences infirmières permet ainsi d'élaborer des connaissances distinctes de celles qui sont élaborées par d'autres disciplines mais qui se révèlent complémentaires entre elles sur un même thème » (Pepin, 2015, p. 15) (18). Pour autant, la science infirmière exige un ancrage sur le terrain professionnel, dans une vraie posture de praticien-chercheur. Selon Kivits et al (2016) « problématiser implique de "faire un pas de côté" c'est-à-dire de prendre de la distance avec son sujet » (p.46) (19). Parlant de la recherche qualitative, il ajoute qu' « elle rend inopérante la posture de chercheur à distance » (20), cet ancrage sur le terrain apparaît donc fondamental. L'enseignant chercheur reste immergé sur son terrain professionnel devenu terrain d'étude.

Pour les enseignants de ces formations soutenus par les « guidants » des mémoires, il est crucial de transmettre aux étudiants la rigueur de cette démarche scientifique, de leur démontrer son intérêt et sa transférabilité dans les pratiques professionnelles, mais aussi la plus-value pour la profession elle-même, pour les bénéficiaires et acteurs des soins. La démarche d'initiation à la recherche est la clé du développement de la recherche infirmière et paramédicale. L'appréhender comme nécessaire à la pratique professionnelle, à la qualité des soins, à l'évolution des pratiques et de la profession, la valoriser dans ce qu'elle est au niveau de formation où elle se situe peut modifier le regard porté sur le mémoire de fin d'étude et sur la recherche infirmière.

• Les étudiants en soins infirmiers .

Quelle que soit la formation, de base, spécialité ou universitaire, les étudiants expriment leur difficulté à appréhender la démarche et la méthodologie de la recherche, sa rigueur. Ce qui n'est pas sans nous questionner pour les spécialités et Masters, les étudiants ayant déjà réalisé un mémoire de recherche. Ils perçoivent comme complexe de transposer la démarche scientifique acquise dans leur pratique quotidienne, à en mesurer les liens et intérêts. L'écriture est également un problème pour les étudiants tant dans la forme que la structuration du tapuscrit, la syntaxe, l'orthographe. Ce constat nous renvoie à une réflexion générale sur la société du numérique, la méthode d'apprentissage de la lecture, de l'écriture voire du calcul mental au primaire (comme la méthode globale souvent décriée), la prévalence des jeux vidéo sur les livres... L'exercice de l'écriture faisant appel aux règles élémentaires de composition française s'avère être un écueil pour les étudiants et professionnels. Le questionnaire de satisfaction soumis aux étudiants et leur retour lors d'échanges informels font état du caractère chronophage et « lourd » de ce travail transversal qu'est le mémoire. La première partie (problématisation) allant du constat à la question de recherche en passant par l'état de l'art, le cadre contextuel, cadre théorique, est vécue comme difficile car elle demande la mobilisation des acquis et savoirs, l'appropriation de la démarche de recherche, de la méthodologie et beaucoup de lectures ; elle exige la mise en écrit de la structuration du travail, de la réflexion, du questionnement, etc. Quant à la deuxième partie, elle est perçue comme chronophage par l'investissement qu'imposent l'enquête sur le terrain, le temps d'analyse et de discussion. Pour autant, la rencontre des professionnels lors des entretiens semi-directifs sur une thématique, choisie par l'étudiant et qui lui tient à cœur, souvent issue de l'expérience, est ressentie comme enrichissante et captivante dans le travail de mémoire. Cela peut s'expliquer par le fait que l'étudiant va enquêter sur son terrain professionnel, il est dans l'agir, le faire, il se retrouve dans la réalisation de l'enquête et les interrelations auprès des professionnels.

L'initiation à la recherche et le mémoire : facteurs de réussite et points de vigilance.
L'initiation à la recherche auprès des étudiants en soins infirmiers constitue la première pierre dans la reconnaissance professionnelle et l'essor de la recherche infirmière (et paramédicale).

• Les facteurs de réussite observables et axes d'amélioration sont :

– Renforcer l'acquisition de la méthodologie de la recherche par les étudiants, la rigueur, le respect des principes éthiques et déontologiques, la prise de hauteur et de distance vis-à-vis du sujet d'étude ;

– Favoriser l'expression d'une valorisation par les enseignants du travail réalisé par l'étudiant, travail qui, s'il n'est pas généralisable, est la première marche vers la généralisation ; nous constatons que les étudiants inscrits dans les cursus universitaires ou spécialités refoulent leurs acquis de formation initiale concernant la recherche ce qui impose aux enseignants de reprendre l'intégralité des enseignements sur la méthodologie. La banalisation et dépréciation du travail de mémoire peut contribuer à cette occultation ;

– Renforcer le lien hôpital/écoles par l'association des équipes de soins dans les pôles aux propositions de thématiques de mémoire, voire à l'étude jusqu'à la publication des résultats et soutenir les projets de PHRIP ou PREPS dans la continuité de ces démarches que nous qualifierons d'exploratoires ;

– Faire de ce travail de mémoire un levier managérial et d'intelligence collective pour l'équipe soignante ;

– Dynamiser la recherche dans les établissements, mettre en cohésion et synergie les professionnels qu'ils soient en devenir, novices ou experts, dans une collaboration étroite hôpital /écoles, les étudiants étant le terreau de la recherche infirmière.

• Les points de vigilance sont :

– Veiller à la pertinence des projets de recherche, qu'ils soient ancrés dans le réel pour éviter un désengagement des professionnels ou un projet avorté ;

– Accompagner les professionnels dans la démarche de recherche, être dans un rapport participatif « novice-expert » pour guider l'apprenti chercheur, selon le modèle des Compagnons du Tour de France ; ces derniers apprennent à l'apprenti « à être » comme « à faire » ; ils le soutiennent, supervisent le travail, procèdent aux ajustements, l'accompagnent dans son projet alors qu'il est un professionnel en devenir ;

– Faire que la recherche soit l'affaire de tous dans une équipe même s'il y a un porteur de projet ; c'est ce qui fait la cohésion, encourage le chercheur et favorise le réinvestissement dans les pratiques des améliorations possibles mises au jour ;

– Veiller à ce que la recherche infirmière soit portée par des infirmiers(es) et qu'ils(elles) en soient les investigateurs (trices) ;

– Veiller à ce que les résultats de la recherche soient communiqués et publiés dans les revues professionnelles.

Le développement de la recherche infirmière dépend donc fortement de cette phase d'initiation à la recherche auprès des étudiants en soins infirmiers. D'où l'attention singulière que doivent y consacrer les enseignants et les « guidants » de mémoire pour préparer le terreau de la recherche et l'enrichir pour une continuité. Selon Formarier, « la recherche en soins infirmiers est un moyen d'aider à l'avancement des sciences infirmières, d'asseoir une discipline, mais aussi d'apporter des solutions novatrices pour la pratique infirmière » (2010, p. 113) (21).

 

En conclusion

L'essor de la recherche infirmière (et paramédicale) dépend de la manière dont elle est approchée durant la formation en soins infirmiers. Selon nous, l'initiation est la première pierre de l'édifice « recherche », lequel contribue fortement à la reconnaissance de la profession infirmière (et autre paramédical). À l'aune de la constitution de la section 92 des sciences infirmières au CNU, composée d'enseignants chercheurs, il convient de porter un regard différent sur les études réalisées dans le cadre des mémoires de fin d'études, un travail à valoriser plus qu'à banaliser pour les professionnels en devenir et/ou les novices. L'initiation à la recherche et le mémoire dépassent le simple exercice d'école validant un diplôme ; ils sont la première pierre de l'édifice des sciences infirmières, contribuant à la construction des savoirs scientifiques inhérents à la profession garantissant un haut niveau de qualité des soins dans le processus de santé des populations. La réalisation des travaux de recherche quel que soit le niveau et la formation participe au développement du professionnel, à la professionnalisation des infirmiers(es) et à l'intelligence collective que nous définissons dans notre recherche de thèse comme « la réunion des capacités d'échange, de compréhension, de raisonnement, de choix, de jugement qui selon les situations de travail permet à un ensemble d'acteurs (les soignants) de penser en équipe, d'organiser collectivement et de construire ensemble le sens de leurs actions qui d'individuelles deviennent alors collectives » (Laurens, 2014) (22). L'initiation à la démarche de recherche en formation est le premier pas incontournable dans le voyage professionnel du chercheur, « trekking » nécessaire pour édifier les savoirs de la discipline des sciences infirmières, susciter la reconnaissance de la profession et des pairs, contribuer à l'essor de la recherche infirmière en France, en Europe et à l'international.

Aussi, nous pouvons suivre la sagesse de Lao Tseu qui nous invite à ce voyage et nous rappelle que « même le plus long des voyages commence par un premier pas ». Alors, en route !

(1) Processus de Bologne https://ec.europa.eu.commission européenne, (consulté en ligne le 3/01/2020).

(2) Galinon-Melenec, B. (Dir.). L'homme trace, perspectives anthropologiques des traces contemporaines, Paris, Cnrs éditions, 2011, p. 195.

(3) Décret no 2004-802 du 29„/„07„/„2004 relatif à la profession infirmière, art. R4311-15 arrêté modifié 31/07/2009 relatif au diplôme d'état infirmier.

(4) Décret 2018-629 du 18/07/2018 relatif à l'exercice infirmier en pratique avancée, décret 2018-633 du 18/07/2018 relatif au diplôme d'état d'infirmier en pratique avancée relatif au régime des études en vue de l'obtention du diplôme d'état d'infirmier en pratique avancée.

(5) DGOS/PF4/2013/39 du 18/„01/„2013 consulté en ligne le 02/01/2020 sur le site du ministère des Solidarités et de la Santé.

(6) Nadia Peoc'h, en 2010, occupait la fonction de cadre supérieur de santé missionnée sur la coordination et le développement de la recherche infirmière et paramédicale au CHU de Toulouse jusqu'en 2015, ainsi que MCF associée en sciences de l'éducation à l'Université Toulouse II Jean Jaurès ; elle est aujourd'hui directrice des soins, en charge de la direction de l'IFCS, des écoles d'IBODE et d'IADE au pôle régional d'enseignement et de formation aux métiers de la santé de Toulouse (PREFMS), coordinatrice du DEIPA à l'Université Paul Sabatier Toulouse III.

(7) Debout, C, interview de Laure Martin, Actu soins, 28/01/2014 consulté en ligne le 02/01/2020.

(8) Décret 2019-1107 du 30/10/2019 modifiant le décret du 20/„01/1987 relatif au conseil national des universités pour les disciplines médicale, odontologiques et pharmaceutiques (intégration des sections 92 sciences infirmières, 91 sciences de rééducation et réadaptation, 90 sciences maïeutiques).

(9) Mialaret, G. Les démarches de la recherche scientifique, dans Méthodes de recherches en sciences de l'éducation, Paris, PUF, 2004, pp. 22-35.

(10) Formarier, M Réflexion sur la recherche en soins infirmiers aujourd'hui, Recherche en soins infirmiers no 100, Association de recherche en soins infirmiers, 2010, pp. 111-114.

(11) Conseil international des infirmières, Guide pratique de la recherche en soins infirmiers, WL Holzemer. Genève CII, 1998.

(12) CNRTL Centre national de ressources textuelles et lexicales

(13) Rothan-Tondeur, M. Guide de rédaction d'un protocole de recherche, Paris, Maloine, 2015, p. 7.

(14) Peoc'h, N, Lefort, MC, Leblanc, J, Rothan-Tondeur, M, Guide de rédaction d'un protocole de recherche, Paris, Maloine, 2015, p. 15.

(15) Peoc'h, N, La recherche infirmière et paramédicale, influence des représentations professionnelles sur les pratiques managériales des directeurs de soins, Mémoire EHESP, 2015.

(16) Bonneville, L, Grosjean, S, Lagacee, M, Introduction aux méthodes de recherche en communication, Montréal, Gaétan Morin Cheneliere éducation, 2007, p. 31.

(17) Delavergne, C, La posture du praticien chercheur : un analyseur de l'évolution de la recherche qualitative. Recherche qualitative hors-série 3. Bilan et prospective de la recherche qualitative, acte de colloque, association pour la recherche qualitative.

(18) Pepin, J, La pensée infirmière pour une production et utilisation de connaissances scientifiques pertinentes à la pratique, Recherche soins infirmiers, no 121, juin 2015, Association recherche en soins infirmiers, pp. 11-17.

(19) Kivits, J, Balard, F, Fournier, G, Winance, M (Dir). Les recherches qualitatives en santé, Paris, Armand Colin, 2016, p. 46.

(20) Ibid., p. 15.

(21) Formarier, M, op. cit., p. 113.

(22) Laurens, C, Communication et travail collectif des soignantes en situation de métissage à l'hôpital : le cas des cadres de santé, des infirmières et des aides-soignantes, thèse de doctorat en sciences de l'information et de la communication, soutenue le 19/„09/2014, Université Toulouse II Jean Jaurès.